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22 mars 2009 7 22 /03 /mars /2009 10:27

Depuis plus de quinze jours, il fait où j´habite, à un ou deux kilomètres à peine de la mer au sud de la commune d´Oslo, un temps magnifique. Ce n´est plus vraiment l´hiver ; ce n´est pas non plus le printemps. La neige occupe encore les champs ainsi que les bas-côtés des routes et des chemins forestiers. C´est un entre-deux délicieux où l´ocre des troncs des pins et sapins qu´éclaire le soleil éclatant mais encore froid du jour, rivalise avec le blanc et le noir des troncs des bouleaux encore dénudés que je vois de mes fenêtres. Aucun bourgeon ou nouvelle aiguille n´apparaît sur leurs branches ; et rien encore sur celles des arbres fruitiers que certains jardins d´agrément possèdent, comme le prunier, le pommier, le cerisier, voire le mirabellier ou le pêcher. Les jours sont cependant bien plus longs, même si le soleil ne brille pas avec ardeur.

Les phases où le ciel se montre limpide et sans nuages font désormais place à celles où la brume ou le brouillard, très tôt le matin, peuvent encore incidemment envahir toute la contrée de son humidité, pour peu que vous cherchiez à vous en rendre compte par vous-même en sortant quelques minutes. Personne ne taille déjà le moindre plant. Il faudra donc attendre encore plusieurs journées, voire trois ou quatre semaines, pour voir l´entrée véritable du printemps. Mais les doux nuages qui sillonnent le ciel, avant l´arrivée chaque jour plus tardive de l´harmonie du soir, indiquent que les prémices du printemps ne devraient plus tarder. Chaque instant qui passe apporte ainsi sa joie simple et tranquille, pour peu qu´on se résolve à le vivre pour ce qu´il est, sans chercher à comprendre le pourquoi de cette énigme qui se renouvelle sans cesse et indéfiniment. 

                                                             * * *
Liens possibles : - Les ciels de Baudelaire et Boudin
                                   - Le jardin des Lauves de Cézanne 

                                                             * * *
[ Illustration :  Caspar David Friedrich Soir nuageux (1824) ]

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6 mars 2009 5 06 /03 /mars /2009 07:42


J´ai découvert Fernando Pessoa au milieu des années 1980. Peu importe comment et pourquoi. La lecture d´un billet du blog Mes chimères d´une Elsa nostalgique de Vienne m´a donné l´envie de me procurer à nouveau Le Livre de l´intranquillité. Autobiographie sans événements. (Christian Bourgois, 1999. Traduit du portugais par Françoise Laye). Je le lis par fragments, à petites doses, au hasard des pages négligemment ouvertes selon mon humeur chagrine et mon abscence d´envies qui m´assaillent depuis plusieurs semaines et que je n´arrive pas à dissiper, tel un brouillard opaque et persistant ; je le lis donc de-ci de-là comme on égrène sans faim une grappe de raisin ; - mais que l´on reprend peu après, tant le goût suscité vous invite à y revenir. J´espère, en toute modestie, ne pas dénaturer ainsi cette autobiographie sans événements qu´ Eduardo Lourenço appelle avec bonheur un "livre aux entrées multiples".

Pour ceux et celles qui voudraient se lancer à l´assaut de ce livre de "toute une vie sans plan véritable" (idem Eduardo Lourenço), voici donc un extrait du fragment 117 daté du 27 juillet 1930 :

La littérature toute entière est un effort pour rendre la vie bien réelle. Comme nous le savons tous, même comme quand nous agissons sans le savoir, la vie est absolument irréelle dans sa réalité directe : Les champs, les villes, les idées, sont des choses totalement fictives, nées de notre sensation complexe de nous-mêmes. Toutes nos impressions sont incommunicables, sauf si nous en faisons de la littérature. Les enfants sont de grands littérateurs, car ils parlent comme ils sentent, et non pas comme on doit sentir lorsqu´on sent d´après quelqu´un d´autre... J´ai entendu un enfant dire un jour, pour suggérer qu´il était sur le point de pleurer, non pas "J´ai envie de pleurer", comme l´eût dit un adulte, c´est-à-dire un imbécile, mais : "J´ai envie de larmes." Et cette phrase, totalement littéraire, au point qu´on la trouverait affectée chez un poète célébre (s´il s´en trouvait un pour l´écrire), se rapporte directement à la chaude présence des larmes jaillissant sous les paupières, conscientes de cette amertume liquide. "J´ai envie de larmes " ! Cet enfant, tout jeune encore, avait fort bien défini sa spirale. (1)
    Dire ! Savoir dire ! Savoir exister par la voix écrite et l´image mentale ! La vie ne vaut pas davantage : le reste, ce sont des hommes et des femmes, des amours supposées et des vérités factices, subterfuges de la digestion et de l´oubli, êtres s´agitant en tous sens - comme ces bestioles sous une pierre qu´on soulève - sous le vaste rocher abstrait du ciel bleu et dépourvu de sens.

(1) Pour comprendre comment définir par les mots une spirale, il convient de lire tout le fragment 117 (page  145).

                                                        
                                                               * * *
Liens possibles : a) Clown ; b) Premières leçons de norvégien ; c) Yves Bonnefoy.


[Illustration 1 : Fernando Pessoa; illustration 2 : Magritte La condition humaine I (1935)]

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27 février 2009 5 27 /02 /février /2009 13:24

À un moment, on est bien obligé de reconnaître son propre vieillissement. À la veille d´un nouveau 28 février, j´y pense plus encore. Je citerai, pour ce faire, ce passage de Mort à crédit de Céline. J´oserai l´illustrer de deux tableaux complémentaires,




La Nuit étoilée
de Millet (1865)
et  


La  Nuit étoilée sur le Rhône
(1888)  de Van Gogh

"Ah ! c´est bien terrible quand même... on a beau être jeune quand on s´aperçoit pour le premier coup... comme on perd des gens sur la route... des potes qu´on reverra plus... plus jamais... qu´ils ont disparus comme des songes... que c´est terminé... évanoui... qu´on s´en ira soi-même se perdre aussi... un jour très loin encore... mais forcément... dans tout l´atroce torrent des choses, des gens... des jours... des formes qui passent... qui s´arrêtent jamais... Tous les connards, les pilons, tous les curieux, toute la frimande qui déambule sous les arcades, avec leurs lorgnons, leurs riflards et les petits clebs à la corde... Tout ça, on les reverra plus... Ils passent déjà... Ils sont en rêve avec des autres... ils sont en cheville... ils vont finir... c´est triste vraiment... " (Folio, p. 414)

Et un peu plus loin : "Ah ! C´est pas drôle Ferdinand !... c´est pas drôle !... Je ne dis pas la vie Ferdinand mais le Temps !... La vie c´est nous, ça n´est rien... Le Temps ! c´est tout !... (id, p. 535).

Ou encore, au tout début, comme un coup de semonce : "On est temporaire, c´est un fait".(id, p. 29)

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22 février 2009 7 22 /02 /février /2009 10:59


Depuis plus d´un mois, il neige plusieurs fois par semaine. Les routes et les rues sont difficilement dégagées, les bas-côtés rehaussés de remblais quasi infranchissables ; et sur ma terrasse, comme dans mon jardin, elle s´entasse sur plus d´un demi-mètre. L´enfant-retraité que je suis est ravi. Il y a sans cesse des effets de neige dignes des plus grands écrivains et des meilleurs peintres, comme par exemple Monet et Marquet.

Ce qui, à mes yeux, rend si précieux l´hiver est la neige. Ses flocons sont des douceurs de laine qui garnissent les branches de tulle, qui emmitouflent de silence les bouleaux dénudés et donnent aux aiguilles de pins leur vigueur. L´ hiver éveille en moi un désir d´apaisement, un espoir de retour à l´enfance, une volonté de revenir aux formes essentielles. Il ne m´a jamais été froid au coeur. Il permet au contraire de me ressourcer ; d´approfondir ce que l´année écoulée et celles d´avant m´ont donné. La neige est pour moi protection.

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31 août 2008 7 31 /08 /août /2008 10:37

[ Tarjei Vesaas V ] -

Cher Papa,

Tu es mort à trente neuf ans.
Ta vie était loin d´être finie.
Sans doute avais-tu trouvé ta place dans la vie quand tu étais en mer.
Mais je doute que tu aies eu le temps de considérer la vie dans son immensité
ses profondeurs
ses vagues
sa houle
son roulis
son horizon.

À bord du Marguerite Finaly,
devais-tu fermer ton hublot
dès
qu´apparaissait
un peu de clapot ?

Tu ne peux connaître le romancier poète Tarjei Vesaas qui écrit en néo-norvégien, - ou plutôt, en son dialecte du Telemark. Je le lis dans sa langue quand il n´est pas traduit. Quand il l´est, je compare les traductions proposées à sa langue à lui. Je me permets quelquefois de faire une traduction.


Dans le dernier roman qu´il a publié deux ans avant sa mort, il mélange volontairement la forme poétique et la forme romanesque. Mais Le bateau le soir ( 1968 ) est plutôt un montage de visions poétiques et de réminiscences semi-autobiographiques. Les humains sont rares. On y trouve surtout, pour citer Thierry Cecille, " les éléments du monde : la pierre, le fleuve, la neige, la montagne, le marécage - et les animaux, qui pensent, qui savent, eux peut-être." Il en est de même dans son dernier recueil de poèsies "pures" qui a pour titre Vie au bord du courant. Je suis loin d´avoir fini de lire cet immense écrivain qui a été sur la liste des nobélisables les trois dernières années de sa vie.
Je t´en parlerai à nouveau bientôt, tu peux en être sûr.

Pour aujourd´hui, je tiens à citer pour toi le poème appelé simplement LE BATEAU extrait de son cinquième recueil Ver ny, vår draum ( = Reste nouveau, notre rêve ) ( 1956 ) :

    
Heureux, nous laissons un peu l´obscurité tomber
     avant notre départ.
     Et une fois sur l´eau, nous fûmes envoûtés,
    
enchanté
     par de vives petites vagues blanches contre la pointe,
     à travers l´eau, d´un noir de charbon.
     Comme une robe de fête susurrant
     autour d´un genou.

     Pleinement épanouis,
     nous écoutions le susurrement.
      Mais arrivés plus loin,
     
nous prîmes peur
      et ne pensâmes plus aussi légèrement à des robes.
      Nous sentîmes un pouls immense
      venant des profondeurs de la mort.
      Chacun à sa manière, les visages changèrent de couleur.
      On entendit un cri dans la brume.
(*)
      Mais à bord, chaque nom
      répondit effrayé
      qu´il était là.

       Après cela,
       l´océan.
       Le pouls et l´océan.
                             "
Le bateau" in Lisières du Givre ( Ed. Grèges, 2007 )
                                  ( Traduction : Eva Sauvegrain et Pierre Grouix )

À bientôt, dans une prochaine lettre.

Je t´embrasse très affectueusement,

Ton fils Bernard.
                                                      * * *
Complément du 10.09.08 - Les mots "fermer les hublots dès qu´apparaissait un peu de clapot" sont du commandant Lucien Békourian. À son lancement ce pétrolier a été baptisé Marguerite Finaly. Après la guerre il a recu le nom Esso Provence. Le commandant Lucien Békourian le connaît bien : c´est sur ce vieux pétrolier qu´il a fait ses classes de second capitaine. 

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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 14:55

Le voyageur est une espèce en voie de disparition. C´est le touriste qui le remplace. On peut le regretter mais c´est ainsi. Je le sais d´autant mieux qu´ il m´arrive une ou deux fois par an d´en être un. J´en ai fait à nouveau la triste expérience il y a à peine un mois dans la ville de Pamplelune entre 11 et 18 heures, le dernier dimanche des fêtes de Sanfermines. 

De notre lieu de départ tous les passagers ou presque étaient de la tête aux pieds habillés de rouge et de blanc : pantalon et T-shirt blancs, foulard et ceinture rouges. Venant de Bayonne j´ai cru qu´ils tenaient à montrer leurs origines. Dès la descente du car, j´ai compris mon erreur. Ils ne cherchaient pas comme moi à faire tache, mais au contraire à se couler dans la masse. Tout le monde à Pampelune arborait le rouge ou le blanc. Ils ne risquaient donc pas de défrayer la chronique. Ils endossaient ainsi à moindre frais deux rôles à la fois : celui d´habitués et celui de touristes. Mais habitués à quoi ? Le voyage de retour me l´a fait comprendre : boire; -sans avoir à conduire. D´eux émanaient des remugles de bière et de tord-boyauds mêlés d´érotisme ambiant. Ils chantaient à tue-tête et à l´unisson des chansons à boire beaucoup plus épicées à vrai dire que J´ai-meux leu jambon et la sauci-i-sse, j´ai-meux le jam-bon et cæ-te-ra.  L´érotisme de caniveau n´est pas mort. Ne pourrait-on pas, plutôt,  parler de porno de mère de famille ? Sur ce sujet, je suis sûrement analphabète. Malgré quelques lectures,  anciennes ou plus récentes, genre Ovide , Louis Calaferte ou encore Arthur Schnitzler.

Dès l´arrivée à Pamplune, ma compagne et moi avons trouvé sur la Plaza del Castillo, un bus aménagé en bureau de tourisme invitant à se renseigner sur les festivités du jour et les monuments incontournables. La préposée de service s´est avérée remarquable de précision et de professionnalisme, sourires de charme à l´appui, digne d´une marchande de babioles locale guettant sur le pas de sa porte l´ouvrier agricole venu en ville boire sa paie le jour de kermesse, ducasse, braderie ou fancy-fair.

J´ai donc pu faire le parcours de trois kilomètres que font les toros des corralillos à la Plazza de torros en passant par la Plaza del los burgos,estafeta et me trouver pour finir devant le recorrido del Encierro. J´ai pu ainsi contempler la statue de l´aficionado Ernest Hemingway que l´on a érigé près de l´entrée de l´arène. Près d´elle, des jazzmenn soufflaient dans divers instruments, qui dans une clarinette, qui dans un saxo, tandis que deux autres grattaient les cordes d´une guitare et d´un banjo. Autour, femmes, hommes et enfants tapaient des mains en mesure tout en se trémoussant, exprimant ainsi un désir lubrique que j´oserai qualifier de petit-bourgeois à la page d´antan, heureux de participer à ce qu´il faut peut-être appeler les impostures d´une culture factice.

Sous la loupe d´un sociologue désireux comme Michel Maffesoli d´être à la hauteur du quotidien, je suis sans doute simply a tourist, as a shunk is a shunk. Je m´efforce donc de me fondre dans la foule. J´ai visité les temples de l´hérésie culturelle. Le Mur de Berlin jadis. La Place Teniamen naguère. En ce dimanche de juillet 2008, La Plaza del Castillo et La Plaza de toros à Pampelune. N´ayant devant moi que quelques heures et n´étant pas seul, je n´ai donc pu découvrir tout à côté les quartiers populaires avec les échoppes d´artisans, ni les ruelles grouillantes de vie dans lesquelles se trouvent sûrement des petits magasins où l´on trouve de tout. Quand la nausée devient insupportable, je n´ose braver personne. Je me tais. Je me réfugie dans la lâcheté du silence. Ce que j´ai fait ce dimanche en reposant mes reins fatigués à la terrasse d´un café.

J´ai donc revu passer tous ceux que j´avais pu croiser deux ou trois heures auparavant. Des jeunes et des moins jeunes, tous touristes comme moi. Beaucoup étaient, comme il se doit, habillés de rouge et de blanc. Mais le blanc des pantalons était sale aux chevilles. Celui du T-shirt était constellé de taches de vin. Quant au foulard, il bâillait comme le plissé rouge des femmes après l´amour. Des couples dignes d´un autre âge pouvaient aussi passer, sans doute fiers de mettre dans leur tableau de chasse de touristes le nom des villes qu´il faut visiter, telle Pampelune à l´heure des fêtes de la San Fermin.

Je n´ai rien photographié. Je n´ai jamais cherché à dessiner. J´ai remisé depuis plusieurs années déjà mon vieux Rollei 35 dans un fond de tiroir, ainsi qu´une digital camera achetée récemment mais trop avancée pour moi. J´essaie simplement d´enregistrer dans ma tête ce que je cherche à retenir. On peut fort bien photographier sans appareil. Dixit Henri Cartier-Bresson. Tout est affaire de cosa mentale. Et de carnet de notes.

Le vacancier d´aujourd´hui ne fait en réalité que déplacer, le temps de ses vacances, le poids de la réalité quotidienne. Le touriste a définitivement remplacé le voyageur. Sa relation aux pays qu´il traverse au pas de charge est proportionnelle à la somme qu´il a déboursé pour les tours operators organisateurs de voyages. Plus le prix du billet d´avion est bas et celui de la chambre d´hôtel allèchant, plus il est content rapport qualité-prix. Ce tourisme n´est sans doute pas un nouvel humanisme, mais il permet à plus d´un de s´appropier à bon marché les plus belles merveilles du monde.
Ca donne au touriste des souvenirs pour le reste de sa vie.

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13 août 2008 3 13 /08 /août /2008 12:32


[ Tarjei Vesaas III ] - Récemment, j´étais assis au café "Le Régent" de la place Gambetta à Bordeaux, face à la boutique de luxe Hermès. Sa facade ravalée ne cessait de me fasciner. Située à l´angle d´une artère prestigieuse et de cette place animée, elle étalait éhontément son opulente vitrine, comme si ses propriétaires voulaient rappeler à tous les origines divines de son nom : le dieu du commerce, le gardien des routes et des carrefours, des voyageurs, des voleurs, le conducteur des âmes aux Enfers et le messager des dieux.

Quelques heures auparavant, j´avais acheté du romancier et poète norvégien Tarjei Vesaas Lisières du givre, et m´étais laissé bercé par l´envol de quelques vers. Son recueil de 1949 Lykka for ferdsmenn prend ses distances avec la guerre. On pourrait tout aussi bien traduire ce titre par Le bonheur pour les voyageurs que par "
Bonne chance" aux voyageurs.

C´est dire qu´une traduction sera toujours, pour reprendre l´heureuse formule du poète francais de langue allemande Paul Celan, "un dialogue qui chemine". Le "bonheur" met surtout le doigt sur la liberté individuelle. La "bonne chance", me semble-t-il, insiste plutôt sur le hasard des rencontres à la croisée des chemins. On pourrait tout autant proposer "Coup de chance"; - et même, sans doute, "Le don d´Hermès".

Hermès est né, selon Homère, "pour être le tourment des hommes mortels et des dieux immortels". La boutique Hermès à Bordeaux n´est qu´à une encablure - ou un jet de pierre -  d´une autre boutique aussi prestigieuse : Louis Vuitton, qui vend sacs et bagages. Vu les prix qu´elles proposent, elles sont sans nul doute, le tourment de beaucoup.

De mon lieu d´observation, je me sentais un peu comme Ulysse qui rentrait de voyage. Les voitures passaient comme des vagues successives. Chaque piéton formait le dessus de l´écume. J´étais sur le retour. Bordeaux, sans être l´île mythique d´Ogygie, avait pourtant été une escale, même si aucune Calypso ne s´était montrée pour me retenir. On ne peut retrouver, comme si de rien n´était, un pays quitté depuis longtemps.

Je rentrai avec joie, sans pleurs ni regrets. Je n´avais quitté, en partant pour un peu moins de trois semaines, aucune Pénélope. Aucun Argos, non plus, ne me reconnaîtrait pour mourir à mes pieds. Seuls m´attendaient deux ou trois livres que je désirais lire. Et deux jardins minuscules. J´étais inapprochable. Je le suis encore.

Quand l´avion décolla, les lumières de la ville n´ont pu rivaliser longtemps avec le feu du ciel.

     De ce côté-ci,
     le chemin est aisé,
     tu n´as pas à avancer
     pas à pas vers la misère :
     seul ton voeu
     peut te porter.
     Afin que toi aussi tu arrives
     là où la plupart sont arrivés.

                 Tarjei Vesaas,  "Déclaration à un carrefour" in Lisières du Givre ( "Coup de chance" pour les voyageurs )
                        Traduction : Eva Sauvegrain et Pierre Grouix
                                                                      
                                                * * * 
     [ Illustration en haut à gauche : Hermès poursuivant Hersé ]
    [ Illustration à droite : Stèle hermaïque en pierre (Musée d´Athènes)

                                                                 * * *
                                                                                                                                                           ( À suivre )

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23 juin 2008 1 23 /06 /juin /2008 12:35
C´est aujourd´hui le 23 juin. Vu mes convictions, il est impossible que ma mère puisse m´entendre là-haut. Mais en cette date anniversaire qui l´a vu naître il y a plus d´un siècle, elle est bien présente à ma mémoire. C´est dire qu´elle sera vivante aussi longtemps que ceux et celles qui l´ont connue pourront se souvenir d´elle ; et plus encore grâce à ceux ou celles qui ont laissé sur elle un témoignage, aussi insignifiant soit-il.

Je possède d´elle très peu d´objets qui lui ont appartenu. Mais j´ai dans ma chambre, parmi d´autres "objets d´art", un tableautin qui n´a de valeur que celle qu´elle et mon père lui donnaient. La signature est illisible ; je peux toutefois distinguer trois lettres : M.C. D... ( ou B ) ; et le titre Idylle. Il s´agit de deux moineaux blottis l´un contre l´autre sur une branche que le soleil éclaire, Ses amis de toujours - et surtout, bien sûr, ses plus intimes - connaissaient bien ce tout petit tableau.

J´avais aussi pensé pour ce jour anniversaire recopier pour elle un court poème d´Yves Bonnefoy. J´y ai renoncé. Peu importe pourquoi. J´y voyais un sens illustrant une certaine quête de la présence, une attention aux choses simples de la vie. Un poème sur lequel on a écrit qu´ Yves Bonnefoy, par " le dialogue d´angoisse et de désir ( ... ) tente avec l´aimée, de vivre ici au soleil du soir, sous l´arbre et ses fruits, loin de la guerre".

J´oserai aussi associer à ce poème une statuette de Giacometti réunissant trois silhouettes filiformes. Elles ne marchent pas ( ou ne marchent plus ). J´y vois deux hommes qui regardent une femme.

Je trouve étonnant que ma mère, née la veille de la Saint-Jean, ait épousé un homme né le jour de Noël, quand on sait le couple éminemment constrasté que constituent la Saint-Jean d´été et la Saint-Jean d´hiver. Ma cousine Madeleine, catholique extrêmement fervente mais non bigotte, y a sans doute vu un signe. Elle m´a souvent dit qu´elle aimait rencontrer mon père et parler avec lui, non de tout et de rien, mais de choses et d´autres. Cela prouve qu´en bavardant simplement, ils réussissaient peut-être à saisir et arrêter, ne serait-ce qu´un instant, ce qui est fugitif.
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19 juin 2008 4 19 /06 /juin /2008 14:14
Le langage des fleurs est autant une énigme qu´une source de joie. Encore faut-il, surtout en francais, avoir quelques notions de grec et de latin.

Connaître le nom usuel peut souvent être utile mais ce n´est pas toujours le cas ; ainsi de myosotis qui signifie "oreille-de-souris", de ous,ôtos ( = oreille ) et mus ( = souris ).
Je veux bien admettre que la forme des feuilles rappelle celle des oreilles de souris mais je n´ai jamais vu des souris bleues, blanches et encore moins roses.

J´ai longtemps cru que le nom dano-norvégien forglemmegei ( = ne m´oublie-pas ) renvoyait - comme d´ailleurs l´anglais forgot-me-not ou l´allemand Vergissmeinnicht - à la simplicité de la fleur, éventuellement sa modestie, comme pour la violette, car, comparée à d´autres fleurs plus majestueuses et compliquées, on pouvait la négliger.

La légende qui est à l´origine de son nom ne laisse pas de surprendre : un chevalier en armure, voulant se pencher pour cueillir une fleur et l´offrir à sa dame, tomba dans la rivière. Avant de se noyer il eut cependant le temps de crier à sa dame : "Ne m´oubliez-pas !" Notez, je vous prie, le vouvoiement ( pour éviter le vous(s)oiement ).

Après la Seconde Guerre mondiale, les Francs-macons allemands de la Grande Loge Unie ont adopté le myosotis comme emblème pour rappeler leur sort peu enviable qui a été le leur durant plus d´un siècle, notamment durant l´époque nazie. Ma mère, franc-maconne et qui aimait les fleurs, le savait peut-être.



Si un jour je devais perdre la mémoire, j´espère avoir le temps de m´affilier à la Société Alzheimer qui a adopté le myosotis comme symbole.

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16 juin 2008 1 16 /06 /juin /2008 12:59

La Place Solli à Oslo ( = Solli Plass, ce qui sans doute signifie "La Place de la pente ensoleillée", )  a deux surnoms : "Le quartier anglais" ( = Det engelske kvarter ) et, selon la langue populaire, "La place des dandys" ( = Lapsetorvet ).

Plus personne ou presque ne sait aujourd`hui pourquoi cette place a recu ce nom et surtout ces surnoms, depuis notamment qu´un ensemble d´immeubles au style nouvelle renaissance de la fin du XIXe siècle a été rasé dans les années 1960 pour mettre en lieu et place des bâtiments d´un tout autre style. À cause des trois magnifiques statues à signification symbolique qui la décorent désormais, et qui sont celles de Gunnar Sønsterby, de Winston Churchill et de "L´ homme à la clef" d´Auguste Rodin, je propose qu´on lui donne, sinon un nouveau nom officiel, du moins un nouveau surnom, celui de "La Place des résistants"
( = Motstandsmenns plass ). Aux habitants du quartier et aux élus locaux de se prononcer. 

La première statue que les autorités municipales ont placée là a fait coulé beaucoup d´encre en son temps (1901-1902). Il est difficile aujourd´hui de découvrir cette sculpture car elle est située sur le côté de la place qu´aucun piéton n´emprunte vraiment. C´est "L´homme à la clef" d´Auguste Rodin, qui, au XIVe siècle, s´était joint à cinq autres bourgeois de Calais, pour se rendre, la corde au cou et les clefs de la ville en mains, au souverain Edouard III d´Angleterre qui assiégeait la ville, - et déliver ainsi ses habitants d´une mort certaine.

Frits Thaulow, peintre fort connu à l´époque, particulièrement préoccupé de la place de l´art dans la capitale Kristiania, avait proposé que "L´homme à la clef" orne un parc. Christian Krogh, peintre encore plus connu, lui avait emboîté le pas en allant plus loin : la statue de Rodin méritait d´occuper un emplacement central en ville.

Gustav Vigeland, sculpteur de renom, s´y opposa fortement, appuyé du grand Bjørnstjerne Bjørnson. Cette statue n´avait pour eux rien à faire dans la capitale, pour la bonne raison que la sculpture n´était aucunement reliée à l´histoire de La Norvège. Elle ne pouvait, tout au plus, que se trouver entre les murs d´un musée. Le compromis trouvé fut la place Solli, dans la rue Sommerro, en 1902.

Depuis lors, deux autres statues ornent cette place sur le trottoir d´en face de la rue Sommerro, fort animée, - et qui mène logiquement à la rue Henrik Ibsen, la Place du 7 juin et juste après les "Champs Elysées" norvégiens, la rue Karl Johan peinte par Edvard Munch.

La première de ces statues est celle de l´inflexible et vieux renard Winston Churchill, résistant de la première heure aux envahiseurs nazis. Elle est due à Ivor Roberts-Jones et identique à celle que l´on trouve à Londres à proximité du Palais de Westminster sur le "Parliament Square".

La seconde est du sculpteur Per Ung et représente un héros national appuyé sur son vélo, le résistant le plus décoré de Norvège, Gunnar Sønsterby. Sa statue a été dévoilée en présence du Roi en mai 2007.

Une plaque bleue aux lettres blanches précise sur un mur du bâtiment près de la statue de Gunnar Sønsterby : "Ici se trouvait "le quartier anglais" - Ensemble d´immeubles de style nouvelle renaissance construit en 1885-1886 - Architectes : Bernhard Steckmest, Paul Due - Rasé en 1962-1963". Fort bien.

Les Statues de Winston Churchill et de Gunnar Sønsterby sont bien plus en vue que cette plaque. Et connues de tous. Fort heureusement. Elles évoquent pour tous une période cruciale de l´histoire du pays.

Je crois comprendre pourquoi "on" les a mises là, face à "L´homme à la clef" d´Auguste Rodin. Peut-être serait-il judicieux, si mon explication est juste, que les autorités municipales ou des journalistes influents l´expliquent davantage. Les trois statues, chacune différemment, évoquent une résistance à des envahisseurs.
                                                         ------------------
( Photos personnelles )

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