Du Journal de voyage que, "à sauts et à gambades", Montaigne a dicté à son secrétaire en se rendant à Rome en 1580, je n´ai lu que ce que Philippe Sollers en a dit. C´est donc bien peu ; c´est même presque rien. Mais j´ai déjà commandé ce Journal. C´est dire, alors que je viens de passer dix jours à Rome, l´intérêt que la lecture des quelques lignes que Sollers a écrites a suscité en moi. Diable de Sollers !
Ce n´est qu´en 1770 que ce Journal de voyage a été publié. Dès l´ époque, on l´a considéré dérangeant. C´est dire, selon son présentateur Sollers, qu´il donne de Montaigne une image que l´on ne s´attend pas à voir : plus respectueux que sceptique ; et même fervent catholique ; voire dévot ... , déposant aux pieds de la Vierge un ex-voto de famille qu´il avait dans ses bagages : - et comme aurait fait - note Sollers choqué - n´importe quel touriste pélerin trois siècles plus tard à Lourdes. Je n´en dirai aujourd´hui pas plus. Mais je demande à lire, avant de conclure trop vite.
Pour l´heure, je me contenterai du pittoresque des rues étroites, sinueuses et abritées du soleil que Montaigne a dû arpenter quand il a séjourné quelques jours à L´Hostaria dell´Orso. J´ai eu du mal a trouvé cette "Auberge de l´Ours" que vantait mon guide norvégien. J´ai même failli me laisser prendre tant le faux et le vrai se côtoyaient à chaque mètre, davantage attiré par l´enseigne accrocheuse d´une "hostaria l´orso 80" de la Via dell´Orso que la vraie Hostaria dell´Orso située à la Via dei Soldati ... J´aurais enfin pu dire à ma compagne : "Eccolo ... l´Orso !" Las ! À l´heure où je l´ai trouvée, l´auberge était fermée. Je n´ai donc pu m´attabler à l´ombre de Montaigne et
rêver aux cena ou colazione qu´il a dû prendre lors de son séjour dans cette auberge ; et moins encore à ceux de Rabelais qui, quelques décennies avant lui, avait dîné ou soupé dans ce même lieu.
À défaut, j´ai revu, en marchant de mon pas parcimonieux à cause d´un dos qui me faisait atrocement souffrir, les rues de Sarlat, et imaginé comment Montaigne et La Boétie auraient pu sceller leur amitié en visitant ensemble la Rome qu´ils appréciaient tant. Mais, seul sans lui, et pièça passé quarante ans, que cherchait-il à Rome ? L´aval du Pape ? Où la confirmation de ce que la lecture des latins lui avait permis d´avoir ? "J´ai eu la connaissance des affaires de Rome longtemps avant que je l´aie eue de celles de ma maison. J´ai su le Capitole avant le Louvre et le Tibre avant la Seine". Difficile à vérifier, n´ayant encore lu son journal.
Pour l´heure je ne tiens pas à oublier que Montaigne pouvait aussi être un simple voyageur autant soucieux du bien manger que du désir de soulager son corps qui lui donnait bien du souci à cause de la terrible maladie de la pierre qui souvent le terrassait. D´où son besoin de chercher des sources, des bains et des eaux salutaires capables atténuer ses peines à défaut de les guérir. Et plus encore, je ne veux oublier la curiosité qu´il manifestait toujours en voyage pour les moeurs et modes de vie qu´il découvrait autour de lui, qu´ils viennent de quelques grands du monde ou bien plutôt des petites gens, artisans, marchands et autres gens de peu. Flanqués de leurs ânes, chèvres ou cheval , ils ne manquaient sûrement pas de s´abreuver aux fontaines. Je ne sais depuis quand on jette par dessus son épaule une pièce dans la Fontaine de Trevi, dans l´espoir qu´un jour on revienne à Rome, mais je trouve cette coutume belle.
De tout ce que les Papes et richissimes familles ont fait pour leur postérité, ce que, à mon humble avis, je trouve de plus beau, ce sont leurs fontaines et leurs jets d´eaux où chacun peut s´abreuver. Si un jour je devais retourner à Rome, ce serait, à n´en pas douter, pour y boire l´eau rafraichissante de ses fontaines les plus modestes ; - avec le fol espoir de découvrir celle qui provient de la plus petite source, et que Virgile aurait pu chanter.
C´est tout pour aujourd´hui.
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[Photo 1 : Le Tibre, le pont Saint Ange, la Coupole du Vatican et à droite le Château Saint Ange ;
Photo 2 : L´Hostaria dell´Orso aujourd´hui ;
Photo 3 : L´Hostaria dell´Orso autrefois ;
Photo 4 : La Fontaine du Mascherone, Via Giulia, près de la villa Farnèse]