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20 juillet 2007 5 20 /07 /juillet /2007 17:25

[ 5 ] - La pièce où se trouvait la bibliothèque de mon père dans l´appartement de mon enfance n´a été ma chambre que  deux ou trois ans alors que j´avais 15 ou 16 ans. C´est là que j´ai commencé à la connaître en recherchant  notamment deux ouvrages dont deux de mes professeurs avaient parlé à titres divers : les Maximes de La Rochefoucault, dont j´avais appris par coeur une maxime qui avait fait sourire d´une drôle de facon mon professseur de francais ; Les Illuminations de Rimbaud, dont le poème "Aube" que j´avais ouvertement "utilisé" sans le dire, pour écrire en anglais une courte dissertation qui n´avait aucun rapport avec le sujet que mon professeur d´anglais avait donné. Le volume des Maximes, que j´ai jeté, ne me manque pas, mais je relis assez souvent certains poèmes des Illuminations; et je le sors toujours avec émotion, même s´il n´a pu appartenir à mon père, car la date de parution du livre que je possède est de 1946. Qui a acheté ce livre ? Ma mère ? Ma soeur quand elle a été lycéenne ? "Enfance", du même Rimbaud, est annoté de ma main quand j´ai relu attentivement toutes les Illuminations à la fin des années 1970 pour le mettre à mon programme d´examen de francais de hovedfag  (= maîtrise) en Norvège. Pas "Aube". Mais c´est "Aube" qui a servi de déclic. Je crois savoir pourquoi j´aime par dessus tout ce vieux volume sale : ce sont les poèmes de ce volume et notamment "Aube" qui m´ont donné l´envie de "prolonger" de manière personnelle en anglais un texte très court d´un vrai poète : J´ai embrassé l´aube d´été ( ...) / Je ris au wasserfall blond qui s´échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse (... ) / Au réveil il était midi.

C´est Rimbaud qui a écrit : On n´est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. ( "Roman", dans Poésies ).Mon commentaire de retraité sera laconique : j´en doute. [ Le portrait ci-dessus à droite est de Fantin Latour (détail ) ].

Outre ces deux ouvrages aux couvertures jaunâtres et sales, c´est aussi dans cette pièce que j´ai dévoré en un long week-end de trois jours ensoleillés de pentecôte et deux nuits entières Les Thibault de Roger Martin du Gard en livre de poche, en m´identifiant sans honte à Jacques, jeune fils qui souffre à double titre : d´abord de son père, lointain, autoritaire et catholique intransigeant ; ensuite de son  frère beaucoup plus âgé, Antoine, jeune médecin entièrement voué à sa profession. J´ignore totalement si mon père connaissait cet écrivain. L´oeuvre n´était pas dans sa bibliothèque. C´était en tout cas à la lecture de ce roman que je me suis totalement identifé aux aventures d´un personnage de papier, la première fois que je vivais ce qu´un écrivain avait inventé.  Enfant rebelle, sans frère et soeur de son âge, orphelin de mère, fils mal aimé d´un père âgé inaccessible, Jacques était placé, sans vraiment savoir pourquoi, dans une maison de redressement. Il me semblait, à lire ce que Jacques vivait, que j´aurais pu moi aussi être placé dans une telle maison si j´avais dû vivre soixante plus tôt dans une famille analogue. Adolescent révolté, Jacques se sentait incompris, insatisfait de tout, bouillonnant et maladroit. Moi aussi. Il quittait sur un coup de tête sa famille qui n´en était pas vraiment une à ses yeux à la suite d´une déception amoureuse avec la jeune fille d´un milieu protestant que son père n´appréciait en rien. Il me semblait que cela aurait pu être mon cas.  Il était recu brillamment à une Grande Ecole, mais refusait  d´y entrer pour gagner la Suisse et construire sa propre vie. Il me semblait que je serais capable de le faire plus tard. Il publiait une nouvelle sous un pseudonyme qui ne trompait pas son vieux professeur de lettres. C´est ce qu´il fallait faire. Il diffusait les idées socialistes et pacifistes de son époque pour s´opposer aux menaces de guerres qui couvaient dans l´Europe des années de la prétendue "Belle époque". C´est lui qui était dans le vrai. Pour le père, les Thibault avait un nom, une renommée, des ancêtres, un rang à tenir, une mission à accomplir. Son frère Antoine prenait le même chemin que son Père. Lui, Jacques, avait un autre destin :  il devait ouvrir une voie.

Le père Thibault n´avait aucun état d´âme. Le frère médecin pas beaucoup plus. Jacques en avait trop.  Le père Thibault, à l´agonie, évoque à deux ou trois reprises l´absence de son fils Jacques qu´il n´a pas vu depuis plusieurs années. Antoine comprend la souffrance quasi muette du père. Il sent que son devoir d´aîné est de retrouver son frère avant la mort du père. Aucun des frères ne survivra à l´hécatombe de la Première Guerre mondiale que l´on s´osbtine à appeler, je ne sais pourquoi, La Grande Guerre. L´épilogue de Martin du Gard est sans illusion. Les Thibaut n´auront aucune postérité. Aurais-je pu parler de cette oeuvre à un père qui ne la connaissait probablement pas ?

Ce compte-rendu, fait totalement de mémoire plus de quarante après avoir lu le roman une seule fois,  ne prétend à aucune réalité objective. Je n´ai consulté aucun manuel scolaire du XXe siècle du genre Lagarde et Michard ou compagnie, n´ai pas cherché à lire une page quatre de couverture publiée sur le net, ou lancé un moteur de recherche en tapant le nom  de Roger Martin du Gard. Il y a des raccourcis et des comparaisons avec mon histoire personnelle qui ne peuvent qu´irriter. Je ne le nie pas. Ce que je cherche à dire dans ces souvenirs et ses impressions n´a pas pour objectif de restituer une objectivité illusoire, et encore moins une vérité. C´est un souvenir travaillé par le temps et restitué par des mots que je trouve aujourd´hui. Il n´est que celui d´un retraité qui se souvient plus de quarante ans après. Si j´avais tenté de l´écrire il y a dix ou vingt ans, il aurait eu une tonalité différente. Si j´y reviens plus tard, il est possible que j´y ajoute une ou deux phrases, voire un paragraphe. Je souhaite pouvoir écrire, comme Montaigne que mon père a lu et aimé, " j´adjouste, mais je ne corrige pas." 

 Les ouvrages de mon père que j´ai déménagés dans l´appartement du dessous beaucoup plus petit n´avaient cependant  rien à voir avec ceux que je commencais à lire et qui me revélaient à moi-même autant qu´ils me dévoilaient le monde. Je m´en suis rendu compte avec évidence quand il m´a fallu les regrouper dans trois endroits différents. ( .../..6 )

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19 juillet 2007 4 19 /07 /juillet /2007 08:24

[ 4 ]. Faire son deuil, c´est admettre l´irrémédiable. C´est également souffrir. C´est aussi finir par se consoler.

J´ai admis l´irrémédiable depuis longtemps. Depuis que j´ai pu, comme je l´ai déjà dit, me comparer à mes camarades filles et garcons qui pouvaient dire Papa.

Souffrir, c´était justement de ne pouvoir dire Papa. Ma mère ne me parlait de lui qu´en disant "ton père", éventuellement Marcel. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je suis incapable de me souvenir comment ma soeur parlait de mon père qui était aussi le sien. Disait-elle Papa ? Disait-elle "ton père" pour imiter ma mère ? Mystère. Les oublis sont aussi révélateurs que les souvenirs, que ceux-ci soient attendris ou douloureux, vrais ou faux, enjolivés ou norcis, rêvés ou retrouvés fidèlement ou non selon le mot choisi, raturé ou retrouvé. Le mot Papa n´est donc pas seulement inconnu de mon vocabulaire ; il est aussi étranger à mes oreilles.

Mon fils aîné qui lit ne m´a, semble-t-il,  jamais appelé Papa. Il m´appelle depuis longtemps Bernard et parle de moi comme je parle du mien en disant "mon père". Quand je lui envoie des courriels, je signe "Ton père"; - éventuellement "Papa-Bernard". Je fais de même en norvégien. Quant aux courriels qu´il m´envoie, ils commencent le plus souvent, selon qu´il m´écrit en francais ou norvégien " Salut ! ! ou " Hi !" Il arrive même souvent qu´il n´y ait rien.

Mon plus jeune fils qui ne lit guère m´appelle parfois Papa ; ou plutôt Pappa, comme on écrit en norvégien. Peu importe la transcription phonétique qui ne peut être qu´approximative. Ce n´est donc pas vraiment Papa. Depuis la naissance de ses deux petites-filles Tiril et Thea, c´est le plus souvent "Farfar". Autrement dit, pour traduire vite et trahir quelque peu : " Grand-père". Car si les mots Papa ou Pappa m´écorchent les oreilles, les mots "Pépé" et "Mémé" me sont odieux. Ils évoquent pour moi des vieillards gâteux et quasi grabataires.

Une vieille tante norvégienne décédée depuis presque dix ans et très gentille, Tante Karen, commencait souvent, pour évoquer son père et le grand-père de mon ex-femme : - " Comme disait Pappa ... " . J´espère avoir réussi à lui dissimuler que ces mots m´irritaient au plus haut point. J´ai une ou deux fois essayé timidement d´évoquer ce malaise avec ma ex-femme. Il va sans dire que j´ai dissimulé les vrais raisons de mon malaise. Son incompréhension bien naturelle m´a dissuadé à jamais de pousser plus avant. Explorer ce malaise par écrit  me semble aujourd´hui différent. Me lit qui le veut bien.

Ce malaise ressurgit encore quand j´entends ici ou là un enfant, un adolescent ou une fille assez jeune dire "Pappa" dans la rue. Encore plus quand c´est un ami ou une connaissance qui le prononce dans un récit qu´ils me font. Ce qui est nouveau, c´est d´éprouver du soulagement à l´écrire, que ce soit avec un  ou deux " p " . Et donc, d´une certaine facon, de dépasser en partie un ressassement stérile.

Est-ce que le soulagement permet réellement de faire son deuil ? Que veut dire en  effet se consoler ? C´est, je crois, oublier progressivement une perte pour arriver à substituer une nouvel  " objet  " à celle ou celui qui fait désormais défaut. Prendre avec moi, - comme un sur-moi -, la totalité de la bibliothèque de mon père au cours de mes divers déménagements à sans doute été une sorte de substitution. Maintenant que j´ai définitivement jeté cette bibliothèque encombrante et morte depuis longtemps dans mon esprit, il n´est plus question de chercher à la conserver telle quelle. La relier encore moins. J´ai cru un certain temps que de l´avoir jetée était un sacrilège, surtout après avoir vu l´étonnement parfois efffaré de certains de mes proches à qui j´ai rapporté ce fait. C´est aujourd´hui un soulagement, une délivrance. C´est aussi, plus simplement, un bon débarras.  Ecrire sur mon père à partir de rien, - que ce rien soit écrit avec ou sans " s ", - est dès lors un défi, même s´il n´a de sens que pour moi. C´est  finalement, d´une certaine manière et selon mes propres moyens,  regarder derrière soi pour savoir où l´on va. Je crois honnêtement que cela est plus productif que d´avoir caressé le rêve insensé et puéril d´immortaliser ses livres par une reliure rehaussée d´or ou d´argent. Il me semble ainsi que j´entreprends enfin un vrai travail salutaire de deuil. Et donc, dans une certaine mesure, de donner à mon père une sépulture. Le deuil bien accompli est désormais à mes yeux  une épreuve de croissance. ( .../..5 )

 

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18 juillet 2007 3 18 /07 /juillet /2007 07:00

[ 3 ] - Lors du déménagement au premier étage de l´immeuble de 14 Rue Beaugrenelle, ma mère  emporta avec elle les deux photos noir et blanc de mon père qui ornait l´ancien appartement. Elle placa la plus grande, un immense portrait au cadre gris bleu pâle délavé, au-dessus du même vilain buffet tout en long qui se trouvait un étage plus haut et qu´elle avait acheté à Chartres. La seconde, beaucoup plus petite, était un portrait de mon père en uniforme d´officier supérieur de la Marine marchante. Elle était avant dans la chambre de ma mère. Elle reposera, à partir de ce déménagement, - et jusqu´à la mort de ma mère, - sur le rebord d´une petite cheminée qui n´a jamais été utilisée pour faire du feu. C´est celle que j´ai chez moi dans ma salle de séjour, sur le haut d´un buffet vitré typiquement norvégien que j´aime. Je l´ai placée à côté d´une vieille photo de même dimension couleur légèremnet bistre de ma mère dont le visage, le port de tête, la coiffure, le maquillage ne me rappellent absolument rien de la mère que j´ai connue, car cette photo a été prise bien avant ma naissance. Il faut sans doute voir dans ce choix le désir inconscient d´avoir souhaité enfant une mère plus jeune. Moi, dans ce déménagement mal aimé, j´ai emporté tous les livres de mon père. Les reliés, les brochés et les déchirés. Sans aucune sélection. Sans hésitation non plus. Ainsi que mes premiers propres livres. Alors essentiellement de poche.

Les livres que j´achetais étaient les romans de Sartre, de Camus, ainsi que les classiques reconnus du XXe siècle que mon père aurait pu connaître mais qui ne se trouvaient pas dans sa bibliothèque : Gide, Martin du Gard, Francois MauriacProust ne s´y trouvait pas davantage. C´est plus tard que j´ai commencé à le lire, également en poche.  J´achetais aussi les romans dont la presse d´alors parlait :  ceux que par commodité on a appelé Nouveux romanciers et que par paresse intellectuelle on continue d´appeler ainsi. Je me suis aussi mis à lire les romans étrangers que l´on traduisait, et qui dérangeaient ou étonnaient : Jack Kerouac, J. D. Salinger, Soljenitsyne.  Je les insérais au milieu des livres de mon père, respectant le classement par siècle et l´orde alphabétique qu´il avait adopté. Les écrivains étrangers formaient une classe à part. Elle était exangue du temps de mon père. Mes achats l´ont complétée rapidement.

Comme mon père avait constitué peu à peu sa bibliothèque, je constituais la mienne. C´était ma manière à moi  de commencer - avant mes propres déménagements volontaires et voulus pour m´établir et prendre ma mesure d´adulte et de père à mon tour -, de marcher dans ses pas et de poursuivre une de ses idées maïtresses que ma mère m´avait transmise : c´est à l´adolescence que l´on prend son envol. C´est sans doute pour cette raison que je me souviens si bien d´une conférence d´un petit homme "maigre comme un clou" à la voix fluette, mais au caractère de fer, un certain Louis Decoin, anarchiste et objecteur de conscience.  C´est fasciné que j´ai suivi dans une salle obscure de Tours, alors que j´étais étudiant en Sociologie, ce qu´il  disait : c´était à la fois sa détestation de la guerre, son refus de participer aux divers massacres du siècle, et ses lectures personnelles d´autodicate qui motiva sa vie. Quelles étaient les raisons secrétes de la vie de mon père ? La mer en était une. Son désir de se former seul en était une autre. Est-il possible d´en découvrir d´autres en comprenant la raison qui le poussait à acheter et posséder certains livres et pas d´autres ?

Enfant, je ne lisais pas, au grand désespoir de ma mère et de ma soeur. Mais à l´exception de ma soeur, j´ai rarement vu ma mère un livre à la main. C´est en Allemagne que j´ai véritablement commencé à lire : un exilé russe, Henri Troyat, avec La neige en deuil, - sombre petit récit bien construit qui relate, entre autres choses, un sauvetage en montagne et une rivalité entre frères ; L´ImmoralisteAndré Gide, auteur qui, dans les années où je l´ai découvert, n´était pas encore totalement oublié. Il était même toujours un peu sulfureux, capable qu´il était, disait-on, de dévoyer les jeunes gens. Ce qui reste pour moi de ce petit livre, et qui restera à jamais ineffacable, est cependant autre chose : c´est une association contradictoire de deux mots pour évoquer une sensation nouvelle et jusque là insoupconnée : la douce acidité des oranges. Au-delà de la découverte de cette fraicheur désaltérante insolite à la fois sucrée et acide, je découvrais dans le récit que le héros, - autant par les sens qu´intellectuellement - ,  s´ouvrait avec ferveur à un pays étranger au sien : l´Algérie. Sans doute, aussi, Gide lui-même. Pas seulement avec la tête, pas seulement avec le coeur, mais aussi avec le corps et les cinq sens. Je crois qu´on peut parler, pour reprendre une expression de Robbe-Grillet que je cite de mémoire, d´effet autobiographique. Pour moi, en y revenant encore aujourd´hui, c´est ce texte et cette phrase qui représentent ma première initiation de la grande littérature ;  et ce que doit être l´ambition de l´écrivain véritable : l´écriture. La Norvège que j´ai découverte à l´adolescence puis à l´âge adulte à partir de certains textes norvégiens bien traduits puis lus dans leur langue originale serait-elle pour moi une certaine Algérie ? - Peut-être ... A condition cependant d´exclure le thème de l´homosexualité, présent dans le texte de Gide et totalement étranger à mes plaisirs et mes émois.

C´est en Allemagne que j´ai commencé ma vie de lecteur. C´est en Allemagne que mon père est mort :  avec en tête des vers de poètes francais qu´il écrivait sur des bouts de cartons. René Char a survécu à l´obscurité de l´occupation de la France, en écrivant Feuillets d´Hypnos, entre 1942 et 1944 ; ce qu´il appelait ses "garde-butins". Jean Cassou, lui, a survécu en composant de mémoire Trentre trois sonnets composés au cachot. C´est ainsi qu´ils survivent à leur mort  en permettant aux générations futures le lire ce qu´ils avaient éprouvé. Transporter de lieux en lieux la bibliothèque d´un autre, fût-elle du  père que je n´ai pas connu, est-ce la meilleure facon de vouloir, ne serait.ce que pour moi, lui redonner vie ?

Découvrir la lecture et la grande littérature au moment des premiers émois de sa sexualité n´est pas rien.  Qu´en était-il de mon père ? Mystère absolu. Quel était son plaisir le plus grand face à un livre : l´acheter, le lire ou le posséder ? Nouveau mystère. Jules Roy aimait à dire que les livres qu´il préférait étaient les livres de poche écornés car ils indiquaient qu´ils avaient probablement été lus.  Comment savoir que ceux de mon père ont été lus ? Beaucoup étaient reliés. Les brochés étaient rarement écornés. Deux ou trois ont porté sa signature en haut et à droite de la page du titre ou sur la page suivante. Une petite écriture qui rappelle celle de mon fils aîné qui aime lire. Ce n´est pas ce critère qui m´a fait conserver deux ou trois de ses livres qui portent sa marque. Il parait, lisant assis ou debout dans le métro, que mon père pouvait se mettre à lire une phrase à son voisin pour manifester son enthousiasme et rechercher une approbation. Par mimétisme, j´ai plusieurs fois été tenté de le faire. Ma timidité et une peur certaine du ridicule m´en a toujours empêché. La piété filiale prend parfois des chemins bien tortueux. 

Entrer dans une librairie, feuilleter plusieurs livres, en commander un ou deux, avoir lu une critique élogieuse, lire la page quatre de couverture, l´ouvrir, en lire quelques pages dans le métro, et le lire plus tard, page après page chez soi, a toujours été pour moi un plaisir indicible. Mon plaisir est aujourd´hui différent . Je commande tous mes livres francais sur le net. L´attente émotive et quelque peu sexuelle après la commande et le paiement est cependant quasiment la même. L´âge et l´expérience mis à part. Je fouine, je "bouscate", je lance un moteur de recherche, je vais sur Google, Wikipedia, je relis les pages d´un ou deux blogs d´écrivains que j´aime et qui ont sensiblement la même senbilité littéraire et politique que la mienne, - et je commande.  Puis j´attends. La grande différence est que j´ose partager la découverte du livre effectivement lu avec un lecteur anonyme de ce blog. Comme j´aurais aimé que mon père me parle des livres qu´il avait lus, et de partager avec lui les livres qu´il m´aurait conseillés de lire de sa voix qui m´est inconnue.

Son rêve, toujours selon ma mère, aurait été de relier tous les livres qu´il possédait. J´ai moi-même caresssé ce rêve. Je possède encore un petit livret de reliure que j´ai acquis au-début des années 1960. Pour immortaliser quoi ? La découverte d´un texte formateur ou de plaisir d´étaler ce que l´on avait les moyens d´acheter et d´entreposer ? La reliure ne dit rien du contenu. J´ai trop vu dans les appartements et les belles maisons de mes amis de France, de Norvège et d´ailleurs, des bibliothèques de livres reliés ou brochés à la couverture intacte et à la tranche impeccable. Des livres achetés pour la galerie ou hérités. Des livres peut-être lus mais qui ne l´étaient plus. Je trouve aujourd´hui ce rêve de relier ridicule et dépassé. J´ai fait depuis longtemps le deuil de ce rêve. Mais ai-je fait le deuil de mon père ? On peut en douter. ( .../...4 ).

   

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16 juillet 2007 1 16 /07 /juillet /2007 04:11

[1]. Je garde une bonne mémoire, pour ne pas dire excellente, de toutes les belles bibliothèques que j´ai pu voir dans les appartements et les maisons de mes amis de France, de Norvège et d´ailleurs. Je commence à savoir un peu pourquoi. Elles me rappellent toutes celle que mon père a constituée peu à peu de son vivant, et que j´ai transférée de déménagements en déménagements, jusqu´au jour où, bien qu´en plusieurs fois, j´ai fini par la jeter pour ne conserver que deux ou trois volumes qui évoquent à mon avis beaucoup mieux mon père que toute une bibliothèque aussi morte que lui. Elle était très belle et possédait pratiquement tous les classiques francais et quelques grandes oeuvres de la littérature mondiale jusqu´en 1943-1944. Mais elle n´était qu´une relique. L´endroit qu´elle occupait me semble à lui seul tout un symbole : la pièce du fond de l´appartement de mon enfance, un appartement de cinq pièces de 100 à 120 mètres carrés dans le XVe arrondissement de Paris, au 14 rue Beaugrenelle.

Tous les déménagements que j´ai effectués à l´âge adulte se sont fait dans le bohneur car ils étaient un acte volontaire familial, - bien que le dernier ait été strictement individuel. Le premier, celui de mon adolescence, que j´ai fait contraint et forcé, a été fait dans la douleur. Et quand j´y pense encore aujourd´hui, il est toujours une souffrance.

J´avais 16 ou 17 ans. C´était suite à une décision que je n´ai jamais vraiment acceptée de ma mère. L´appartement quitté était un bel appartement que je ne peux oublier. Tous mes premiers souvenirs de garnement en éveil y sont enracinés, ainsi que toutes les impressions des rues avoisinantes où je pouvais voir travailler les hommes et les femmes du quartier, qu´ils fussent commercants, petits boutiquiers ou encore artisans sans autre prétention que d´accomplir leur vie de petites gens. L´appartement de substitution n´avait que deux pièces et faisait tout au plus 40 à 42 mètres carrés. Il était situé un étage au-dessous de l´autre, le vrai, celui qui restera à jamais celui de mon enfance et que mon père avait trouvé au deuxième étage de l´immeuble. Il l´avait sans doute trouvé en cherchant avec ma mère, mais j´aime à penser que cet appartement, tout en étant surtout le sien, est aussi le mien car il savait que ma mère m´attendait. Outre la bibliothèque et la salle de bains qu´il fit installer, une chambre m´était destinée. Sa joie fut immense à ma naissance car j´étais un fils. Il m´a vu deux mois. Essayons d´éviter le ressassement.

Quitter cet appartement pour occuper celui du premier étage juste au-dessous a été à mes yeux une trahison. Les déménagements qui ont suivis ont été des établissements, des ouvertures, des enrichissement. Et à chaque nouveau déménagement, je transportais avec moi la bibliothèque de mon père augmentée chaque fois de mes propres livres. Il convient aujourd´hui de faire un aveu de taille : mes livres que j´avais achetés, je les avais lus ; je savais en tout cas ce qu´il y avait dedans. Les livres de mon père étaient surtout des titres. Je savais certes ce qu´ils contenaient et pouvais à l´occasion en parler, mais à part deux ou trois, je n´en avais lu aucun. Les transporter de déménagements en déménagement  n´était finalement qu´un fardeau. Les avoir tous jetés pratiquement un à un n´est évidemment pas sans conséquences affectives ; je dirais aujourd´hui, sans approfondir davantage, que c´est comme une délivrance. Les deux ou trois que j´ai conservés et qui parlent directement de lui, représentent un enjeu identitaire : le nom souligné d´un village de l´Indre dans un livre à couverture bleu de prusse des poésies de Francois Villon où mon père est né : Saint-Genou ; le lieu de sa mort, le camp de concentration de Gandersheim en Allemagne, décrit par Robert Antelme dans l´espèce humaine. (.../..2)

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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 18:29

Enfant, j´avais certes une soeur, mais elle avait 12 ans de plus que moi. Je n´ai donc jamais eu de compagnons de jeux. Etant aussi orphelin de père, je n´ai jamais non plus pensé pouvoir avoir un jour un petit frère avec qui j´aurais pu partager des jouets ou des coups, échanger des instants ou encore cacher sous la table la découverte de son corps. Il est certes faux d´affirmer que je suis fils unique ; il y a pourtant un peu de ca : garcon j´étais, et unique à bien des égards. Ma soeur était pour moi, du moins lorsque j´étais tout petit, comme une seconde mère. Et ma mère, toujours absente le soir du fait de son travail de nuit, et âgée de plus de quarante ans lorsqu´elle m´a eu, était plus pour moi une grand mère que véritablement une mère. Elle ne manquait jamais de mentionner que j´avais des gestes et des attitudes qui lui rappelaient sans cesse mon père, précisant même souvent que je ne pouvais certes  évidemment l´imiter puisqu´il ne m´avait vu que deux mois avant d´être pris sur dénonciation par la Gestapo, mais que j´étais lui tout craché.

J´ai su adulte - et père de moi-même de deux garcons - que j´aurais eu un prédécesseur avant la guerre, mais que ma mère n´a pu garder. Etait-ce une fausse couche ou une mort à la naissance ? Je crois bien que ma mère ne me l´a jamais précisé ; mais c´était un garcon. D´où la joie de mon père quand je suis né, et les deux mois où il m´a vu. On ne sera jamais ce qui lui importait le plus en captivité. Reste de lui deux phrases où l´on parle de lui écrivant sur des bouts de cartons des poésies que d´autres co-détenus cherchaient à apprendre par coeur et se réciter. Et plus que la poésie, sans doute était-ce la mer et son bateau qui, d´après les amis de ma mère qui le connaissaient, étaient sa raison de vivre. C´est en tout cas en mer qu´il se ressourcait de son vivant. Mais dans un camp de concentration, plus que le passé et le souvenir, il me semble que ce qui aurait dû compter en priorité aurait dû être la quotidienneté la plus terre à terre : le pain, le sommeil et les besoins les plus élémentaires du corps. La disparition de mon père est une blessure non vraiment fermée que je ressasse sans cesse depuis que je me retourne sur mon propre passé. Un manque que je ne pourrais jamais combler.

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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 08:22

J´ai été présent il y a quelques jours à l´enterrement de Jo Giæver Tenfjord ( 1918-2007 ), bibliothécaire, auteur de livres pour enfants, éditrice, traductrice, également émissaire en son temps de l´organisation internationale UNICEF et co-fondatrice en Norvège il y a plus de 50 ans de CISV ( = Children International Summer Villages ). L´idée de sa vie est la cause des enfants, et la  promotion sous toutes ses formes de l´idée de paix dans le monde, que ce soit dans ses textes à elle, ses traductions ou ses initiatives en organisant des camps de l´amitié pour le compte de CISV à l´attention des enfants des deux sexes de 11 à 12 ans du monde entier.

C´est en décembre 1965 que j´ai rencontré pour la première fois Jo Tenfjord. Cette première entrevue était autant de politesse qu´une présentation réciproque. On me la présenta comme une seconde mère. Mais dès ce jour, j´ai découvert en cette femme de 50 ans environ, une personne, certes menue d´apparence, mais qui non seulement montrait  dès les premiers instants qu´elle savait ce qu´était la vie, mais qui pouvait en deux ou trois phrases transmettre à ceux ou celles qui lui étaient présentés que ce qui était important dans leur propre vie était ce qu´elle avait appris depuis longtemps : être soi-même. Sa voix était claire et ferme, tout en étant légèrement éraillée ; ou plutôt un peu caverneuse comme pour laisser faire surgir de sa poitrine des êtres cachés et enfouis en elle que sa voix et ses mots se devaient de donner vie. Les questions qu´elle me posa lors de cette première entrevue n´étaient pas seulement de politesse ou de circonstances ; elle me posait, je le compris beaucoup plus tard, qu´il était important de dire simplement ce qui vous tenait à coeur. Je ne sais l´impression que j´ai laissée sur elle, mais je sais celle qu´elle a laissé sur moi : un désir de laisser de soi une impression de vérité sincère.

C´est beaucoup plus tard que j´ai su qu´elle avait été élevée dans une immense maison aux multiples pièces, recoins et cagibis, entourée d´un beau jardin bien entretenu. Entourée de surcroît de personnes relativement âgées qui avaient toutes beaucoup d´histoires à raconter. C´est de ce temps qu´elle a toujours su que cette maison devenue musée était habitée de spectres ; et que sa vie de conteuse d´histoires pour enfants vient de là : donner à chaque enfant qui s´éveille à la vie le désir d´explorer sans crainte le monde.

Elle avait certes une télévision, mais on voyait bien qu´elle n´était guère allumée. Les murs de sa chambre à coucher étaient couverts de livres. C´était un désordre sympathique qui suscitait le respect car les livres ne faisaient pas tapisserie comme si souvent ceux que l´on peut trouver dans les salles de séjour de cetaines demeures bourgeoises. Ils étaient posés les uns contre les autres sur des rayonnages de plusieurs dimensions, ou les uns sur les autres sur la table où se tenait prête à être utilisée une machine à écrire ; mais aussi sur la table de nuit. Le désordre n´était qu´apparent ; c´était celui de la nécessité de trouver rapidement le livre qui lui fallait pour se remémorer les mots ou les phrases dont elle avait besoin pour elle-même.

Jo Tenfjord était aussi la traductrice attitrée de l´écrivain suédois Astrid Lindgren. On sentait qu´elle avait pour elle une admiration sans bornes. La réciproque était partagée. Les livres de Jo Tenfjord dégagent cependant un air différent. On peut lire chez Astrid Lindgren le désir d´être premier, l´ambition de triompher, le souhait d´être reconnu comme meilleur que les autres, notamment de certains adultes aux fonctions officielles comme des agents de police un peu ridicules, ou des vieilles tantes ou oncles dont on ne peut savoir leur âge ou leur raison d´être dans la vie. On peut aussi  y lire la difficulté parfois d´être accepté pour ce que je suis ou ce que je fais, la peur de se retrouver seul dans une pièce fermée, la déception de ne pas avoir de réponses à ses questions, ou l´interrogation devant l´énigme inéluctable  de la mort. Les livres de Jo Tenfjord sont d´un autre registre. Ils peignent surtout les joies de l´enfance, les découvertes insolites et les rencontres inattendues qui surgissent certains jours sans que l´on sache pourquoi, le lever du soleil ou au contraire la beauté d´un soleil couchant, le vol majestueux d´une mouette, la queue d´un jeune chien qui vous vient lécher la jambe ou le bout des doigts. Mes enfants ne sont jamais lassés de ses livres que ma femme ou moi nous leur avons lus avant qu´ils ne s´endorment le soir. Mon plus jeune fils est désormais père. Il a pris avec lui les livres d´enfants que nous lui avons offerts alors qu´il était petit ou un peu plus grand. Lui, sa compagne et sa mère ont  commencé déjà à feuilletter, lire et décrire les illustrations des livres qui correspondent à l´âge de ses enfants. Plusieurs sont ceux de Jo Tenfjord. Je fais parfois de même quand je vais leur rendre visite certains dimanches. Peut-être se souvient-il d´une phrase que Jo dit un jour en sa présence et que sa mère a répétée quelquefois alors que l´on s´apprêtait à lui lire une histoire avant son coucher : - " On ne prend sur ses genoux un écran de télévision, mais un enfant et un livre."

Ses enfants disposent d´un grand sofa devant un écran de télévision souvent allumé. 18 heures est l´heure du conte pour enfants à la télévision. Pour l´aînée de leur fille, qui a maintenant trois ans et demi, l´heure du conte est sacrée : elle se vautre sur le divan et regarde, en chaussettes et sans se soucier de montrer sa petite culotte,  le film ou le sketch qui sont projetés sur l´écran. L´Emil de Astrid Lindgren qui taille ses sculptures de bois lorsqu´il est enfermé après avoir fait une sottise de garnement indiscipliné est son héros favori. Je me demande ce qu´elle lui trouve, car elle n´est jamais punie : elle n´est que tancée de la voix, ce qu´elle supporte mal. Peut-être désire-t-elle un petit frère.

 Elle aime moins Fifi Brin d´Acier du même auteur. Sa force est peut-être trop grande pour elle. Elle n´a pas de nattes rousses, ne soulève  pad de cheval et ne s´habille pas de couleurs aussi vives avec des chaussettes dépareillées: C´est déjà une vraie petite fille consciente de sa féminité. Elle aime aussi qu´on lui lise avant qu´on ne la couche et juste après le bain des histoires au lit, mais ce moment ne se prolonge jamais aussi longtemps que celui où elle se vautre seule sur le divan face à la télévision. Autre temps, autres  moeurs,

Les livres traduits ou écrits par Jo Tenfjord cherchent à donner à l´enfant la ferme pensée que dans les années d´après la Seconde Guerre mondiale tout enfant devait dès son plus jeune âge recevoir ces  certitudes : haïr la guerre ; accepter l´autre pour ce qu´il est, coutumes et pensées confondues. S´enrichir grâce aux différences des autres. Et croire fermement aux relations familiales et à l´amitié entre les peuples. Son engagement pour le développement de l´enfant remonte autant à son enfance choyée dans une grande maison qu´elle s´imaginait habitée de spectres qu´il lui faillait impérativement faire revivre, que chasser des démons venus de toutes les guerres que le XXe siècle a connues.

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13 juin 2007 3 13 /06 /juin /2007 09:04

[ Bâtiments du KGB à Vilnius ]

La Lituanie est indépendante depuis 1991. Les batiments qui abritaient les bureaux du KGB et les cellules de la prison sont désormais ouverts au public. Plus qu´un musée parmi beaucoup d´autres, c´est un lieu de mémoire qui fait encore frémir, car de par la volonté des Lituaniens, les murs, les cellules et les sols où les prévenus attendaient  d´être soumis à la torture ou exécutés sont exposés sans aucun changement à notre regard.

Ce lieu contient aussi les documents sur la répression des régimes d´occupation pratiquées contre les habitants de la Lituanie de 1940 à 1990, ainsi que le musée des Victimes du génocide. [ Ci-dessous : Torture de Topor ]

La prison a conservé le même aspect que celui qu´elle avait à l´époque du KGB jusqu´au mois d´août 1991, date à laquelle l´activité du KGB a été interrompue en Lituanie. On peut voir 19 cellules dont plusieurs cachots, une salle rembourrée où la torture était pratiquée, et, au deuxième sous-sol, la salle d´exécution. L´impression est telle que l´on sent le souffle de la délation passer. Rien à voir avec le camp de concentration de Sachsenhausen que j´ai pu visiter après la chute du mur de Berlin. L´horreur et l´effroi y étaient certes présents, mais les baraquements avaient à mes yeux un air de reconstruction pour la circonstance, comme dans n´importe quelle salle de musée gardée par un surveillant tatillon qui vous empêche de mettre les pieds sur la banquette. Ici, dans les bureaux du KGB encore utilisés en 1991, rien de tel. Le guide lituanien y était certainement pour quelque chose ; lui et ses parents avaient connu l´occupation soviétique, et il ne manquait pas de rappeler que l´un des seuls réconforts qu´ils pouvaient recevoir pendant cette période était cette phrase répétée à satiété par les prêtres catholiques en leur église : La seule chose que je peux faire, c´est de prier pour vous.  

Ces bâtiments et cette prison ne sont donc pas devenus un musée de plus parmi tant d´autres, c´est toujours une prison aux murs aussi déchirants à regarder. La seule différence avec le temps pas si lointain où les cellules étaient remplies de prévenus et de suspects qui n´en pouvaient mais, c´est que les lourdes portes aujourd´hui peuvent être poussées pour en sortir.

Il n´empêche que l´on passe d´ une cellule à l´autre difficilement. C´est d´abord "l´armoire" - le box - où l´on vous fait attendre trois heures debout après que l´on vous a dépouillé de tout : clefs, lacets, ceinture, papiers, cigarettes. Les gardiens disposaient d´un système avancé leur permettant de communiquer entre eux des informations essentielles. Lorsqu´après plusieurs mois ils en savaient trop, ils étaient à leur tout exécutés.

C´est au second sous-sol que se trouve la salle d´exécutions. Le condamné n´avait alors plus que dix minutes à vivre. Des traces de balles sont encore visibles sur les murs. Avant son exécution, il pouvait passer plusieurs mois en cellules. Pour dormir dans ces cellules étroites et surpeuplées, les condamnés en attente d´être exécutés dormaient les uns sur les autres tête-bêche. Ils échangeaient ainsi leur chaleur.

La visite se termine par une suite de chiffres. Les voici dans toute leur sécheresse :

DURANT L´OCCUPATION SOVIÉTIQUE : 15 / 06 / 1940 - 22 / 06 / 1941; 1944 - 1990 - Arrêtés, interrogés, prisonniers : 200.000. - Déportés : 132.000. - Prisonniers qui sont morts : 20.000 - 25.000. - Morts en déportation : 28.000. - Partisans et leurs supporters tués : 21.000.

DURANT L´OCCUPATION ALLEMANDE NAZIE : 22 / 06 / 1941 - 07 / 1944 : Prisonniers et déportés dans les camps de concentration : # 29.500. - Tués ( y compris environ 200.000 juifs ) : # 240.000. -  Déportés dans les camps allemands de travail forcé : # 60.000. -

 

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11 juin 2007 1 11 /06 /juin /2007 12:38

C´est en 1991que le Parc de l´Europe ( www.europosparkas.lt ) a été fondé à l´initiative du sculpteur lituanien Gintaras Karosas. C´est pour donner une dimension artistique au centre géographique du continent européen établi à Purnuskès, à quelques kilomètres de là, ( Photo ci-dessous ) qu´il a été fondé. 

Musée en plein air dans une forêt aujourd´hui remarquablement entretenue après des années laissées à un triste abandon, il contient une centaine de sculptures d´artistes du monde entier. Les artistes lituaniens et américains dominent, mais les oeuvres des Polonais, des Tchèques et des Hongrois rivalisent avec celles des Lituaniens dont le pays a été pire que le leur occupé par tant de pays arrogants et dominateurs comme la Pologne, la Russie, La Prusse, l´Allemagne nazie et l´ex-Union Soviétique. Il représente à cent reprises la douleur de la répression de la liberté perpétrée entre 1940 et 1991 par les occupants nazis et soviétiques. L´essentiel de ce musée en plein air est autant le regard porté par chaque artiste sur la privation de liberté que chaque sculpture exposée en elle-même.

Le ton est donné dès l´entrée du parc. Le car s´arrête devant trois panneaux complémentaires et contradictoires : les deux premiers indiquent qu´il est interdit aux voitures et aux cars de pénétrer plus loin, mais le troisième précise que la vitesse limitée est de 30 kilomètres à l´heure. Comprenne qui pourra. Le car s´engage pourtant. Au retour, nous apprendrons que cette route aux multiples bosses qui interdit toute vitesse rapide a été surnommée la route 1789 de la liberté. 200 ans après la Révolution francaise, - que nombre de pays étrangers appellent  la "Grande Révolution", et que les Francais sous Mitterrand ont célébré en grande pompe en 1989 pour le bicentenaire  -, beaucoup de pays luttent encore pour leurs droits démocratiques. Les Lituaniens en savent quelque chose. Ils tiennent à le faire savoir selon leur moyens propres. Ce parc en est l´exemple. L´ironie et la malice y règnent en maître. Il se pourrait bien qu´ils donnent, non au monde mais à l´Europe, une lecon de "savoir-survivre" ; en toute modestie et sans avoir l´air  d´y toucher. A nous de nous incliner bien bas, et d´en prendre, si l´on peut, de la graine..

L´impression de malice bon enfant est confimée dès la billetterie : trois sculptures gardent  solennellement  le parc : un policier assis du sculpteur lituanien Evaldas Panza, une glissade silencieuse du Lituanien Aloyzas Smilingis et une femme Sans bras  du lituano-américain Vytantas Kazuba. D´entrée de jeu les Lituaniens donnent à voir ce qu´ils ont subi vingt siècles durant : un Etat policier omniprésent, la paralysie des membres due à la peur ou la torture, le silence imposé devant tout ce que le monde pouvait sentir à défaut d´exprimer ouvertement : l´absence de liberté et la censure sous toutes ses formes.

Le mot-clef du  guide local s´exprimant en anglais reviendra comme un lancinant leit-motiv : imagine. Il convient en effet d´imaginer ce qu´il a fallu d´imagination pour qu´un peuple puisse survivre à autant d´années de privations continues et répétées de liberté. Les oeuvres exposées se succèdent aux oeuvres et ont toutes des titres plus symboliques les uns les autres : A votre convenance, Vigilance perdue, Arc de Triomphe, Fondations/fenêtre.

Sur la centaine de sculptures exposées sur ce parc de 55 hectares, trois oeuvres ont plus particulièrement retenues mon attention. La première se trouve près de l´entrée. Elle épousait remarquablement le paysage environnant de cette journée de printemps. Elle est signée de la Polonaise Magdalena Abakanowicz et s´intitule Espace pour des excroissances inconnues. Il faut imaginer ce qui pousse sur cet alignement d´une dizaine de monticules ovoïdes de deux à trois mètres de haut chacun qui forment une allée un peu comparable à des menhirs, sauf que des menhirs sont des pierrres froides alors que ces ovoïdes paraissent aussi vivants que des boules de gomme géantes de vérité. Dessus poussent des micro-organismes de toutes sortes : champignons microscopiques, plantes vertes persistantes. insectes de toutes sortes et larves diverses. Derrière, les arbres majestueux entourent les formes arrondies accueillantes de vies. L´hiver, la neige les recouvrent. Cela n´empêche cependant en rien d´imaginer la vie sourdre et sommeiller, comme a su patienter  tout Lituanien humilié durant les siècles où il a du courber l´échine sous le poids pesant du joug de l´oppression.

La seconde oeuvre est celle du Tchèque Ales Vesely Chambre de Lumière. C´est une pièce aux quatre murs brulés et aux fenêtres sans vitres, construit en 2001 à l´initiative des municipalités de Vilnius et de Prague. On ne peut oublier les figures de Jan Hus brûlé vif en 1415 pour hérésie, et celle de Jan Palach, étudiant qui s´est donné la mort par le feu en 1969 pour protester contre l´occupation soviétique de son pays, la Tchécoslovaquie.

La troisième se trouve en fin de parcours du parc. Tous les visiteurs ont alors compris l´objectif de ce parc de l´Europe : un cri contre l´atteinte à toute liberté de pensée et les oppressions quelles qu´elles soient , d´où qu´elles viennent et quelles que soient leur formes. Elle est l´oeuvre d´un Irlandais Requiem pour un Poney Mort. Le poney est décharné, squelettique, rouillé et grimacant. Il est seul au milieu d´un pré vert et souriant. Les oiseaux chantaient autour de lui en cette journée de printemps apaisante. Mais en son sein se tient une poulie que le guide a tournée : un cri déchirant et grincant s´est aussitöt fait entendre et tous les oiseaux se sont tu en même temps, comme ont dû, j´imagine, le faire, tous les Lituaniens qui n´avaient pas la force pour survivre, de rassembler comme Antanas Zmuidzinavicius, 3000 diables du monde entier.

Une sculpture, à ce qu´il paraît, et qui est l´oeuvre du concepteur du parc lui-même Gintaras Karosas, et - je cite fidèlement - nomée LNK info arbre, est inscrie dans le registre de Guinness comme la plus grande oeuvre d´art créé des anciens post de télé. Croyez-le ou non, malgré son numéro 21, je n´ai pu la trouver. 

 

 

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4 juin 2007 1 04 /06 /juin /2007 13:09

[ Le Métro d´Oslo : partie en plein air ]

J´étais dans le métro d´Oslo en milieu d´après-midi et entendis la rame s´éloigner. Imperceptiblement je ralentis le pas et entendis la voix de ma mère dire à mes oreilles : " Nous sommes en avance pour le prochain ". Je pus ainsi me plonger dans mon passé tout en rassemblant  mes idées. La journée était chaude et l´été était là. Mon dos cependant me faisait souffrir, et mon bonheur était quelque peu gâché. - La rame suivante arriva. Sans lumière dans cette section souterraine du métro.

J´entrai sans appréhension dans le wagon. Le noir ne m´a jamais fait peur. Quand, enfant, je demandais qu´on laisse allumée une veilleuse dans ma chambre, c´était plus plus par coquetterie que par peur du noir ; davantage pour prolonger l´intimité du coucher que par peur de l´obscurité.

Une mère assez jeune avec un garcon de 8-10 ans étaient assis dans le coin qui donnait sur la voie. Le train s´ébranla lentement, prit un peu de vitesse et s´engouffra dans l´obscurité du tunnel. Le noir complet régnait. Personne ne broncha. Tous les passagers, peu nombreux dans cette après-midi moite, acceptaient ce dérangement insolite. Si un métro est sür, c´est bien celui d´Oslo : les interpellations sont quasiment inexistantes et les contrôles rares et acceptées. Les mémés bien sages au billet périmé arrivent sans grand dommage à passer à travers des mailles du filet. Leur bonne foi n´est peut-être pas très sûre, mais l´indulgence des contrôleurs est gage de la politique de fair-play en faveur des personnes âgées de la commune. Il n´en est pas de même pour les jeunes lors des contrôles plus matinaux..

L´enfant de 8-10 ans se mit vers le millieu du tunnel à commenter cette obscurité, sans que pour autant je puisse saisir ses commentaires destinés à sa mère. Le vacarme de la rame du métro semblait accru dans ce noir, et couvrait largement la voix de l´enfant. Mon imagination gambadait ; j´étais redevenu enfant, seul, dans le métro parisien. Du Bo... Du Bon... Dubonnet...  Une lumière apparut. Je n´étais pas à Paris, mais à Oslo. La rame dans laquelle j´étais, traversa une ancienne station illuminée pour vanter une publicité que j´ai vue maintes et maintes fois, mais dont je n´arrive à retenir le slogan beaucoup trop long. Seul le visage un peu ingrat d´une femme qui sourit persiste, suivi d´un mot anglais se terminant par ...ing.  Et de nouveau le noir du tunnel s´empare du wagon tout entier. La rame hurle à déchirer les tympans. L´enfant ne parle plus, mais je le sens tout éveillé d´étonnement dans ce noir qui se prolonge, comme j´aurais pu être attentif si j´avais dû traverser seul un tunnel de la sorte. - Arrive enfin la station et sa lumière. L´enfant s´exclame alors, dévoilant peut-être son appréhension de l´insolite grandement atténué par la présence de sa mère à ses côtés : " C´était un long tunnel ! ". Je ne peux m´empêcher de lancer à son attention : " Mai-ais non ! " . Des sourires apparaissent sur deux ou trois visages. Je ne peux voir si la mère de l´enfant sourit ou non, car elle me tourne le dos. Ce noir, dans un tunnel si court, ne peut permettre à un enfant protégé à la voix claire, de saisir ce qu´il ignore : le noir de la nuit sans aube.

L´enfant n´a pas commenté l´obscurité des deux tunnels suivants. Peut-être l´ai-je fait taire. Mais le rétablissement de la lumière a permis à tous de respirer plus pleinement, moi compris, même si la partie aérienne du métro parisien peut avoir ses zones d´ombre.

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3 juin 2007 7 03 /06 /juin /2007 03:16

Chiens Perdus sans collier  ...Non ! Pas davantage ce film où l´on voit, si mes souvenirs sont bons, Brigitte Fossey ramasser son petit chien tué d´un balle dans le cou en juin 1940 ans dans Jeux Interdits.

Les chiens dont je vais vous parler, je vais tous les lier par désir de casting avec le 17 mai norvégien ancien ou plus récent,  et  par analogie avec Histoires de chats. Ils auraient dû être tenus en laisse - loi oblige - et ils ne l´étaientt pas ; ce qui, à mes yeux, en fait tout leur prix.

Le premier était jeune, couleur ocre brun luisant de grâce et de propreté . Je coupais quasiment avec des ciseaux  l´herbe trop haute de l´un de mes deux minuscules jardins qui entourent mon duplex : le plus petit qui se trouve devant l´entrée où trône un pêcher en son centre recu en cadeau il y a plusieurs années par mon plus jeune fils Nicolaï et sa compagne Pia. J´avais les genoux pliés et les yeux au raz du sol, ce qui évoque un peu un conte folklorique norvégien La Mégère à contre-courant... Le chien m´a surpris comme j´ai surpris le chien.  Il marchait aussi vite que sa maitresse, à seulement quelques pas d´elle. J´ai émis un petit son des lèvres en le voyant. Il s´est arrêté, pour sans doute me renifler. Mais c´est en vain que j´ai allongé le bras pour lui caresser le museau ou me faire lécher la main car il avait déjà été rappelé par sa jeune propriétaire.

Les seconds était au nombre de trois.et se trouvaient sur un petit terre plain asphalté entouré de verdure où aucune voiture ne pouvaient passer. Deux étaient sans laisse et le troisième en laisse non tendue,mais pas si près que cela  de sa maitresse. Les trois femmes formaient comme une sorte de triangle. Mon arrivée à vélo, bien qu´à petite vitesse, a dû les surprendre quelque peu, sans savoir si les plus troublés étaient les femmes d´un certain âge ou les chiens en apprentissage. Les chiens gris noir et blanc ont élargis leur cercle sans que je puisse déterminer leur race. Je m´étais arrêté pour voir les circonvolutions des chiens. Se rendant lentement vers l´extrémité du terre plain où un voiture aurait pu apparaitre, chacune des femmes rappela son chien qui vint aussitôt. Leur liberté était terminée. Mais autant que leur dressage , j´ai admiré le contournement de la loi.

Les troisièmes étaient au nombre de deux  et j´ai pu les observer tout le temps de l´arrêt de mon trolley-buss à un feu rouge en pleine ville d´Oslo. L´un était noir charbon et l´autre roux luisant. Tous deux avaient certainement plus de 12 ou 13 ans, peut-être 15. Il étaient perclus de tous leurs membres. Le roux était assis sur ses pattes de derrière et écoutait son maïtre assez jeune lui dire des mots que je ne pouvais entendre. Le noir à la couleur anthracite et au yeux brillants s´avancait en rampant, les quatre pattes pliées sur le sol. Aucun n´avait de laisse. Les quelques personne qui contemplaient la scène n´avaient d´yeux que pour leur majesté.

Quand, à ma station, je suis descendu en entendant un affreux roquet chassieux aboyer sottement à je ne sais quoi, je n´ai pu m´empêcher de marnoneer pour moi seul : " sale bête ": A moins que j´aie juré : sale maître. Mais le plus réjouissant, c´est d´avoir vu le chien chien à sa mèmère bien tenu en laisse, qu´a sauté par dessus une flaque pour pas mouiller ses papattes.

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