Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 05:45

Ma mère n´avait pas beaucoup d´amis. Mais je me souviens que tout petit j´allais souvent avec elle voir une très vieille femme appelée Rose. Nous traversions une bonne partie de Paris pour aller la voir en métro. Elle habitait, si mes souvenirs sont bons, soit Rue Charlemagne, soit Rue Saint Paul dans le IVe arrondissement de Paris. C´était une rue très étroite avec de hauts immeubles austères. Je pouvais voir que ce quartier était plus populaire que le mien.

L´appartement de Rose était très sombre et encombré de milliers de choses hétéroclites avec d´immenses tentures qui rendaient l´appartement encore plus feutré. J´écoutais sans rien dire ma mère et cette Rose qui parlaient de l´avant guerre, du temps où elles s´étaient connues. J´ignore si elles parlaient de mon père. Rose était une Juive rescapée d´un camp d´extermination. Un beau jour nous ne sommes plus allés chez elle et j´en déduis qu´elle était morte.

Irvin et Germaine A., au contraire de Rose, habitaient un quartier beaucoup plus cossu. Ils occupaient un bel appartement à un étage élevé avec balcon à la Porte de Champeret, dans le XVIIe arrondissement. On montait à leur étage par un ascenseur poussif.

 Comme Rose, ils étaient d´origine juive. Ils avaient quitté la France pour vivre pendant la guerre aux Etats Unis et étaient revenus en France après la Libération. Ils parlaient souvent de la guerre. Il y a notamment une phrase que Germaine disait souvent et qui irritait profondément ma soeur : - "La guerre nous a fait tellement de mal." Ma soeur ne manquait jamais de souligner, en citant cette phrase à la maison, que son père à elle avait payé de sa vie son engagement pendant la guerre. Germaine était ma marraine et Irvin mon parrain. Je ne sais pas de quelle région de France venait Germaine, mais Irvin était un Juif d´origine égyptienne. Il parlait francais "comme vous et moi", mais avec un très léger accent que je ne peux définir.

 

Leur appartement était recouvert de moquette et avait l´air conditionné. Ils avaient un grand couloir. Quand j´étais tout petit et qu´ils voyaient que je m´ennuyais, ils me disaient :   "Va donc jouer dans le couloir". Plus grand, je restais assis auprès d´eux et de ma mère. Ils buvaient du thé, mangeaient du "cake" et moi je buvais de l´eau d´une petite bouteille d´eau versée dans un verre. La bouteille était toujours soigneusement refermée pour éviter que "les microbes" y rentrent. C´était surtout Germaine qui parlait et c´était pour moi insignifiant. Je trouvais qu´elle parlait avec une bouche "en cul de poule". Ils avaient très bien connu mon père. J´ai fini par dire à ma mère que je ne souhaitais plus l´accompagner lorsqu´elle allait chez eux, ce qu´elle consentit sans trop de difficultés.

Ma mère avait une autre amie qui habitait le même quartier que nous, c´est-à-dire le XVe arrondissement , mais c´était assez loin. Nous y allions pourtant généralement à pied car prendre le métro était très compliqué. Il fallait changer plusieurs fois et ca prenait beaucoup de temps. Elle habitait Rue Olivier de Serres. Pas très loin de chez elle, je pouvais voir des joueurs de boules.

Elle s´appelait Madeleine H. Devenu adulte et père de deux enfants, j´ai toujours cherché à la voir lorsque j´étais de passage à Paris, ai continué à lui téléphoner de temps en temps et à lui écrire quelques rares cartes postales. Elle m´avait offert Le Livre de la Jungle  de Rudyard Kipling et trouvait que je ressemblais à Mowgli. Je ne possède plus son livre qu´elle m´avait dédicacé et je le regrette. Son appartement était situé au cinquième ou sixième étage d´un immeuble sans ascenseur, mais la cage d´escalier était si vaste qu´il aurait pu en avoir un. La vue de sa salle à manger était magnifique. On découvrait "tous les toits de Paris" et au loin le sommet de la Tour Eiffel. Au bas de l´immeuble se trouvait une vieille ligne de chemin de fer où ne passaient pratiquement jamais de trains. Le long de la voie poussait de la verdure, ce qui évitait d´avoir le vertige quand on s´apuyait à la fenêtre. Elle vivait seule et je n´ai jamais vraiment su si elle était divorcée ou non. Elle lisait beaucoup, écoutait des émissions culturelles à la radio, avait travaillé chez un éditeur et avait un point de vue à la fois sensé et personnel sur les sujets qui lui tenaient à coeur. J´ai fini par la perdre de vue et ne sais comment  elle est morte.

Ma mère avaient d´autres excellents amis, notamment des amis d´enfance qui avaient aussi connu mon père, mais ils habitaient Versailles. 

Les autres relations que ma mère pouvait avoir à Paris n´étaient que des connaissances. Mais elles les rencontraient très souvent, notamment  "en loge" car c´étaient tous, comme ses vrais amis hommes et femmes, des Francs-Macons très actifs. Les hommes étaient généralement membres du "Grand Orient de France", mais certains, comme ma mère, étaient membres de "l´Ordre Maconnique Mixte International Le Droit Humain". Enfant et adolescent, je suis allé plusieurs fois au siège du "Grand Orient de France" 16 Rue Cadet, dans le IXe arrondissement de Paris. 

C´était une rue passionnante avec une multitude de petites boutiques très pittoresques et insolites. Mes souvenirs liés à ma présence au siège du "Grand Orient de France" sont plus confus. J´ai assisté à quelques "tenues ouvertes". Le port du "tablier" et de "l´épée" m´a toujours paru étrange. Vers l´âge de 25 ans à peu près j´ai même été "initié" au "Droit Humain". Je suis donc devenu "compagnon". Mais je n´ai jamais cherché  à prendre contact avec une loge maconnique en Norvège, au regret de certains de mes bons amis francais Francs-Macons. Chose étrange pour moi. A la maison ma mère parlait très peu. Mais avec ses connaissances et ses amis Francs-Macons, c´était une toute autre femme. Elle était vive et enjouée. C´est mon père qui lui avait  "apporté la lumière". Elle est devenue "Vénérable" et a même occupé, une fois retraitée, un poste encore plus élevé dans la hiérarchie maconnique. Elle visitait des loges de province pour les aider à se développer. J´ai tenu, quand elle s´est éteinte à l´âge de 85 ans, à respecter ses voeux d´être incinérée selon un rite maconnique. Ses cendres reposent au cimetière parisien du Père Lachaise.

 

Partager cet article

Repost0

commentaires

Présentation

  • : Souvenirs et impressions littéraires
  • Souvenirs et impressions littéraires
  • : Souvenirs et impressions littéraires (d´un professeur retraité expatrié en Norvège)
  • Contact

Recherche