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9 février 2007 5 09 /02 /février /2007 12:30

[ Ma mère, en noir ]

Je suis loin d´avoir fini de reprendre la métaphore du chapelet de souvenirs enchaînés les uns aux autres et qui reviennent un à un à partir d´une ou deux photos jaunies alors que je les croyais ensevelis à jamais dans les replis cachés de ma mémoire. Il me suffit d´ouvrir mon secrétaire en merisier pour que ressurgissent un à un des souvenirs. C´est presqu´ "un gros meuble à tiroirs encombré de bilans"... Le brun du bois est à la fois terni et mordoré, et le secrétaire lui-même est un réservoir de mémoire, comme un étang qui renferme cachés ses carpes et ses brochets. A moi d´installer une ligne et de retirer le temps venu, le filin alourdi de prises accrochées aux appâts.

J´ai retrouvé des lettres que j´ai écrites à ma mère et à ma soeur de ma main maladroite d´enfant de sept ans. J´étais en colonie de vacances aux Sables d´Olonne, en Vendée, durant tout le mois d´août 1951. Cette colonie de vacances s´appelait "Clarté", et était dirigée par des Francs-macons, ce que j´ai, bien sûr, appris beaucoup plus tard. C´est d´ailleurs à la suite de ce séjour vendéen que les amis d´enfance de ma mère Paul et Suzanne, Charentais de toujours, sont devenus des amis encore plus solides et plus proches tant pour elle que pour moi. Si ma mère avait dû disparaître alors que j´étais petit, ce sont eux qui auraient été mes parents adoptifs. Ils étaient comme elle des Francs-macons. Les seuls vrais connaissances et amis de ma mère ont d´ailleurs toujours été des actifs Francs-macons. Paul et Suzanne avaient connu mon père avant et pendant la guerre sans savoir qu´ils appartenaient à la même confrérie. A défaut d´être vraiment secrète, il n´était pas faut d´affirmer qu´à l´époque, c´était une société discrète.

J´étais "à la mer" : je me baignais, allais à la plage et ...écrivais sous la dictée d´une monitrice des lettres "aux parents". Ma mère en a conservé une petit dizaine. C´est ainsi que parti à la pêche dans mon secrétaire en merisier, j´ai retrouvé des bouts de papier émouvants, notamment cette première lettre : "Chère parent, ihier  hier soir on nétalée au cirque.yavée un h´omm qui s´appellet tarzan il fese faisais. 4 lions et 1 lionne. D Bernard ". 

                                        [ Autre exemple de lettre ]

Mes "parents" étaient ma mère et ma soeur. Mais la monitrice n´avait pas enregistré que j´étais orphelin de père et déjà, à sept ans, je ne cherchais pas à le signaler ni à le préciser. C´était une chose acquise pour moi que les personnes qui me connaissaient peu ne me le mentionnent pas et encore plus que les proches et intimes de ma mère et de ma soeur me le rappellent. Ne pas avoir de père était devenu pour moi, si je peux dire, une donnée immédiate de la conscience.

C´est à un certain Charles que j´ai envoyé ma troisième lettre. C´était alors un beau jeune homme d´une vingtaine d´année qui sortait avec ma soeur. Il a été pour moi beaucoup plus qu´un grand frère, et est devenu par la suite autant un conseiller qu´un modèle et un ami. Je n´ai plus aucun contact avec ce Charles, à mon grand désappointement, mais il y a parfois des mots et des attitudes qui sont irrémédiables.

Ma soeur a répondu à la lettre que j´avais écrite à ce Charles par une petite lettre de deux pages tapées à la machine dont voici le premier paragraphe : " Mon tout petit Bernard. Je suis bien contente de savoir par Charles que tu t´amuses bien, mais cependant je serais heureuse, ainsi que Maman et Mérotte, d´avoir une lettre de toi adressée directement à nous !" Diable ... étais-je déjà doué pour froisser les gens par des signes maladroits de tendresse ? Mais je m´égare, sans doute...

Ma mère n´a pas joint à mes bouts de papier ses réponses. Selon toutes probabilités, elles ont été jetées en Vendée. Il est tout de même surprenant que la lettre-machine de ma soeur fasse partie du lot de mes lettres. N´aurait-elle jamais été envoyée ? Cela pourrait être une explication. Il est bien dommage en tout cas que je ne possède pas les réponses de ma mère ;  je peux cependant, ainsi,  les imaginer tout à loisir, même si je sais par expérience que ma mère écrivait rarement. Elle répondait aux lettres recues, mais sans jamais beaucoup d´épanchements. Il est évident que pour ma mère, le choc de la mort de mon père a été tel que sa vie entière en a été marquée. Il est possible que cela ait été pour elle une mutilation. Je ne peux non plus m´empêcher de penser que son caractère a dû être profondément altéré. Devenir veuve à 44 ans avec à sa charge un fils adoptif de vingt deux ans environ, ( un cousin que je considère mon frère ) , une fille de 13 ans - ma soeur -, et un bébé de 10 mois - moi-même - , ce ne devait pas être une mince affaire.

Ma mère parlait peu, très rarement d´elle même et jamais de la guerre. La réserve, la retenue, le retrait que j´ai toujours connus chez elle ont pour origine évidente une incurable blessure. 

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