On ne peut se rendre à Rome sans voir et admirer les oeuvres du Bernin (1598-1680). J´avoue même que c´est essentiellement pour voir sur place la puissance, la beauté et la variété de ses réalisations que j´ai consenti à y aller en juillet et en août alors que je savais la chaleur si intense. Je savais en effet que je pourrais y admirer toutes les faces de son talent puisqu´il est à la fois architecte, sculpteur, décorateur, et même coordinateur, vu l´importance qu´il accordait à la réalisation de ses projets par le travail de groupe et la direction d´autres sculpteurs. Mon attente a été comblée.
Je ne parlerai aujourd´hui que de trois fontaines, réservant pour plus tard de parler d´autres oeuvres. Celles que j´ai choisies ont été exécutées en moins de 10 ans, entre 1642 et 1651, alors que Le Bernin a entre 44 et 53 ans. En presque dix ans, la progression, l´approfondissement et la profondeur qui se manifestent dans ces oeuvres sont prodigieuses. Le Bernin est alors sans doute au sommet de sa gloire. Ces oeuvres sont admirables. Il s´agit de La Fontaine du Triton, de La Fontaine des Abeilles et de La Fontaine des quatre Fleuves. Si j´écris ici sur Le Bernin, c´est pour approfondir encore davantagre ce que je savais un peu de lui depuis que j´ai fait sa connaissance alors que j´étais lycéen.
Célébrée dès l´Antiquité pour ses thermes, Rome fut rapidement dotées d´innombrables fontaines. Plus de 1200 dit-on. Les artistes baroques du XVIIe siècle ont repris la tradition de célébrer l´eau. Car, par son ruissellement, ses clapotis, ses murmures et ses jeux de lumière et d´ombre qu´elle permet à toutes heures du jour et de la nuit, elle est un élément essentiel de l´exubérance baroque.
La Fontaine du Triton date de 1642-43. Placée au centre de la Piazza Barberini, elle est un remarquable premier exemple de baroque qui combine avec bonheur réalisme et fantastique. Le triton, divinité de la mer à figure humaine et à queue de poisson, émerge des eaux et souffle dans une conque pour annoncer au monde la victoire des dieux sur le désordre et le chaos. Ovide et ses Métamorphoses est donc présent. Mais Le Bernin n´oublie pas son commanditaire ; il honore donc aussi le Pape Urbain VIII : l´eau remplace des vignes et, mise à la portée de tous, elle devient un bienfait pour la ville. Aux yeux de pape, elle est aussi bienfait pour toute la chrétienté.
La Fontaine des abeilles date de 1644. Placée aujourd´hui à l´écart de la même Piazza Barberini, elle est beaucoup plus modeste. Son importance dans l´oeuvre du Bernin est peut-être moindre, mais sa signification est tout autant symbolique. Dépôt des eaux de reflux de La Fontaine du Triton voisine, elle permettait aux humbles, aux étrangers, aux voyageurs et aux animaux domestiques ou de traits comme les ânes et les chevaux qui les accompagnaient de se désaltérer. Le même pape Urbain VIII n´est pas oublié : une inscription en latin souligne la durée de son règne. Les armes de sa famille sont également présentes : ce sont les abeilles. À défaut de l´ appeler La Fontaine aux ânes on aurait pu la nommer La Fontaine aux chevaux.
Reste La Fontaine des quatre Fleuves, au plein milieu de l´immense ovale de la Piazza Navona.
Son ambition sculpturale est phénoménale. Les contemporains du Bernin qui ont découvert l´oeuvre l´ont qualifiée un "miracle du monde". Elle a été réalisée entre 1648 et 1651. Elle est sans doute, de toutes les fontaines que Le Bernin a conçues, la plus ambitieuse et la plus équilibrée, alliant avec bonheur réalisme imitant la nature, manière et style. Elle a été commandée par le pape Innocent X, successeur richissime d´Urbain VIII, et élu pape peu de temps auparavant.
Le Danube, en haut à gauche, a été réalisé par Antonio Raggi ; il soutient de ses bras tordus les armoires du pape. Le Nil, en haut à droite, a été sculpté par Jacopo Antonio Francelli ; il a le visage voilé parce que sa source était alors inconnue. Le Gange, sous Le Danube à gauche, est dû à Claude Poussin ; il tient dans une main une puissante rame pour indiquer que le fleuve est navigable. Le Rio de la Plata, quant à lui, est dû à Francesco Baratta ; la richesse du fleuve est symbolisée par les pièces qui débordent de son sac. À eux quatre, ils représentent les quatre continents que l´on connaissait alors.
Le socle est une falaise. Elle illustre le règne minéral sur lequel s´appuient les règnes végétal et animal, dont le dragon et le tatou sont des espèces intermédiaires.
Au
centre, s´élève, immense et dominante, une obélisque d´Egypte au sommet de laquelle se trouve l´emblème du pape Innocent X : une colombe, symbole du Saint Esprit. Ainsi triomphe la Contre-Réforme sur la totalité du monde. Et l´eau, sans cesse renouvelée, qui circule à travers le rocher évidé qui évoque la terre, rafraichit l´air environnant de la place d´où s´élève, conformément au symbolisme solaire par son obélisque centrale, le feu venu du ciel.
C´est prodigieusement magnifique !