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21 août 2009 5 21 /08 /août /2009 15:44

Je viens de terminer la partie du Journal de voyage que Montaigne a consacrée à Rome sous la dictée qu´il faisait à son "secrétaire" ; du moins au début, puisqu´il a ensuite continué seul la rédaction de l´ouvrage (Folio 1473. Edition présentée, établie et annotée par Fausta Garavini). 

Pour bien comprendre et apprécier au mieux ce qui distingue les impressions plus ou moins au vif de ce journal de ce qu´il a repris ensuite dans sa librairie pour "vivre ...
le reste de son âge", j´ai relu dans la foulée et en son entier le chapitre De la vanité des Essais (III,9).

J´ai besoin d´un peu de recul.

Je remets donc à plus tard de parler ici de cette "seule ville commune et universelle" qu´est  Rome, certes découverte sous une
chaleur moite et étouffante et au cours de
marches harassantes, mais ô combien riche de trésors.

À bientôt.

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18 août 2009 2 18 /08 /août /2009 10:12
Cher Papa,

Voilà bien longtemps que je ne t´ai donné de mes nouvelles. Environ dix mois. Je ne t´oublie pas ; mais je trouve désormais inutile de solliciter trop souvent ton attention. Sache simplement que tu es en mes pensée tous les jours dès mon réveil.

Reçois pour commencer cet haïku :

    De là où tu es,
    ne cherche pas à répondre.
    Le silence apaise.

Outre ce petit poème pas seulement écrit à ton attention, reçois aussi la description de ma journée d´hier que j´ai vécue en famille. Elle était d´une simplicité magnifique et merveilleusement symbolique : c´était le premier jour d´école de Tiril, ton arrière-petite-fille et déjà grande fille. À ses côtés se trouvaient son papa Nicolaï et sa maman Pia. Ils avaient convié toute la famille à venir les accompagner. C´est un tradition norvégienne que je trouve très belle : assister l´enfant qui commence l´école obligatoire et souligner de la sorte l´importance que sont les apprentissages fondamentaux tels que la lecture, l´écriture et le calcul ; - ainsi que le devoir, comme l´a souligné dans son discours d´accueil le directeur de l´école, de savoir écouter et respecter l´autre.

Le temps était magnifique. Un doux soleil chauffait l´air alentour. Les arbres, centenaires derrière nous tous rassemblés, bruissaient très légèrement à la brise et au vent de ce 17 août pas tout à fait comme les autres.
Le directeur de cette petite école publique d´un peu plus de 220 élèves a été à la hauteur. Son accueil simple et chaleureux a commencé à 12 heures précises. Comme cela se fait dans toutes les écoles de Norvège, il a appelé par leur nom un à un tous les élèves et leur a serré la main. Il était placé au milieu d´une petite aire circulaire de belles dalles de pierre qui, je crois, représentait l´agora grecque, lieu où il y a plus de deux mille ans se réunissait l´assemblée des citoyens. Hors du cercle, - et donc sur un autre plan que lui - , devant tous les enfants et leurs parents réunis, se tenaient les enseignantes, responsables des deux nouvelles classes. 

À gauche, celles de la classe A1 dans laquelle Tiril a été admise ; à droite, les deux autres enseignantes de la classe 1B. Nous étions devant elles et le directeur, et attendions sagement l´appel du nom de l´enfant pour qui chacun de nous était venu.

L´appel terminé, nous avons tous été conviés à suivre les deux enseignantes responsables de chaque classe. Celles de Tiril s´appelaient Christine et Anila. Et, une fois dans la classe,
chaque nouvel élève


a eu pour première tâche d´entourer à la craie son nom écrit au tableau. Les oncles, grand-parents et autres relations sont ensuite sortis pour laisser les seuls père et mère et leur enfant. Thea, la petite soeur de Tiril, était déjà dehors avec sa grand-mère maternelle Bulle. Nous les avons rejoints, Erik, Toril et moi.

Je trouve cette prise en charge, pour un premier jour d´école, tout simplement magnifique. Je suis sûr que si tu avais survécu, tu aurais aimé assister à une telle cérémonie lorsque moi-même j´ai commencé l´école.

Tu es dans mes pensées.

Tu ne trouveras aucune photo de Tiril. Cela est fait exprès. Il faut être prudent. Je ne tiens pas à ce qu´un détraqué manipule sa photo. Retiens cependant ceci : le regard de Tiril est celui d´une petite fille délurée. Elle raconte à merveilles les histoires de princesses ou de voleurs que lui lisent son papa ou sa maman avant qu´elle ne s´endorme le soir.

Je t´embrasse affectueusement,

Ton fils Bernard devenu grand-père
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[Photo 1 : Parents rassemblés dans la cour de l´école Nedre Bekkelaget à Oslo ; photo 2 : le directeur Leif Husjord ; photo 3 : Christine devant sa classe ]
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Lien possible : - Lettre 4
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16 août 2009 7 16 /08 /août /2009 12:05
Arrivé à la gare centrale Termini de Rome, je portais d´une main une valise assez vieille mais pas très lourde et de l´autre une mallette usagée contenant trois ou quatre livres dont un guide norvégien. Ma compagne, elle, faisait rouler élégamment une valise toute neuve couleur gris souris avec une étiquette bien en vue vert blanc rouge. Autour d´une épaule, la main sur la fermeture, elle portait en bandoulière un joli sac de cuir. Je regarde chez moi à la nécessité, peu à la parade (1). Il ne fallut pas attendre longtemps pour qu´un chauffeur nous abordât :
 - Taxi ? Taxi ?
Je refusai l´offre. 
Mais les offres se faisaient de plus en plus pressantes.
 - Taxi ? Taxi ?
Il faut dire qu´ils étaient nombreux, ces taxis alignés les uns derrière les autres. Ils attendaient, sagemment, moteurs éteints. Les chauffeurs, sans se lasser le moins du monde, s´écriaient, l´un après l´autre :
 - Taxi ? Taxi ?  

À l´aéroport Fiumicino, nous avions cherché à prendre un bus reliant le centre ville comme il est possible de le faire entre Gardermoen, l´aéroport d´Oslo, et différents endroits de la capitale norvégienne. Je finis par comprendre qu´à Rome, cela n´était pas possible. Mais on pouvait prendre un train express. Ce que l´on fit. Le trajet, direct, ne coûtait que 11 € par personne et durait environ 20 minutes. En payant, on nous remit un petit carton publicitaire qui indiquait qu´au retour on pouvait bénéficier, à partir de notre hôtel, d´une navette qui nous conduirait directement à l´aéroport pour 35 €.

Ayant en tête ce chiffre de 35 €, je finis par demander le prix d´une course de la gare Termini à notre hôtel près du Vatican.
 - 45 €.
Interloqué, je refusai. C´était oublier l´insistance du chauffeur sollicité : svelte, jeune, élégant, bien mis, autrement dit beau gosse et enjôleur, il se mit en devoir de me convaincre de recourir à ses services. Son anglais, comme son français, étaient délicieusement basiques. Mais son italien, chantant et volubile, savait s´accompagner du plus parfait langage des mains :
 - Quaranta cinque. Forty five. Français ? Quarante cinq.
Il me fit comprendre que le prix était fixe ; que le prix était celui que fixait la commune ; que le prix était le même pour tous ; qu´il était honnête ; qu´il était fonctionnaire ; que sais-je encore.
  - NON. Grazias !!
Il partit en haussant les épaules, esquissa un geste désinvolte de la main, et marmonna entre ses dents quelques mots italiens que je ne compris pas.

Assis à une terrasse de café à l´intérieur de la gare, il me vint une idée. Sans bagages, je sortis seul de la gare. Une petite cinquantaine de taxis, moteurs allumés, attendait à l´affût. Aucun chauffeur ne m´aborda. Derrière tous ces taxis, attendaient sagement une dizaine d´autobus, chacun portant un numéro différent. Roma Termini était donc aussi gare routière d´où partaient tous les bus réguliers. Muni d´un plan de Rome, j´entourai d´un cercle les mots Porta Castello, qui se trouvait à l´angle du Château Saint Ange et de la rue de mon hôtel. Je me rendis ainsi au bureau d´informations au milieu de la place, et demandai, dans un anglais touristique parfaitement basique :
 - Is it possible to take a bus to Porta Castello ?
 - Si. Quaranta.
 - Forty ?
 - Yes. Quaranta.
 - Grazie ... fis-je avec un beau sourire.
Et moi et moi et moi, fier comme un p`tit banc, j´ai payé pour un trajet de moins d´un quart d´heure et plusieurs arrêts, la modique somme de 2,80 € , soit 1,40 par billet.

Ce qui n´empêche pas que j´ai été berné. Car deux jours après, j´ai su me servir du distributeur automatique de billets. Le trajet à l´unité ne coûtait qu´un Euro tout rond. C´est alors que je me souvins du sourire hilare du préposé aux billets de la gare routière de Termini, qui, en lançant des clins d´oeil amusés à la femme assise à côté de lui, m´avait fait payer 2,80 € au lieu de simplement 2 €.

Dans L´Arrière-saison de l´écrivain autrichien Adalbert Stifter, publié en Allemagne en 1857, un des principaux personnages, alors qu´il effectue son "Grand tour" en Italie, s´achète une statue antique grecque. Il s´étonne du prix exorbitant qu´il doit payer pour les frais d´expédition ; et déclare : "J´y vis la ruse italienne visant à extorquer l´étranger que j´étais". Cinquante ans plus tard, la prix Nobel de littérature Sigrid Undset fait dit dire à Francesca, bonne amie de son héroïne Jenny, se moquant de la naïveté d´un compatriote norvégien qui est tout heureux de n´avoir payé une babiole que 4 lires au lieu de 7 alors qu´en réalité elle n´aurait coûté qu´ 1 lire 50 au marché aux puces : les vendeurs d´antiquités font tous ça, "lorsqu´ils voient que les gens ne s´y connaissent pas et ne savent pas l´italien".

Joie du tourisme! Enfant, et quelque peu titi parisien, j´aimais berner les gens. Je me suis revu gamin. Quand c´est fait avec malice, je suis le premier à en rire. Mais l´arrogance de certains vendeurs ambulants et plus encore celle d´une serveur malappris du restaurant Don Quichotte de la piazza Navona a bien failli me faire sortir des gonds. J´ai heureusement su me retenir. L´âge a finalement du bon. Le pavé au poivre vert servi à ma compagne et celui au cognac que je m´étais commandé étaient fort délicieux. Et la nuit qui tombait baignait de sa fraicheur la fontaine des quatre Fleuves toute près. C´est là l´essentiel : appeler bonheur le goût du soir qui vient (pour citer Léautaud).
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(1) Montaigne : De la vanité
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13 août 2009 4 13 /08 /août /2009 12:39

On ne peut se rendre à Rome sans voir et admirer les oeuvres du Bernin (1598-1680). J´avoue même que c´est essentiellement pour voir sur place la puissance, la beauté et la variété de ses réalisations que j´ai consenti à y aller en juillet et en août alors que je savais la chaleur si intense. Je savais en effet que je pourrais y admirer toutes les faces de son talent puisqu´il est à la fois architecte, sculpteur, décorateur, et même coordinateur, vu l´importance qu´il accordait à la réalisation de ses projets par le travail de groupe et la direction d´autres sculpteurs. Mon attente a été comblée.

Je ne parlerai aujourd´hui que de trois fontaines, réservant pour plus tard de parler d´autres oeuvres. Celles que j´ai choisies ont été exécutées en moins de 10 ans, entre 1642 et 1651, alors que Le Bernin a entre 44 et 53 ans. En presque dix ans, la progression, l´approfondissement et la profondeur qui se manifestent dans ces oeuvres sont prodigieuses. Le Bernin est alors sans doute au sommet de sa gloire. Ces oeuvres sont admirables. Il s´agit de La Fontaine du Triton, de La Fontaine des Abeilles et de La Fontaine des quatre Fleuves. Si j´écris ici sur Le Bernin, c´est pour approfondir encore davantagre ce que je savais un peu de lui depuis que j´ai fait sa connaissance alors que j´étais lycéen.

Célébrée dès l´Antiquité pour ses thermes, Rome fut rapidement dotées d´innombrables fontaines. Plus de 1200 dit-on. Les artistes baroques du XVIIe siècle ont repris la tradition de célébrer l´eau. Car, par son ruissellement, ses clapotis, ses murmures et ses jeux de lumière et d´ombre qu´elle permet à toutes heures du jour et de la nuit, elle est un élément essentiel de l´exubérance baroque.




La Fontaine du Triton
date de 1642-43. Placée au centre de la Piazza Barberini, elle est un remarquable premier exemple de baroque qui combine avec bonheur réalisme et fantastique. Le triton, divinité de la mer à figure humaine et à queue de poisson, émerge des eaux et souffle dans une conque pour annoncer au monde la victoire des dieux sur le désordre et le chaos. Ovide et ses Métamorphoses est donc présent. Mais Le Bernin n´oublie pas son commanditaire ; il honore donc aussi le Pape Urbain VIII : l´eau remplace des vignes et, mise à la portée de tous, elle devient un bienfait pour la ville. Aux yeux de pape, elle est aussi bienfait pour toute la chrétienté.





La Fontaine des abeilles
date de 1644. Placée aujourd´hui à l´écart de la même Piazza Barberini, elle est beaucoup plus modeste. Son importance dans l´oeuvre du Bernin est peut-être moindre, mais sa signification est tout autant symbolique. Dépôt des eaux de reflux de La Fontaine du Triton voisine, elle permettait aux humbles, aux étrangers, aux voyageurs et aux animaux domestiques ou de traits comme les ânes et les chevaux qui les accompagnaient de se désaltérer. Le même pape Urbain VIII n´est pas oublié : une inscription en latin souligne la durée de son règne. Les armes de sa famille sont également présentes : ce sont les abeilles.  À défaut de l´ appeler La Fontaine aux ânes on aurait pu la nommer La Fontaine aux chevaux


 Reste La Fontaine des quatre Fleuves, au plein milieu de l´immense ovale de la Piazza Navona.
Son ambition sculpturale est phénoménale. Les contemporains du Bernin qui ont découvert l´oeuvre l´ont qualifiée un "miracle du monde". Elle a été réalisée entre 1648 et 1651. Elle est sans doute, de toutes les fontaines que Le Bernin a conçues, la plus ambitieuse et la plus équilibrée, alliant avec bonheur réalisme imitant la nature, manière et style. Elle a été commandée par le pape Innocent X, successeur richissime d´Urbain VIII, et élu pape peu de temps auparavant.































Le Danube
, en haut à gauche, a été réalisé par Antonio Raggi ; il soutient de ses bras tordus les armoires du pape. Le Nil, en haut à droite, a été sculpté par Jacopo Antonio Francelli ; il a le visage voilé parce que sa source était alors inconnue. Le Gange, sous Le Danube à gauche, est dû à Claude Poussin ; il tient dans une main une puissante rame pour indiquer que le fleuve est navigable. Le Rio de la Plata, quant à lui, est dû à Francesco Baratta ; la richesse du fleuve est symbolisée par les pièces qui débordent de son sac. À eux quatre, ils représentent les quatre continents que l´on connaissait alors.

 Le socle est une falaise. Elle illustre le règne minéral sur lequel s´appuient les règnes végétal et animal, dont le dragon et le tatou sont des espèces intermédiaires.

Au
centre, s´élève, immense et dominante, une obélisque d´Egypte au sommet de laquelle se trouve l´emblème du pape Innocent X : une colombe, symbole du Saint Esprit. Ainsi triomphe la Contre-Réforme sur la totalité du monde. Et l´eau, sans cesse renouvelée, qui circule à travers le rocher évidé qui évoque la terre, rafraichit l´air environnant de la place d´où s´élève, conformément au symbolisme solaire par son obélisque centrale, le feu venu du ciel.

C´est prodigieusement magnifique ! 



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11 août 2009 2 11 /08 /août /2009 13:48

Durant mes dix jours passés à Rome fin juillet début août, j´ai beaucoup souffert de la chaleur. Je sais bien pourquoi : c´est que soufflait le sirocco, terrible vent sec et étouffant du sud-est d´origine saharienne et qui fait fuir les Romains qui en ont les moyens.

Je comprends maintenant pourquoi Ibsen, qui a passé 11 ans à Rome, quittait la ville l´été pour gagner au sud les Monts Albains, l´île d´Ischia au nord de la baie de Naples et plus encore la chic station balnéaire d´Amalfi sur la mer Tyrrhénienne.
Je comprends aussi pourquoi l´immense historien et archéologue P.A. Munch (1810-1863), premier protestant à avoir eu accès aux archives du Vatican, - et dont les recherches sur le Moyen-Age ont eu en Norvège une influence aussi considérable que celles de Michelet pour la France -, ait cherché un jour de printemps 1863 particulièrement torride à plonger la tête dans une fontaine pour se la rafraichir. J´ignore comment Sigrid Undset (1882-1949), prix Nobel de littérature 1928, supportait la chaleur de Rome. Mais je peux m´imaginer que son attitude était toute autre. Je chercherai bientôt à m´en rendre compte, ayant dans mes intentions de lire Jenny, roman de 1911 largement autobiographique et qui se passe dans la Rome des artistes norvégiens venus ici pour perfectionner leur art.

Je n´ai pas, comme P.A.Munch, cherché à me plonger la tête dans l´eau rafraichissante d´une fontaine. Mais j´en ai eu plusieurs fois l´envie, tant la chaleur était insupportable. Le bleu du ciel était, dès les premières heures du jour, totalement triomphant. Je n´y ai pratiquement jamais vu le moindre nuage ; et chaque fois ou presque que je levais la tête, je voyais un ciel biblique digne de Raphaël ou de Michel-Ange. L´ intensité de la lumière était alors telle que je me devais de rabaisser rapidement les yeux. Quant aux lieux où les arbres, majestueux, dressaient leurs cimes dans le ciel, le repos n´était cependant pas toujours de mise car les cigales, avec leurs stridulations incessantes et assourdissantes, semblaient vouloir à l´unisson me faire éclater la tête. L´esprit n´en sort pas toujours indemne. C´était comme si le milieu environnant et la pression atmosphérique empêchaient de penser. Je n´avais alors qu´une hâte : regagner mon hôtel, me jeter sur mon lit, et me gaver, à demi nu, de fruits mûrs et juteux, un verre à la main, comme plus de deux millénaires avant moi, le faisait les Romains !

Lien possible : Le khamsin, vent du Nil qu´a décrit Flaubert, semblable au sirocco.

Autres liens : - sur Ibsen l´écrivain
                          - sur P.A. Munch l´historien
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8 août 2009 6 08 /08 /août /2009 12:32

Du Journal de voyage que, "à sauts et à gambades", Montaigne a dicté à son secrétaire en se rendant à Rome en 1580, je n´ai lu que ce que Philippe Sollers en a dit. C´est donc bien peu ; c´est même presque rien. Mais j´ai déjà commandé ce Journal. C´est dire, alors que je viens de passer dix jours à Rome, l´intérêt que la lecture des quelques lignes que Sollers a écrites a suscité en moi. Diable de Sollers

Ce n´est qu´en 1770 que ce Journal de voyage a été publié. Dès l´ époque, on l´a considéré dérangeant. C´est dire, selon son présentateur Sollers, qu´il donne de Montaigne une image que l´on ne s´attend pas à voir : plus respectueux que sceptique ; et même fervent catholique ; voire dévot ... , déposant aux pieds de la Vierge un ex-voto de famille qu´il avait dans ses bagages : - et comme aurait fait - note Sollers choqué - n´importe quel touriste pélerin trois siècles plus tard à Lourdes. Je n´en dirai aujourd´hui pas plus. Mais je demande à lire, avant de conclure trop vite.

Pour l´heure, je me contenterai du pittoresque des rues étroites, sinueuses et abritées du soleil que Montaigne a dû arpenter quand il a séjourné quelques jours à L´Hostaria dell´Orso. J´ai eu du mal a trouvé cette "Auberge de l´Ours" que vantait mon guide norvégien. J´ai même failli me laisser prendre tant le faux et le vrai se côtoyaient à chaque mètre, davantage attiré par l´enseigne accrocheuse d´une "hostaria l´orso 80" de la Via dell´Orso que la vraie Hostaria dell´Orso située à la Via dei Soldati ... J´aurais enfin pu dire à ma compagne : "Eccolo ... l´Orso !" Las ! À l´heure où je l´ai trouvée, l´auberge était fermée. Je n´ai donc pu m´attabler à l´ombre de Montaigne et
rêver aux cena ou colazione qu´il a dû prendre lors de son séjour dans cette auberge ; et moins  encore à ceux de Rabelais qui, quelques décennies avant lui, avait dîné ou soupé dans ce même lieu.

À défaut, j´ai revu, en marchant de mon pas parcimonieux à cause d´un dos qui me faisait atrocement souffrir, les rues de Sarlat, et imaginé comment Montaigne et La Boétie auraient pu sceller leur amitié en visitant ensemble la Rome qu´ils appréciaient tant. Mais, seul sans lui, et pièça passé quarante ans, que cherchait-il à Rome ? L´aval du Pape ? Où la confirmation de ce que la lecture des latins lui avait permis d´avoir ? "J´ai eu la connaissance des affaires de Rome longtemps avant que je l´aie eue de celles de ma maison. J´ai su le Capitole avant le Louvre et le Tibre avant la Seine". Difficile à vérifier, n´ayant encore lu son journal. 

Pour l´heure je ne tiens pas à oublier que Montaigne pouvait aussi être un simple voyageur autant soucieux du bien manger que du désir de soulager son corps qui lui donnait bien du souci à cause de la terrible maladie de la pierre qui souvent le terrassait. D´où son besoin de chercher des sources, des bains et des eaux salutaires capables atténuer ses peines à défaut de les guérir. Et plus encore, je ne veux oublier la curiosité qu´il manifestait toujours en voyage pour les moeurs et modes de vie qu´il découvrait autour de lui, qu´ils viennent de quelques grands du monde ou bien plutôt des petites gens, artisans, marchands et autres gens de peu. Flanqués de leurs ânes, chèvres ou cheval , ils ne manquaient sûrement pas de s´abreuver aux fontaines. Je ne sais depuis quand on jette par dessus son épaule une pièce dans la Fontaine de Trevi, dans l´espoir qu´un jour on revienne à Rome, mais je trouve cette coutume belle.

 

De tout ce que les Papes et richissimes familles ont fait pour leur postérité, ce que, à mon humble avis, je trouve de plus beau, ce sont leurs fontaines et leurs jets d´eaux où chacun peut s´abreuver. Si un jour je devais retourner à Rome, ce serait, à n´en pas douter, pour y boire l´eau rafraichissante de ses fontaines les plus modestes ; - avec le fol espoir de découvrir celle qui provient de la plus petite source, et que Virgile aurait pu chanter.

C´est tout pour aujourd´hui.
 
                  
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[Photo 1 : Le Tibre, le pont Saint Ange, la Coupole du Vatican et à droite le Château Saint Ange ;
Photo 2 : L´Hostaria dell´Orso aujourd´hui ;
Photo 3 : L´Hostaria dell´Orso autrefois ;
Photo 4 : La Fontaine du Mascherone, Via Giulia, près de la villa Farnèse]

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6 août 2009 4 06 /08 /août /2009 13:10

Outre un guide sur Rome qui montre ce que d´autres guides plus complets s´efforcent de décrire, j´avais, pour visiter la ville, emporté avec moi plusieurs gros et moins gros romans, pour le cas où ... Mes insomnies sont parfois longues. Je n´en ai heureusement ouvert aucun. Mais j´y avais joint les Lettres à un jeune poète que Rainer Maria Rilke a écrites il y un peu plus d´un siècle. Bien m´en a pris, car celles qu´il a envoyées de Viareggio et de Rome sont admirables de clairvoyance. J´en ai eu le souffle coupé et par deux fois, les lisant alors seul, les larmes me sont montées aux yeux.

Sur Rome et ses innombrables trésors, elles sont fort critiques. Rainer Maria Rilke ne manque évidemment pas de remarquer que Rome possède d´incomparables beautés, mais il ajoute aussi sans ambages que celles qu´elle possède ne sont finalement pas plus exceptionnelles que celles d´autres villes. En revanche, Rome  a des  défauts que d´autres villes n´ont pas : notamment celui de mettre en avant des reliques et des restes d´un autre temps. On se fait un devoir de les admirer ; on a tant écrit sur ces beautés exhumées ; et tant d´illustres savants, spécialistes et commentateurs patentés se sont penchés sur elles ... Mais elles ne signifient plus rien ; elles sont d´un temps qui n´est plu. Heureusement, ajoute-t-il, il y a les eaux admirables qui dansent sur les places, et qui répandent sans fin leurs vagues ou leur filet sur les dalles blanches des innombrables fontaines. Je n´affirmerai pas que j´ai vu tout de ce qu´il "fallait" voir, mais les nombreuses fontaines que j´ai pu découvrir au gré de mes harassantes marches à travers la ville ont bien mieux comblé mon bonheur durant ces dix jours torrides que la traversée des salles et des rues que la foule bigarrée des
touristes du monde entier arpentait du même pas compté que celui de ma compagne. Et j´ai pu aussi, lors de quelques rares instants que j´aurai souhaités beaucoup plus nombreux, prendre plusieurs photos un peu moins convenues ; du moins je l´espère.

Pour l´heure, je me contenterai d´une fontaine. Elle ne se trouve pas sur une place grandiose ou imposante. J´ignore qui l´a conçue. Mais on la trouve au carrefour de deux rues relativement étroites et sans doute peu fréquentées, à l´angle que forment la Via delle Quattro Fontane et la Via del Quirinale. Elle représente sans doute le dieu qu´était Le Tibre lui-même. Je trouve sa posture de dieu du fleuve magnifique car j´y vois de la majesté simple et un désir de repos tranquille. Son eau calme m´a rafraichi très simplement, et m´a permis d´oublier, le temps de trois ou quatre gorgées, la peine que j´ai eue de devoir supporter jour et nuit une chaleur aussi oppressante et de tous les instants.
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21 juillet 2009 2 21 /07 /juillet /2009 08:21
L´été pour beaucoup est détente et lectures faciles. Pour ma part, dans les semaines qui vont suivre, je ne chercherai pas à me procurer une ou deux meilleures ventes. Je n´achèterai pas non plus des romans dits de plage ou de gare, 
mais sortirai de mes rayonnages plusieurs valeurs sûres. Ce qui n´engage que moi. Je ne peux cependant affirmer que je lirai beaucoup. J´irai à Rome. J´espère ne pas trop m´éparpiller. Mais que privilégier ? Cette ville à tant à livrer. Les ruines majestueuses et imposantes de l´Antiquité ? Les chefs-d´oeuvre de la Renaissance ? Le baroque luxueux et rococo des innombrables églises ? Le faste papal du Vatican ? Ou plus simplement la fraicheur reposante des eaux des fontaines ? Difficile à dire. Je souhaite en tout cas deux choses : ne pas trop rencontrer de touristes affublés de shorts et de tongs ; ni de vendeurs africains marchandant d´une main des faux sacs en cuir et de l´autre un masque dogon. Mais bien plutôt, au détour d´une rue ou d´escaliers conçus par Michel-Ange, de sentir, à défaut de vraiment comprendre, pourquoi Rome a toujours autant fasciné.



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20 juillet 2009 1 20 /07 /juillet /2009 10:15

Il a beaucoup plu ces derniers jours. La presque canicule de la fin juin et du début de juillet est bien loin. Ce qui ne me déprime en rien. Bien au contraire. J´aime la pluie qui tombe, fine ou drue, ferme ou légère, et qui rénégère la terre assoiffée. Plusieurs de mes plantes ont pu ainsi se redresser, en particulier mon hortensia hydrangea serrata dit "bluebird" de mon petit jardin du haut près du mur en bois de ma voisine au chat Georg. Sa fleur bleue est certes un peu froide et pâle, mais quand ses pétales sont surmontés d´une ou deux gouttes de pluie, j´aime à penser que son inaccessibilité n´est finalement qu´apparente. J´y vois comme un appel d´ailleurs ; - il y a toutes sortes de sourires.

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17 juillet 2009 5 17 /07 /juillet /2009 14:03

Je ne me lasse pas de découvrir l´écrivain autrichien Adalbert Stifter (1805-1868). Fleurs des champs (Circé, 2008, 138 pages, 16 €) est le deuxième texte qu´Adalbert Stifter a publié de son vivant (1841). Fort bien traduit de l´allemand par Sibylle Muller, il mériterait d´être beaucoup plus connu. Il n´est en rien une oeuvre de jeunesse. On y trouve en effet déjà, outre tous ses principaux thèmes où abondent les descriptions de paysages de sa Bohême natale et des environs immédiats de Vienne, son style si particulier fait de longues et amples phrases, pleines de mots rares et précis mais non affectés, et qui rythment aussi bien la pensée du narrateur, peintre avant tout, mais qui s´épanche dans un journal destiné autant à lui-même qu´à son meilleur ami prénommé Titus. Ce qui confirme l´intérêt qu´Adalbert Stifter a toujours porté pour la peinture, au point d´avoir longtemps envisagé de devenir peintre lui-même. Les  ciels, les lacs et ses reflets qu´il décrit sont innombrables. Elles renvoient largement à plusieurs toiles que certains de ses contemporains ont laissées ; en particulier celles de Caspar David Freidrich (1774-1840) ou
Ferdinand Georg Waldmüller (1793-1865).  Mais les mots qu´il emploie font surtout penser aux touches que l´impressionniste Claude Monet ne renieraient sûrement pas : "Oui, [écrit-il à Titus] il me reste à t´avouer ma faiblesse jusqu´au bout (...). J´ai peint la rive de Traunkirchen (...) [Les maisons] s´intègrent merveilleusement au paysage. Vues de la rive de Traunstein, ce sont des points blancs lumineux ; mais celui qui s´en approche en bateau voit de charmantes colonnes émergées de l´eau, et leur image inversée palpite comme autant de rubans légers sur le miroir argenté".

Adalbert Stifter creusait déjà son sillon : sa phrase, lente, souple et mélodieuse distend le temps et ouvre dans son mouvement l´espace sur l´infini.

L´intrigue, quant à elle, est très fleur bleue et romantique à souhait. Adalbert Stifter, on ne peut l´oublier, appartient aussi à la pensée conservatrice du Bierdermeier. Mais la tonalité générale du récit va bien au-delà. C´est qu´il y a au fond du narrateur - comme chez Stifter lui-même - le désir d´illustrer dans ses textes de prose l´affirmation que Goethe a exprimée un jour en ces termes : "le véritable poète a pour vocation d´accueillir en lui la splendeur du monde". D´où, au cours de ses promenades "par monts et par vaux, [de] passer en revue toutes les beautés, vivantes et inanimées", qu´elles soient aussi petites que les
modestes fleurs des champs auxquelles il dédie les dix-neufs chapitres de son récit, qu´un rêve d´expansion à la faveur de la nuit de printemps s´étendant sur Vienne endormie. "[La nuit] avait d´abord doucement déployé sur tous les toits le grand drap du sommeil, et lorsqu´elle eut apporté partout le repos, lorsque le silence fut venu, alors très haut, au-dessus des couches des hommes ensevelis, elle a détaché de son sublime voile funèbre un pli puis l´autre, qu´elle a enfin laissé pendre, lourds et amples, du haut du ciel". Et ainsi, par les descriptions répétées des paysages, les richesses de la terre et les aspirations des hommes se rejoignent éperdument. Ce qui n´empêche pourtant pas que le narrateur, vers la fin du récit, tombera dans un excès de jalousie irraisonnée, se croyant trompé par la femme aimée. Le malentendu finira par se dissiper. Et la souffrance, immense, surmontée. Mais c´est dire que ce texte de 1841 est déjà traversé par une angoisse sourde. Et donc, que ce soit à son insu ou non, l´être humain que dépeint Adalbert Stifter, dès ses premiers textes, est loin d´être seulement doté d´esprit. Il a aussi un coeur, et comme le ciel, il peut contenir quelques nébuleuses et devenir abîme.

Fascinant !

Autres liens possibles : - L´arrière-saison 
                                    - Les deux soeurs
                                - L´homme sans postérité         

[illustration : Ferdinand Georg Waldmüller Le château Ort à Traunsee]       
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