Le village de la lande d´Adalbert Stifter est une nouvelle dans laquelle il ne se passe rien. Elle se lit cependant fort bien, sans que je sache vraiment en quoi réside son charme. Peter Handke a parlé de "lenteurs célestes" pour qualifier la prose de Stifter. Ces mots conviennent parfaitement bien pour cette courte nouvelle, parue pour la première fois en 1840 (Ed. Jacqueline Chambon, 1994, 63 pages, 8,85 €. Traduit de l´allemand par Bernard Kreiss).
Un jeune garçon de 12 à 13 ans garde chèvres et moutons. Son domaine est la lande qu´il domine du haut d´un Mont de Cheval, dont personne ne sait l´origine, car "de mémoire d´hommes on n´avait vu trotter cheval dans les parages, celui-ci étant un hôte trop précieux pour la lande." Y règnait de nombreuses pierres, des genévriers chétifs parmi maintes fleurs de chardon, d´étonnantes fleurettes rouge feu ou bleu ciel dans l´herbe et la rocaille ensoleillées ; s´y trouvaient aussi des milliers d´insectes et de vermisseaux en habit d´or, de rubis et d´émeraude qui grimpaient, couraient et s´affairaient parmi le pierres, les herbes et les brindilles ... et des criquets, des sauterelles, des locustes, des escargots, des mouches, le bourdon, des papillons ; et enfin le bruant, le rouge-gorge, l´alouette, le chardonneret, la fauvette, le vanneau, et d´autres encore, beaucoup d´autres.
Son éducation achevée, le garçon décide de quitter père et mère ainsi qu´une grand-mère et une très jeune soeur. Il emprunte donc les pas d´un autre frère, également parti un jour, plus de soixante ans auparavant, mais qui n´était jamais revenu. On ne saura qu´au retour qu´il est allé à Jérusalem et qu´il a parcouru la lande du Jourdain. Il est revenu pour ne jamais plus abandonner son village et sa lande. Un espoir cependant ne se réalisera pas ; personne ne viendra habiter la grande maison de pierre qu´il a fait construire. Il a reçu une réponse négative d´Italie. Mais il peut prédire le temps. La pluie, comme il l´avait annoncée, tombera le matin, un dimanche de Pentecôte ; la moisson sera donc sauve.
La nouvelle s´achève par une adresse au lecteur : "Là s´arrête notre connaissance de Félix, l´habitant de la lande. -- De son action et des fruits de cette dernière, nous ne savons rien : mais quoi qu´il en soit -- le moment venu, présente-toi en toute confiance devant ton juge, homme pur, et dit : "Seigneur, je n´ai pu faire autrement que de cultiver le talent que tu m´as confié ", et si ton talent devait avoir été trop léger, sache que le juge te jugera moins sévèrement que les hommes."
Il y a dans cette adresse que je saisis mal une sagesse, une modestie et une sérénité qui m´étonnent : j´y vois un style à la fois biblique et bucolique . Mais l´aspect biedermeier ne peut être écarté. Je n´arrive à savoir pourquoi ce style m´émeut et m´apaise. Qui pourra m´éclairer ?