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18 janvier 2007 4 18 /01 /janvier /2007 09:26

Dans le lycée de Førde où j´ai enseigné quatre ans, nous étions une douzaine d´enseignants. C´est dire que le lycée était de dimension très humaine : tous les professeurs se rencontraient régulièrement dans la salle de professeurs et ils échangeaient souvent leur points de vues sur tous les sujets possibles et imaginables, y compris la politique locale ; surtout, à vrai dire, la politique locale ; car tous avaient un engagement non équivoque : le proviseur votait pour le parti de Droite ( = Høyre, H ), le professeur de norvégien pour le parti paysan ( = Senterparti, Sp), les professeurs d´anglais et d´histoire pour le parti Social-Démocrate ( = Arbeiderpartiet, Ap ), le professeur d´allemand pour le parti en Norvège dit de la Gauche traditionnelle ( = Venstre, V ), et  le professeur de physique et de mathématiques pour le parti Chrétien Populaire ( = Kristelig Folkeparti, KrF ). Il y a même eu les deux dernières années où j´ai enseigné, un jeune professeur d´économie qui militait pour le parti quelque peu raciste et d´extrême droite, et qui est devenu plus tard  le parti du Progrès ( = Fremskritt parti, Fr ) ; il obtient depuis plusieurs années plus de 20% d´intentions de votes dans les sondages d´opinions. Le seul parti qui n´était pas représenté, c´était celui qui s´appellera plus tard le parti Socialiste de Gauche ( = Sosialistisk Venstre parti, SV ). Il ne faisait pas partie, à l´époque, des soutiens de la société... C´est dire l´animation des discussions. J´étais toute ouïe, car les discussions étaient animées, passionnantes et de haut niveau ; rien à voir avec les discussions du café du commerce auxquelles j´avais pu prendre part alors que j´étais encore en France.C´étaient de vraies analyses. Plusieurs de ces collégues sont d´ailleurs devenus des politiciens locaux influents, et mêmes nationaux.

Le grand sujet était les conséquences du "non" de la Norvège au référendum de septembre 1972 pour l´élargissement du Marché Commun. Il était passé à neuf et non à dix. La Grande Bretagne, l´Irlande et le Danemark avaient voté "oui". Seule la Norvège avait voté "non". La plupart de mes collègues étaient contre, certains pour. Je n´avais pas à l´époque de point de vue personnel sur la Norvège, même si je la connaissais un peu pour y avoir été plusieurs fois comme touriste, et avoir suivi de près les résultats du référendum en septembre 1972. J´avais même prédit auprès de mes collègues francais, alors que j´étais encore en France, qu´il n´était pas exclu que la Norvège vote non ; ce que personne ne pouvait croire, car, comme disait l´un : " on ne vote pas contre l´Histoire". La Norvège est sans doute géographiquement périphérique, mais si elle est toujours en dehors de l´Union européenne, elle n´est plus du tout, aujourd´hui, en dehors de l´Histoire.

Les autres grands sujets de discussions étaient d´ordre local : la construction d´un grand hôpital régional, le chantier naval qui fournissait du travail à la population locale, l´aéroport qui désenclavait la région, la politique culturelle qui ne manquait pas d´étonner vu les pièces en tournées qui venaient de la capitale. J´écoutais, n´ayant à l´époque ni de points de vues personnels, ni le vocabulaire nécessaire et suffisant pour me lancer dans les débats.

Un autre sujet revenait constamment sur le tapis, véritable serpent de mer norvégien, auquel tout Norvégien est confronté depuis plusieurs siècles, même s´il est bien atténué aujourd´hui : le problème de la langue, autrement dit le problème des dialectes, du néo-norvégien ( = nynorsk ), et de la langue léguée par les Danois après presque six siècles de domination : le dano-norvégien ( = bokmål ). J´étais, dans cette salle de professeurs, un authentique étranger. Tous mes collègues, au contraire, venaient plus ou moins des environs immédiats de la commune ou de la région ; mais ils avaient tous leur parler avec des expressions dialectales différentes: "Ah ! Tu dis ca ?..." . " Moi, je dis cela ..." Les discussions étaient sans fins. Je n´en croyais pas mes oreilles.

Ma femme venait d´Oslo et parlait la langue de sa ville, de ses parents et plus encore de son milieu, c´est-à-dire le bokmål ( pour ne pas dire riksmål ou même le rigsmål...). J´apprenais, quant à moi, le norvégien par mes propres moyens. Les livres de norvégien langue étrangère que j´utilisais à l´époque étaient tous en bokmål. J´habitais certes une région où l´on parlait des dialectes fort beaux et largement tributaires de la grandeur de la Norvège du Moyen-Age qui avait vu les Vikings gagner l´Islande où seraient écrites les sagas qui sauraient imposer leur rugosité de langue et d´expression dans la littérature mondiale. Mais de là à apprendre un dialecte.... Certains de mes collègues l´auraient bien voulu. Je n´en voyais pas l´utilité. Les comprendre en partie, et éventuellement les lire, m´a toujours suffit. Hier comme aujourd´hui. Je suis toujours en relations et en correspondance avec certains de mes collègues de Førde ou de Nordfjordeid. Tous me parlent leur dialecte ; certains "normalisent" leur langue en écrivant ; deux m´écrivent en néo-norvégien ; un seul avec naturel. Le dernier, à mon humble avis, avec fanatisme.

Il est certain que le bokmål ( autrefois riksmål ) est quelque peu composite ; il n´empêche que c´est dans cette langue que la plupart des grands écrivains norvégiens se sont exprimés, y compris Ibsen. Il ne pouvait ignorer les recherches du linguiste Yvar Aasen ( 1813-1896 ), qui a tenté de reconstituer la langue "originale" norvégienne. Ce qui a donné ce que l´on appelle aujourd´hui le néo-norvégien ( = nynorsk, autrefois landsmål ).  P.A Munch ( 1810-1863 ), historien et archéologue de renom qui a exercé une influence profonde sur le mouvement littéraire de son temps, en particulier sur Ibsen et Bjørnson, a largement encouragé les efforts d´Ivar Aasen. Il n´empêche que P.A. Munch a quelque peu été décu du résultat. Ibsen s´est confronté lui aussi au néo-norvégien, notamment dans Peer Gynt. A ma connaissance, pour citer le grand et incontournable spécialiste des Sagas islandaises, des Vikings, d´Ibsen et de partiquement toute la littérature scandinave et nordique Régis Boyer, Ibsen ne s´est jamais servi du néo-norvégien qu´à des fins parodiques. Le norvégien issu du danois est peut-être composite, mais le néo-norvégien lui a toujours semblé artificiel.

A défaut d´être clos, le débat semble aujourd´hui apaisé. Mais se mesurer à sa langue est le problème majeur de tout écrivain. Plus encore en Norvège qu´ailleurs.

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