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15 décembre 2008 1 15 /12 /décembre /2008 13:54

Suffit-il de dire que l´Espagnol Juan Muñoz (1953-2001) est l´inventeur d´"installations sculpturales" pour arriver à le situer dans l´art contemporain ? Rien n´est moins sûr,  mais on s´en contentera provisoirement avant de trouver mieux. Il est certes réducteur de considérer Edvard Munch expressionniste ou Cézanne le précurseur du cubisme. Mais celà aide à les placer dans l´évolution des mouvements artistiques des siècles derniers.  Giacometti ne se laisse heureusement pas enfermer par sa sculpture filiforme la plus connue Le Marcheur

L´exploration de l´espace a toujours été premier chez Juan Muñoz. Tout, dès ses premières installations, renvoit à ce qui se passe dans l´espace que couvre le regard des êtres qui l´occupent. C´est signifier que ses sculptures énigmatiques interrogent directement le rapport que chacun de nous peut avoir à l´espace contemporain. Elles donnent à voir le poignant isolement de l´être humain dans le milieu urbain, largement théatral de la seconde moitié du XXe siècle. Le touriste est devenu roi : la place, la rue, le balcon, le parc, la gare sont ses lieux de prédilection.

L´homme peut être seul ; il peut être debout ou assis sur le balcon à rire avec le voisin du balcon d´à côté ; ou assis et rire à gorge déployée parmi d´autres sur les gradins de ce qu´on imagine être une salle de spectacles en plein air ; ou encore debout en groupes de trois ou quatre parmi une centaine d´autres debout comme lui ... ; -  reste que l´essentiel est l´espace, la perspective du lieu. Des êtres, rapetissés, peuvent l´occuper, mais ils ne sont que des faire-valoirs. Leurs regards ne comptent pas. Seul compte, omniprésent, l´espace.

Quand les être sont vraiment présents, ils sont nains, ou clowns. Ils se voient peut-être, mais restent seuls avec eux-mêmes. Quand ils parlent, on peut voir leurs lèvres bouger, mais rien ne sort de leurs bouches silencieuses. Et quand un son en sort, c´est pour entendre à satiété dans un souffle à peine audible les bagaiements Did you said ? - I don´t say. Ils ne parlent pourtant pas pour ne rien dire. Ce n´est en rien un théâtre de l´absurde, même si Beckett ou Pirandello ne sont pas loin. Ils meublent l´espace comme d´autres occupent le temps.

Ils se renvoient ainsi implacablement leur propre intérieur de solitude et d´isolement : ainsi ces silhouettes assises avec cinq tambours. Ou encore ces Deux figures assises sur un mur. À vous de voir autre chose que la douleur et l´inquiétude.


Cf l´exposition au Tate Modern de Londres du

24 janvier au 27 avril 2009 .

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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 14:21

Relire par moments quelques pages des grands classiques et découvrir des beautés insoupçonnées est un plaisir dont je ne me lasserai jamais. Ainsi de La Fontaine et de sa fable L´âne et le chien ( VIII, xvii ). S´y trouvent avec bonheur ellipses et oppositions qui montrent à l´évidence que La Fontaine s´amuse en maître qu´il est. Ce qui lui permet, comme quelques autres, d´accélérer le récit en disant moins pour faire comprendre plus.

L´âne se met à paître. Le chien veut de l´aide. Point de réponse ; mot. À vous de lire.


Je ne connais de ce mot qu´un seul autre exemple pour signifier silence de manière si cinglante. Il est d´un maître du rythme et des mots les plus rares : le Châteaubriand des Mémoires d´Outre-Tombe que De Gaulle admirait tant : "Je n´eus garde de parler d´autre chose. Des journées de Juillet, de la chute d´un empire, de l´avenir de la monarchie, mot. Quoi de plus hautain pour signifier refus.

Enfant puis adolescent, j´ai connu quelques refus presqu´aussi beaux. Ils n´étaient pas si cinglants mais signifaient tout autant. C´est dire à nouveau mon dédain pour l´expression lire entre les lignes. L´écrivain qui sait dire sous-entend, se retient, dit moins, mais il dit. À nous, humblement, de lire ce qui, réellement, est écrit. Les exemples, heureusement, sont relativement nombreux.


                                                                                       * * *

[ Ilustration : Jean-Baptiste Oudry]

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12 décembre 2008 5 12 /12 /décembre /2008 12:43


J´oserai, en ce jour triste et froid d´hiver, donner à lire un petit poème.  Il m´est venu alors que je pensais à l´Absente, en ressassant quelques vieux souvenirs. C´est donc un peu faux de dire que rien ne vient.

Il est pour ceux et celles qui aujourd´hui se languissent d´attendre : 

         D´un rien l´éveil


Fais donc
de tes grands et petits malheurs
un bel herbier d´éveil.
Que vivre
soit quand même
pour toi et quiconque
grâce et bonheur --
quoi qu´il advienne


Ce sera tout pour aujourd´hui.


   

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11 décembre 2008 4 11 /12 /décembre /2008 12:46


Noël approche; c´est donc l´heure des cadeaux. Quoi de plus beau que d´offrir un ouvrage dans lequel la poésie et la peinture se rejoignentMarc Chagall et les Fables de La Fontaine( Réunion des Musées Nationaux, 2003, éd. rev. et corr., 143 pages, 15, - € ), est un vrai bonheur des yeux : il fait découvrir la vision qu´un vrai créateur russe adulte au regard d´enfant émerveillé a de La Fontaine. Bien peu ont réussi à illustrer sans mièverie ce poète universel. Cet ouvrage, bien que déjà ancien, est donc le bienvenu pour ceux ou celles qui désirent  faire plaisir en cette période de fêtes.

Chagall est encore largement russe dans cette sélection de quarante-trois gouaches. Plusieurs, dans les années 1930, le lui ont reproché, avec des relents d´antisémitisme. Personne, heureusement, ne reprend aujourd´hui ce reproche. Ses ânes et ses mulets évoquent certes encore beaucoup ceux des quartiers juifs des villes d´avant la Révolution de 1917. On ne peut le blâmer. C´est là tout leur charme. Mais ses renards et ses oiseaux resplendissent de la magnificence méditerranéenne : les bleus radieux, des rouges opulents, des jaunes éclatants, des verts lumineux.

La réussite de cette édition revue et corrigée est totale. Chagall renouvelle non seulement notre vision que des pédagogues peu inspirés nous ont souvent donné de La Fontaine, mais il nous invite à imaginer ce que la totalité des cent gouaches prévues auraient pu nous restituer : la réappropriation d´un langage perdu. Pour preuve, à mon sens, la gouache de la fable Le Renard et les Raisins que tout le monde connaît. Du renard, en bas et à droite, on ne voit que la tête, les oreilles dressées et les yeux tant malicieux qu´ éplorés. Dans le coin opposé, en haut et à gauche, une seule grappe; mais d´elle, émane toute la succulence de ses graines. Le dépit, n´en déplaise, ne la fera pas oublier. Entre cette tête toute tendue vers l´inaccessible et la grappe, un bleu de ciel tâcheté d´une poudre de blanc.

Une merveille semblale se retrouve dans une autre fable bien moins connue. Intitulée Le Paon se plaignant à Junon, elle reprend la vision diagonale de droite à gauche et de bas en haut. Le paon se plaint de son cri qu´il appelle chant . Sa traîne de soies, magnifique, envahit tout le bas. Junon modère ses critiques. Subsiste la traîne dans le bleu resplendissant de la nuit. Splendide à tous points de vues.



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9 décembre 2008 2 09 /12 /décembre /2008 16:23


Il n´est pas sûr que les jours sans soient les plus vides. Il faut du moins l´espérer. Ils sont peut-être, tout compte fait,  ceux où on se ressource le mieux.

Il n´empêche : Olav H. Hauge a clairement dit un jour ne pas aimer les pommes.

   Un mot


Un mot

-- une pierre

au torrent glacial.

Une autre --

Il me faut beaucoup de pierres

pour traverser à gué.

 Traduction : C.-G. Bjurström et Jean Queval (Les Lettres Nouvelles, Déc.1973-Janv.1974)



Illustration : Våtedalen

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8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 13:05

La poésie occidentale a de tous temps ou presque exprimé les épanchements du moi : l´amour, la vie, la mort, la nostagie, l´attente. Rien de tel dans la poésie chinoise de Wang Wei (701-761). L´effusion personnelle est d´autant moins présente que les verbes en chinois ne se conjuguent pas et que les articles sont absents. L´être humain se fond donc pleinement dans le Tout du Monde et ses merveilles que le poète se contente de chanter. Pour bien faire comprendre cette manière particulière de chanter le monde,  le présentateur Gil Jouanard dans Passeurs de Mémoires préfacé par Jean-Baptiste Para( collection Poésie/Gallimard [2005]) donne plusieurs versions d´un même poème. En voici deux parmi cinq :

   La Gloriette aux bambous


Seul être assis / parmi bambous cachés

    Jouer cithare / longuement siffler

Forêt profonde / homme ne point savoir

    Lune claire / s´approcher éclairer


Version Cheng

   Seul assis entre les bambous,

 Je joue de la cithare et je siffle,

Dans la forêt, oublié des hommes.

  La lune s´est approchée : clarté




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5 décembre 2008 5 05 /12 /décembre /2008 17:45

Je ne suis pas davantage qu´hier sorti de ma mérencolie - comme disait en son temps Charles d´Orléans pour parler de la désolation, - et donc de sa mélancolie. Je suis par conséquent dans le même état d´esprit languissant où le jour étire sans fin son ennui. Je me contenterai donc comme hier de citer quelques lignes, sans pour autant croire il y aurait comme un peu d´"épanchement du songe dans la vie réelle." ( Nerval )

       
                Une allée du Luxembourg

Elle a passé, la jeune fille,
Vive et preste comme un oiseau :
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau.

C´est peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait ;
Qui venant dans ma nuit profonde
D´un seul regard l´éclaircirait !...

Mais non, - ma jeunesse est finie ...
Adieu, doux rayon qui m´as lui, -
Parfum, jeune fille, harmonie ...
Le bonheur passait - il a fui !
       Gérard de Nerval, Odelettes, 1832
Lien : Enregistrements pirates ( Philippe Delerm )


Illustration : Seurat Etude pour la Grande Jatte

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4 décembre 2008 4 04 /12 /décembre /2008 14:49


Il est des jours sans, où rien ne vient, faits de vides et de langueurs monotones. Le gris triste qui m´entoure depuis plusieurs jours y est sans doute pour quelque chose. J´ai pu cependant me concentrer sur quelques poèmes lus et relus. Je me contenterai d´en recopier un pour m´aider à continuer vaille que vaille mon jour qui semble s´étirer sans fin. Il est de Tarjei Vesaas, que j´ai cité plusieurs fois ici et et que je considère parmi un des plus grands du XXe siècle en Norvège

            Ainsi fut le rêve


- - - le début
n´est pas ici,
la fin

est cachée,
aucun répit dans cela,
dans le courant.
L´esprit est tourmenté

par des choses insaisissables,
insaisissables

comme l´odeur de la pluie du matin
après son passage,

indicibles

comme la vue de la neige du printemps
sur les anémones blanches,
faibles

comme un esprit dans l´espace seul
et amères
comme les mots impossibles
et trop tardifs,

amères
comme l´idée qu´en ce moment
tu es en train de t´étirer
devant le reflet
d´un indiscible soleil
dans ta spendeur

que personne ne verra.


in Tarjei Vesaas Lisières du givre (recueil Coup de chance pour les voyageurs (1949).  Traduit du néo-norvégien par Eva Sauvegrain et Pierre Grouix (Ed. Grèges, 2007).


Illustration : Alfred Sisley Le Brouillard 1874

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27 novembre 2008 4 27 /11 /novembre /2008 12:32

Rien n´est plus difficile que de parler d´un livre simplement écrit et magnifique dans sa construction et ses mots. Les AnnéesAnnie Ernaux est en tous points admirable. ( Gallimard, 2008, 242 pages, 17 € ). Il est sans doute le plus beau, le plus parfait, le plus abouti de tous ses écrits qu´elle nous a laissés. Il est aussi le plus ambitieux : c´est un "livre total", à placer à côté d´oeuvres aussi accomplies qu´Une vie de Maupassant, que Je me souviens et La Vie mode d´emploi de Perec et aussi d´À la recherche du temps perdu de Proust

Dans ce livre dont la couverture ne précise pas le genre, il ne s´agit rien de moins que de retrouver de manière fragmentaire les traces qui sont autant les siennes que les nôtres; en s´efforçant de gommer son moi le plus intime, car elle sait pertinemment que sa personne est insignifiante au regard de l´Histoire.

Ce qu´elle veut sauver, ce sont certes des gestes, des attitudes et quelques expressions de ceux et celles qui ont partagé son univers quotidien, mais plus encore une certaine lumière présente lors des récits des dimanches d´enfance (Avant dernière page).

L´ouvrage s´ouvre sur une certitude : Toutes les images disparaîtront. Il se termine sur un mieux à peine audible : sauver quelque chose du temps qui ne sera jamais plus. Entre les deux, passe le temps que des photos ont figé, qu´elle nous décrit brièvement, mais qu´elle ne nous donne pas à voir : sépia et ovale d´abord, noir et blanc ensuite, cassette-video enfin, - après avoir été couleurs et film de famille. Elle ne dit pas "je", mais "elle" ou "nous" , - et plus encore "on". Et derrière ces pronoms indéfinis, impersonnels et collectifs, c´est tout le quotidien des gens de peu qu´elle restitue : gestes, attitudes, façon de marcher, mots patoisants et autres expressions qui disent la fatigue comme l´orgueil et la blessure : "On prendra bien le temps de mourir, allez ! Ou encore : "C´est pas parce qu´on est de la campagne qu´on est plus bête que d´autres.

Mais aussi , ce qu´elle restitue sans fards, c´est la situation des femmes et leur sexualité : les règles, les premiers rapports, la peur d´être enceinte ; -  et beaucoup plus tard, après avoir lu Simone de Beauvoir, le sentiment que l´infériorité de la femme ne disparaîtra jamais puisque le malheur sera toujours d´avoir un utérus. D´autant qu´avec l´apparition du sida et l´insulte que le préservatif sorti brusquement du sac pouvait être pour le partenaire, le jouir sans entraves et la liberté sexuelle étaient impraticables.

Reste les repas du dimanche, véritables arrêts sur image et rites immuables malgré l´évolution des menus, les manières de tables qui changent et les conversations qui évoquent de moins en moins la guerre et les privations. De petite fille qui devait se rasseoir pour le dessert, elle est devenue mère de deux enfants, femme divorcée qui cachait son amant, agrégée des Lettres, puis grand-mère elle-même, enserrant d´un bras un enfant et s´imaginant ainsi évoquer un tableau de transmission familiale. Revient alors aussi le sentiment de culpabilité enfin surmonté : celui qu´elle aurait pu trahir sa classe en passant l´agrégation.  

Reste enfin le dispositif pour dire ce temps retrouvé : le montage de choses vues ou entendues dans la rue, la queue des super-marchés, les wagons bondés du métro ou du RER, le parler des petites gens, les refrains retenus, les expressions populaires, les publicités, - et qui resplendissent du début à la fin en un fond sonore venant de l´enfance sauvegardée. Merveilleux retour en arrière que les pages non écrites de la fin nous invitent à compléter.

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24 novembre 2008 1 24 /11 /novembre /2008 13:17

Qui ne connaît Littré ? Sa photo le montre en homme austère et raide, assis bien droit dans un fauteuil au dossier ovale, la main cachée sous un gilet, les yeux cerclés de petites lunettes rondes. Un homme de sciences, donc. Lexicographe,  philologue, grammairien, et vers la fin de sa vie, Académicien et homme politique. Avant tout et de tous temps, positiviste. Et aussi, non pas selon Taine mais Pasteur interposé, Saint laïc. Mais quid de  l´homme ?

Alain Rey, l´homme du Grand et Petit Robert, vient d´ajouter à la biographie de l´homme Littré un récent chapitre. Bernard Pivot, à l´affût de tout ce qui concerne les bons mots, en a rendu compte dans une chronique plaisante. La voici rapportée. "Littré se livre à des débats indécents avec une domestique, qu´on imagine jeune et accorte. Sa sérieuse épouse s´en avise et, choquée, mais sans perdre son sang-froid : "Monsieur, je suis surprise". À quoi le philologue réplique : "Non, madame. Vous êtes étonnée. C´est nous qui sommes surpris." 

Le plus étonnant à mes yeux, - sinon à mes oreilles - , n´est pas tant l´anecdote elle-même que le moment où on la rapporte, à savoir 2008. Le XVIIIe était plus leste : Pangloss ne dédaignait pas de donner une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre ( ... ), petite brune très jolie et très docile. Fallait-il donc attendre si longtemps pour dévoiler un bon mot du grand homme ? Il avait certes raison de refuser de suivre l´Académie qui faisait à ses yeux trop grand cas de "la politesse de la langue",  mais il me semble qu´il aurait pu aussi, comme Furetière "en faire voir l´abondance", et donc introduire dans le dictionnaire l´expression amours ancillaires que l´on trouve dès 1855 dans les Causeries du Lundi de Sainte Beuve.

Peut-être par pudeur et retenue cherchait-il à mettre une distance entre la chose et les mots. Felix culpa. Sans doute aussi une manière de s´adapter aux moeurs et aux circonstances : Tempori servire.

 

Mais il paraît que c´était aussi un bout-en-train farfelu et excentrique. N´était-il pas  l´inventeur du gadget qui, placé dans la paume de la main et retenu par une bague passée à l´annulaire, faisait bzzz quand on pressait la main pour dire bonjour ?

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