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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 08:56


Je viens de terminer de lire L´Homme sans postéritéAdalbert Stifter ( Phébus Libretto, 2004 [2008], 146 pages, 6,90 € ), traduit et pésenté par Georges-Arthur Goldschmidt. J´ai certes été vaguement autrefois  germaniste, mais, je n´ai appris l´existence de cet Adalbert Stifter que depuis peu : depuis que j´ai lu la série de conversations intitulée Un enfant aux cheveux gris que Georges-Arthur Goldschmidt a donnée à Francois Defay, et, bien évidemment aussi, Philippe Jaccottet, qui a avoué son admiration pour la traduction de Georges-Arthur Goldschmidt.

Bien m´en a pris : ce texte est magnifique. Ce n´est pas pour rien que Nietzsche et Peter Handke, chacun différemment, le recommandaient. La traduction coule de source comme l´eau claire et désaltérante d´un ruisseau de montagne ; et la présentation, tout en étant éclairante, laisse volontairement dans l´ombre certains aspects du texte pour laisser à chacun la possibilité de se livrer à sa propre interprétation. Derrière en effet la simplicité du style se cachent une angoisse, une agitation intérieure et une violence souterraine que même les personnages secondaires laissent apparaître à diverses occasions. C´est du très grand art. À chacun, selon les pages et son âge, de privilégier cette " aube éclatante et libre " de l´adolescent Victor, ou au contraire " le déclin [ et ... ] le passé douloureusement imprimé sur chaque trait. en caractère tantôt de jouissance, tantôt d´envie " d´un vieil oncle célibataire qui vit solitaire au milieu de vieilleries poussiéreuses et des oiseaux empaillés, mais soucieux d´alimenter en humus ses fleurs et ses arbres fruitiers.

L´homme sans postérité est un roman de formation et d´apprentissage, genre bien allemand depuis Goethe.

Victor, adolescent, a le désir d´être soi. L´oncle a certes été un homme admirable, mais il a aussi toujours été dur et rugueux, ce qui explique qu´il n´ait trouvé femme qui veuille de lui. Il se souvient pourtant que jeune le désir l´habitait. Il vit désormais cloîtré dans un ancien monastère construit sur une île d´où ne retentit aucune cloche d´église, au milieu d´un lac de montagne qui offre à Victor un paysage d´une " terrifiante beauté ".

Le vieillard désire rencontrer son neveu Victor. Celui-ci met près de dix jours pour gagner à pied l´île où vit l´oncle retiré de tout. Si le vieillard lui a imposé de faire le voyage à pied, c´est pour le " familiariser quelque peu avec le grand air, la fatigue, la domination sur [ s ] oi-même ". Cette marche, vrai cheminement initiatique, lui ouvrira le coeur.

Les paysages de moyenne montagne se succèderont les uns aux autres avec au loin la plaine, et devant, les cimes neigeuses qui se profilent à l´horizon. Adalbert Stifter est bien issu du siècle des Lumières et du Sturm und Drang. Ces paysages ( ne parlons pas de nature ) sont de vrais personnages avec leur végétation, l´éclairage, la qualité de l´air. En s´approchant de l´île, " Victor croyait à tout moment qu´on allait enfin descendre, mais le chemin continuait à progresser le long d´une pente qui semblait toujours rester la même, comme si la forêt reculait sans cesse, et repoussait sans cesse le lac devant elle ".

L´oncle n´est pas commode. Il heurte Victor par son silence et la rudesse de ses manières. Victor se fermera d´abord en lui-même pour s´opposer à l´oncle par l´indifférence. Mais à force de s´épier, tous deux découvriront peu à peu la tendresse qui les habite en se heurtant l´un à l´autre. Après presque six semaines de vie commune sur cette île retirée du monde, Victor quittera son oncle sans pouvoir retenir ses larmes. L´oncle, quant à lui, avant de lui tourner le dos pour regagner sa demeure, émettra " un râle sourd et étrange, comme un sanglot ".

L´oncle, visiblement, aurait voulu être ce père que les circonstances de la vie ne lui ont pas permis d´être. Devenu immensément riche, plein de largesses pour les choses de la table, mais, regardant pour tout le reste, il s´est toute la vie soucié du bien être de son neveu : Victor recevra tous ses biens en héritage afin qu´il puisse ce " qui s´appelle vivre et jouir ". Jouir de la vie que lui, vieillard sans héritier, vieillard sans postérité, est bien obligé de quitter.

Quatre ans plus tard," l´oncle, malgré les prières de Victor qui était allé lui-même l´inviter ", n´assistera pas au mariage de son neveu, " car, comme il l´avait dit lui-même, tout, tout était trop tard, et ce qui avait été manqué ne pouvait être rattrapé ".

Ce texte magnifique et remarquablement traduit ne met pas seulement en scène une âme blessée de solitude, il permet aussi au lecteur de lui révéler, grâce aux mots utilisés en toute parcimonie, ce que la poésie et la psychanalyse peuvent donner quand elles se rejoignent, tels - comme l´affirme Georges-Arthur Goldschmidt dans sa belle présentation qui n´ouvre ( encore une fois ) que deux ou trois pistes parmi d´autres - les meilleurs contes de Grimm. 

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