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26 juin 2008 4 26 /06 /juin /2008 12:46

La Dameuse
, d´Alina Reyes ( Zulma, 2008, 53 pages, 7,50 € ), est une nouvelle qui a trois parties : Viol ; Vengeance ; Vie.

Le viol est assez immotivé un soir de Noël dans les Pyrénées. La vengeance, plutôt vicelarde, est accomplie avec une dameuse. La vie est une nouvelle aube, une nouvelle Victoire, avec un Baptiste retrouvé, sans doute dans une steppe d´Asie centrale.

Texte bizarre, - où les petits noms des personnages jouent un rôle aussi important que la neige immaculée puis souillée : Marie-Rosella, Baptiste, Jean-Loup l´enfant sauveur, un cheval nommé Aubère, Marto taillé comme un ours.

Gilles et l´autre, les assassins.

Et la neige qui dit à Marie qu´elle la vengera.

Bien que bizarre, ce texte n´est pas sans charme. Mais Alina Reyes, au fil des ans, a pris de l´âge et des rides. Rien à voir avec Louis Calaferte.

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25 juin 2008 3 25 /06 /juin /2008 12:33

Cher Papa,

J´ose enfin t´entretenir du dernier ouvrage de Michel Onfray Le Songe d´Eichmann, pièce en un acte d´une cinquantaine de pages, et qui est précédée d´un court article philosophique de 30 pages environ et  relativement facile à lire Un kantien chez les nazis.

Je n´ai trouvé aucun livre de philosophie dans la bibliothèque que tu as laissée rue Beaugrenelle. Je ne sais donc pas si tu as une connaissance, sommaire ou non, de Kant. Mais, pour tout un chacun, Kant a toujours été considéré comme un philosophe hautement "moral" issu du siècle des Lumières que l´histoire de la philosophie donne à lire, et que les professionnels de la philosophie du Secondaire et de l´Université expliquent à leurs élèves et leurs étudiants.

Rien de vraiment tel pour Michel Onfray qui, depuis plusieurs années déjà, explore les "angles morts" de la philosophie officielle universitaire.

Il faut que tu saches que ce n´est que depuis peu que j´ai appris l´existence de ce Michel Onfray. Honnêtement, si tu le connaissais, je doute que tu puisses l´apprécier, tant du point de vue purement philosophique que pour ses analyses métaphysiques et religieuses, et plus encore pour ses prises de positions politiques, car il est excessif. Très excessif, même. Mais, ne déplaise à certains, il n´est ni sophiste, ni falsificateur. Il n´est donc pas insignifiant. Il dérange, il irrite, il agace, cela est certain. Il est sans doute même aussi provocateur. Cela ne dispense pas de le lire, bien au contraire. 

Pour Michel Onfray, en matière d´éthique, comme en politique, - et je crois qu´il a raison sur ce point -, il manque au kantisme le droit de désobéir, le droit de résister à l´oppression, le droit de dire non à la loi inique, le droit de récuser le droit de classe ou de caste. Autrement dit, si je comprends bien - mais Michel Onfray n´utilise pas le mot - le droit de recourir à la violence.

Qu´en est-il pour toi, toi le résistant, toi le passeur d´armes aux républicains espagnols ?

Il est admis que Rousseau a profondément influencé la conception kantienne de l´autonomie avec cette formule du Contrat social : " L´obéissance à la loi qu´on s´est prescrite est liberté".

Mais qui est cet "on" ? Le législateur ? Les gouvernants ? Le Peuple souverain et Volonté générale ? Peut-il être, cet "on", le simple individu que je suis dans ma vie privée ? Peut-il l´être aussi dans ma vie de citoyen, "simple" ou non ?

C´est évidemment Diderot qui a raison :

 "La puissance qui s´acquiert par la violence n´est qu´une usurpation et ne dure qu´autant que la force de celui qui commande l´emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que, si ces derniers deviennent à nouveau plus forts, et qu´ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l´autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l´autorité la défait alors : c´est la loi du plus fort".

Mais qu´en est-il chez Kant ?

Evoquer l´injonction évangélique "Aimez-vous les uns les autres" ne suffit pas, que l´on soit ou non chrétien. Pour moi, parler d´ "intériorisation de la loi civile" dans la personne et sa vie morale non plus.

As-tu une réponse à cette question que je pose ? 

J´admets que le simple individu ne puisse seul s´opposer à l´inique et l´injuste par la violence. Mais comment acquérir une légitimité ? Comment, pour à nouveau faire référence à Diderot, ceux qui subissent la loi inique du plus fort peuvent-ils "secouer le joug" sans parfois utiliser la violence ?

Quel était pour toi l´essentiel dans ta résistance au nazisme et à la collaboration ? Ton jugement ? Ta raison ? Ta conscience ?

Comme j´aurais aimé recevoir de toi ne serait-ce qu´un balbutiement de réponse. Eventuellement, un serrement infime des lèvres ou un clignement quasi imperceptible des yeux. On n´a pas toujours réponse à tout. Toi, pas plus qu´un autre. Je ne peux cependant m´imaginer que tu aurais délibérément changé de conversation comme le père dans le roman de l´écrivain allemand Bernhard Schlink Le liseur

Je serai dans une semaine deux jours à Bilbao pour voir le musée Guggenheim et parcourir ses salles. Puis 15 jours dans un gîte rural entre Biarritz et Bayonne. De là, il est possible que nous retournions en voiture, Anita et moi, en Espagne pour voir Santander, San Sebastian et même Pampelune. Mais rien n´est sûr. Puis nos gagnerons Bordeaux pour directement nous rendre à Oslo. De là, Anita continuera seule jusqu´à Bodø. Je ne manquerai pas de t´en parler dans une prochaine lettre si tu souhaites avoir quelques détails.

Je t´embrasse affectueusement,

Ton fils Bernard


        

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24 juin 2008 2 24 /06 /juin /2008 13:19
Le Songe d´Eichmann de Michel Onfray ( Galilée, 2008, 95 pages, 17 € ) est, comme tout ce que publie et écrit ce philosophe, un ouvrage qui dérange.

Il y a deux parties qui se complètent. La première, Un kantien chez les nazis, se veut un article philosophique d´une trentaine de pages accessible à tous. La seconde, Le Songe d´Eichmann, est un pièce en un acte de cinquante pages environ qui met en scène Eichmann et Kant avec, quasiment silencieux, un Nietzsche qui se contente d´opiner du chef ou de marmonner pour lui seul quelques répliques d´un ou deux mots.

Il serait trop simple de jeter cet ouvrage aux orties. Il faut le lire et le relire. Il est double, trouble et terriblement dérangeant. Mais pas déplaisant.

Bien qu´iconoclaste dans maints domaines, Michel Onfray, n´en déplaise à certains, n´est ni sophiste, ni falsificateur, mais un lecteur qui s´efforce de réhabiliter les philosophies oubliées en toute liberté, notamment quelques "angles morts" de la philosophie officielle universitaire.

Eichmann, dans sa défense, met en avant ce que tout fonctionnaire zélé a toujours fait : son devoir de serviteur de l´Etat. Qu´on relise, par exemple, le roman La Cliente de Pierre Assouline et plus encore Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Ou que l´on se souvienne de Maurice Papon. Eichmann n´est sans doute pas ce lecteur qui n´a rien compris à la philosophie de Kant comme l´affirme Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem. Il n´est sans doute pas non plus ce lecteur attentif des écrits les plus accessibles de Kant comme Michel Onfray cherche à nous le faire croire.

Il est dommage que Michel Onfray n´ait pas exploré davantage la piste du fils respectueux de la parole du père. Eichmann, tout en refusant de discuter la "motivation" derrière n´importe quelle loi, ne suivait pas aveuglément l´ordre de ses supérieurs hiérarchiques. En revanche, il semble bien qu´Eichmann a toujours respecté l´enseignement et l´autorité d´un père, qui, pour citer Michel Onfray était "comptable, croyant, pieux, dévot, disposant d´une bonne bibliothèque" , qui a siégé "durant plusieurs années au Conseil presbytéral de la paroisse protestante de Linz" ; - et qui lui lisait, en les lui expliquant, des pages entières de la Critique de la raison pratique.

Cet ouvrage est dérangeant et à lire d´urgence car il jette une nouvelle lumière autant sur Eichmann et les zones d´ombre du kantisme que sur l´irritant Michel Onfray qui fait dire à Eichmann que Kant est "plus soucieux des idées pures que des hommes impurs". Ce qui n´est pas tout à fait la même chose que la célèbre formule de Charles Péguy : "Le kantisme a les mains pures, mais il n´a pas de mains".
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23 juin 2008 1 23 /06 /juin /2008 12:35
C´est aujourd´hui le 23 juin. Vu mes convictions, il est impossible que ma mère puisse m´entendre là-haut. Mais en cette date anniversaire qui l´a vu naître il y a plus d´un siècle, elle est bien présente à ma mémoire. C´est dire qu´elle sera vivante aussi longtemps que ceux et celles qui l´ont connue pourront se souvenir d´elle ; et plus encore grâce à ceux ou celles qui ont laissé sur elle un témoignage, aussi insignifiant soit-il.

Je possède d´elle très peu d´objets qui lui ont appartenu. Mais j´ai dans ma chambre, parmi d´autres "objets d´art", un tableautin qui n´a de valeur que celle qu´elle et mon père lui donnaient. La signature est illisible ; je peux toutefois distinguer trois lettres : M.C. D... ( ou B ) ; et le titre Idylle. Il s´agit de deux moineaux blottis l´un contre l´autre sur une branche que le soleil éclaire, Ses amis de toujours - et surtout, bien sûr, ses plus intimes - connaissaient bien ce tout petit tableau.

J´avais aussi pensé pour ce jour anniversaire recopier pour elle un court poème d´Yves Bonnefoy. J´y ai renoncé. Peu importe pourquoi. J´y voyais un sens illustrant une certaine quête de la présence, une attention aux choses simples de la vie. Un poème sur lequel on a écrit qu´ Yves Bonnefoy, par " le dialogue d´angoisse et de désir ( ... ) tente avec l´aimée, de vivre ici au soleil du soir, sous l´arbre et ses fruits, loin de la guerre".

J´oserai aussi associer à ce poème une statuette de Giacometti réunissant trois silhouettes filiformes. Elles ne marchent pas ( ou ne marchent plus ). J´y vois deux hommes qui regardent une femme.

Je trouve étonnant que ma mère, née la veille de la Saint-Jean, ait épousé un homme né le jour de Noël, quand on sait le couple éminemment constrasté que constituent la Saint-Jean d´été et la Saint-Jean d´hiver. Ma cousine Madeleine, catholique extrêmement fervente mais non bigotte, y a sans doute vu un signe. Elle m´a souvent dit qu´elle aimait rencontrer mon père et parler avec lui, non de tout et de rien, mais de choses et d´autres. Cela prouve qu´en bavardant simplement, ils réussissaient peut-être à saisir et arrêter, ne serait-ce qu´un instant, ce qui est fugitif.
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19 juin 2008 4 19 /06 /juin /2008 14:14
Le langage des fleurs est autant une énigme qu´une source de joie. Encore faut-il, surtout en francais, avoir quelques notions de grec et de latin.

Connaître le nom usuel peut souvent être utile mais ce n´est pas toujours le cas ; ainsi de myosotis qui signifie "oreille-de-souris", de ous,ôtos ( = oreille ) et mus ( = souris ).
Je veux bien admettre que la forme des feuilles rappelle celle des oreilles de souris mais je n´ai jamais vu des souris bleues, blanches et encore moins roses.

J´ai longtemps cru que le nom dano-norvégien forglemmegei ( = ne m´oublie-pas ) renvoyait - comme d´ailleurs l´anglais forgot-me-not ou l´allemand Vergissmeinnicht - à la simplicité de la fleur, éventuellement sa modestie, comme pour la violette, car, comparée à d´autres fleurs plus majestueuses et compliquées, on pouvait la négliger.

La légende qui est à l´origine de son nom ne laisse pas de surprendre : un chevalier en armure, voulant se pencher pour cueillir une fleur et l´offrir à sa dame, tomba dans la rivière. Avant de se noyer il eut cependant le temps de crier à sa dame : "Ne m´oubliez-pas !" Notez, je vous prie, le vouvoiement ( pour éviter le vous(s)oiement ).

Après la Seconde Guerre mondiale, les Francs-macons allemands de la Grande Loge Unie ont adopté le myosotis comme emblème pour rappeler leur sort peu enviable qui a été le leur durant plus d´un siècle, notamment durant l´époque nazie. Ma mère, franc-maconne et qui aimait les fleurs, le savait peut-être.



Si un jour je devais perdre la mémoire, j´espère avoir le temps de m´affilier à la Société Alzheimer qui a adopté le myosotis comme symbole.

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18 juin 2008 3 18 /06 /juin /2008 13:03
Cher Papa,

La tempête a soufflé ces jours derniers. Je sais ce que la mer était pour toi : un élément qui permettait de te ressourcer. Il m´arrive à moi aussi de la rechercher.

J´ai lu d´un trait hier, dès sa réception à la poste, la pièce Le Songe d´Eichmann du philosophe Michel Onfray, précédée de sa courte étude critique Un kantien chez les nazis. Il est encore trop tôt,
comme promis, de t´en parler. Il me faut les relire pour m´en faire une meilleure idée.

Entre temps, je citerai en son entier un poème de Florence Trocmé que j´ai retrouvé à ton attention :

                                                Mer  Vent  Pluie

       La mer, la mer, tout près, haute ce soir et le vent et la pluie, mer vent pluie
       qu´en dire de plus, trio mer vent pluie, sons sourds, rafales, grondements.
       enchevêtrements de sons [ l´oreille peine à les démêler ]. Mer vent pluie
       que peuvent dire les mots de ces mots ressassés vague après vague,
       rafales après rafales, goutte après goutte, l´épuisé des représentations,
       la fin des images, le sur-saturé des mots mer vent pluie, pour chacun 
       et pour tous, mer vent pluie, comme reprendre ces mots-là, comme les
       ranimer [ soins intensifs impossibles, ne tiennent pas en place, se dérobent
       dès que l´on veut les traiter, font le mort ] alors quoi faire avec mer vent pluie 
       sinon écouter la mer, écouter le vent, écouter la pluie, ne pas oublier, ne pas
       oublier leur existence. Mer - vent - pluie. Menacés & menaces.
                                                                                                Dans 365 sons

Je t´embrasse très affectueusement,

Ton fils Bernard
                                                 ----------------------
[ Photo : Erik Nicolas ]
                                                 ----------------------
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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 13:59

Je viens de relire rapidement les Rêveries du promeneur solitaire que Rousseau a écrites les deux dernières années de sa vie, de 1776 à 1778. Ecrites pour lui-même et pour son amélioration morale, elles doivent être comprises comme un appendice des Confessions. L´ objectif est cependant fort différent. Rousseau ne se paye plus d´illusions sur le bonheur embelli des Livres I à VI des Confessions. L´inquiétude et le besoin maladif de se justifier des livres suivants VII à XII sont par ailleurs dépassés. Il est à Paris et ses environs immédiats, - et se contente de peu.

Il décrit l´automne et la campagne, en partie défeuillée et déja presque déserte. Il décrit son retour à la vie après avoir perdu connaissance à la suite d´une chute qu´un chien courant avait provoquée ; ce qui rappelle Montaigne et sa chute de cheval. Surtout, il se peint lui-même et ne cherche plus qu´à "passer le reste de [s]es jours à vivre au jour la journée, sans plus [ ] occuper de l´avenir". Il arrive presque à oublier ses détracteurs et ennemis, " les directeurs de [s]a destinée."

Jamais sans doute Rousseau n´a été aussi près de sa vérité.

Il revient sans s´attarder sur certains moments qui lui sont douloureux comme le mensonge et le ruban de Marion. S´il admet qu´il peut y avoir dans Les Confessions des inexactitudes, il sait que "jamais la fausseté ne dicta [s]es mensonges."

Son goût d´herboriser est sincère, et ses regrets de n´avoir pu rester que deux mois à peine sur l´île de Saint-Pierre, au milieu du lac de Bienne en Suisse, sont peut-être les meilleures pages de ses rêveries. Seul avec lui-même, il n´a plus à s´efforcer de tenir à mille choses à la fois; il ne s´appuie que sur lui-même.

Baudelaire rêvera plus tard, avec ses Petits poèmes en prose, " le miracle d´une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s´adapter aux mouvements lyriques de l´âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience".

Il se pourrait bien que ce soit ce Rousseau des deux dernières années de sa vie qui ait le mieux cotoyé ce rêve.





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16 juin 2008 1 16 /06 /juin /2008 12:59

La Place Solli à Oslo ( = Solli Plass, ce qui sans doute signifie "La Place de la pente ensoleillée", )  a deux surnoms : "Le quartier anglais" ( = Det engelske kvarter ) et, selon la langue populaire, "La place des dandys" ( = Lapsetorvet ).

Plus personne ou presque ne sait aujourd`hui pourquoi cette place a recu ce nom et surtout ces surnoms, depuis notamment qu´un ensemble d´immeubles au style nouvelle renaissance de la fin du XIXe siècle a été rasé dans les années 1960 pour mettre en lieu et place des bâtiments d´un tout autre style. À cause des trois magnifiques statues à signification symbolique qui la décorent désormais, et qui sont celles de Gunnar Sønsterby, de Winston Churchill et de "L´ homme à la clef" d´Auguste Rodin, je propose qu´on lui donne, sinon un nouveau nom officiel, du moins un nouveau surnom, celui de "La Place des résistants"
( = Motstandsmenns plass ). Aux habitants du quartier et aux élus locaux de se prononcer. 

La première statue que les autorités municipales ont placée là a fait coulé beaucoup d´encre en son temps (1901-1902). Il est difficile aujourd´hui de découvrir cette sculpture car elle est située sur le côté de la place qu´aucun piéton n´emprunte vraiment. C´est "L´homme à la clef" d´Auguste Rodin, qui, au XIVe siècle, s´était joint à cinq autres bourgeois de Calais, pour se rendre, la corde au cou et les clefs de la ville en mains, au souverain Edouard III d´Angleterre qui assiégeait la ville, - et déliver ainsi ses habitants d´une mort certaine.

Frits Thaulow, peintre fort connu à l´époque, particulièrement préoccupé de la place de l´art dans la capitale Kristiania, avait proposé que "L´homme à la clef" orne un parc. Christian Krogh, peintre encore plus connu, lui avait emboîté le pas en allant plus loin : la statue de Rodin méritait d´occuper un emplacement central en ville.

Gustav Vigeland, sculpteur de renom, s´y opposa fortement, appuyé du grand Bjørnstjerne Bjørnson. Cette statue n´avait pour eux rien à faire dans la capitale, pour la bonne raison que la sculpture n´était aucunement reliée à l´histoire de La Norvège. Elle ne pouvait, tout au plus, que se trouver entre les murs d´un musée. Le compromis trouvé fut la place Solli, dans la rue Sommerro, en 1902.

Depuis lors, deux autres statues ornent cette place sur le trottoir d´en face de la rue Sommerro, fort animée, - et qui mène logiquement à la rue Henrik Ibsen, la Place du 7 juin et juste après les "Champs Elysées" norvégiens, la rue Karl Johan peinte par Edvard Munch.

La première de ces statues est celle de l´inflexible et vieux renard Winston Churchill, résistant de la première heure aux envahiseurs nazis. Elle est due à Ivor Roberts-Jones et identique à celle que l´on trouve à Londres à proximité du Palais de Westminster sur le "Parliament Square".

La seconde est du sculpteur Per Ung et représente un héros national appuyé sur son vélo, le résistant le plus décoré de Norvège, Gunnar Sønsterby. Sa statue a été dévoilée en présence du Roi en mai 2007.

Une plaque bleue aux lettres blanches précise sur un mur du bâtiment près de la statue de Gunnar Sønsterby : "Ici se trouvait "le quartier anglais" - Ensemble d´immeubles de style nouvelle renaissance construit en 1885-1886 - Architectes : Bernhard Steckmest, Paul Due - Rasé en 1962-1963". Fort bien.

Les Statues de Winston Churchill et de Gunnar Sønsterby sont bien plus en vue que cette plaque. Et connues de tous. Fort heureusement. Elles évoquent pour tous une période cruciale de l´histoire du pays.

Je crois comprendre pourquoi "on" les a mises là, face à "L´homme à la clef" d´Auguste Rodin. Peut-être serait-il judicieux, si mon explication est juste, que les autorités municipales ou des journalistes influents l´expliquent davantage. Les trois statues, chacune différemment, évoquent une résistance à des envahisseurs.
                                                         ------------------
( Photos personnelles )

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15 juin 2008 7 15 /06 /juin /2008 10:53


Les Elégies de Duino
de Rainer Maria Rilke viennent d´êtres publiées dans une magnifique traduction accompagnée d´une éclairante postface, toutes deux signées du poète et traducteur Philippe Jaccottet ( La Dagona, Genève, 2007, 115 pages, € ). La postface est indispensable pour qui veut appécier à leur juste valeur ces dix élégies écrites sur une période de dix ans.

Philippe Jaccottet, - différemment de Paul Celan qui considère la traduction "un dialogue qui chemine"-, nous explique en poète-traducteur la "cosmogonie" de Rilke.

Au premier étage se trouvent les "choses" comme les arbres et les fleurs, ainsi que les objets manufacturés comme la cruche, le pont, la fenêtre, la fontaine. Rilke préfère d´ailleurs les nommer "choses d´art" ( Kunstdinge ) plutôt qu´"oeuvres d´art" ( Kunstwerke ), en référence à Auguste Rodin qu´il a bien connu. À l´étage au-dessus se trouvent les "bêtes" - la "créature" ; ainsi l´oiseau qui habite l´"Ouvert", "cet espace idéal (...) où, sans doute, la mort serait comprise et qui ne connaîtrait ni murs, ni fontières". L´étage suivant est celui des humains. Il y aurait les "saints" et les "héros", comme le danseur de la Quatrième élégie qui n´est plus qu´un bourgeois déguisé, ou l´acrobate de la Cinquième, virtuose douloureusement vide; mais aussi les "délaissées" avec lesquelles Rilke a tant correspondu, qu´il nomme les "Liebende", et que Philippe Jaccottet, en scrupuleux traducteur, ne sait s´il doit les nommer "amoureuses", "amantes" et même "aimantes". L´étage le plus élevé est "celui où l´on aurait jadis logé Dieu ou les dieux" et dans lequel Rilke se contente d´imaginer ses "anges"

Au fil des élégies, Rilke chante sa plainte, posant maintes et maintes questions dont la première d´entre elles est le premier vers de la Première Elégie :

     Qui, si je criais, m´entendrait donc, d´entre /
     les ordres des anges ?
     Wer, wenn ich schriee, hørte mich denn aus den Engel /
     Ordnungen ?

Seul un poète comme Philippe Jaccottet peut traduire un autre poète :

     Nous apprenons à fleurir et faner en même temps.
     Blühm und verdorrn ist uns zugleich bewusst.

La question essentielle est de savoir comment échapper à la "facticité" de notre condition. La Septième et la Neuvième Elégie semblent nous donner une réponse : c´est en trouvant le chemin des choses simples en ce monde : 

     le simple, tout ce qui, modelé d´âge en âge,
     vit comme nôtre, à portée de la main et dans nos yeux.

Mais c´est peut-être dans la Deuxième Elégie, - et non dans la Neuvième, un peu trop éloquente selon Philippe Jaccottet -, que Rilke a le mieux dit le "simple", le "tout proche" et le "terrestre", rejoignant presqu´ainsi "à sa facon le voeu qui avait été celui d´Hölderlin de s´élever de l´élégie jusqu´à l´hymne, de la plainte isolée jusqu´à la célébration chorale " :

     Réussites premières, favoris de l´univers,
     chaînes d´alpes, crêtes roses d´aurore
     de toute Création - pollen de la divinité en fleurs,
     attaches de lumières, couloirs, degrés, trônes,
     espaces faits d´essence, pavois de plaisirs, tumulte
     de tempétueuse extase et soudain, isolés,
    
miroirs : où la beauté qui d´eux ruisselle
     est puisée et rendue à leur propre face.

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14 juin 2008 6 14 /06 /juin /2008 10:24


Dans le café de la jeunesse perdue,
le dernier Patrick Modiano, est un roman de la fuite ( Gallimard, 2007, 149 pages, 14,50 € ). Il ne tient pas toutes ses promesses.

C´est le récit d´ êtres sans repères, d´êtres que l´on croise dans un bistrot, au coin d´une rue, dans divers quartiers parcourus au hasard. Des êtres qui cherchent et qui se cherchent mais qui veulent aussi oublier. Surtout Louki, née Jacqueline Delanque épouse Choureau que racontent quatre différents narrateurs.

Chacun livre des bribes de son histoire et en partie la leur, sans vraiment se comprendre et moins encore saisir quelque chose de palpable de Louki. Pourquoi s´est-elle mariée avec ce Choureau qu´elle n´aimait pas et qui habitait un rez-de-chaussée à Neuilly ? Et pourquoi fréquenter le Condé, café situé dans les parages du carrefour de l´Odéon alors qu´elle et sa mère, qui travaillait au Moulin Rouge, vivaient près de la Place Blanche ? Et pourquoi se rendre parfois à Auteuil ?

"Elle voulait s´évader, fuir toujours plus loin, rompre de manière brutale avec la vie courante pour respirer à l´air libre. Et puis il y avait aussi cette peur panique, de temps en temps, à la perspective que les comparses que vous avez laissés derrière vous puissent vous retrouver et vous demander des comptes."

Il y a dans ce roman sur les rues de Paris des années soixante une part de mystère. La fin tragique ne fait que l´épaissir. 

A chacun, de découvrir ou non une parcelle de ce Paris, que semble parfois hanter un Maigret sans rondeurs ou sans pipe, ou même un Cartier-Bresson qui aurait dédaigné de prendre la moindre photo.

Assez décevant, et pourtant très modianesque.

( Illustration à droite : Le Moulin Rouge par Ron )

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