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22 novembre 2008 6 22 /11 /novembre /2008 09:34

Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke que l´on trouve dans la collection scolaire Folioplus,(2006, 155 pages) est accompagné d´un dossier pédagogique établi par Dorian Astor et de l´analyse du BaiserAuguste Rodin par Alain Jaubert. Aucune de ces aides, aussi bienvenues soient-elles, n´épuisent en fait les lettres de Rilke. C´est dire qu´elles gardent toutes leur mystère.

À vrai dire, elles ne contiennent aucun conseil, mais possèdent une exigence, un souffle, un appel, qu´il est difficile d´ignorer : comment concilier la nécessité d´une solitude propre à tout créateur et le désir d´amour qui l´étreint ? 

Je me contenterai donc de quelques citations :

Une oeuvre d´art est bonne qui surgit de la nécessité. ( Première lettre )

Pour les choses les plus profondes et les plus importantes, nous sommes inqualifiablement seuls. ( Deuxième lettre )

La solitude qui enveloppe les oeuvres d´art est infinie, et il n´est rien qui permette de moins les atteindre que la critique. ( Troisième lettre )

Dans une seule idée d´un créateur vivent mille nuits d´amour oubliées. ( Quatrième lettre ).

À vous de compléter ce florilège qui n´engage que moi.

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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 09:34


Les amateurs d´oeuvres rares peuvent être heureux. La collection de pochePoésie /  Gallimard vient en effet de ré-éditer Lettera amorosa de René Char illustré par Georges Braque, suivi de Guirlande terrestre illustré par Jean Arp. L´oeuvre est préfacée brièvement mais avec intelligence par Marie-Claude Char. ( 2007, 70 pages, 6,40 € ).

La première édition de Lettera amorosa, en 1963, était plus que confidentielle. L´éditeur suisse Engelberts de Genève  n´avait en effet tiré l´oeuvre, illustrée de 27 lithographies de Braque, qu´à 200 exemplaires.

L´originalité de cette ré-édition de 2007 est plurielle : elle permet non seulement à tout le monde de prendre connaissance des 27 lithographies de Braque, mais aussi de donner à voir ce qu´il convient d´appeler la première ébauche. Elle est en effet suivie de la reproduction manuscrite de Guirlande terrestre que Jean Arp avait illustré à sa manière en 1952 par 16 oeuvres originales : des papiers de couleur découpés et collés, dont certains, précise Marie-Claude Char, peints à la gouache.

Le texte manuscrit de Guirlande terrestre comporte plusieurs ratures. Il révèle donc l´oeuvre en train de se faire, faite de remords et d´hésitations. Reste que la seconde version, datant de 1953, et illustrée dix ans plus tard par Georges Braque est beaucoup plus forte. Intitulée avec bonheur Lettera amorosa, par allusion à un madrigal de Monteverdi,  (et non plus Guirlande terrestre ), elle montre à la fois le travail et du temps et du plein de l´été, fait de fulgurances et de mûrissements des nuits de feu. Pour preuve cet extrait, sans ébauche aucune :

Chant d´insomnie
                                             

Amour hélant, l´Amoureuse viendra,
Gloria de l´été, ô fruits !
La flèche du soleil traversera ses lèvres,
Le trèfle nu sur sa chair bouclera,
Miniature semblable à l´iris, l´orchidée,
Cadeau le plus ancien des prairies au plaisir
Que la cascade instille, que la bouche délivre.

Et un peu plus tard, dans le texte et le temps, cette autre impatience, adressée à l´Absente par l´Amant :

Quel mouvement hostile t´accapare ? Ta personne se hâte, ton baiser disparaît. L´un avec les inventions de l´autre, sans départ, multipliait les sillages.

René Char n´a peut-être jamais aussi bien mis en lumière qu´ici, dans cette oeuvre qu´un Braque inspiré a illustré par amitié au cours de plusieurs années par touches et retouches successives, ce qu´il a affirmé par ailleurs : à l´origine du poème il y a "le bien-être d´avoir entrevu scintiller la matière-émotion instantanément reine."

[ Illustation 1 : Georges BraqueLe Trèfle (1963 ) ; illustration 2 : Georges Braque : Oiseaux fulgurants (1963) ] - Lien : Galerie Michel Fillon.


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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 15:49


Chez Yves Bonnefoy, le récit en rêve est plus qu´un poème en prose car il procède d´une profonde réflexion sur les pouvoirs du langage. Il n´est donc en rien un signe de tarissement poétique. Il tente bien au contraire d´illustrer par l´image la collusion qu´il peut y avoir entre la logique onirique et la logique de l´imaginaire.

Mimant les articulations propre au rêve fait de condensations, de rapprochements et de raccourcis, il contribue à la saisie d´un "entre-deux". ll lie ainsi des espaces et des temps séparés. Yves Bonnefoy n´oublie jamais que "l´écriture véritablement poétique [estcelle qui se fait l´écoute de l´inconscient. Il tente donc en même temps de mieux saisir une plus profonde réalité faite essentiellement de "brèves durées". Au-delà, la réflexion sur le langage range Yves Bonnefoy parmi les écrivains classiques au sens que Paul Valéry donnait à ce mot dans une étude consacrée à Baudelaire : "Classique est l´écrivain qui porte un critique en soi-même, et qui l´associe intimement à ses travaux".

Yves Bonnefoy n´oublie jamais non plus ce qui, dès sa plus tendre enfance, a été pour lui la peinture : véritable révélation de la réalité

Ce sont sous ces éclairages divers que je lis son "récit en rêve" intitulé La Huppe :

La notion d´un rouge qui serait bleu, d´un dehors qui serait un dedans, d´un tout cela qui serait un corps que des mains , d´une nature inconnue, cloueraient suant à des coussins de ténèbre, passa gracieusement, huppe dans l´air frais, et vint se percher sur une pierre.

  
 

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15 novembre 2008 6 15 /11 /novembre /2008 17:02


Le dernier roman de Didier Daeninckx Camarades de classe (Gallimard, 2008, 168 pages, 15,90 €) est plus que décevant : il est inqiétant. Car au-delà d´un jeu qui se veut tendance, il révèle un goût morbide pour l´enquête policière qui rappelle un peu trop les méthodes staliniennes qu´on croyait révolues depuis longtemps.

Le titre et le thème sont tout à la fois plaisants et alléchants : il s´agit de retrouver, quarante ans après les années de collège, la trace et le parcours de treize à quatorze adolescents de la ville de banlieue d´Aubervilliers, au Nord de Paris, grâce à Internet. Ce qui permet à Didier Daeninckx, issu à peu près du même milieu, de brosser en  deux ou trois pages voire quatre, l´itinéraire qui a été le leur en utilisant le "je" qu´eux-mêmes emploient dans chaque email envoyé. Ce qui semble au premier abord une sorte de photojournalisme rétrospectif amusant. Il s´en faut de beaucoup à vrai dire.

Le lecteur pénètre rapidement dans la culture communiste banlieusarde des années soixante et tout ce qui s´ensuit : l´émergence des événements de mai 68, le désir de s´en sortir en profitant des trente glorieuses encore éblouissantes, les années yéyé ... , ce qui explique les destins aussi divers qu´inattendus de la petite quinzaine de collégiens d´Aubervilliers : un chanteur de charme, un spécialiste de la littérature  francophone aux Etats-Unis, un SDF, un escroc au grand coeur et même un détective privé. La révolte des banlieues de l´automne 2005 est aussi évoquée. Mais le tout reste très superficiel. Il y a plus grave : dès les premières pages du roman, un malaise sans nom se dégage : c´est que la narratrice Dominique Vayon usurpe sans vergogne et sans états d´âme l´identité de son compagnon François. Elle répond à sa place; elle suscite des confidences. Les autres se livrent. Mais elle se tait, se cache, dissimule et ne dévoile rien d´elle-même. Une atmosphère délétère s´intalle d´autant plus vite qu´un inconnu affublé du nom bizarre d´Armhur Tarpin les narge visiblement en montrant qu´il les connaît tous.  Jusqu´au moment où cet inconnu nomme le nom de la narratrice que personne jusqu´à présent n´avait mentionné. La narratrice prend alors peur et décide d´interrompre le jeu en révélant la supercherie à son compagnon. Reste que les deux coups de théâtre qui terminent le roman ne laissent pas d´étonner. 

Je laisse les lecteurs non rebutés par ce compte-rendu peu amène de les découvrir par eux-mêmes.  

Au-delà du jeu sur les identités cachées auquel Didier Daeninckx se livre, c´est peut-être sous l´égide du photographe Weegee qu´il faut lire ce roman, et pas seulement pour son thème-tendance de signer des posts sous un pseudo et d´utiliser le dernier  vocabulaire basique branché rapport informatique...

Pour le meilleur et pour le pire, Weegee - en fait Arthur Fellig - photographiait les plus humbles que le tragique de la vie quotidienne avait broyé - dû surtout aux années noires de la grande dépression américaine. Il arrivait en même temps que les policiers sur les lieux des drames les plus sordides de la nuit de New York,  tels que crimes, accidents, noyades, suicides et incendies. La radio de sa voiture était en effet réglée sur les fréquences de la police. Il photographiait ainsi avant tout le monde le sang qui coulait encore , le pied coincé sous la roue d´une automobile restée encastrée dans une devanture défoncée ou l´arme du crime que le meutrier avait laissé sur le sol. Reste que Weegee (ainsi appelé en référence au jeu mondain consistant à communiquer avec les esprits des défunts ... ) a contribué à éclairer une facette non négligeable de la société américaine de son temps. On ne peut écarter son goût ambigu et morbide pour la mise en scène et l´exploitation de la mort et de la misère humaine. Il n´en est pas moins un photographe qui restitue par ses photos le tragique du quotidien, - tragique que ceux et celles qui le subissaient n´auraient sans doute pas éprouvé s´il n´avait été sur place aussi rapidement pour immortaliser cet instant de son flash.

Didier Daeninckx n´a sans doute pas l´ambition et encore moins le talent du photographe Weegee  qu´il mentionne presqu´en passant au début de son roman. Reste que le jeu de substitution de noms auquel il se livre tout au long de son roman Camarades de classe permet d´y penser. De plus, la manière de conduire le récit ne peut faire oublier ce que l´on sait par ailleurs de Didier Daeninckx : il y a un arrière goût de méthode policière qui ne manque pas d´inquiétrer. Il est possible que je fasse à Didier Daeninckx un procès d´intentions. Mais je n´ai pu m´empêcher de le dire.  Ce roman  ne peut en aucun cas être simplement lu à la manière de ... . Entre nous soit dit : cela n´engage que moi.

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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 07:44


Dans Les Elégies de Duino de Rainer Maria Rilke il y a autant une plainte qu´un sursaut : plainte de sentir que tout vous échappe et se dissipe ; et sursaut que l´écriture des deux premières des Elégies a permis, faisant ainsi sortir Rilke d´une crise intérieure que la cure psychanalytique préconisée par Lou Andeas-Salomé aurait sans doute moins bien résolue. Au-delà de la plainte, Les Elégies formulent aussi le voeu qu´un jour il puisse "dire le simple" et "chanter gloire et joie". Autrement dit, dépasser la déploration pour passer à l´hymne et la célébration ; - ce qui place Rilke aux côtés de Hølderlin.


...Peut-être sommes-nous ici pour dire : maison,
pont, fontaine, portail, cruche, verger, fenêtre -
au mieux : colonne, tour ... Mais dire, comprends-le,
comme les choses mêmes jamais n´ont cru être
intimement.
( Neuvième Elégie, Traduction Philippe Jaccottet, lui-même poète de Ce peu de bruits )

Sans vraiment y atteindre cependant, Les Sonnets à Orphée y tendent aussi. Rilke écrit tous ces sonnets au sortir de la "tempête" qu´a été l´achèvement les Elégies en 1922. Bouleversé par la lettre que lui a écrit une amie sur la mort de sa fille de 19 ans qui se destinait à la danse,Vera Ouckama-Knoop, il a en tête, malgré ses souffrances, son adhésion au Tout du monde. Il ressent donc plus que jamais, lui qui a souffert de ne pas être pleinement ouvert à ce qui perdure dans le présent, de sauver par le chant l´éternité que l´instant peut parfois donner.
Ainsi ce sonnet célébrant le fruit et l´enfance, - que je tiens à illustrer de Pommes, Pêches, Poires et Raisins (1879-1880) de Paul Cézanne (Hermitage, St Petersbourg) :


Pomme replète, poire et banane,
groseille verte ,,, Voilà qui tout exprime
vie et mort dans la bouche ... Je me doute ...
Mais lisez-le sur le visage d´un enfant,

quand il y goûte. Oh ! c´est de loin que cela monte.
Lentement vous vient-il en bouche, l´ineffable ?
Où n´étaient que des mots, ruissellent des richesses
hors de la chair du fruit, surprises, délivrées.

Ce que vous nommez pomme, allez jusqu´à le dire :
cette douceur, qui d´abord se condense
et finement se pose en vous, sur vos papilles,

pour y devenir claire, en éveil, transparente,
nous parlant du soleil, de la terre, d´ici.
L´éprouver, le toucher, en jouir, - ô prodige !
 
( Les Sonnets à Orphée I,13, Traduction : Lorand Gaspar et Armel Guerne )

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8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 11:27


De Charles d´Orléans (1391-1465) on ne se souvient guère que de ses joutes perdues avec Villon , faisant de lui un éternel soupirant éconduit ou écrivant À sa Dame "par un prier qui vaut commandement".

Blessé et fait prisonnier à la bataille d´Azincourt (1415), ce neveu du Roi de France Charles VII restera vingt cinq ans prisonnier en Angleterre "face à Douvre sur la mer".

Contrairement à Villon condamné plusieurs fois à la prison dont une à mort, la vie tragique de Charles d´Orléans ne semble pas avoir joué un grand rôle dans sa poésie. Jacques Roubaud signale cependant, dans la courte présentation qu´il fait de lui dans le très beau recueil Passeurs de Mémoire préfacé par Jean-Baptiste Para (Poésie/Gallimard )qu´il est réducteur de voir en Charles d´Orléans un poète exclusivement lié au vocabulaire amoureux de la séduction courtoise et aristocratique. La mélancolie qu´il nomme merencolie est beaucoup plus que nostagie : c´est une source de désespérance "dont il n´est sorti que pour entrer dans la vieillesse" (Jacques Roubaud).

Ou puis parfont de ma merencolie
L´eaue d´Espoir que ne cesse de tirer
Soif de Confort la me fait desirer
Quoy que souvent je la treuve tarie

Necte la voy ung temps et esclercie
Et puis après troubler et empirer
Ou puis parfont de ma merencolie

D´elle trempe mon ancre d´estudie
Quant j´en escrips, mais pour mon cueur irer
Fortune vient mon pappier dessirer
Et tout gecte par sa grant felonnie
Ou puis parfont de ma merencolie 

Au puits profond de ma mélancolie/L´eau d´espoir que je ne cesse de tirer/La soif de réconfort me la fait désirer/Mais souvent je la trouve tarie//Je la vois un moment propre et claire/et puis je la vois devenir trouble et mauvaise/Au puits profond de ma mélancolie//De cette eau je dilue l´encre de mon étude/Quand j´écris, mais pour mettre mon coeur en colère/Fortune vient déchirer mon papier/Et jette tout par grande perfidie/Au puits profond de ma mélancolie.

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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 09:40


Il est des écrivains auxquels on revient régulièrement. Rainer Maria Rilke est pour moi l´un de ceux-là.

Rilke n´a trouvé refuge en aucun pays, souffrant longtemps de n´être de nulle part. La question qu´il pose d´entrée dans la première de ses Elégies de Duino ne cesse de résonner, qu´envrai poète Philippe Jaccottet a traduit : "Qui, si je criais, m´entendrait donc,/ d´entre les ordres des anges ?

En ces jours d´automne où les tons ocres et verts des arbres dénudés s´offrent à nous de leur présence comme une consolation - pour ne pas dire un remords - j´ai souhaité lire en son entier Le Chant de l´Amour et de la Mort du Cornette Christoph Rilke que Maurice Betz a traduit admirablement (Obsidiane/Les 3 P., 2008, 14 €, édition bilingue). Ecrit en une nuit à vingt quatre ans après avoir découvert des papiers de famille, ce poème est bien un chant comme plus tard le seront pleinement Les Elégies de Duino et Les Sonnets à Orphée.

On sait plus ou moins dans quelle longue chevauchée le très jeune cornette Christoph Rilke se lançait à travers les plaines de Hongrie pour n´en jamais revenir : Chevaucher, chevaucher, chevaucher, le jour, la nuit, le jour. Chevaucher, chevaucher, chevaucher. Et le coeur est si las, la nostalgie si grande. 

Ce poème est certes en partie un chant lyrique sur la mort martiale. Mais la mort n´y est cependant pas encore la face cachée de l´existence - l´ autre côté de la nature. Elle est celle qui fauche la vie d´un être qui ne demandait qu´à vivre. Dans Les cahiers de Malte Laurids Brigge Rainer Maria Rilke écrit que les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences. Je ne sais si à vingt quatre ans Rilke avait beaucoup d´expériences, mais il pouvait sans doute déjà repenser à des jours d´enfance dont le mystère ne s´est pas encore éclairci. Ainsi ce dialogue rapporté au tout début du poème, qui classe Rainer Maria Rilke parmi les experts en ravissement :

Quelqu´un parle de sa mère. Un Allemand sans doute. À voix haute et lente, il dispose ses mots. Ainsi qu´une jeune fille, qui noue un bouquet, essaie, pensive, les fleurs, une à une, sans savoir ce que donnera le tout - : ainsi ajuste-t-il ses mots. Pour la joie ? Pour la peine ? Tous prêtent l´oreille. Les cracheurs eux-mêmes se taisent. Car il n´y a là que seigneurs qui savent les bonnes façons. Et ceux-là mêmes, dans le nombre, qui n´entendent pas l´allemand, le comprennent tout à coup, sentent certains mots : "Le soir ... quand j´étais petit ... "

    

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29 octobre 2008 3 29 /10 /octobre /2008 09:14

Faut-il dissoudre le PS ? Oui.
Faut-il le supprimer ? Non.

On pourrait croire qu´il y a de l´Abbé Siéyès dans le pamphlétaire Jean-François Kahn. Loin s´en faut. Les cent vingt et quelques pages qui suivent sont du pur Jean-François Kahn et en rien du Siéyès.

Il diagnostique bien la déliquescence du PS qui garde le mot socialiste dans son nom tout en répudiant dans les faits son concept. Il met aussi correctement en évidence que derrière les noms de ses membres les plus en vues, les courants qui s´affrontent sont en fait des querelles de personnes et non des enjeux véritables comme ceux qui opposaient autrefois un Jules Guesde internationaliste et collectiviste à un Jaurès universaliste , humaniste et généreux. Et encore moins la ligne de démarcation qui séparera pour près d´un siècle le "réformisme" du "marxisme orthodoxe" lors du congrès de Tours de 1920. Reste que Jean-François Kahn dénonce sans rien proposer. Il n´est Siéyès que le temps de quelques phrases. Ce n´est donc pas demain, avec un tel pamphlet, que le PS a des chances de renaître de ses cendres. Ségolène n´est plus ; Delanoë pas encore. D´autres sont ailleurs. Et que peut bien signifier aujourd´hui fabusien, néo-jospiniste ou rocardien ? À vrai dire à peu près rien. Comme ne sont pas grand chose les orphelins de DSK et les gardes rapprochées d´une Martine Aubry revigorée.

Ce pamphlet est à lire pour ce qu´il est : une saute d´humeur qui se complaît dans ce qu´il dénonce : se payer de mots pour masquer une totale incapacité à refonder un projet. À lire aussi pour se prouver que le congrès du PS qui se tiendra dans quelques jours en novembre 2008 ne peut accoucher que d´une souris. 

Ce n´est pas demain que le PS deviendra quelque chose.

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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 10:53


Autobiographie d´un épouvantail
, du neuropsychiatre éthologue Boris Cyrulnik (Odile Jacob, 2008, 279 pages, 22,50 €) se lit aussi facilement et avec autant d´intérêts que tous ses ouvrages précédents, notamment son plus grand succès Les Vilains Petits Canards comme l´optimiste Parler d´amour autour de gouffre  ou encore  De chair et d´âme , paru il y a trois ans.

Il reprend dans ce dernier ouvrage son concept désormais bien connu de résilience pour l´élargir; la résilience ne concerne plus seulement l´individu qui, après un trauma qui l´a fracassé, revient sur ce trauma pour le métamorphoser grâce à un récit réorganisateur du Moi, mais peut aussi s´appliquer à toute une société terrassée par un traumatisme social ou historique tel un génocide, - et qui cherche, en exorcisant son passé, de redonner vie à tous ses membres divisés. Il y aurait même plus : la planète Terre elle-même n´avancerait que par suite de catastrophes successives. Il ose donc affirmer : "le chaos, en ce sens, est déterministe." (p. 37). C´est dire aussi que l´on peut parler de "résilience naturelle." 

Par définition, le trauma fracasse. Rien ne peut donc l´effacer. Personne ne peut non plus faire qu´il n´ait pas eu lieu. Mais pour repartir, il est nécessaire que l´individu blessé revienne sur son trauma pour réorganiser son Moi. Il en est de même des sociétés. Elles ne peuvent ignorer leur passé. Seul un travail de mémoire permet de panser les plaies. Et quand un tsunami, un séisme ou une éruption volcanique, ravage toute une partie d´un pays, la nature elle-même met en place une nouvelle stratégie qui n´efface pas totalement l´événement dévastateur, mais le surmonte en l´absorbant. "Le pouvoir créateur du monde vivant ne fait jamais réapparaître la vie sous le même aspect. Après le chaos, il en invente d´autres."(p.38) Quelle foi en la vie !

La résilience, pour un individu comme pour une société, est une nécessité de survie. Ce qui diffère, ce sont les formes qu´elle prendra : elle dépend d´abord du développement préalable de l´individu et de la société avant le surgissement du trauma ; elle dépend ensuite de la nature du trauma proprement dit ; elle dépend enfin des tuteurs de résilience qui se mettront en place après l´événement traumatique ou la catastrophe.

Rien n´est irrémédiable. Ce qui est premier, là où sourd le moindre souffle de vie,  ce sont les facteurs d´adaptation.

On survit d´autant mieux à un tsunami qu´on participe activement à la reconstruction du pays ravagé. Ceux qui reçoivent passivement une aide sont moins bien armés pour surmonter ensuite le dommage subi. Mais l´affrontement dans l´instant est plutôt un déni qu´un comportement prédictif de résilience.

Le chapitre "Le bonheur des pervertis"met en évidence que les bourreaux sont pour la plupart des êtres suradaptés ; ils ne font qu´obéir aux ordres et accomplir leur devoir de zélés serviteurs de l´Etat. C´est dire que parmi les pervertis les plus endurcis, les malades mentaux sont statistiquement les moins nombreux. Boris Cyrulnik démontre ainsi avec bonheur que si un pervers peut sans remords faire souffrir autrui, c´est parce que, affirme-t-il, il n´a pas reçu dans sa mémoire biologique l´empreinte de l´Autre qui le porte ailleurs que vers lui-même. Indirectement, il démontre qu´il est toujours permis d´espérer : après l´horreur la plus inhumaine, la grandeur invincible face à cette horreur réapparaît avec plus d´accuité.

Reste que dans son chapitre "Les perroquets de Panurge" Boris Cynulnik ne cache pas qu´on ne devient par normal impunément. Le conformisme, le suivisme verbal, l´obéissance panurgique, le grégarisme intellectuel, le faire comme tout le monde, le bonheur que donne l´obéissance sont des facteurs indispensables de sociabilité qui permettent à tous une adaptation à moindre frais. La désobéissance, au contraire, nécessite une plus grande force de caractère. Le discours ambiant lénifiant engourdit la souffrance. Mais il ne permet pas de la surmonter. Ce qui seul permet de la dépasser et donc à nouveau d´affronter la douleur de la vie, c´est d´y revenir, non, cependant, pour la revivre une seconde fois, mais pour la maîtriser en toute connaissance de causes, - et faire d´elle un projet social, politique, philosophique ou artistique. Et quand c´est une société toute entière qui est blessée, seul un devoir salutaire de mémoire peut lui permettre de ressouder ses membres déchirés.

Vient le dernier chapitre intitulé "Les enfants cachés". "Le déni et le mutisme permettront d´éviter la mémoire douloureuse, mais non de donner sens à l´insensé"(p.221).  Ce qui signifie qu´il y a un déterminisme verbal et que l´entourage du blessé joue un rôle dans la métamorphose qui permet le processus de résilience. À vouloir taire la blessure vécue, c´est empêcher le traumatisé de tricoter son retour à la vie. Pour repartir et transformer son trauma en nouvelles données de départ, il doit en analyser les recoins, quitte à les embellir. ll ne s´agit donc pas, encore une fois, de revivre la souffrance passée, mais de ne pas exclure d´en jouir pour la dépasser enfin définitivement.  Curieux couple, puisque le sado-masochisme ne peut être occulté.

Reste que le développement préalable de l´individu traumatisé et la manière dont les tuteurs de résilience se manifesteront après le surgissement du trauma sont essentiels pour expliquer comment s´opère la réorganisation du Moi.

De tout temps et dans toutes les sociétés, le masque a eu une fonction double. Il peut  dissimuler une tare, un défaut, une plaie purulente. C´est le cas quand un être meurtri se prend pour un épouvantail. Le masque peut aussi remodeler un visage et même, par jeu, de permettre à celui ou à celle qui le met de vivre une autre vie qu´il ne soupçonnait pas. Il convient donc de ne pas négliger le détail du tableau de Sir Joshua Reynolds Le Quatrième Duc de Marlborough et sa famille (1777-1778) que l´éditeur a mis en page un de couverture de nouvel ouvrage de Boris Cyrulnik. Deux petites filles affrontent différemment du regard un masque de famille. L ´une semble prendre ses distances, même si une main adulte cherche à la protéger ;  l´autre est plus audacieuse : elle touche le masque et il y a en son air comme une envie mêlée de crainte. Il en  est de même pour tout traumatisé : le retrait peut sembler au premier abord la solution de sagesse. Mais l´affrontement permet seul d´appréhender vraiment la vie.

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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 13:56


Je suis de relativement près les divers programmes que l´Opéra d´Oslo propose depuis plusieurs années,  mais beaucoup moins les progammes de concerts proprement dit. Je n´ai pu cependant ignorer le battage médiatique fait autour de la septième Symphonie dite Leningrad de Dmitri Chotakovitch. Le fils du compositeur, Maxim Chostakovitch en personne, allait conduire l´ Orchestre Philarmonique d´Oslo les 23 et 24 Octobre en dirigeant cette fameuse, entre toutes, symphonie, composée comme chacun sait  de septembre à décembre 1941 pendant le début du siège de Léningrad. D´autant que l´oeuvre musicale serait accompagnée d´un montage cinématographique : celui que le  cinéaste Georgij Paradsjanov avait  fait à partir  - selon la presse d´Oslo - de séquences largement  "inédites et en parties choquantes" de l´époque. Soit.

Dès l´âge de 16-17 ans, au début des années 1960, j´étais un fervent spectateur de la Cinémathèque du Palais de Chaillot à Paris. J´apprécie donc les séances et les diverses rétrospectives qu´organise avec de plus en plus de succès la Cinémathèque d´Oslo. Sans jouer d´aucun instrument de musique, je crois également comprendre assez bien la musique du XXe siècle ainsi que celle du XXIe siècle naissant. J´étais donc plein d´attentes, et tenais à voir ce que ce montage cinématographique, fait d´inédits, allait apporter à la septième Symphonie du compositeur quelque peu controversé Dmitri Chostakovitch.

L´oeuvre terminée, le public en son entier s´est levé comme un seul homme pour applaudir à tout rompre. J´ai fait comme le public autour de moi : je me suis levé, mais je n´ai applaudi que modérément. Rien ne m´a enthousiasmé, et surtout pas les images illustratives.

Dès les premières secondes de la symphonie, j´ai certes été saisi par le noir et le blanc des images projetées. Mais la gêne est bien vite apparue : qu´apportaient-elles de plus que la puissante unisson des cordes qui ouvre l´oeuvre ? Rien à mon sens. Et quand un peu plus tard, les roulements mécaniques et primitifs des tambours annoncent ce que les premiers commentateurs de l´oeuvre musicale ont appelé " le thème de l´invasion", j´ai trouvé superflue la marche cadencée des soldats allemands casqués. L´image, à mon humble avis, détourne l´attention de l´auditeur. Elle n´apporte rien de neuf. Le montage du cinéaste Georgij Paradsjanov n´est en rien émotif ; il n´est que platement pédagogique. Il est donc très loin de la puissance des images et de l´implacable montage que Leni Riefenstahl a proposé quand Hitler l´a contactée pour donner au monde une mise en scène cinématographique des défilés de masse nazis.

Ces images, au lieu d´illustrer et d´éclairer l´exécution musicale, non seulement détournent l´attention mais empêchent finalement de percevoir, - au-delà des salves des canons, du grondement des avions en escadrilles qui lâchent leur tapis de bombes et l´effondrement des facades d´immeubles dans un nuage opaque de fumées -, "la résistance héroïque de faire son entrée."(Josif Raiskin). Elles occultent donc à mon sens en partie les timbales, les cymbales et autres percussions de l´orchestre au complet, et plus encore le basson, venu là - pour reprendre encore les mots de Josif Raiskin - exprimer "la mémoire de tous les héros tués au combat."

Que faire ensuite, dans les mouvements suivants, des images d´Hitler martelant de son poing fermé ses discours d´endoctrinement ? Et que faire, juste après celles d´Hitler, des images d´un Staline calme et olympien serrant dans ses bras un enfant emmitoufflé et peu rassuré ? Elles sont pour moi totalement déplacées.

Que le fils Maxim Chostakovitch cherche à promouvoir l´oeuvre musicale de son père Dmitri Chotakovitch en les jouant et en le dirigeant est certes louable, mais je ne vois pas en quoi il est nécessaire de faire appel à des chasseurs d´ombres déterrant des archives aussi convenues. Du compositeur avant-gardiste au thuriféraire qu´il a parfois été, Dmitri Chostakovitch n´a en rien besoin de pareilles mises en scène. Du père, le fils Maxim n´a ni le génie ni le talent. Il a du moins du savoir-faire. Mais les images du cinéaste qu´il a sollicité diminuent encore plus ce que la musique seule du père suggerait : le retour à la vie de tout un peuple, après la souffrance indicible qu´il avait connue, sans pour autant soupçonner que dans les années à venir, ce même petit peuple allait souffrir une souffrance aussi grande. 

[ Illustration : Dmitri Chostakovitch en 1942 ]

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