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21 avril 2007 6 21 /04 /avril /2007 03:40

[ Détail du tableau de Goya Tres de Mayo ]

Après avoir lu le roman Les Fantômes de Goya de Jean-Claude Carrière et Milos Forman ( Plon, 2007, 299 pages) j´attends avec impatience la sortie du film à Oslo. A vrai dire, ce qui attire ma curiosité, autant que la collaboration d´un grand metteur en scène et d´un excellent scénariste, c´est de savoir comment on peut rendre compte du regard sans complaisances de Goya. Ce que je cherche à savoir, c´est si Milos Forman a réussi à filmer comment Goya arrive à imposer que tout le monde voie ce que Goya seul avait vu : l´effroi de la mort dans l´oeil d´un paysan qu´on fusille, la tentation de la chair dans le regard d´un dominicain inquisiteur, le regard implorant d´un mendiant, et encore et toujours, les horreurs et désastres de la guerre. Ce que je cherche à savoir, c´est si Milos Forman et Jean-Claude Carrière ont réussi à nous faire comprendre par l´intermédiaire des angles de vues, du jeu et de la voix de leurs interprètes, que ce qui compte dans la peinture de Goya, c´est de regarder le tableau jusqu´à ce qu´il vous crève les yeux comme on voit les chiens et les hommes qui marchent du sculpteur Giacometti. Et ce qu´il faut voir, quand il nous montre une reine sur son cheval, ou un roi qui pose pour la postérité, ce n´est pas tant le roi ou la reine qu´un moment de vie : celui qu´il a capturé, que lui seul a vu et qu´il nous impose à voir.

J´ai vu en son temps "La Controverse de Valladolid"  interprété par les deux immenses acteurs que sont Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet. L´enjeu de la controverse de 1550 n´était pas mince. Si l´Eglise Espagnole insistait tant pour convertir les Indiens, c´est qu´elle admettait qu´ils avaient une âme et qu´ils ne pouvaient donc être réduits en esclavage, ce que défendait Bartolomé Las Casas, homme de terrain ayant vécu de nombreuses années dans le Nouveau Monde. Pour le philosophe Gines de Sépulvéda, au contraire, fin lettré citant Aristote et rompu à l´art de la dialectique, certains hommes sont des êtres inférieurs, des esclaves-nés, et donc sans âme. Il n´y avait donc pas de sens à les convertir. Quelques séquences du film avaient une force peu commune, en particulier celle où l´on va chercher un dieu indien, un serpent à plumes, pour démontrer que les Indiens n´avaient par d´art ; ou celle dans laquelle le cinéaste saisit le regard d´effroi d´une famille de paysans quand on fait mine, en pleine église, de tuer leur enfant qu´on leur a arraché des mains pour voir s´ils ont des réactions humaines de protection, - ce qui, remarque un prélat, ne prouve rien, car les animaux aussi défendent leurs petits.

L´enjeu du film et du roman Les Fantômes de Goya n´est pas moindre : opposer la parole d´un homme du peuple devenu inquisiteur par conviction, Lorenzo Casamares, au regard d´un peintre qui se tait devant les maîtres espagnols du moment, mais qui dénonce dans ses oeuvres les atrocités de son temps, d´où qu´elles viennent : de la guerre, de la misère, de l´Eglise, du Pouvoir, du fanatisme ou du "sommeil de la raison". Puis, quinze ans plus tard, opposer la parole du même homme du peuple devenu, - avec les nouveaux maîtres du Monde, les Français de Napoléon qui dirigent l´ Espagne avec une armée d´occupation -,  un défenseur extrémiste des idées de la Révolution Française, au regard du peintre devenu sourd mais dont le regard ne peut effacer les fantômes qui le hantent et l´habitent : les mendiants, les estropiés ou le cadavre d´un homme qui vient d´être garrotté sur une place publique.

Ce que je cherche dans ce film que je n´ai pas encore vu, c´est de découvrir comment un cinéaste de la dimensioin de Milos Forman a réussi à filmer des regards : celui de Goya, bien sûr, qui peint ce que personne n´avait vu avant lui, que ce soit la prestance d´une jeune fille de 18 ans, l´incomparable regard de la duchesses de Alba, une grande dame d´Espagne séduisante, ou un cadavre qui gît dans son sang. Mais aussi le regard de l´inquisiteur Lorenzo Casamares qui a commandé son portrait, et qui déclare, quand il se voit peint par Goya  qu´il ne peut pas dire, s´il devait  rencontrer cet homme peint, qu´il lui ferait confiance ou qu´il pourrait l´aimer. Mais il avoue qu´il "aime son visage" notamment "les yeux [et] la bouche, seuls ornements, l´oeuvre de Dieu, - la robe étant l´oeuvre des hommes" ( page 79). Mais encore celui d´autres inquisiteurs subalternes qui, mettant la jeune fille de 18 ans "à la question", c´est-à-dire à la torture, "savent éteindre leur regard" ( p. 73) parce qu´ ils ont exigé qu´elle soit nue avant de la torturer. Puis, à nouveau le regard de Lorenzo auquel le père de la jeune fille fait subir le même supplice en le mettant à la "question ordinaire" , autrement dit l´interrogatoire le plus léger comparé à celui de la poulie, des brodequins ou de l´écartèlement, car cet interrogatoire "ordinaire", quand il est bien mené, n´entraîne généralement pas la mort, mais simplement des aveux qui apportent au coupable le soulagement, et lui révèle ce qu´est la grâce divine et les bienfaits de la souffrance. Et pour finir, comment ce même Lorenzo meurt garrotté sur une place publique après le rétablissement de l´Inquisition sous le regard de Goya, de la femme qu´il a fait torturer, qu´il a séduite et rendue folle après qu´on lui eut arraché de force son enfant ; - place publique où sont rassemblés les nouveaux maîtres politiques, religieux et militaires de l´Espagne.

Mais un cinéaste, aussi grand soit-il, peut-il vraiment restituer ce qu´un écrivain et un peintre peuvent nous faire comprendre, par des mots et des couleurs, que "le sommeil de la raison engendre des monstres" ?

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18 avril 2007 3 18 /04 /avril /2007 10:50

[ Maisons de style hanséatique à Bergen ]

Il avait plusieurs fois parcouru le centre de cette ville connue autant pour ses maisons en bois colorés de la période hanséatique, que pour sa pluie qui tombait jours et nuits à longueur d´année, sauf à la fin du printemps et au début de l´été lors de son festival de musique plus que centenaire ; autrement dit de Bergen, en Norvège occidentale.

Les facades en pierres de taille de la place du théâtre ruisselaient, ornées de guirlandes sculptées autour des porches et sous les balcons du deuxième étage. L´humidité gagnait partout : le dessous des balcons, les porches d´immeubles, les entrées des rares magasins, celles des cafés, des bars et des restaurants, les stores des terrasses repliés ou non selon les saisons. En ce jour de fin octobre de pluie tenace mais pas encore vraiment froide, il tourna à gauche et entra dans le kiosque à journaux qui lui rappelait ceux du Boulevard Saint-Germain à Paris quand les hebdomadaires et les divers mensuels aux titres accrocheurs et de lettres noires étaient protégées par d´immenses toiles de plastique transparent et que les magazines étaient fixés par diverses pinces à linge en fer enrobées de bakélite rose, rouge, vert ou bleu. Ce kiosque norvégien n´avait à vrai dire rien à voir avec un kiosque parisien, puisqu´il pouvait y entrer et s´acheter bien autres chose que des journaux, mais, anticipant son achat de lecture, il avait fait la comparaison. Il désirait en réalité tout autant se protéger de la pluie que d´acheter Le Monde ou un hebdomadaire. Son imperméable dégoulinait de pluie, ses lunettes étaient embuées et sa casquette trempée. Une fois entré, il dégagea le haut de son col pour mieux respirer et essuya longuement ses lunettes. Puis il se mit à parcourir quelques titres. Il prit L´Express, tourna plusieurs pages, mais le reposa rapidement pour se mettre à feuilleter plus lentement Le Nouvel Obs. Il finit par l´emporter ainsi que Le Monde. Il les plia avec soin l´un dans l´autre , le journal à l´intérieur de l´hebdomadaire politique, et les glissa dans la poche intérieure gauche de son imperméable. Il se dirigea alors vers la sortie. La pluie avait cessé. Il n´avait donc plus besoin de reboutonner le haut de son col d´imperméable.

Il longea la devanture d´un grand magasin, puis des facades d´autres immeubles à balcons toujours dégoulinant de pluie pour se retrouver devant le porche par lequel on pouvait accéder à un restaurant cossu et réputé situé au second étage. C´est là qu´il avait dîné la veille. Mais pour l´heure, il avait décidé de se contenter d´un sandwich et d´une bière qu´il se paierait plus tard dans son hôtel, désirant  consacrer sa soirée à lire les journaux qu´il venait de s´acheter. Arrivant au bout de la place, il dut s´arrêter pour laisser passer quelques voitures à vitesse réduite mais couvertes de grosses gouttes de pluie resplendissantes.

Certaines continuaient tout droit pour gagner sans doute le port d´embarquement qu´il devrait prendre le lendemain vers 17 heures 30, tandis que d´autres tournaient sur leur droite pour longer le marché aux poissons. Il traversa cette rue, marcha jusqu´à la rue suivante, et gagna le marché. Il était désert à cette heure, mais plusieurs étalages, bien que vides, y étaient encore, protégés par d´immenses bâches couleur d´un vert militaire, à  moins que ce ne soit un vert de vêtement de pêcheurs au gros. Quelques écailles de crevettes roses dites bouquets jongeaient le sol. Arrivé au bout du quai, il aurait pu continuer à gauche et passer ainsi devant les maisons hanséatiques de deux ou trois étages et aux facades si colorées, mais il rebroussa chemin dans le désir de rentrer à son hôtel en prenant l´autre trottoir de la place qu´il venait de traverser et ou se trouvait en son extrémité le kiosque à journaux, quand son regard fut attiré par une jeune femme qui faisait les cent pas. Elle était jeune, presqu´une enfant, et il se demanda ce qu´elle pouvait bien faire là à marcher de la sorte. Elle portait des bottines qui pouvaient monter jusqu´aux mollets, mais elle les avaient ouvertes, et le bord intérieur molletonné était retourné, ce qui, sans doute, lui permettait de se sentir plus à l´aise et de reposer ses pieds tout en faisant respirer ses chevilles. Elle n´était pas très grande. Ses cheveux noirs étaient défaits et lui donnaient un air d´Esméralda quémandeuse. Quand il la croisa, elle le regarda tout en coin et pourtant franchement, à la fois suppliante, effrontée et effarouchée. Un désir physique s´éveilla aussitôt en  lui. Il ralentit le pas, hésita à se retourner, ralentit encore plus et s´arrêta. Puis se retourna, pensant qu´elle avait dû s´éloigner. Mais elle n´était qu´à quelques mètres, ne marchait plus, et elle le regardait, à demi-tournée. Elle ne devait pas avoir 18 ans ; peut-être même moins.: - "Une enfant", pensa-t-il. Elle se tourna davantage, et elle le regarda en relevant légèrement la tête, ce qui lui dégagea un peu le cou et gonfla sa poitrine. Son désir s´aiguisa ainsi que son envie de l´aborder. Elle reprit sa marche en sa direction, lentement, en baissant légèrement la tête, mais en relevant les yeux vers lui, comme implorante. Les cheveux noirs brillants et épars sur les épaules, elle le toucha presque de son épaule en le dépassant, et plongea résolument son regard dans le sien, un regard éhonté et pourtant timide. Elle fit mine de s´arrêter, ouvrit légèrement les lèvres en les humectant de sa langue, mais ne dit rien, et accéléra aussitôt le pas après l´avoir dépassé. - "Ce n´est qu´un enfant !" pensa-t-il. Il s´éloigna lentement dans la direction opposée. Il se demanda ce qu´elle pouvait bien chercher à cette heure qui n´était plus celle de l´après-midi, mais qui n´était pas encore celle du soir. Il sentit dans l´air l´imminence d´un changement de temps. Un rayon de soleil perca sur la ville encore ruisselante, comme une nuées d´enfants sortant d´une classe d´école surchauffée après une heure de cours trop longue et injustement  retenus à cause de la pluie qui n´en finissait pas de tomber. Son désir s´atténua. Il s´immobilisa à nouveau, se retourna. La très jeune femme, - ou l´enfant ( il ne savait plus très bien ) - s´était à nouveau arrêtée , mais si elle était assez éloignée de lui, il pouvait distinguer les traits de son visage et le plissement de ses yeux : elle le regardait certes de loin, mais il pouvait distinguer qu´il y avait dans son regard comme de la résignation. Il n´était plus de chair.

Il regarda ses bottines aux tiges recourbées molletonnées, sa petite taille, son anorak entrouvert, ses cheveux noirs défaits et encore brillants de pluie ; et son air résigné, la tête légèrement inclinée vers le bas. Il marcha alors résolument vers elle. Elle esquissa un sourire. -"Non !" s´entendit-il dire. Et sans se retourner, il rentra à son hôtel dans le soir qui tombait.

Il revint plusieurs fois dans cette ville au bras d´une autre femme. Le temps ne changeait jamais, quelles que soient les saisons : la pluie alternait avec des averses, les ondées, les grains et quelquefois de véritables saucées. Des brins de soleil aussi. Timides, réconfortants, mais jamais très longtemps et toujours assez froids. Seul ou à ses côtés, il ne pouvait oublier l´autre très jeune femme, une enfant presque, qui l´avait dévisagé plus de vingt ans auparavant, alors qu´il était seul et qu´il avait refréné son désir. Etait-elle une enfant indisciplinée ? Cherchait-elle à s´émanciper ? Désirait-elle sentir sur elle le corps d´un homme jeune dans la force de l´âge prêt à la payer pour quelques instants ou une heure ou deux ? L´aurait-elle emmené dans une chambre au sous-sol, aménagée pour des élèves ou des étudiants, ou aurait-il dû payer une chambre d´hôtel à un réceptonniste peu regardant et complaisant ? Il ne pensait plus que c´était vraiment du remords qui l´avait retenu. Etait-ce de la timidité ? N´y avait-il pas non plus du regret ? Il dut dire pardon à un homme qu´il heurta de son épaule. La femme qui marchait à ses côtés tourna son visage vers lui. Il lui semblait qu´elle cherchait  à lire ce qu´il pensait. Il commencait à en avoir assez d´elle. Il devait prendre ses précautions pour traverser les rues. Elle marchait péniblement, portant dans sa main droite une valise qui la gênait, tout en s´accrochant à lui de son bras gauche où pendait un sac à main encombrant en cuir. Il s´arrêta et lui fit comprendre qu´il voulait prendre sa valise. Elle fit non de la tête, mais il insista. C´était la facon qu´il avait trouvé pour l´aider. Vingt ans plus tôt, c´était sûrement par timidité qu´il s´était éloigné de la jeune femme encore enfant. Cela ne le gênait plus. Il marcha plus lentement. Elle se détendit et desserra son bras. Une nouvelle pensée l´effleura : - "Est-ce que je l´aime, elle plus particulièrement, ou suis-je victime de mon besoin d´amour ?" Puis une seconde pensée surgit à laquelle il lui est encore bien difficile de répondre :  -"Etait-ce par remords ou par timidité qu´il s´était éloigné ? N´ y a-t-il pas non plus quelque regret ? " Ce dont il est sûr, c´est qu´il mit longtemps à se détacher d´elle.

 

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16 avril 2007 1 16 /04 /avril /2007 12:32

Comment en mon âge "faire bien l´homme et dûment ?" ( Montaigne )

J´ai depuis peu dans la maison voisine à la mienne un voisin nouveau. "Depuis peu" est tout relatif car il a emménagé bien avant les deux étés derniers. Nous sommes donc voisins depuis environ deux ans. Il a coupé dans son jardin les deux arbres qui étaient comme les siens les miens : un prunier sur la droite et un pommier sur la gauche. Il a agrandi et consolidé sa terrasse d´un beau plancher de bois brun, et entrepris d´y mettre devant, un plan d´eau d´où jaillit un jet que je trouve d´une hauteur beaucoup trop minuscule, pour ne pas dire quelque peu ridicule ; mais je garde pour moi ces deux adjectifs, et  ne tiens pas à l´accabler davantage en cherchant à évaluer à tort la hauteur exacte de son jet ; mais il monte encore moins haut en ce début de printemps qu´à la fin de l´automne dernier quand il a été installé. Le reste des aménagements de la pelouse  n´ont été repris que depuis les derniers jours, après les congés de Pâques de cette année.

Chaque fois que je vois ce voisin au sortir de sa maison chercher son courrier, j´incline la tête en murmurant un bonjour poli par habitude, identique à celui que je peux dire lorsque je rencontre depuis plus de dix ans mes autres voisins. Le soleil depuis peu recommence à chauffer l´air et la terre et le ciel. Son épouse peut en profiter, lisant dans un fauteuil de jardin de la même couleur que celle du bois de la terrasse un magazine qui n´est en fait qu´un prétexte pour profiter du premier soleil de l´année ;  car elle ferme souvent les yeux. Comme les jours précédents, je l´ai saluée hier dimanche 15 avril d´un de mes bonjours polis accompagnés d´une légère inclinaison de la tête. J´avais reçu les deux jours précédents une amie de longue date venant d´une partie de la Norvège que je connais bien pour y avoir vécu cinq ans, de 1972 à 1977, la Norvège occidentale. Durant ces deux jours nous avons plusieurs fois été sur mon balcon, et elle et son mari avaient donc pu entendre que mon amie parlait son propre dialecte, bien différent de celui d´Oslo. Pour la première fois depuis deux ans, cette épouse a fait plus que répondre à mon salut. Elle a engagé la conversation. Son mari, qui était occupé à arracher sa haie du fond de son jardin, s´est alors rapidement rapproché de nous, et nous avons pu dès lors échanger d´autres politesses que de simples bonjours.

C´est un cuisinier de profession, non dans un hôtel ou un restaurant de la capitale, ni dans un bateau organisant des croisières plus ou moins de luxe dans les mers du Nord ou du globle, mais un cuisinier qui travaille dans la restauration et qui livre souvent dans les innombrables réceptions, notamment les réunions diplomatiques qui peuvent se tenir dans le bel aéroport de moins de 10 ans situé dans la prériphérie d´Oslo, Gardermoen. Je le croyais à la retraite comme moi car je le rencontre souvent depuis un an environ dans la journée, mais il est en réalité en congé de formation pour développer ses connaissnaces et devenir expert-comptable dans la profession de la restauration. " Ayant piéça franchi les [6]0 ans" - pour citer et paraphraser à nouveau Montaigne - je trouve merveilleux de voir en lui plus qu´un jardinier occasionnel. Il ne fait pas qu´occuper une vieillesse bien méritée, mais il se ressource, se détend et se rassemble en son jardin tout en développant ses compétences professionnelles. Heureux pays qui permet depuis longtemps une réelle formation durant la vie entière. Il aménage ainsi tout autant sa vie que son ménage et son jardin par plaisir.

J´ai cependant osé lui dire que je trouvais du dommage dans le fait d´avoir coupé ses arbres, et qu´il était triste de voir qu´il persistait en arrachant sa haie de pareille façon en cette journée de printemps où  le soleil chauffait déjà comme si c´était l´été. Mais loin d´insister sur la hauteur minuscule de son jet d´eau qu´il voulait volontairement petite afin que le jet ne dépasse jamais les limites du plan, je me suis mis à lui parler des pies, merles et rouge-gorges qui venaient s´abreuver dès le lever du jour, dormant peu. Il a aussitôt voulu savoir si ces oiseaux se baignaient ; ce que je ne pouvais dire, car toutes les fois où je me suis montré sur mon balcon, je n´ai fait que faire fuir merles, rouge-gorges et autres oiseaux plus gros. Comme suite à ma réponse, sa volubilité s´est considérablement accélérée, et il a longtemps expliqué son intention d´installer autour du plan et de son jet d´eau un parterre de fleurs qu´il voulait terminer d´ici quatre ou cinq semaines, c´est-à-dire avant la traditionnelle fête nationale du 17 mai, que tout Norvégien célèbre avec ferveur, qu´il vienne du Nord, du Sud, de l´Est ou de l´Ouest.

Pour changer de sujet, je lui ai alors demandé s´il avait des petits-enfants. -  "Oui ! " s´est-il aussitôt écrié, donnant encore plus de vie à tout son visage et son corps, car il écarta les bras pour indiquer l´âge et la taille de sa petite-fille : -"Trois semaines ! Et grande comme ca !" indiquant ainsi une taille approximative de 50 centimètres. Le jeune époux de la princesse du pays Märtha Louise s´est rendu plus sympathique à l´ensemble des Norvégiens avec cette réplique et ce geste quelques heures après la naissance de sa fille il y a un an ou deux devant les journalistes rassemblés à l´entrée de la maternité. Ma remarque - " Comme Ari Behn ! " fit rire son épouse, et nous avons tous les trois parlé ainsi de choses et d´autres un bon quart d´heure, eux avec leur intonation, leur vocabulaire et leur dialecte particulier de la Norvège occidentale et moi avec mon accent francais que j´ai gardé, comme mon voisin n´a pas manqué de me le dire, malgé mes 35 ans passés en Norvège.

A revenir sur cette journée pleine de chaleur dans tous les sens du terme, il me semble que nous avons comme entamé un début de rapports allant au-delà d´un voisinage simplement bienséant et bienveillant : un respect mutuel où chacun écoute la voix propre de l´autre et son parler singulier ;  lui de Volda en  Norvège occidentale, région que je connais assez bien pour y avoir été souvent en tant que lecteur itinérant de francais entre 1981 et 1986, mais aussi pour y avoir voté par procuration entre 1972 et 1977, enseignant alors dans la région : d´abord un an dans dans un lycée particulier, celui de Nordfjordeid, puis quatre ans dans un lycée plus habituel, celui de Førde. Il me paraît clair que nous avons comme cherché à établir des régles qui "obligent", lui en permettant aux oiseaux de venir s´abreuver et se désaltérer, moi en taisant mes remarques critiques après avoir mieux compris ses intentions. En fin de conversation, je lui ai signalé que je venais d´acheter deux plants différents de myrtilles, un Bluetta et un Patriote ; ce qui permettra aux deux plants placés à environ 75 centimètres de distance, de donner pendant les 40 ans environ de vie des myrtilles, d´abondantes baies chaque année durant un des mois de l´automne ;  un peu, ai-je ajouté, comme si c´était deux villes jumelées de deux pays différents qui cherchaient à resserrer des liens déjà existants, même si les différentes cultures et les modes de vie les avaient séparés pendant de nombreuses années.

En terminant notre entretien de bon voisinage d´un quart d´heure au moins, mon voisin n´a pas manqué de le clore avec une expression de trois mots fort difficiles à traduire en francais en aussi peu de mots, et que je n´avais pas entendue depuis bien 25 ans, mais qui en dit long sur les règles qui obligent ceux qui cultivent leur bon voisinage : "Merci pour le bout de conversation que nous avons eu ensemble aujourd´hui " ( = Takk for praten ).

 

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13 avril 2007 5 13 /04 /avril /2007 13:05

Paul Celan ( 1920-1970 ) est un écrivain difficile, voire hermétique. Poète juif de langue allemande, il écrit, malgé ce qu´a affirmé Theodore Adorno en 1951, qu´il n´est pas "barbare" d´écrire de la poésie  "après  Auschwitz". En réalité, il écrit  "d´après Auschwitz" , " en fonction " d´Auschwitz". Mais il est difficile à suivre tellement les implications autobiographiques ainsi que les allusions juives et citationnelles de tous les penseurs et poètes du monde entier qu´il a lus et traduits sont nombreuses


Il est né en 1920, juste après la chute de l´Empire austro-hongrois, dans une région dont les frontières ont été déplacées au gré des soubresauts de l´Histoire avec une grande hache, comme dirait Georges Perec. Né entre l´Ukraine, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie ; ce qui a fait qu´entre 1920 et 1945, Paul Celan, de son vrai nom Pessach Antschel, n´a pas eu moins de quatre nationalités. C´est en 1955, vivant à Paris depuis 1947, qu´il a été naturalisé Français. Il avait déjà publié quelques poèmes sous le pseudonyme de Paul Celan, un anagramme de la graphie roumaine "Ancel". Il était déjà connu et reconnu comme traducteur en langue allemande de Shakespeare, Ungaretti, Mandestam, Henri Michaux, Arthur Rimbaud...

On dit de lui qu´il est le plus grand poète de langue allemande depuis Rilke. Il a été par ailleurs lecteur d´allemand à l´Ecole Normale Supérieure de la rue d´Ulm de 1959 à 1970, date de son suicide, en même temps que Samuel Beckett était lecteur d´anglais.

Le "Choix de poèmes" réunis par lui-même dans l´édition bilingue de la collection Poésie/Gallimard de la nrf, est traduit et présenté par Jean-Pierre Lefebvre. Ce dernier relève, au-delà de trois ou quatre faits autobiographiques et familiaux a vous faire perdre la raison, deux mots qu´il convient d´avoir à l´esprit si l´on veut comprendre la pensée poétique de Paul Celan : "schaufeln" qui signifie "manier la pelle", "creuser". A 22 ans, en 1942, et jusqu´au début de 1944, Paul Celan a été enrôlé pour le travail forcé de cantonnier. Il écrit comme on remplit des vides, comme on creuse des fosses. Le second mot est "stehen", être debout, persister. Sa mère, selon des témoins, a été exécutée d´une balle dans la nuque. Son père est mort des suites du typhus. Paul Celan poète tient à persister, à écrire, donner un sens à la parole d´après et en fonction d´Auschwitz. Il est dommage que Jean-Pierre Lefebvre n´ait pas relevé  davantage de mots de cette importance pour nous permettre de mieux comprendre la poétique de Paul Celan. Ses poèmes sont difficilles, remplis d´allusions autobiographiques, juives, ainsi que d´innombrables emprunts aux penseurs et poètes du monde entier. Sans explications explicites, il est difficile de saisir les connotations sous-jacentes. "Aucune image ne peut faire écran, masquer Auschwitz " nous dit Jean-Piere Lefebvre. Il faut le croire. Citons cependant encore ce que Jean-Pierre Lefebvre précise en notes : "Grille de parole" est un poème qui est aussi le titre de tout un recueil. Le titre désigne la grille de parloir, dans les couvents, qui sépare les religieux des visiteurs. La grille qui sépare les paroles est aussi la structure qui organise la production du cristal. Le francais emploie plutôt la notion de "réseau"... Mais rien ne sert de parler de poésie sans la donner à lire. Donnons donc la parole à Paul Celan lui-même : GRILLE DE PAROLE  Rond d´un oeil entre les barres. // Vibratile animal paupière / rame vers le haut, / permet un regard..// Iris, nageuse, sans rêve et morose : / le ciel, gris-coeur, doit être proche. // Penché, dans la bobèche de fer, / le copeau fumeur cracheur de suie. / Au sens de la lumière / tu devines l´âme. // (Si j´étais comme toi. Si tu étais comme moi. / N´étions-nous pas / sous un seul et même alizé ? / Nous sommes des étrangers. ) // Les carreaux, par terre. Dessus, / serrées l´une contre l´autre, les deux / flaques gris-coeur : deux / pleines bouches de silence.

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11 avril 2007 3 11 /04 /avril /2007 09:54

[ Vadheim, Sunnfjord, autrefois ]

Tout en ayant un poste complet de professeur de Francais Langue étrangère à Førde, département ( ou Comté ) du Sogn og Fjordane en Norvège occidentale de 1972 à 1977, j´ai passé plusieurs examens pour régulariser ma situation dont un de francais en ne suivant aucun cours. Il faut dire qu´alors je n´avais à penser qu´à ma femme et moi, n´ayant pas encore de  véritables charges de famille. Mais passer l´examen final norvégien de francais "hovedfag" comme auditeur libre me semblait présomptueux. C´est donc tout naturellement que je me suis inscrit à l´Institut de Langues romanes de l´Université de Bergen. C´était oublier la distance et le temps et l´énergie ( sans parler des sommes d´argent ) qu´il fallait dépenser pour se rendre régulièrement à Bergen les jours ouvrables de la semaine.

J´avais recu par courrier postal la liste des cours de francais donnés chaque semaine. Je m´étais donc décidé à suivre des cours le mercredi, avec notamment de l´ancien francais et des cours sur  Francois Villon.

Je partais le mardi soir de Førde vers 20 ou 21 heures. Je laissais ma voiture sur le parking de la gare routière, à côté de la bibliothèque, pour prendre un car qui partait un quart d´heure ou vingt minutes  après. Un trajet de 37 kilomètres m´attendait pour gagner la petite ville "côtière" de Vadheim situé dans une anse relativement étroite et toute en longueur du Sognefjorden, le plus majestueux et le plus long fjord de Norvège avec ses 200 kilomètres qui pénètrent profondément dans les terres.

Avant même la sortie de la ville, une montée abrupte en lacets forts délicats commencait, surtout en hiver par temps de neige ou de verglas. Le car, comme les voitures, se limitaient à une vitesse de 30-35 kilomètres à l´heure. Même avec des pneus cloutés, j´ai souvent vu des voitures déraper sur le côté d´en face alors qu´elles descendaient la pente. Je m´en souviens d´autant mieux que je n´ai pu éviter plusieurs fois ce dérapage incontrôlé, malgré une vitesse réduite au maximun. Cela dit, la vue sur le centre ville, dans l´un des virages, est magnifique : on découvre des petites maisons individuelles en bois, entre des bosquets d´arbres le long du fleuve riche en truites et saumons qui traverse la ville ; et, sur le flanc de la montagne d´en face, des maisons de plus en plus cossues, imposantes et bourgeoises au fur et à mesure qu´elles occupent les hauteurs.

Le car s´élancait ensuite sur une route relativement sinueuse. Sur la gauche, se trouvait un lac gelé à partir de la mi-janvier, le lac de Langeland. Après une dizaine de kilomètres, on longeait les installations de pistes de ski et de tremplins de sauts. Par beau temps et tous les soirs les fanatiques du ski s´y retrouvaient. Plusieurs années après mon départ de la région, c´est sur une partie de ce plateau que la commune de Førde a fait construire un aéroport pouvant recevoir des avions beaucoup plus grands, et désenclaver ainsi encore davantage toute la région.

Le car s´arrêtait souvent, autant pour prendre de nouveaux passagers que pour laisser descendre des hommes, des femmes et des adolescents regagner leurs hameaux. Plusieurs de mes élèves y habitaient. Ils devaient faire chaque jour un trajet qui leur prenait aller et retour plus d´une heure. Le premier cours commencait à 8 heures. C´est dire qu´ils devaient se lever tous les jours de la semaine vers 6 heures du matin. Tous, sans exceptions, étaient les premiers de leur famille à avoir l´ambition d´obtenir l´examen d´enseigement général correspondant à celui du Baccalauréat, ce que l´on appelait à encore à l´époque "examen artium". Leurs pères et leurs mères avaient tous commencé à travailler à l´âge de 12-14 ans après les années d´école obligatoire, pour la plupart dans la ferme familiale. Au moment des moissons, des labours ou de l´arrachage des pommes de terre, il n´était pas rare de voir des élèves privilégier le travail des champs au travail scolaire. Leur apprendre le francais, qui était alors encore obligatoire au lycée, était sans doute pour certain un défi comparable à celui de devoir apprendre le latin soixante ou cent ans plus tôt. Mais pour d´autres, c´était une nouvelle fenêtre sur le monde. Pour moi, j´avais comme l´impression de vivre deux époques en même temps : la mienne propre et celle de ma mère juste après la première guerre mondiale. Initier ces élèves au francais, et, dans une certaine mesure, à une pensée autre, même élémentaire, a été dans ces années-là, plus qu´une source de joie et de bonheur : un véritable honneur. Je ne sais si je leur ai laissé quelque chose, mais eux m´ont donné beaucoup : leur soif d´apprendre et le désir de monter.

C´est vers 21 heures 30 - 22 heures 30 que partait de Vadheim le bateau pour Bergen. Il parcourait encore le Sognefjord comme alors les bateaux de lait et le bateau-bibliothèque "Epos" , qui lui, est toujours en activité. J´ignore totalement le nombre de passagers que ce bateau régulier pouvait prendre par nuit. La literie était impécable, mais les cabines étaient exiguës et le coin des sanitaires d´un autre âge. L´ odeur qui y régnait, par ailleurs, était indescriptible : un mélange âcre d´huile, de mazout, de sel marin et de bière qui vous prenait à la gorge dès que vous poussiez la porte. Elle vous donnait aussitôt l´envie de sortir. Mais l´odeur de la salle commune où l´on pouvait se faire servir quelques boissons chaudes et froides, et diverses viandes hachées surmontées d´oignons frits graisseux ( = karbonade ) ou d´un oeuf-à-cheval, n´était guère mieux, car il  s´y mêlait une odeur de saucisses, de cigarettes, de tabac gris et de cendres froides. Vous pouviez aussi vous faire servir, comme partout ailleurs, des longues saucisses genre "Strasbourg" dans une "galette de pommes de terre" ( = lompe ) ou un petit pain spécialement concu pour ce type de saucisses ( = pølsebrød ). Votre faim n´était que médiocrement apaisée ; et vous aviez pour la nuit des renvois incessants. Il fallait pourtant bien regagner votre cabine. L´odeur de tabac gris et de cendre de cigarettes froides roulées, au moins, ne se faisait pas sentir : il était en effet interdit de fumer dans les cabines.

Tant que le trajet se faisait entre les rives étroites du fjord, le bateau était stable. En revanche, dès que vous gagniez la haute mer entre des îles habitées ou battues par les vents et les flots, les vagues faisaient tanguer le bateau. S´endormir prenait un temps infini, et jamais je n´ai pu dormir correctement lors des trois ou quatre voyages que j´ai effectués entre Vadheim et Bergen.

Le bateau accostait vers 6 heures 30 du matin. J´entrais alors dans un café qui venait juste d´ouvrir et attendais l´heure de mon premier cours de francais, qui commencait, soit à 8 heurs 15, soit à 9 heurs 15. A part les heures d´attente que j´ai dû effectuer 30 ans plus tard pour renouveler mon passaport comme étranger,  jamais de ma vie je n´ai éprouvé autant que ces matins-là la véracité de l´expression "avoir deux ou trois heures à perdre ...". Lire m´était difficile, je n´avais pas vraiment de copies à corriger, et le temps ne s´écoulait pas. C´est pourtant pendant ces quelques heures que j´ai lu avec plaisir quelques pages de Rabelais dans sa langue bien à lui. C´est même sur lui que j´ai un certain temps envisagé d´écrire mon mémoire de maîtrise.

Je suivais, dans cette journée languissante du mercredi, deux ou trois cours qui duraient chacun deux heures. Je ne me souviens que d´un seul : le cours du professeur titulaire de la chaire d´ancien francais Lars Otto Grundt, ancien élève de l´école des Chartres. Un remarquable enseignant, érudit et philologue jusqu´au bout des ongles, mais intimidant au possible, et d´un humour pince-sans-rire aussi cinglant que déroutant, mais qui faisait réfléchir. - "Lisez ! " me demanda-t-il lors du premier cours où je me suis présenté. Il s´agissait de la strophe XXIV du Testament de Villon. Je n´avais aucunne notion de moyen francais, et ne savais en rien qu´il convenait de faire une différence entre l´ancien et le moyen francais. J´ai donc lu comme il m´avait demandé de lire lors de mon oral de francais de "mellomfag" qui portait sur un article fort long et ardu d´un géographe qui écrivait une fois par mois des chroniques imposibles et ultra sophistiquées dans le Journal Le Monde. Je connaissais ce géographe et lisait régulièrement ses chroniques, ayant passé en France un certificat de géographie humaine. Le jour de l´oral , il avait déclaré . " Vous savez lire !". Ses questions étaient en revanche à la fois fort retorses et très pertinentes. J´avais conscience de m´être relativement bien sorti de ses questions-traquenards. N´étant plus un adolescent, j´avais osé lui dire à la fin de l´oral : - " Vous faites souffrir !"  Il répliqua d´un trait, l´oeil percant et joyeux : - " C´est tout c´que j´sais faire !". Après ma lecture inconvenante de Villon, il dit d´un ton peu aimable, l´oeil tout autant percant mais plus froid que lors de l´oral : - "Vous lisez mal ! " Ce fut mon tour de répliquer d´un trait : - "C´est parce que j´n´ai pas compris ". Son oeil retors s´illumina. - " leschier " signifie "lécher" et a un sens érotique comme pour lécher un sexe". Les deux vers de Villon que j´avais lus signifiaient donc que Villon, dans sa jeunesse, n´avait pas craint d´être "gourmand" (= brûlé d´envie, par le plaisir ou le désir)  et  "débauché". Tous les cours de cet enseignant n´avaient évidemment  pas à chaque fois cette intensité, mais il y avait toujours quelque chose de surprenant à retenir. Les autres cours, en revanche, étaient franchement insipides.

Pour rentrer à Førde, je prenais un "Catamaran" à 16 heures 30 ( ou 17 heures 30 ), c´est-à-dire un hydroglisseur puissant et bruyant qui reliait en quelques heures différentes localités du Hordaland et du Sogn og Fjordane. Je descendais à un arrêt battu par les vents au bout d´une route qui existe encore où seules quelques voitures de particuliers et deux ou trois cars attendaient : Rysjedalsvika, au confluent de "La mer du Sogn" ( Sognesjøen ) et du "Fjord du Sogn" ( Sognefjorden ). J´avais encore 98 kilomètres à parcourir. Je passais par LeirvikFlekke où plus tard, à deux kilomètres près, s´installera le Nordisk United World College qui prépare 200 élèves du monde entier au Baccalauréat International, Dale i Sunnfjord où se trouve un pierre commémorative à la mémoire du poète néo-norvégien Jakob Sande ( 1906-1967) et Bygstad. J´arrivais ainsi chez moi vers 21 heures, 22 heures.

Le seul cours profitable était à mes yeux celui sur Villon. Pour me rendre à Bergen, il me fallait solliciter chaque semaine auprès de mon proviseur, neveu ( ou petit neveu de Jakob Sande ), une demande de congé sans soldes. Personne ne pouvait assurer mes cours. J´ai donc rapidement abandonné. Deux ans et demi plus tard, après la naissance de mes deux enfants, je déménageais pour Oslo et passais l´examen final de francais "hovedfag". Une nouvelle étape de ma vie commencait. Les conditions économiques, démographiques, idéologiques et politiques allaient être toutes autres.

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9 avril 2007 1 09 /04 /avril /2007 11:03

[ Paul Cézanne, Jardin des Lauves, 1906 ]

En ce jour anniversaire de mon fils aîné Erik, né il y a 32 ans au petit matin à Florø dans le département ( ou Comté ) du Sogn og Fjordane de la Norvège occidentale, j´ai devant les yeux une nappe blanche, -  une couche de neige fraîchement tombée -, au-dessus de laquelle se dressent des troncs gris et blêmes de bouleaux, ainsi que quelques branches de pins aux aiguilles vertes sous la voûte bleue et moutonnée d´un ciel de printemps qui n´ose encore éclore totalement ; et cette neige printanière et ce ciel sont comparables à ce que mon souvenir m´a laissé quand j´ai regagné en coccinelle bleu pâle les 70 kilomètres qui séparaient la clinique de chez moi à Førde.

Pendant qu´il neigeait hier après midi, je regardais une bonne émission télévisée anglaise sur Paul Cézanne. Vers la fin de l´émission, un étonnant tableau a été montré, intitulé "Le Jardin des Lauves", véritable variation de jaunes, d´ocres, de verts et de bleus qui annonce le siècle à venir de la peinture abstraite. Comme il y a 32 ans, j´ai somnolé au gré de rêves colorés.

On sait peut-être que Cézanne avait acquis en 1901 une propriété plantée d´oliviers et de figuiers en bordure du canal de Verdon, et qui était alors à la périphérie Aix-en Provence. C´est sous une couche de neige comme une nappe blanche d´anniversaire que j´ai découvert son jardin de Lauves une après-midi froide mais éclairée d´un ciel bleu de Provence en décembre 1998. Les branches brunes et sombres des arbres se découpaient, couverts du blanc de la neige. C´est dans cette propriété plantée d´oliviers et de figuiers non loin du chemin dit des " Lauves", que Cézanne a construit son atelier. Il a alors repris un thème qui l´ocupait de plus en plus : Les Grandes baigneuses.

Selon les versions dites de Londres ou de Philadelphie, on passe d´une vision pastorale et lyrique d´une baignade à une "élévation sereine finale (...) sous un vaste ciel qui s´étend au-delà de la voûte ouverte des arbres courbes" évoquant une cathédrale (Joseph J. Rishel in "Cézanne", Réunion des Musées Nationaux, 1995). Avec Le Jardinier Vallier, qui rappelle les portraits de Rembrandt, et les natures mortes aux crânes, Cézanne médite sur la mort qui approche. Il n´a plus que quatre ans à vivre. Il n´a peut-être jamais peint avec autant de joie et de ferveur.

Le Jardin des Lauves, peint quelques mois avant sa mort, est d´une inspiration pleine de vie et de sensations incomparables. La composition et l´exécution réfléchies, qui sont à l´oeuvre dans les toiles antérieures, ne sont pas présentes ici. Il s´agit plutôt d´une symphonie de couleurs à trois étages. La terrasse est évoquée par le vert jaune du bas de la toile. Le feuillage des arbres occupe toute la partie centrale où domine le sombre de l´ombre rafraîchissante ; le souffle du vent est comme suspendu. Quelques tourbillons de rose, de lavande et de violet éclairent un ciel, non d´éternité, mais de vie éclairée comme peut l´être le ciel de sa Provence. C´est l´instinct sensible qui est privilégié dans cette toile annonciatrice d´un autre siècle. L´ intellect et la réflexion, qui ont tojours été si importants dans la peinture de Cézanne, sont comme écartés. Ce qui prime ici, c´est tout autre chose : c´est le désir d´exprimer ses sentiments face au chatoiement des couleurs de son jardin, de ses arbres, de ses feuilles, de son ciel ( et non de n´importe quel jardin ). A quelques mois de sa mort, Cézanne cherche à montrer à l´aide de la couleur seule dans son atelier de lumière et de silence qu´il a construit pour y vivre les dernières années de sa vie et y mourir en travaillant, que son obsession a toujours été la même : peindre l´harmonie vitale et organique de la nature.

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7 avril 2007 6 07 /04 /avril /2007 08:16

Je ne me souviens pas enfant avoir entendu dans la chambre d´à côté de frêles bruits la nuit comme Michel Leiris. Il n´empêche que je me souviens avoir cherché à écouter les lumières de la nuit, même si ce n´est que bien plus tard que j´ai compris qu´elles participent à la naissance de la sexualité, cette "pierre angulaire dans l´édifice de la personnalité", pour citer de mémoire le même Michel Leiris

J´ai toujours été fasciné par les chats, notamment leur clairvoyance. Leurs yeux en forme d´amande laissent entendre que le chat, vivant la nuit, peut lire un secret tapi en chacun de nous et qui nous fait vivre en partie.

Enfant, sur un chemin de retour du Bois de Boulogne à Paris, j´ai découvert un chaton que ceux avec qui je marchais ont consenti à recueillir. Devenu gros et tigré comme un félin, il a disparu un jour mystérieusement. Je me souviens avoir mal pris cette disparition. Quel secret emportait-il avec lui qu´il ne voulait que je sache ? Dans mes rêves d´enfant, je tombais dans un précipice, les fesses à l´air, et qu´un lion m´attendait en bas. Ces rêves étaient-ils liés à la perte du chat ou aux conéquences douloureues et incomprises de l´opération d´un phimosis ? C´est en tout cas, je le crois aujourd´hui, pour me venger de la disparition inexpliquée du chat, que j´ai jeté un jour dans une bouche d´égout de la rue où j´habitais un chat qui lui ressemblait. Sans fausse honte, j´étais heureux de me venger sur un substitut. Avoir été vu par un commercant de la rue n´a fait que décupler mon plaisir sadique. On a certes cherché à me faire honte, mais plutôt que de me dévoiler, j´ai préféré me refugier dans le silence, accompagné d´une moue dédaigneuse. C´était sans conteste un désir certain de vouloir châtier ( châtrer ? ) le chat qui désertait sans crier gare mes jours et mes nuits d´enfant pas sage.

Je ne sais encore comment interpréter le long désir de mon plus jeune fils d´avoir un chat à la maison dès son plus jeune âge. Dès qu´il s´est établi à son compte, avec sa compagne dans un appartement du centre d´Oslo, il a adopté un chat tigré qui ressemble étrangement au chat de mon enfance. A une lettre près , il lui a donné mon second prénom : Oliver. Chat d´appartement pendant plusieurs années, il ne s´est jamais vraiment laissé caresser. Ses yeux en amandes cachent un secret que personne ne peut approcher, surtout pas de la part de la fille de trois ans et quelques mois de la maison,Tiril. Elle le lui rend bien en l´agressant souvent. Oliver vit désormais dans une maison à étages entourée de jardins, d´herbe haute et de souris. Il n´a pas mis longtemps à errer de plus belle la nuit, et à chasser d´instinct la souris. Ses yeux en amandes sont comme auguisés de plaisir, et il aime jouer devant nous, après sa capture, avec la petite boule inerte de la souris ; comme si Oliver voulait transmettre le secret de la vie par delà la mort de la souris.

Un second chat vit désormais au côtés d´Oliver. Un chat ébouriffé, noir et griffu. Baïas ( ou Bajas ) n´a rien de comparable à la présence énigmatique d´Oliver : il aime se faire caresser et  montrer son ventre tavelé de rose. Rien de tel avec Oliver, qui garde son secret de félin tigré. Il aime sa solitude comme cet autre chat roux que je découvre lors de mes nuits d´ insomnies. Assis comme un Sphinx sur le seul de ma porte, il lève son museau en me voyant arriver à ma fenêtre allumée : il me regarde de ses yeux en amandes vertes, et j´ai comme l´impression qu´il se demande qui je suis et ce que je peux bien faire en cette nuit pleine d´étoiles ou non. Il n´est sans doute pas le seul à se le demander. Jusqu´à ce qu´il s´en aille, lassé d´être dérangé dans ses propres méditations. Il n´a que faire de mes souvenirs et de mes rêves, simulacres pour beaucoup de la vraie vie.

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5 avril 2007 4 05 /04 /avril /2007 18:32

Tout le monde - ou à peu près tout le monde - sait que les Sirènes, femmes au corps d´oiseau et au chant ensorcelant, attiraient les marins vers les rochers. Ulysse ne pouvait se résoudre de ne pas entendre leurs chants ; mais navigateur responsable, il ne pouvait non plus accepter le naufrage de son navire, la mort de ses compagnons et sa propre mort. L´homme aux mille ruses ordonna donc à ses marins, grâce aux conseils de la magicienne Circé, qu´ils se bouchent les oreilles de cire, qu´ils l´attachent au mât du navire, et que sous aucun prétexte, ils ne le détachent du mât, même si des yeux il les invitaient à le faire. Ulysse put ainsi  entendre le chant ensorceleur, tout en évitant à son équipage de précipiter le navire sur les rochers.

Je ne sais si je me prends pour Ulysse, mais je sens que je me dois d´utiliser une ruse analogue si je veux déjouer les chants des Sirènes qu´emmettent les variations de mon humeur. On appelle en médecine psychiatrique "Contrat d´Ulysse" un contrat qui lie, en cas d´une acutisation de leurs troubles, certains patients à une personne de leur entourage familial ou du personnel soignant : ceux-ci sont habilités à les empêcher d´accomplir des gestes qui risqueraient d´avoir des conséquences les plus néfastes, comme par exemple des achats inconsidérés, la conduite imprudente d´une voiture, des rages explosives intermittentes, certaines négligences des subtilités relationnelles, une hyperactivité incontrôlée, un besoin restreint de sommeil... Un premier épisode survenu durant l´été 1999 m´a fait rencontrer ce que l´on pourrait appeler une Circé qui m´a fait part de ses craintes. Deux ou trois épisodes mineurs ont eu lieu par la suite dont je n´ai pas vraiment tenu compte. Mais durant l´été 2003, il a bien fallu me rendre à l´évidence et accepter le diagnostic nuancé d´un vrai Hermès. Les remèdes et traitements ultérieurs des épigones, en revanche, ont été à mes yeux d´une inefficacité notoire. C´est donc sans fausse honte que je me suis décidé à les écarter définitivement. Je dors peu, ai des sautes d´humeur quasi journalières, une hyperactivité évidente et quelque peu délirante, mais je peux les contrôler ayant signé avec moi-même un "Contrat d´Ulysse". Je sais qu´au-delà d´une certaine limite le billet n´est plus valable, ... pour parodier Romain Gary.  Comprenne qui pourra, - ou voudra... eh... eh...

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3 avril 2007 2 03 /04 /avril /2007 11:30

[ Beaux livres exposés au regard : sont-ils lus pour autant ? ]

Question saugenue en cette période pour moi d´anniversaires du mois d´avril : pense-t-on davantage à autrui en offrant des livres ou en offrant des cadeaux périssables ?

Aimant les livres, j´en ai souvent donné à mes proches et à mes meilleurs amis. Je crois humblement aujourd´hui que ces livres offerts s´adressaient davantage à moi-même qu´à celui ou à celle qui les recevait. A l´exception d´un seul livre que j´ai recu enfant ( et qu´avec regret je n´ai plus car j´ai fini par le jeter un jour de grand rangement maniaque ), je ne me souviens d´aucun livre recu en cadeau que je n´aie moi-même sollicité. C´est donc sans peine que j´imagine qu´il en a été de même de la plupart des livres que j´ai pu donner à des anniversaires, des fêtes de Noël, ou à des invitations diverses de bons amis ou de quelques connaissances perdues de vue depuis longtemps. Ils ont sans doute été ouverts, peut-être même feuilletés ; mais ont-ils été lus ? Ceux que j´ai possédés ainsi ont encombré un certain temps ma bibliothèque. J´ai fini par les jeter, et c´est désormais sans fausse honte que je ne les possède plus.

Je me souviens en revanche fort bien des livres que j´ai donnés. Ils ont toujours été des livres que j´avais suffisamment aimés pour désirer les offrir. C´était des livres que j´avais lus, annotés, les livres dans lesquels j´avais écrit quelques réflexions personnelles dans la marge et dont certaines phrases avaient été soulignées ou encadrées. Entrer dans une librairie pour se procurer à nouveau l´un d´eux ou le commander était un bonheur presque aussi grand que de le donner. Ecrire une dédicace un plaisir supplémentaire, même si ce plaisir est quelque peu dérisoire. Voir la personne le recevoir, ouvrir le paquet, découvrir le nom de l´auteur et son titre a un charme que je ne peux nier. Mais est-ce vraiment penser à la personne à qui on l´offre ? Qu´il me soit permis d´en douter. Offrir un livre est sans doute finalement une autre manière de penser narcissiquenment à soi.

On a tous en mémoire ces livres reliés et poussiéreux de certaines bibliothèques où l´on  peut lire au-dessus du nom de l´auteur et du titre en caractères quelquefois plus gros : " Don de Monsieur l´Ambassadeur de France Hubert de la Huchette". On sourit, et on s´empresse de remettre avec respect le livre à sa place. Qui pouvait donc être ce Hubert de la Huchette pour étaler ainsi son nom au-dessus de celui de l´auteur ? J´ai toujours trouvé suspect ces héritiers qui se proposent de léguer la bibliothèque de leur défunte mère ou de feu leur père à la bibliothèque scolaire ou municipale de leur quartier. N´y avait-il pas de poubelles publiques plus proches ? Ce don effectué ne serait-il pas davantage un moyen inconvenant et somme toute peu élégant de se débarrasser de livres non lus, encombrants et que personne ne veut, mais que l´on n´ose jeter parce que l´éducation recue veut que l´on respecte la chose imprimée quelle qu´elle soit ? La bibliothèque de certains châteaux aux toitures percées que des descendants en peine d´argent font visiter pour se procurer coûte que coûte deux ou trois euros, est pour moi pire qu´un cimetière mal entretenu, car cela sent le renfermé d´un âge totalement vermoulu. Il faut savoir parfois se débarrasser de vieux livres illisibles, comme le fait tout gardien de cimetière qui désherbe et nettoie régulièremnent les tombes, même celles que plus personne ne fleurit.

Il en va différemment des cadeaux périssables et éphémères. Il convient de les consommer dans les heures ou les jours qui suivent le moment où on les a donnés ou recus. Ils procurent un bonheur immédiat souvent bien plus grand qu´un bonheur de lecture différé ou bien souvent remis à jamais. Je me souviens particulièrement de cinq petits cadeaux ( comme les cinq sens ) qui ont été donnés avec amusement : des chanterelles achetées dans un marché en plein air, des fines herbes cueillies dans un jardin, un alcool de poire sorti d´une cave sans électricité, des prunes placées dans un giron de tablier d´un cousine bien vieille, et des bocaux de confitures de mirabelles faites maison par une belle-mère. : " - "Oh ! des cadeaux périssables ! " est une exclamation qui résonne à mon oreille comme un bonheur sans fin. Je n´ai rien contre les cadeaux de Noël, mais ils ont souvent quelque chose de convenu pour ne pas dire de commercial qui vous laisse comme un arrière-goût difficile de vous débarrasser. On ne peut en revanche remettre à plus tard le plaisir de goûter un cadeau périssable. Il faut le consommer dans les heures ou les jours qui suivent. Ils n´ont aucunement la prétention de durer quasi éternellement comme le livre relié, broché, dédicacé ou non. C´est pour cela peut-être que l´on s´en souvient davantage. On sait son ami fin cuisinier ou fine bouche. Il ne peut attendre plus longtemps d´utilser les fines herbes dans une omelette baveuse, ou de mettre les chanterelles dans une poêle Tefal. Quant à la confiture de mirabelle, c´est sans doute un dimanche matin qu´elle sera entamée après une grasse matinée bien méritée. L´échange de paroles que ce cadeau périssable suscite est finalement plus riche que les remerciements polis et conventionnels pour un livre dont l´auteur n´était le plus souvent qu´un nom que portait la rumeur du moment. A quoi peut bien servir un livre recu dont on ne regarde que la tranche, eût-elle des lettres d´or ?

La civilité polie que suscite le livre recu que l´on n´aurait pas acheté soi-même est largement dépassée quand un cadeau plus simple et moins cher s´adresse véritablement à la personne qui le recoit. Il permet une vraie intimité partagée, semblable à certains repas en tête-à-tête, ou des vrais repas de famille où seuls sont échangés des regards et quelques mots sans prétention comme on croque une pomme cueillie sur le pommier de son jardin. Je n´ai que faire d´un livre donné ou recu qui ne fera qu´encombrer un rayonnage de bibliothèque. Le pire dans une cuisine est de posséder dans ses placards des conserves périmées. Le comble de l´indigence intellectuelle est à mes yeux de conserver un livre que l´on n´ouvre jamais.

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1 avril 2007 7 01 /04 /avril /2007 17:24

J´ai connu un homme professeur d´histoire qui, dans ses loisirs. était pêcheur à la mouche. A la retraite depuis longtemps, il ne fait plus que rire. Il rit désormais de tout et de rien, des maux comme des biens, - et dès que l´on se trouve á ses cõtés, on rit avec lui pour son bien comme pour le nôtre

Professeur d´histoire, il éveillait les adolescents aux soubresauts de l´Histoire avec un grand H. Sérieux comme un Pape, il ne faisait pas rire. Il s´efforcait de montrer autant qu´il le pouvait le sens caché des faits. Mais dès qu´il n´était plus en chaire, son rire fusait . Il vous montrait alors toute la déraison de son petit monde quotidien. Il ne riait jamais autant que lorsqu´il rentrait bredouille de ses parties de pêche. Au fil des ans, ce rire sur lui-même est devenu un véritable instrument de connaisance. Il dissèque autant la vie des hommes qui viennent le voir et l´entretenir de la marche du monde, que sa vie propre. Son rire dévoile un regard qui dénote une sagesse nouvelle. Une sagesse qui a pour fonction d´égayer, de réjouir et de dérider autant lui-même que ses visiteurs occasionnels ou assidus.

On a cru bon de mettre Hermann à l´abri en le placant dans ce que l´on appelait autrefois un asile de vieillards, - et que l´on appelle aujourd´hui par périphrase une institution pour personnes âgées. Si ce genre d´institution avait existé il y a deux mille ans et plus, je suis sûr que les Abdéritains aurait demandé à Hippocrate d´user de son pouvoir de médecin pour enfermer Démocrite le sage au lieu de lui demander de s´entretenir avec lui pour diagnostiquer l´ampleur de sa prétendue folie, - ce que raconte fort bien le bon et sensé La Fontaine dans sa fable Démocrite et les Abdéritains ( Livre VIII, fable 26 ), - et plus encore le faux Hippocrate dans Sur le rire et la folie que l´on peut lire aux éditions Rivages poche / Petite Bibliothèque, dans la traduction d´Yves Hersant, précédée d´une belle préface et suivie de nombreuses notes éclairantes du même Hersant.

Le rire démocritéen implique une réflexion sur le vide et l´infini. Le rire d´Hermann est plus modeste. Il n´en est pas moins un signe de sagesse, comme par ailleurs l´obligeance d´un certain Tonton Paul, ou  le sourire de son épouse Tante Suzanne.

 "Voilà [ lecteur ], ce qu´avec un vif plaisir, je voulais te dire d´[ Hermann ]. Porte-toi bien". ( Hippocrate, Sur le rire et la folie, dernière phrase ).

 Poisson d´avril !

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