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27 mars 2007 2 27 /03 /mars /2007 11:33

Enfant, je pouvais serrer la main de Tonton Paul pour traverser les rues de Versailles en toute tranquilité. Il n´était à vrai dire ni réellement mon oncle, ni même mon parrain, mais si ma mère avait dû disparaître, c´est lui et Tante Suzanne qui m´auraient pris en charge, élevé et continué de m´éveiller à la vie.

La dernière fois que je l´ai embrassé, c´était en juillet 1999, la même année où j´ai rencontré pour la dernière fois ma cousine Madeleine. Elle aussi avait ce jour là un tablier qui lui couvrait le corps et dont elle s´est servi pour m´offirir des prunes de son jardin. Ils se connaissaient. J´ai essayé de les faire se rencontrer en ce mois de juillet pas tout à fait comme les autres dans mon souvenir. Il habitait Pons en Charente Maritime, et elle à Saint-Georges d´Antignac, dans le même département. La distance n´était pas si grande. Mais l´âge, la tête malade de Tante Suzanne, un simple rhume ou peut-être simplement un contre-temps que je ne me rappelle pas, n´ont pas permis de rendre cette rencontre possible. Qu´en aurait-il resté dans ma mémoire ?  Aurais-je retenu une réplique ou un regard ? Ou auraient-ils parlé pour ne pas avoir à parler du temps qui leur restait ?

Madeleine a travaillé toute sa vie pour l´Abbé Pierre.Tonton Paul était d´un bord radicalement opposé : agnostique et Franc-macon. Mais tolérant, ouvert, chaleureux. Et ne cherchant jamais à faire du prosélytisme. Comme Madeleine, il pouvait expliquer si vous lui demandiez des éclaircissements, mais lui comme elle vous laissait votre liberté de jugement. Ce qui les liait à mes yeux, ce qui les rapprochait et ce qui faisait qu´ils se parlaient en écoutant ce que l´autre avait à dire, était autant leurs origines modestes et saintongeaises, leur parler et leur accent, que leur attention aux êtres. Madeleine a toujours défendu les humbles, les déshérités, les laissé-pour-compte, les exlus, les sans-abris, - ceux que l´on appelait autrefois les pauvres et pour qui on pouvait faire la charité. Je suis allé deux ou trois avec elle alors que j´étais adolescent dans ce que l´on appelait encore  dans la banlieue parisienne des  bidons-villes. Autant que quelques menus objets qu´elle donnait, ce qu´elle apportait, c´était un réconfort et  de l´espoir.

Tonton Paul, bien que totalement différent, était du même acabit.  Lui non plus n´était pas avare de son temps. Il cherchait, comme Madeleine selon ses moyens, a donner du baume au coeur de chacun. L´engagement de Madeleine était désintéressé. Elle souffrait de voir l´injustice. Tonton Paul savait avant tout se mettre à l´écoute. Le ton de sa voix. son regard, son attitude, sa manière de tendre l´oreille permettaient que l´on se confie sans que l´on craigne que ce qu´on lui disait soit mal interprété ou déformé. Il vous donnait confiance en toute simplicité et son amitié était indéfectible. C´était la bonté incarnée. J´ai connu plus tard un homme d´une bonté analogue : celui qui a été mon futur beau-père pendant près de vingt cinq ans, l´homme qui m´a donné à planter dans un jardin que je n´ai plus un brin de mirabellier. 

La seule photo que j´aie de Tonton Paul le représente dans la cuisine de sa maison de Pons où j´ai vu une arrivée mémorable d´un tour de France avec mes deux fils relativement petits, celui où Laurent Fignon a perdu le Tour de quelques secondes derrière Greg Lemon parce qu´il avait un furoncle au cul. Elle date de 1989. Il a donc environ 80 ans. Cette photo montre un homme qui semble toujours être dans la force de l´âge. Il vient de refermer "la dorne dau four", autrement dit le cintre de l´ouverture du four. Je ne sais si le plat oblong posé sur l´évier contient un "gigori", un civet ou un rôti, mais il est doré à point et attend d´être coupé, certainement accompagné de petits légumes de saison. Juste à côté, encore sur une des plaques de la cuisinière, sont posés une casserole à long manche et un petit pot de sel marin. Tonton Paul est debout, souriant, le teint bruni comme si le soleil l´avait mûri et coloré à vie. Il tient dans sa main droite un gant à carreaux rouges et blancs, et une fourchette dont on ne voit que les dents. Sa main gauche est protégée d´un gant identique, mais c´est le dessus blanc du gant que l´on voit. Il est habillé d´un long tablier de cuisine au liseré bleu qui lui couvre le corps jusqu´à mi-jambes. On peut découvrir, si vous approchez les yeux du tablier, le texte suivant écrit en petites lettres capitales bleues :  " Ayez l´obligeance de me parler avec douceur sans élever le ton et sans me contrarier d´aucune facon ". Un mode de vie qui le définit en toute simplicité tant que chacun de nous le garderons en mémoire.

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