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29 mars 2007 4 29 /03 /mars /2007 09:45

Tante Suzanne avait quatre-vingts ans la dernière fois que je l´ai rencontrée en juillet 1999. La femme de son beau-frère, beaucoup plus jeune qu´elle, ne parlait d´elle qu´en repétant à satiété qu´elle était  désormais "un légume". Elle était certes diminuée, ne se déplacait guère, et ne parlait pratiquement plus, mais cette caractéristique que lui donnait sa belle-soeur dépeignait à mon sens davantage la peur de cette dernière que la sérénité de Tante Suzanne.

Le jour où je l´ai vue pour la dernière fois, c´était une femme aux yeux vifs qui suivait tout ce que l´on pouvait dire. Soutenir que l´on pouvait parler sans retenue et dire n´importe quoi devant elle parce qu´elle n´avait plus sa tête était outrageant. Elle comprenait fort bien ce que l´on disait d´elle : elle froncait alors les yeux, et son sourire disparaissait aussitôt. J´ai osé dire d´un ton un peu cassant que l´ on cessât de parler ainsi devant elle. J´ai vu dans son regard de la reconnaissance. Son sourire est aussitôt revenu, et j´ose espérer, même si je n´en suis pas sûr, qu´elle se souvenait en me regardant à ce moment-là, qu´elle et Tonton Paul m´auraient élévé si les circonstances de la vie les y avaient contraints.

En cette après-midi de juillet 1999, elle était chez elle dans sa maison natale, à Pons, en Charente Maritime, assise dans un fauteuil, près de la fenêtre qui donnait sur le jardin. Un jardin où enfant je pouvais jouer à la dînette avec sa fille unique Sylvette ; et voir les libellules qui voletaient au-dessus de la Charente qui bordait le jardin à l´une de ses extrémités. Un aide infirmier qui l´avait connue de tout temps, venait régulièrement un jour sur deux faire les courses et le ménage. Il a sorti ce jour-là du linge d´une machine à laver pour le faire sécher au soleil d´été dans le jardin. La Charente était dans son calme habituel, et je me souviens avoir contemplé, rêveur, le vert des lentilles d´eau qui s´accrochaient à l´escalier de pierre qui permettait autrefois d´accéder à une minuscule berge où une barque était amarrée.

Tante Suzanne ne faisait pas qu´écouter : elle suivait tous les gestes que nous faisions, tous les mouvements que nous étions amenés à faire autour de la table où des boissons rafraichissantes avaient été préparées par Tonton Paul, tous les changements de direction de nos têtes, et tous les déplacements de son époux plus jeune que lui de quelques jours, - ce qui faisait que chaque année, pendant les quelques jours qui séparaient leurs anniversaires, il l´appelait "ma vieille". Ce mot d´amour convenait encore, n´en déplaise à sa belle-soeur, rien qu´à voir le regard que Tante Suzanne lui portait. Tonton Paul s´affairait, et rien dans sa démarche ne laissait supposer son grand âge : il s´activait, la servait, faisait la cuisine pour nous tous muni de son tablier, et recevait les visiteurs qui faisaient l´effort de les rencontrer autant par reconnaissance pour ce qu´ils avaient représenté que par amitié simple et désintéressée. Ils n´avaient pas été avares de leur temps, et chacun cherchait désormais à le leur faire savoir en leur rendant visite. Le sourire de Tante Suzanne éclairait toute la salle à manger comme le soleil de juillet de ce coin de France qui les avait vu naître et qui allait être leur dernière demeure.

Dans sa vie active, elle avait été une intitutrice qui apprenait à lire aux enfants de six ans. Retraitée, elle se chargeait souvent des enfants ( et parfois même des petits-enfants ) de ceux ou celles à  qui elle avait appris à lire vingt-cinq ou cinquante ans plus tôt. Diminuée dans son grand âge, elle rayonnait toujours, - et son sourire, comme ses yeux pleins d´une simple bonté, irradaient ceux et  celles qui l´approchaient pour tout ce qu´elle avait su donner autrefois sans compter. Elle était le point d´ancrage autour duquel tournaient toutes les attentions, et nous montrait comment vivre l´instant, le temps, l´éternité.

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