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13 janvier 2007 6 13 /01 /janvier /2007 09:17

Je me suis définitivement installé en Norvège en 1972, et ma première année a été pour moi l´année de toutes les espérances.

C´est par hasard que j´ai eu mon premier poste d´enseignant à Nordfjordeid dans un "landsgymnas", lycée dans lequel les élèves, généralement plus âgés que la normale, préparaient leur baccalauréat norvégien ( = artium) en deux ans au lieu de trois. Je ne sais si le hasard se mérite, mais c´est ce hasard qui m´a ouvert les portes futures de ce pays. Je crois qu´il n´est pas faux d´affirmer que le hasard sait trouver ceux qui savent s´en servir.

Adolescent, je m´étais juré de ne jamais devenir enseignant ; et encore moins pédagogue. Je suis devenu les deux. Je ne m´en porte pas plus mal et souhaite l´être encore, tant auprès de mes petits enfants présents et à venir qu´auprès de mes éventuels lecteurs. Enseigner ce que je sais après l´avoir appris me permet autant de mieux assimiler que de transmettre. Comme écrire aujourd´hui me permet de découvrir et approfondir ce que je croyais savoir sans devoir m´expliquer.

J´ai rapporté dans une autre chronique mon trajet de 108 km que je faisais deux fois par semaine pour prendre mon poste durant l´année scolaire 1972-1973. Je ne dirai pas que c´était un trajet d´initiation, mais il y avait dans ce trajet comme une promesse de l´aube, notamment lorsque je découvrais dans le geste du bras d´un pêcheur à la mouche au dessus des eaux de la rivière non polluée riche en saumons, le geste du moissonneur. Je voyais une promesse analogue dans la fuite de deux ou trois biches appeurées par le bruit de mon moteur ; ou encore dans la traversée de "la vallée aux gués" sans soleil ; et un peu plus tard, sur la route, une autre promesse dans la rencontre attendue avec "mon" arbre solitaire et majestueux, détaché des différents plans où se dressaient les autres arbres de la forêt à flanc de montagne, rougeoyant sur fond de pins et sapins vert froncé. Mais aussi grâce au renard, qui, j´aime à le penser, était toujours le même, au détour d´un petit bois surplomblant une crête, avant d´arriver au bac qui me ferait traverser le bras d´un nouveau fjord. Je n´ai jamais plus comme cette année-là, attendu avec autant de bonheur, le début de mes cours où, je le savais, seraient attentifs, des étudiants à peine plus jeunes que moi.

Le bâtiment du lycée (= gymnas ) ne payait pas de mine. C´était un bâtiment vieillot, de bois ocre, relativement bas de deux ou trois étages, qui se dressait, légèrement solitaire, sur une minuscule élévation de terrain. La mer était toute près, à moins de deux minutes à pied, mais on ne la voyait pas ; on ne la sentait pas non plus. Le génie du lieu était la terre sur laquelle s´élevait cette bâtisse. La plupart des mes collègues possédaient une petite maison à proximité immédiate de l´établissement, et avaient un jardin qui leur permettait de cultiver quelques arpents de terre. L´essentiel n´était pas, je crois, dans la récolte, mais dans le travail que la terre leur permettait, pour bien montrer leurs origines paysanne et campagnarde par opposition à la ville lointaine. Le lycée était d´ailleurs un "landsgymnas", mot difficile à traduire, mais qui désigne autant le mot de terre, de campagne, de village, éventuellement celui de province, bien que je ne puisse oublier ce que le mot de province a de hideux.

J´ai visité plus tard, entre 1981 et 1986, un grand nombre de lycées norvégiens pour soutenir l´enseignement du français en Norvège comme lecteur itinérant. J´ai toujours retrouvé dans les deux ou trois "landsgymnas" que j´ai visités le même esprit : celui de dire et de revendiquer ses origines les plus modestes. Mes collègues étaient certes des équivalents de ce que les Français pouvaient appeler des licenciés. des capétiens ou des agrégés, mais la plupart n´avaient pas peur de dire qu´ils étaient des diplômés-paysans, étant fiers d´avoir eu des parents, des oncles, des cousins, des grands-parents et des cousins paysans. Les élèves qui suivaient leurs cours avaient les mêmes origines. Ils venaient comme eux de milieux paysans et ne reniaient pas leurs origines rurales et campagnardes, même s´ils désiraient étudier plus longuement que leurs parents ou grands-parents qui avaient du cultiver la terre ou trouver un emploi dès l´âge de 12 ou 14 ans.

Dès l´approche du printemps, mes collègues bêchaient, sarclaient, binaient, désherbaient, plantaient, cultivaient, - que sais-je encore -, leur bout de terre, et leurs mains, à la fin de chaque cours étaient autant couvertes de craie que de traces de terre sous les ongles. Le blanc de craie ou le noir de terre ne les gênaient pas pour parler des lois de la physique, démontrer un théorème ou expliquer les beautés des rimes du "Roi des Aulnes" de Goethe. Ils étaient aussi fiers de faire leurs cours avec les lignes de la main incrustées de terre que bon nombre de leur aïeux paysans l´était de savoir lire et écrire bien avant que l´école ne soit obligatoire en Norvège, il y a plus de deux cent cinquante ans. Quand une troupe théâtrale de la capitale Oslo ou de la grande métroplole régionale Bergen étaient en tournée à Nordfjordeid, il n´était pas rare de voir arriver un paysan en bottes et en tracteur, sans que personne n´ait quelque chose à dire.

Il me paraît tout à fait caractéristique de savoir  que les autorités politiques et culturelles de pays, de la région et de la commune, ont décidé récemment  de construire à Nordfjordeid, commune aujourd´hui de 4000 habitants environ, une maison de la culture avec une bibliothèque, un nouveau cinéma, et une salle de concerts qui permettra de montrer des opéras.

Mes collègues s´appelaient Moen, Falaide, Myklebost, Solheim, Gjerde. Un autre se prénommait Kjell. Mais c´est avec Jon que je corresponds toujours. Jon Tolaas. C´est lui qui m´a téléphoné pendant les deux heures et demie où j´ai été garçon de ferme dans une école supérieure d´agriculture. Professeur de français, d´anglais et de psychologie, c´est aussi un poète, un nouvelliste et un spécialiste internationalement reconnu des rêves. C´est surtout lui qui m´a parlé en premier de la joie qu´il y a de cultiver la terre avec des enfants, et de voir comment ils se réjouissent de découvrir ce  qui sort d´une graine qu´ils avaient plantée eux-mêmes. Je vois comme un signe ce rappel modeste du désir de planter quelques graines en compagnie d´enfants qui regardent, émerveillés, ce qui va en sortir.

Faire aujourd´hui revivre des souvenirs lointains de mon enfance, ou des souvenirs plus récents de ma vie d´adulte découvrant un pays qui est désormais le mien, - et plus encore celui où mes enfants et petits-enfants sont nés -, est un plaisir ausssi surprenant que celui de travailler la terre.

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