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7 mai 2007 1 07 /05 /mai /2007 23:38

[ Vilnius la souriante malgre les siecles d' occcupations ]

La visite de la vieille ville a commence a 10 heures precises. L' exactitude a toujours ete la politesse des rois, surtout dans un pays a monarchie constitutionnelle comme la Norvege. Le guide norvegien au sourire eclatant a aussitot donne la parole a la guide locale lituanienne qui maniait remarquablement le norvegien, meme si elle n' utilisait aucun toneme et que certaines accentuations manquaient de precisions. C' est ainsi qu' apres deux ou trois phrases seulement de presentation, elle nous a precise que la veille, soit le dimanche 6 mai, etait fete des meres en Lituanie. Mais personne ou presque n' a compris. Sans se demonter, elle a donc precise qu' elle voulait parler des femmes, des meres et des grand-meres qui ont toutes eu des enfants et des petits-enfants. - : " Ah ! La fete des meres ! " Le ton etait donne : pendant deux bonnes heures et demie , cette petite femme de rien du tout aux yeux bleus percants d' intelligence et de malice, a la fois humoristique et ironique tant sur elle-meme que sur son sujet, nous a parle des diverses occupations de son pays ; celles des Russes, des Polonais, des Suedois, des Prussiens, des Allemands, des Sovietiques. Et meme des Francais sous Napoleon. La Lituanie, consideree paienne et heretique par la chretiente romaine, a ete le dernier pays d' Europe a etre christianise. Bien apres la Norvege. Mais cette christianisation-croisade n' etait qu' un pretexte pour conquerir, soumettre et exploiter le pays. Notre guide aux yeux etincellants et a la verve, aux comparaisons et aux apartes aussi inattendus et justes pour reveiller autant notre attention que notre   fatigue, a certes precise la date exacte de la christianisation. Ainsi que le pays envahisseur et victorieux. Je ne l' ai pas note. C' est sans doute le moment ou j' ai ouvert mon parapluie vert cru que le receptionniste de jour, - immense homme aux yeux bleus delaves, a la cravate jaune, et au sourire quelque peu fige -, m' avait tres gentiment prete. Je lui avait demande : " Do you 'have a paraplui ?" - : " An umbrella ? " - : " Yeees ! ".  Mais je ne m' en suis presque pas servi, sauf comme canne ou piolet  pour soulager mon dos meurtri de devoir marcher sur les paves de la vieille ville.

Pendant des siecles, les envahisseurs de toute l' Europe ou presque, se sont succedes aux envahisseurs : ce qui explique les incessantes destructions, les incendies repetes, les viols, les morts, les massacres ;  et les reconstructions inlassablement recommencees apres chacune des destructions. Sans parler des pestes et des famines. Ce qui explique aussi le si grand nombre de forteresses et divers batiments de defense dans ce pays de plaine ou le point culminant depasse a peine les trois cents metres d' altitude. Ainsi que les innombrables deplacements de la capitale selon les diverses puissances occupantes: Vilnius, Trakai, Kaunas, Vilnius, on s' y perd un peu, et encore Vilnius.

La Lituanie n' a ete que deux fois independante au cours de l' histoire. La seconde fois en 1991 apres cinquante d' ans d' occupation sovietique. Stalinienne d' abord mais deja bien sovietique. Notre guide s' est promise de faire visiter a un prochain groupe de retraites Norvegien le musee du KGB.  Puis elle nous a fait traverser le quartier juif en rappelant qu' aux XVIIIe et XIXe siecles Vilnius etait  surnomee la Jerusalem nordique a cause du tres grand nombre de ses synagogues et de ses rabins erudits. Le nombre de juifs est  aujourd' hui derisoire et il n' y a plus qu' une seule synagogue. La vieille ville se transforme a la vitesse grand V. Le beton et l' asphalte remplacent les paves. Les echoppes cedent la place aux boutiques qui attirent les touristes. La vieille ville classee sur la liste des villes du patrimoine de l' Unesco risque d' etre la premiere ville au monde a etre retire de la liste.

La situation geographique de la Lituanie explique pourquoi ce pays a ete au cours des siecles l' objet de tant de convoitise des pays environnants : il est a la croisee de l' Europe de l' Est et de l' Europe de l' Ouest. L' entree de la Lituanie dans l' Union Europeenne n' a pas vraiment fait changer cet etat des choses. George W. Bush, aux decisions et declarations toujours nuancees, n' a pas craint de declarer sur le balcon de l' Hotel de Ville et devant une foule enthousiaste : - " Les ennemis de la Lituanie sont nos ennemis". Depuis, George W. Bush est pour la majorite des Lituaniens l' homme prefere du monde entier. J' ai hurle a l'unisson de tous les retraites norvegiens de mon groupe en entendant ce choix insolite.  J' acheve d'ecrire cette contribution qui me semblait au debut n'avoir que la simple pretention de me faire passer quelques heures pendant la seconde de mes nuits d' insomnies. Il est possible - il est meme certain - que je me berce d' illusions. Depuis plus de 2000 ans que les habitants de la plaine lituanienne ont developpe le commerce entre les regions de l' Est et de l' Ouest de l'Europe, et que Vilnius a joue un role non negligeable dans cette activite, la Lituanie, - si j' ai bien compte - n a ete independante que 2 ans entre 1917 et 1918, et 16 ans depuis 1991, c' est-a-dire, en tout et pour tout : 18 ans. 18 ans en 2000 ans. Soit un chiffre qui correspond a peu pres a la moitie des 35 eglises de la seule vieille ville de Vilnius. Ce qui ne l' a pas empeche, tout en etant un pays mainte fois occupe par de nombreux pays etrangers dominateurs, d' avoir ete, selon notre merveilleux guide toute menue que j' ai qualifie au debut de "rien du tout", que la Lituanie a ete un Etat bien avant les deux autres pays baltes. Cela peut sans doute expliquer le choix des Lituaniens pour Bush. Il ne faut jamais jurer de rien.

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7 mai 2007 1 07 /05 /mai /2007 03:38

Il est a ma montre 03 h 45, il est donc 04 h 45 a Vilnius. Pour parler des heures, je garderai l' heure d' Oslo qui est aussi l' heure de Paris.

Il est evident que je ne peux faire autrement cette nuit que d' evoquer la nuit electorale. Je suis arrive dans ma chambre a 23 h 30. Je me suis precipite sur la television et j' ai pu entrendre et voir sur la chaine anglaise BBC que Nicolai Sarkozy etait elu avec 52,70 % des voix contre 47,30% pour Segolene Royal. Mon objectif dans ce blog se veut autant  de me forcer a ecrire pratiquement tous les jours que d' evoquer des souvenirs. Etant touriste a Vilnius, je ne m' attarderai pas sur des souvenirs. Je ne peux cependant pas ne pas penser a decembre 1965 quand De Gaulle a ete elu pour la premiere fois au suffrage universel contre Mitterrand qui se presentait pour la premiere fois au poste de President. J' etais comme aujourd' hui en voyage et je me rendais en Norvege... Segolene Royal, qui n'a que 53 ans, peut se representer dans cinq ans. Nicolas Sarkozy aussi, puisqu il a un an de moins que Segolene. On verra ce que les cinq ans a venir nous laisseront comme souvenirs. Pour la presidence Chirac, je ne vois que des echecs et des rates : la dissolution manquee de l'Assemblee Nationale en 1997qui l' a contraint a faire appel au socialiste Lionel Jospin, son score de "mal" elu en 2002, - que l'on parle des 19 % au premier tour ou des 82 % au deuxieme tour -, le non au referendum pour la constitution europeenne en 2005, la revolte des banlieues en novembre 2005 apres les propos incendiaires de son ministre de l' Interieur Nicolas Sarkozy devenu cette nuit President, sans oublier le retrait du CPE ( = Contrat Premiere Embauche ) de son Premier Ministre Domique de Villepin.

A part certains de mes courriels que je considere peu importants, c' est la premiere fois que j' ecris dans mon blog directement sur la toile. Je pense donc autant mot a mot que lettre par lettre. C' est d' une lenteur d' autant plus effroyable que je connais mal le clavier et qu' il n' y a pas d' accents.

Dehors, la pluie ne fait que tomber. Il ne pleuvait pas quand le groupe de 38 retraites comme moi sont montes dans le car. L' accompagnatrice, une grande femme brune aux cheveux courts, encore assez jeune, au sourire eclatant qui illumine tout son visage en meme temps qu' il devoile ses trop grandes dents, nous a dit qu' elle connaissait bien Vilnius. Depuis 15 jours, il ne fait que beau, bien qu' assez  froid. Il convient donc d' etre optimiste et d' y voir un signe prometteur. Mais juste avant , - ou un peu apres, je ne sais deja plus -, elle avait precise que Vilnius signifie pluie. J' en avais aussitot conclu que nous aurions de la pluie. C' est elle qui a berce une partie de mon insomnie en tambourinant sur  la vitre oblique de ma chambre mansardee. Une belle chambre, desuette, qui a beaucoup plus de cachet que les chambres sophistiquees, fonctionnelles et froides des hotels de luxe SAS-Radisson. La clef de metal, attachee a un enorme et lourd porte-clef  que l' on tient bien en main dans la peaume, ainsi que l' absence d' ascenceur, etaient deux signes precursseurs. La modernite est ailleurs, ce qui n' est pas pour me deplaire : une salle de bains magnifique, avec une vaste baignoire et un immense lavabo de marbre. L' hotel s' appelle d' ailleurs "Marbre Residence". Apres une remarque de mon plus jeune fils Nicolai que j' ai rencontre hier matin juste apres avoir vote, j' etais prepare a ne pas avoir d' ordinateur dans ma chambre. En redescendant a la reception juste apres avoir connu les resultats de l' election presidentielle, j' ai su que pour pouvoir me connecter sur internet et mon blog, je devais utiliser une salle du rez-de-chaussee equipee d' un ordinateur portable. Malgre ma fatigue, mon sourire s' est alors aussitot elargi. C' est apaise et relativement rapidemment que j' ai pu m' endormir un peu avant minuit, heure d' Oslo et de Paris. Quand un peu plus de trois heures apres, je suis redescendu a la reception pour utiliser l' ordinateur portable de l' hotel, c' etait le meme receptionniste qui etait veilleur de nuit. Il etait allonge de guingois sur un fauteuil, et tentait de dormir. Il a bondi en me voyant. J' ai explique je ne sais deja plus comment  que je souhaitais utiliser l' ordinateur : - "Si tot ? " J' ai simplement fait signe que "oui" en souriant  et hochant plusieurs fois la tete. Il m' a alors dit de patienter en m' invitant a prendre une pomme.

D' ou je suis, je n' entends pas la pluie. Je verrai d' ici une heure ou deux  si l'optimisme affiche de l' accompagnatrice aux grandes dents et au beau sourire dement mon interpretation sur son double langage a propos de la pluie a Vilnius. Mais je n' ai avec moi ni impermeable, ni parapluie.

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6 mai 2007 7 06 /05 /mai /2007 09:03

[ A la recherche du mot perdu chez Honoré de Balzac ]

A partir de ce soir, je serai pour sept jours à Vilnius, capitale de la Lituanie. Sachant que j´aurai dans ma chambre d´hôtel une liaison internet à débit rapide, j´ai décidé d´utiliser mon blog comme un  journal de bord. Et j´ai subitement compris l´étymologie du mot Blog. Eureka ! .

Le norvégien peut utiliser le mot anglo-américain log : journal de bord  de la marine et de l´aviation  américaine. Blog est donc la contraction de web qui se termine par "b" et log. Un blog est par conséquent "un carnet de bord personnel tenu et dévoilé sur la toile". Explication un peu longuette en francais.

Il est certain que le mot blog n´est guère agréable à l´oreille. Mais il est court, fonctionnel et pratique. Comme tous les mots que les Américains inventent  à longueur de journée. Il est faux, en tout cas, d´affirmer que ce mot n´a "aucun fondement linguistique sérieux". Sorry, bel ami ! C´est dévoiler son ignorance de l´anglais. On ne peut cependant reprocher à l´excellent germaniste qu´est mon bon ami de ne pas maîtriser l´anglais. Re-sorry ! 

Il est de bon ton que Norvégiens et Francais s´offusquent de l´influence de l´anglo-américain sur le développement de leur propre langue nationale. Joachim Du Bellay, que je sache, n´a pas craint d´affirmer dans sa Défense et Illustration de la Langue Francaise, que le francais de son époque était une pauvre langue qu´il convenait d´enrichir par l´imitation et l´emprunt. Etiemble, bien oublié aujourd´hui, a raillé en son temps le franglais. J´avoue que bousquer et bouscateurrésonnent plus à mon ouïe que les longues périphrase explicatives chercher sur la toile ou utiliser un moteur de recherche. Vouloir cependant substituer zyeuter à Google serait autant saugrenu que farfelu ; une "très sotte mignardise" tout aussi ridicule que "tout-à-fait" pour simplement dire "oui". A technique nouvelle, mots nouveaux. Ecrire blogue ne changera rien à l´affaire. Il ne m´est cependant pas indifférent d´avoir compris que blog n´était pas linguistiquement immotivé.

Je vois dans blog venant du "b" de web et du log une évolution du francais que l´on ne peut arrêter. Ce n´est après tout , - et tout compte fait -,  que du francais enrichi par imitation et emprunt à la langue américaine qui peut provigner à l´infini des cookies. Comme les vignerons bourguignons savent comme personne multiplier des ceps de vigne par le moyen de provins.

NB que j´espère inutile : A défaut de console dans ma chambre d´hôtel, je pourrai toujours me consoler avec un bon roman ; ou déguster au bar une Utenos Alus, une Utenos Porteris ou une Kalnapilis

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4 mai 2007 5 04 /05 /mai /2007 16:34

J´ai évoqué récemment le comportement entier et véhément d´un enfant de 7ans. C´était le soir de son premier jour d´école à Førde dans le département ( ou le Comté ) du Sogn og Fjordane dans la Norvège occidentale, un beau jour d´août entre 1972 et 1977.  L´intérêt de ce souvenir est autant à mes yeux dans la rage que l´enfant a eu ce soir-là devant moi et ses parents, que la totale occultation par sa mère de cette rage. Ce dont elle se souvient, elle, c´est de l´enchantement de l´arrivée devant la porte de l´école quelques heures plus tôt dans le matin ensoleillé et radieux de cette première journée d´école ; c´est de son fils habillé comme un petit roi, des photos qu´elle a prises, et du rôle de l´institutrice qui avait pris en charge une trentaine d´enfants qui allaient commencer une nouvelle vie de 10 ans sinon 13. A vrai dire, le plus intéressant, aujourd´hui que je reviens à cette journée pas tout à fait comme les autres à mes yeux, c´est la confrontation de deux souvenirs : la beauté d´un matin pour une mère qui a complètement occulté que le soir son fils n´était que rage, et la rage que je pouvais observer chez son fils de 7 ans qui  n´était  pour moi rien d´autre qu´un enfant plein de rage. Je me souvenais d´une chose, sa mère ne se souvenait que d´une autre. Qui a raison ? La mère pleine d´attente qui a oublié le comportement déplaisant d´un flls de 7 ans, ou le regard d´un étranger non complaisant qui découvrait un enfant mécontent et rageur ? Je ne connaissais pratiquement pas cet enfant. Il n´était rien pour moi. Il est ce que mon souvenir m´a laissé : un enfant plein de rage qui se sentait dupé, qu´on avait trompé et qui cherchait à le faire savoir : tout était idiot. Idiot ! IDIOT !

Le souvenir que la mère avait de cette journée inoubliable pour elle était celle qu´elle voulait qu´on se souvienne : une journée pleine de promesses, celle où son fils de 7 ans commencait l´école obligatoire. Le vécu de l´enfant était tout autre : on lui avait fait perdre une journée de jeux. Il n´avait rien  appris. Ne connaissant pas l´enfant comme sa mère, je ne percevais qu´une rage et une colère. Il est possible cependant que je projette sur cet enfant une rage qui est plus la mienne que la sienne ; que je superpose à sa rage ma propre rage : celle d´avoir été trompé ; la rage de découvrir que l´on m´avait menti.

C´était un 25 décembre. J´avais souhaité un train électrique. J´avais recu un train mécanique. Et un vélo. Le vélo ne compensait pas, à vrai dire, la déception de n´avoir pas recu du Père Noël un train électrique. Pour la cacher, je me suis concentré sur les roues du vélo. Je ne comprenais pas comment le Père Noël avait pu faire passer des roues dans le trou minuscule de la cheminée. Je mettais la tête près du trou,  je faisais mine de mesurer la grosseur du trou de la cheminée, je comparais avec la grosseur des roues du vélo. Je ne comprenais pas. Je demandais des explications. Ma mère me répondait comme elle pouvait et ce que disait ma soeur sonnait encore plus faux : la voix, le ton, les mimiques, le sourire, les yeux, les gestes, les mots eux-mêmes. Excédé, j´ai désiré aller jouer dans la rue. Le garcon de ma rue qui s´est mis à ricanner de ma crédulité me révélait d´un coup que le mensonge et la tromperie pouvaient être le lot de tous. Sans pleurs mais plein de rage, je me suis mis à jeter de toutes mes forces pour le casser, ce train mécanique que ma mère m´avait offert à la place du train électrique que je souhaitais si ardemment. - : "Tu le savais, toi, ce que j´voulais !"

Je crois aujourd´hui que cette découverte du mensonge proféré par ma mère a joué un rôle considérable dans le développement de ma personnalité. Ma mère m´affirmait qu´il était laid de mentir. Mais elle m´avait éhontément menti. Ma soeur en rajoutait en disant que mon nez bougeait quand je mentais. Je savais parfaitement que c´était faux : mon nez ne bougeait pas. Mais dire que mon nez bougeait signifiait qu´en disant quelque chose de faux, on me faisait comprendre que je mentais. Qu´est-ce qui faisait que l´on m´avait découvert ? Etait-ce les traits de mon visage ? Etait-ce mes yeux ? Etait-ce le ton de ma voix ? Etait-ce mes mains ? Etait-ce l´attitude générale de mon corps ? Ou était-ce les mots eux-mêmes, mal choisis, mal prononcés, mal agencés dans une phrase trop longue ou trop courte. ? Etait-ce le récit qui n´allait pas à l´essentiel ? Ce qui est sûr, c´est que je comprenais  que je n´avais pas réussi à suffisamment maîtriser l´effet que je voulais créer. Il me fallait par conséquent m´entraîner davantage. Sans le savoir, j´apprenais à vivre en société.  

J´apprenais la nécessité du mensonge social. Je découvrais la force incomparable de la parole qui, avec les mêmes mots, pouvaient indifféremment dire la vérité ou le mensonge. Plus ! Que toute vérité n´était pas bonne à dire ; que la vérité pouvait blesser. J´avais dit à notre femme de ménage qui s´était baissée pour ramasser un de mes jouets : - "Nini, tu pues !" - : "Oh ! Bernard, on n´dit pas ca !" - : Mais Maman  ! C´est vrai ! ". Nini s´était relevée en riant, et du même coup, avait éloigné ses grosses fesses de la proximité de mon nez. Le soir, j´en ai reparlé à ma mère. Sa gêne, ses yeux et le changement brusque de la conversation m´ont fait comprendre que j´avais raison. Nini sentait mauvais. Mais on ne pouvait pas le dire : on ne pouvait dire qu´elle puait, on ne pouvait dire qu´elle sentait la pisse ou le pipi, on ne pouvait même pas dire qu´elle sentait mauvais. Il y avait des mots et des pensées que l´on gardait pour soi. Ce qui voulait dire aussi qu´il y avait des mots que l´on pouvait dire pour cacher ce que l´on voulait dire.

Je n´ai plus cinq ou six ans. Essayons d´aller plus loin. Comment départager celui qui affirme "parler vrai" pour mieux se faire entendre, et celui qui soutient que l´on dit plus dans "le mentir vrai" du roman ? Affirmer tout à coup que l´on déclare que l´on va parler vrai, c´est faire comprendre qu´auparavant on avait parlé faux. Soutenir que l´on atteint une plus grande vérité en agencant ses mots dans des phrases pensées et écrites, c´est montrer que le choix des mots et leurs agencements au sein d´une phrase, d´un paragraphe, d´une strophe, d´une nouvelle ou d´un roman jouent un rôle aussi important que les mots eux-mêmes. On dit souvent qu´il faut lire entre les lignes. Il me semble que rien n´est plus faux. Entre les lignes, il n´y a que du blanc. Autrement dit, rien. Comme une page blanche avant qu´on l´ait noircie, que ce soit avec des mots, des ratures ou des gribouillis.

Si  les phrases, les répliques et les mots signifient plus qu´ils ne semblent vouloir dire dans une première écoute ou un première lecture "naïve" et " littérale", c´est qu´ils ont une richesse qui vient de leur usage ;  de leur patine que les ans et les hommes de tous les temps et de tous les lieux leur ont donnée. Cela n´a rien à voir avec le blanc qu´il y a entre, au-dessus, en dessous ou alentour d´eux. Le mot recoit son sens de son origine, de son histoire, de son évolution, de son épaisseur sémantique stratifiée, de sa polysémie intrinsèque et de l´ usage que chacun de nous en fait dans son parler singulier, qu´il soit riche ou pauvre, grossier, savant. recherché ou maniéré. Qu´il soit utilisé en poésie dite difficille comme pour le poète juif de langue allemande après Auschwitz Paul Celan ou en poésie plus accesssible comme pour le Norvégien Olav H. Hauge . Ou dans les phrases démesurément longues de Claude Simon  ou les phrases non achevées des dialogues des personnages de William Flaulkner.

Il ne s´agit donc pas à mes yeux de lire entre les lignes mais de lire véritablement le mot dans tous les sens que l´on peut lui donner : de gauche à droite d´abord, bien sûr, mais aussi, souvent, dans leur sens anciens ou oubliés, et quelquefois dans leur sens que seul l´auteur amateur de bons mots ou de calembours approximatifs leur donne, sans parler des acrostiches, anagrammes et autres palindromes en tous genres de Villon à Perec.

L´enfant de 7 ans qui, le soir de sa première journée d´école, n´était que rage et qui trouvait que tout était idiot, cherchait à dire plus qu´il ne disait. Il exprimait une frustration. Il le disait  avec un mot. Il l´accompagnait avec tout le langage du corps : de son corps à lui. S´il avait su écrire, il aurait utilisé son mot idiot dans un contexte. Mais il aurait fallu qu´il ait déjà lu. Quant à mon souvenir de sa rage, j´en ai fait une lecture en me souvenant d´une autre partition qui était la mienne : celle d´un enfant qui s´était senti trahi par les mots que les autres employaient, et les siens qu´il n´arrivait pas à trouver pour exprimer sa rage. Les mots. Non les blancs entre les lignes. Reste que dans les paroles, on peut faire comprendre par des silences et des non-dits. Entre nous soit dit.

Je connais pourtant un blanc qui dit beaucoup : celui du début du sixième chapitre de la troisième partie de L´Education sentimentale de Flaubert. Ce n´est cependant pas le blanc qui dit ; ce sont les mots qui suivent : "Il voyagea. // (...)Il revint. // (...) Des annés passèrent ; et il supportait le désoeuvrement de son intelligence et l´inertie de son coeur". Le blanc ne dit rien. Il ne fait que représenter le vide de 19 ans d´ existence. N´est pas Flaubert qui veut.

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2 mai 2007 3 02 /05 /mai /2007 10:23

Le fils de la maison avait atteint les sept ans. Il pouvait donc commencer à aller à l´école. A l´époque, entre 1972 et 1977 en Norvège, il fallait avoir sept ans révolus pour commencer l´école obligatoire. Le débat faisait rage entre les partisans qui voulaient que l´âge de début soit 6 ans, comme alors dans la plupart des pays "avancés" d´Europe ( selon l´une de leurs affirmations qui revenait comme un leitmotiv , - comme si une affirmation martelée à l´infini suffisait à convaincre ) -, et les partisans du maintien des 7 ans révolus pour le premier jour de l´école ; partisans traditionnels un peu dépassés, mais qui argumentaient avec conviction le rôle de la mère au foyer qui se devait d´être le plus longtemps possible auprès de son enfant , de sa naissance à l´âge de la scolarité pbligatoire. Face à eux, les partisans adverses qui estimaient que le développement de l´enfant était stimulé dès son entrée dans une école maternelle, mettant en avant la réussite francaise dans ce domaine. Il n´empêche que le débat était quelque peu faussé car le nombre des écoles maternelles était à cette époque dérisoire dans le pays. J´ai oublié l´année où l´âge d´entrée à l´école obligatoire a été porté à 6 ans, mais le nombre d´écoles maternelles était alors satisfaisant dans l´ensemble de toutes les communes qui s´élèvent à 435 ( si mes statistiques sont à jour. Rien à voir, donc,avec les quelques 36.000 communes francaises.)

Pour revenir au fils de la maison qui allait pour la première fois se rendre dans une école, il s´appelait Helge. Son père, mécanicien, travaillait. Sa mère aussi. Mais elle avait eu droit à une journée libre pour accompagner son fils de 7 ans à l´ école primaire près de chez elle. Le petit Helge était un garcon déluré, vif à souhait, actif grâce à des parents attentifs et attentionnés, à la réplique facile, et qui avait toute la journée ses activités d´enfant plein d´énergie et infatigable grâce à ses jeux, ses jouets, sa collection  de petites voitures de toutes les marques, sa balancoire, ses camarades garcons et filles de son âge des maisons individuelles alentours, - et sa grand-mère paternelle qui avait son propre appartement dans ce que l´on peut appeler le sous sol de la maison (= kjellerleilighet ).

Sa mère, pour la première journée d´école de son fils, suivait la tradition. Elle l´avait habillé comme pour un  jour de fête et lui avait expliqué que c´était un grand jour ; qu´il était désormais un grand garcon. Elle aussi s´était faite belle ; et elle avait pris son appareil de photos pour immortaliser cette journée pas comme les autres puisqu´elle allait engager les 10 ans à venir, - pour ne pas  dire 13 -, de son fils Helge.

Placée à ma gauche à un repas d´anniversaire pour une dame qui célébrait ses 60 ans avec sa famille proche réunie, des amis d´enfance, d´adolescence, de jeune femme et de femme mûre, j´avais engagé la conversation sur cette première journée d´école de son fils Helge, car c´était chez elle, son mari et ses deux enfants Jorunn et Helge que ma femme Toril et moi devions passer la soirée. L´évocation de souvenirs que j´entreprends depuis une dizaine de mois ne manquent pas de me ravir de plus en plus. Ma voisine de table ne parlait que de la beauté du jour, de la tenue de son fils de 7ans habillé comme un roi, des photos prises. Je n´étais certes pas présent lors de la prise des photos et pas davantage un peu plus tard, quand tous les parents ont été invités à pénétrer dans la salle de classe pour assister  avec l´institutrice à la prise en charge de tous les enfants de 7 ans. Le soir,  l´enfant de 7 ans n´était que colère, rage et désespoir. Tout était idiot ( = dum ) : la maîtresse, la journée, les enfants, les jeux, les tables, le tableau. Il n´avait rien appris. il ne voulait pas y retourner. Sa mère n´avait aucun souvenir de ce comportement. Je ne me souvenais que de la rage et de la colère de l´enfant. Dum. Dum. Dum. Je ne chercherai pas à savoir aujourd´hui qui, d´une mère ou d´un regard extérieur étranger, a raison en cette matière.

J´ai commencé l´école à 5 ans et demi. Rétrospectivement, je considère que vu mon manque de "maturité" à l´époque, c´était trop tôt. Je n´ai cependant pas le souvenir que c´était "idiot". Helge a commencé après avoir eu 7 ans. Je n´ai jamais rencontré son institutrice. Je m´abstiendrai donc de porter un quelconque jugement sur cette première journée vécue par le petit Helge devenu suffisamment grand qu´il était en âge de commencer l´école obligatoire. Mais quand mon fils aîné Erik a eu 6 ans, j´ai tout fait pour qu´il puisse commencer son école norvégienne dès cet âge. Il a fallu pour cela qu´il passe des tests auprès d´un psychologue. Qui a refusé catégoriquement qu´Erik commence un an plus tôt par manque de "maturité". Je n´ai pas trouvé cela "idiot" mais presque. Il était déjà parfaitement bilingue et arrivait à lire quelques mots simples dans les deux langues. Etant têtu comme une mule, j´ai contourné la difficulté en lui trouvant un professeur privé de francais. Deux heures de francais par semaine, plus papa qui lui faisait réciter son alphabet francais. Quand il est entré à 7 ans dans le système scolaire norvégien, il n´a pas, à mon grand soulagement, trouvé cela "idiot". Il faut dire que son institutrice était d´une intelligence et d´une flexibilité exemplaire. Mon fils garde d´elle un excellent souvenir et elle aussi de lui, car il m´arrive encore de la rencontrer et de lui parler quand je fais mes courses. Deux ans plus tard, son école est devenue un collège. Cette instritutrice n´a pas souhaité devenir institutrice de collège. Elle a donc changé d´établissement. Pour les années qui restaient, l´école pouvait rester école primaire, mais les petites classes ne seraient pas renouvelées. Mon fils a donc pratiquement toujours fait partie de la dernière classe. Avec une nouvelle institutrice. Je ne me souviens pas de son nouveau  premier jour d´école alors qu´il avait 9 ans. Mais je me souviens de sa rage, de son désespoir et de sa colère les jours suivants. Et de la haine que je pouvais voir dans ses yeux quand le soir, j´essayais de le faire parler sur ce qu´il avait fait, appris, lu ou écrit. Il n´utilisait pas le mot "idiot", mais je pouvais voir qu´il n´en pensait pas moins. Ce qui m´inquiétait le plus c´est qu´il se fermait de plus en plus aux questions que ma femme et moi pouvions lui poser. De plus, il n´avait pratiquement jamais de devoirs à faire à la maison. Après avoir renccontré son institutrice une première fois,après plusieurs semaines bien longues d´attente, cela a été à mon tour de marmonner entre les dents "idiot"; ou plutôt " pauv´e conne".

La même année, mon second fils Nicolaï commencait l´école norvégienne, dans une autre école que celle de son frère Erik puisque cette école ne prenait plus les élèves des deux premières années. Il avait 7 ans Je n´avais pas cherché à le faire commencer à 6 ans. Après deux ans de réflexion, j´avais finalement accepté l´avis du psychologue norvégien qui mettait en avant la maturité des élèves et le souhait que les élèves, qui devaient être ensemble plusieurs années de suite, aient tous sensiblement le même âge. Argument somme toute, - et tout compte fait -, de bon sens,  et qui est, comme chacun sait, la chose du monde la mieux partagée. Comme pour la mère du jeune Helge plusieurs années auparavant, je me suis rendu avec lui et ma femme Toril à son premier jour d´école. Je n´avais pas avec moi d´appareil de photos. Mais il était habillé comme un roi. Le soir, quand il est revenu après cette première journée d´école, il était rayonnant de joie. Bavard, exalté. Il avait fait ci, il avait fait ca.

Il a  maintenant avec sa compagne Pia deux petites filles de 3 ans et demi et 14 mois, Tiril et Thea. Elles vont toutes les deux à un jardin d´enfants. Autres temps, autres moeurs. Elles sont entourées d´amour de tous les instants, ainsi que de livres, de jouets, de jeux et de rires, dans toutes les pièces et à tous les étages de leur grande maison où déambulent en toute liberté deux beaux chats. Quand l´aînée aura 6 ans, - ce qui à mon âge et au sien est demain -, je me promets de prendre avec moi mon appareil photo numérique pour permettre à tous d´avoir des souvenirs de son premier jour d´école. Mais aussi, je l´espère, de capter son sourire et sa joie et son rayonnement comme étaient ceux de son Papa il y a plus de 25 ans. Pour elle, il est fort probable que la période qui s´ouvrira devant elle ne sera pas de 10 ans , mais de 13.

J´ai enseigné près de 35 ans dans un lycée, et, - par intermittence et à trois périodes différentes, près de 10 ans à l´ Institut de Francais de l´Université d´Oslo comme assistant non titulaire. Dans le jargon de la pédagogie, on appelle la prise de contact, - la première lecon -, "la lecon zéro". J´ai toujours bien préparé cette "lecon zéro", ayant depuis longtemps en tête cette formule à l´emporte-pièces de Napoléon ( ce qui est la moindre des choses pour un caporal devenu général ) : " Méfiez-vous de la première impression, c´est souvent la bonne". J´espère avoir laissé à mes élèves et à mes étudiants autre chose que de la rage, du scepticisme et de l´ennnui, surtout quand j´avais pour désir évident d´éveiller leur intérêt lors d´un premier cours. Je pense à mes élèves du lycée particulier de Nordfjordeid, , ceux qui m´ont invité à la fameuse fête du cochon, ceux aussi parmi lesquels se trouvait celui à qui j´ai "dédié" une chanson très particulière du chanteur Georges Brassens,  et plus tard ceux du lycée de Førde, qui, sans téléphone automatique en 1973, étaient les premiers de leur famille à aller si loin dans ce qu´il convenait d´appeler, avec des agrégés et un proviseur d´un autre âge, encore lycée d´enseignement général. Autres temps, autres moeurs.

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30 avril 2007 1 30 /04 /avril /2007 13:03

[ Pour jouer au pocker-menteur ]

J´ai recu il y a un jour ou deux un message électronique d´une bonne amie francaise qui avait intitulé son message "Partie de campagne". Je la sais joueuse, farceuse, malicieuse, et suffisamment savante avec les mots de tous les jours, les mots écrits et les caractères chinois, pour avoir aussitôt désiré en savoir plus. Son message était des plus courts : "Suivez strictement les instructions". Une pièce jointe appelée "tour de magie" aux mots reliés par deux tirets, vous invitait à cliquer "incessamment_sous_peu". Ce que je fis, comme je le fis le 1er avril quand elle m´envoya un courrier similaire pour tester mon intelligence.... Soyez patient, je vous prie.

Dans la "partie de campagne-tour_de_magie" à laquelle m´invitait mon amie francaise, on peut voir  Nicolas Sarkozy jouer une partie de cartes. Ou plutôt, il joue seul, car c´est à une réussite qu´il se livre. Seul avec lui-même et maître certain du jeu. Je n´avais qu´à écarquiller les yeux et me laisser éblouir. Comme au cirque. Sauf qu´au cirque les plus grands artistes évoluent sans filet, et que le clown, s´il tient à réussir son entrée, pense déjà à sa sortie. Ce qui ne semble pas être le cas du Nicolas. Ne s´appelle pas Auguste qui veut. Bref, en cliquant sur les mots "tour_de_magie" ( soyez patient, je vous prie ), un Nicolas Sarkozy rayonnant apparaît sous les feux de projecteurs d´une campagne électorale américaine ; autre type de cirque s´il en est. Il convient de suivre à la lettre et au doigt les instructions qu´il nous dicte ; mais sans doute pas à l´oeil. Le Nicolas est derrière un pupitre d´orateur, le pouce en l´air, sans doute déjà en signe de victoire. L´oeil gauche est très légèrement fermé, l´oeil droit ouvert à toutes les opportunités. La bouche est pincée, mais ferme : "A partir de maintenant, je vais contrôler la pensée de tout le monde. Et te foutre la trouille. Je te donne un exemple" . Ce "tu" juste après le "je" d´un futur proche ne laisse pas d´impressionner. Je n´ai donc pu faire autre chose que d´obtempérer. J´ai cliqué pour faire apparaître la page suivante. La nouvelle injonction qui est alors apparue n´a pas manqué de répondre tout à la fois à mon attente et à ma trouille : -"Allez" . Sans point d´exclamation et sans montrer le poing ; mais la nouvelle injonction était suivie d´un impératif singulier que je ne pouvais que suivre : -"Choisis". J´avais devant moi six cartes : un Roi, un Valet, un nouveau Roi, deux dames, un autre Valet. Je ne devais par révéler mon choix, mais garder pour moi la carte choisie. Ce que j´ai fait, tremblant de peur que le Nicolas de la Droite musclée ne lise en mon esprit. Et cliquai aussitôt pour découvrir, haletant, la page suivante.

Elle montre un Nicolas au front coupé en son milieu par le haut de l´image. Il a les yeux grands ouverts, vous fixe intensément de ses yeux à lui, le doigt pointé vers vous, masquant sa bouche que l´on devine fermée après avoir lancé sa nouvelle injonction. Un Nicolas plein d´aplomb et sûr de son bien fondé de pouvoir : " Et maintenant, dis le nom de ta carte à voix haute (...) C´est très important (...) ou j´envoie les CRS ". Encore le "tu" policier que beaucoup de forces de l´ordre voudraient sans doute utiliser encore plus souvent quand ils exigent sans ménagements nos papiers d´identité lors d´un contrôle impromptu, de faciès ou simplement de routine. Je n´invente rien. Allez donc lire la chronique du 11avril 2007 de Pierre Assouline dans son blog du Journal Le Monde "La républiques des livres" intitulée, en faisant allusion à Kafka "Dans le tunnel d´absurdité" de Christophe Mercier. Vous y lirez l´étonnant compte-rendu d´uns plaquette de circonstance de 30 pages intitulée "Garde à vue"  ( Phoebus, 3€ ). Nicolas Sarkozy n´était alors que Ministre de l´Intérieur. Qu´en sera-t-il s´il devient Monsieur le Président de la République ?

Pour revenir au "tour_de_magie" malicieux que m´a envoyé ma bonne amie francaise Anne, j´oserai vous réveler le nom de la carte que le Nicolas exigeait que l´on dise : le valet de trèfle - comme il se doit quand on connaît mon nom et celui de quelques figures d´un jeu de cartes francais. Et je cliquai à nouveau dans le coin gauche tout en bas de l´écran. Cinq nouvelles cartes apparurent : une Dame, un Roi, un Valet, une nouvelle Dame, un nouveau Roi. Cinq cartes, donc, au lieu de six. De Valet de trèfle, point. J´étais médusé. Sur la partie gauche de l´écran, mais en plus petit, sans doute pour s´efforcer d´avoir le triomphe modeste, un Nicolas sûr de lui et presque hilare. Avec ce simple commentaire, presque mesuré et retenu pour une fois :  -" Surpris ? " Quel beau tour de passe-passe, digne d´un magicien qui n´a pas froid aux yeux. Ce n´était pas seulement ma carte qu´il avait rejetée, mais toutes celles de la première donne : rois, dames et valets réunis. "Par la lanterne verte... à la trappe !"- "Ni vu, ni connu, pas pris". La dernière page du "tour_de_magie" montre un Chirac dépassé par les événements. Il était temps qu´il se retire . -" Alors ... là ... il m´épate. C´est vraiment une clamité, ce type."  A qui le dis-tu, sacré farceur, dissolveur émérite d´une Assemblée Nationale qui était à sa botte avant une certaine dissolution en 1997, et devenu menteur pour se faire ré-élire cinq ans plus tard. Fin du lien. Il aurait sans doute été bon que j´ eusse depuis longtemps livré l´adresse électronique de mon amie afin que vous puissiez jouer et cliquer tant et tant en toute impunité au "tour_de_ magie" mettant à mal le Nicolas Sarkozy qui cherche à recueillir les suffrages de plus d´un. Mais je ne tiens pas à dévoiler l´adresse privée de ma bonne amie malicieuse. Sorry ! Vous ne pourrez donc cliquer tout votre saoul en toute liberté. Appelez cela de la censure si le coeur vous en dit, mais je préfère appeler cela un simple devoir de précaution. Qu´on se le dise. En cette affaire à suivre, tout, ou presque, est une affaire de mots.

Je n´en ai pas tout à fait fini, si votre patience n´est pas encore totalement à bout. Le mot "réussite" en francais ne désigne pas seulement un succès éclatant, un triomphe certain, une victoire absolue. Il désigne aussi une combinaison de cartes soumise à des règles définies. Comme pour faire une patience. "Faire une réussite" ou "faire une patience" décrit donc une occupation en solitaire avec un jeu de 32 ou 54 cartes ( si l´on adjoint les deux jokers ). "Patience" ou "réussite" en se sens se dit "kabal" en norvégien. Avec aussi un "k" comme "cabale" peut s´écrire, si vous voulez vous rendre encore plus inquiétant : "Kabbale". "Legge kabal" en norvégien, c´est "faire une réussite" ou " faire une patience".  C´est cette proximité homophonique qui m´a donné envie d´exciter votre patience, mise, je l´espère, à dure épreuve. Tout comme le malicieux jongleur de cartes qui a mis au point le tour de magie que m´a transmis mon amie Anne ; tour de passe-passe auquel vous avez peut-être répondu par ailleurs, cartes en mains en compagnie d´un Nicolas prestidigitateur plus ou moins désireux de jouer les longs couteaux avec quelques figurines, qu´elles soient royales ou non, et autre valetaille de moindre envergure. Il me semble que Sarkozy organise des meetings et ses rassemblements comme d´autres des oppositions, des contradictions, des cabales ; autrement dit des complots, des conjurations, des intrigues.

J´ai utilisé jusqu´à présent le mot "kabal" au sens propre. Je peux aussi l´utiliser au sens figuré. Si je veux exprimer l´idée que "je ne suis pas parvenu à ce que je voulais ", je dirai : "jeg fikk ikke kabalen til å gå opp". Vous avez sans doute déjà compris que je n´ai pas voté Sarkozy au premier tour et que je voterai encore moins pour lui au second. Affirmer comme il l´a fait après le premier tour que Ségolène Royal voudrait intenter des procès de Moscou, parce qu´elle et Francois Bayrou auraient dénoncé des pressions à propos d´ un débat certes inédit mais démocratique et informatif pour tous les électeurs que nous sommes, est un dérapage à mes yeux guère plus reluisant que celui de Le Pen en son temps avec son "Durafour - four crématoire ". De tels écarts de langage ne laissent pas d´étonner dans la bouche de celui qui cherche à occuper le poste de la magistrature suprême. Il faut espérer que la patience des électeurs et des électrices ait ses limites. Autres temps, autres moeurs.

Pour conclure, je citerai cette phrase ( ou le communiqué ) du Syndicat national des journalistes, dite ( ou publié ) un jour ou deux avant le débat Ségolène Royal - Francois Bayrou entre les deux  tours  "L´arithmétique pointilleuse du CSA d´un côté, le poids des sympathies auprès du candidat Sarkozy de l´autre, font que le devoir d´informer subit une entrave insupportable dans une démocratie."

Affaire à suivre.

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28 avril 2007 6 28 /04 /avril /2007 06:26

[ Feu de tous les dangers...]

Cela faisait plus d´un an que l´on en discutait tous les jours dans les journaux, à la télévision , en famille, entre amis, entre collègues : oui ou non, la Norvège devait-elle entrer en cette année 1972 dans le Marché Commun ? J´abitais le pays depuis juillet, et les discussions étaient de plus en plus passionnées, âpres, intenses. Je ne pourrai pas voter, mais je suivais avec intérêt évident, non les débats que je ne pouvais comprendre, faute de posséder la langue, mais les discussions que je pouvais entendre entre mes collègues de lycée de Nordfjordeid grâce aux traductions de l´un d´eux ; où lors de discussions que je pouvais avoir avec ma jeune femme Toril qui voterai non. Mon opinion n´était pas vraiment arrêtée : étant Francais, je ne voyais pas comment on pouvait voter "Non" à l´entrée de la Norvège dans le Marché Commun, mais commencant à connaître la Norvège autrement que comme simple touriste, je comprenais les arguments de ceux qui voulaient voter non. J´avais été membre d´un petit parti de gauche quelques années auparavant entre 1967 et 1970, aux ESU, la section étudiante du PSU ( Parti Socialiste Unifié), mais je n´avais en rien l´âme d´un militant. J´ai donc rapidement cessé de militer activement, puis de cotiser. Mettre mon bulletin dans les urnes me suffisait, même si l´un des slogans de 1968 des situationnistes et des plus ou moins gauchistes de l´époque proclamait haut et fort : "Elections, pièges à cons !"

Ce qui était nouveau pour moi en Norvège, c´était de découvrir le sérieux, l´engagement personnel et intense de chacun dans le débat ; avec des arguments qui n´avaient rien à voir avec les affirmations sans nuances des consommateurs souvent avinés et pilers inamovibles des cafés du commerce. Ceux que je cotoyais désormais pouvaient être contre ou pour, mais ils avaient des arguments convaincants sur la souveraineté du pays que la Norvège avait acquise depuis peu puisqu´elle ne datait que de 1905, après près de 400 ans d´occupations danoise de 1523 à 1814 d´abord, puis suédoise de 1814 à 1905 ensuite. Oslo n´avait pas à s´inféoder aux technocrates et bureaucrates bruxellois. Bruxelles était encore plus loin que Copenhague : un autre monde, une autre langue, un univers de paperasseries illisibles auxquels pour rien au monde le petit pays scandinave qu´était la Norvège ne devait s´atteler.

Les arguements économiques n´étaient pas moins convaincants : les petits paysans et les petits pêcheurs de l´Ouest et du Nord de la Norvège ne pourraient survivre à la concurrence des gros agriculteurs de l´Europe des six ou des propriétaires de bâteaux-usines qui viendraient pêcher dans les eaux territoriales norvégiennes. Seuls les cadres des grandes entreprises pétrolières, bancaires, industrielles et commerciales d´Oslo et des grandes villes somme Bergen, Stavanger et Trondheim, ainsi que les gros propriétaires terriens et les armateurs qui avaient longtemps faits la richesse du pays, étaient ouvertement pour l´entrée pratiquement sans condition de la Norvège dans le Marché Commun. Ce que les adversaires considéraient  comme étant les défenseurs des puissances de l´argent.

Sur le plan politique, seuls deux partis représentés à l´Assemblée Nationale ( = Le Storting ), étaient unis dans leur engagement pour ou contre :  la Droite ( =  H  = Høyre) était clairement pour l´entrée ; le Parti Paysan ( = SP = Senterpartiet ), était contre. Tous les autres partis politiques qui siégeaient à l´Assemblée Nationale étaient déchirés entre les partisans du "oui" et les partisans du "non": les Sociaux-démocrates ( =  AP = Arbeiderpartiet ),  la Gauche ( = V = Venstre ), les Chrétiens populaires ( = KrF = Kristelig Folkeparti ). Mais parmi les opposants farouches à l´entrée de la Norvège au Marché Commun, il faut ajouter deux petits partis non représentés à l`Assemblée Nationale : le Parti Socialiste Populaire ( = SF = Sosialistisk Folkeparti ), qui deviendra rapidement le Parti Socialiste de Gauche ( = SV = Sosialistisk Venstreparti ), et qui sera par la suite influent et reconnu, et le Parti Communiste de Norvège ( = NKP = Norges Kommunistiske Parti ), aujourd´hui exsangue. Tous les partisans à l´entrée s´étaient rassemblés dans un mouvement qui s´appelait " Oui pour le Marché Commun" ( = Ja til EF ), et tous les partisans du  "Non"  dans un mouvement appelé "Mouvement Populaire contre La CEE" ( = Folkebevegelsen mot EEC ). Je retrouvais ces clivages parmi mes collègues enseignants de Nordfjordeid, mes élèves, et les amis et collègues de ma femme Toril.

Au début de l´année 1972, j´étais encore en France et jeune cadre "Animateur de formation" dans une société d´assurances. L´un de mes supérieurs hiérarchiques avec qui je parlais souvent de littérature  car il appréciait particulièrement  Claude Simon qu´il lisait sans se cacher dans son bureau, ne pouvait croire au "Non" de la Norvège. Je ne le prédisais pas, mais je l´estimais possible. Le seul argument qu´il me donnait et répétait à satiété était simple mais non dénué de bon sens : " On ne peut s´opposer à l´Histoire ", " L´Europe désormais se construit ".  A l´époque, je ne connaissais guère l´histoire de la Norvège, mais étant encore un peu sociolgue, je mettais en avant les catégories sociales norvégiennes qui étaient contre l´entrée de la Norvège dans le Marché Commun, c´est-à-dire les petits paysans de l´Ouest et du Nord, les petits pêcheurs des deux mêmes régions, les souverainistes acharnés, ainsi que les adversaires chrétiens et tous les jeunes iroquois très orientés à gauche et l´extrême gauche genre soixante-huitards.

Les deux  jours du vote ont été deux belles journées d´automne du mois de septembre, en l´an de grâce 1972. Une date devenue date-phare dans l´histoire récente de la Norvège qui se demande encore souvent qu´elle âge elle peut bien avoir, pour citer un dessin célèbre de Theodore Kittelsen. Je ne pouvais évidemment voter. Le premier jour du vote, un 24 septembre pour être précis, d´innombrables feux furent allumés sur les sommets les plus élévés du département ( ou Comté ) du Sogn og Fjordane où j´habitais. Je pouvais même en voir un du balcon de mon duplex dans la ville de Førde. Ces feux me semblaient vouloir tenir éveillées des sentinelles attentives autour d´un bivouac allumé là pour s´opposer à l´attaque surprise de quelque ennemi irréductible. Les flammes s´élevaient au loin dans la nuit scintillantte et constellée, auréolée d´une lune blême et blafarde Je pouvais même percevoir comme des bruits d´ailes d´oiseaux apeurés, des sifflements qui troublaient le silence. Des hommes passaient devant ma fenêtre et palabraient en chuchotant. Je me souviens même que l´un d´eux avait sur l´épaule une faux, et un autre une fourche. Ma femme, assise sur une chaise de jardin, formait sur le balcon un tache blanche dans l´ombre. Je fumais sans rien dire. Allumer ainsi des feux sur le sommet des monts et des collines étaient dans la Norvège de toujours une tradition qui remontait au Moyen-Âge pour avertir que le pays était en danger. Ces feux brillaient dans la nuit comme des signes de détresse pour crier une douleur sans fin : celle que poussait tout un peuple de petits paysans et de petits pêcheurs devant le risque de perdre les liens ancestaux avec une Nature mystique que Nikolaï Astrup, le peintre de la région qui mériterait d´être plus connu internationalement, a su si bien rendre dans ses tableaux où il représente des feux de la Saint-Jean. Un cri de douleur d´autant plus déchirant qu´il dénoncait aussi le sentiment de trahison qu´hommes et femmes politiques auraient perpétué en encourageant à voter "oui", en vendant la Norvège éternelle enfin souveraine aux tenors d´une Europe lointaine, urbaine et dévoyée.

Le "non" l´emporta avec plus de 53% des suffrages exprimés, et près de 80% de votants. Les deux comtés de l´Ouest Sogn og Fjordane et Møre og Romsdal, ainsi que les trois comtés du Nord, le Nordland, le Troms et le Finnmark, frôlaient ou dépassaient les 70% de "non". Un "non" sans équivoque, donc.

Un nouveau referendum fut organisé 22 ans ans plus tard, en 1994. Les partisans du "oui", influents dans la société civile et politique ne voulaient pas s´avouer vaincus. Les arguments étaient exactement les même, avec en plus plus celui de mon supérieur hiérarchique francais du printemps 1972 : " 0n ne peut s´opposer à l´Europe en train de se faire". Si je pouvais voter aux élections municipales et régionales, je ne pouvais pas le faire pour des élections législatives et encore moins à un referendum qui engageait l´avenir du pays tout entier. Je ne manquais pas cependant de suivre passionnément les débats et même de discuter avec certains de mes élèves de Terminale en âge de voter du Baccalauréat International, dans le cadre de mes cours sur les institutions européennes. Certains étaient pour, certains étaient contre. J´estimais que le vote de 1972 révelait autant, sinon plus, une mentalité qu´une simple opinion politique. Je ne voyais donc pas comment une mentalité aussi profonde venant du Moyen-Âge et des Vikings pouvait changer dans un espace de temps aussi restreint que 22 ans. En 1972, je jugeais que la Norvège pouvait voter "non". En 1994, je prédisais qu´elle voterait ouvertement "non". Je ne me suis pas trompé. Le débat n´a plus de raison d´être aujourd´hui, sauf dans certains journaux en panne de sujets ou de lecteurs nostalgiques. La Norvège est certes un tout petit pays en Europe, mais faisant partie d´une Europe du Nord riche, prospère, démocratique, à la pointe d´un savoir-faire incomparable dans certains domaines comme l´exploitation du pétrole et l´informatique ; c´est pourquoi elle est aujourd´hui si fortement écoutée sur le plan international et diplomatique. Ce qui ne l´empêche pas d´être jalouse de ses prérogatives particulières et de son identité nationale. Des différences et des inégalités politiques, économiques, régionales, culturelles et linguistiques existent toujours ; même, elles ne sont pas négligeables. Mais grâce à sa pratique régionaliste, décentralisée et démocratique à l´extrême, à tous les échelons et à tous les niveaux, comme du respect fondamental de la liberté religieuse et d´expression,  - autant que grâce à ses richesses et au savoir-faire de ses cadres et représentants politiques en phase et à l´écoute de tous les citoyens et habitants -, la petite Norvège est largement écoutée dans le concert diplomatique des nations que jouent les grands et moins grands du monde. Qu´il suffise de mentionner pour mémoire et pour conclure, la reconnaissance des droits de l´homme et de la femme, la protection de l´environnement, et son récent engagement pour entraîner les grands du monde actuels et à venir comme la Chine, la Russie, l´Inde et le Brésil à lutter efficacement contre le réchauffement de la planète.

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26 avril 2007 4 26 /04 /avril /2007 01:52

[ Montaigne : "Nostre présomption et vanité ]

Il y a un an jour pour jour, je signalais par une citation de Simone de Beauvoir la prise de ma retraite. J´avais intitulé l´extrait de deux mots pris au tout début de son texte : "Jamais plus". C´était un courriel, n´ayant pas encore commencé d´écrire journellement ou presque dans un blog. Autres temps, autres moeurs. Deux de mes amis avaient aussitôt réagi, puis à nouveau deux autres, autant pour me souhaiter bon anniversaire que pour dénoncer le côté morbide, dépressif et "démodé" de la prénommée Simone. Je tiens en ce jour anniversaire à renouveler la tradition par une nouvelle citation. De Montaigne. Encore plus "démodée", donc. Le titre, comme il y a un an, est également emprunté à son texte, quoiqu´il vienne  d´une citation d´Horace... Je juge néanmoins cette citation nouvelle moins morbide. Autres temps, autres moeurs : "Les ans, dans leur marche..."

 

"J´ai au demeurant la taille forte et ramassée ; le visage non pas gras, mais plein ; la complexion entre le jovial et le mélancolique, moyennement sanguine et chaude (...), la santé forte et allègre, jusque bien avant mon âge rarement troublée par les maladies. J´étais tel ; car je ne me considère pas à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse, ayant piéca franchi les quarante ans :  Minutatim vires et robur adultum / Frangit, et in partem pejorem liquitur aetas ( = Peu à peu, l´âge brise les forces et la vigueur de l´âge mûr, et se résout en décrépitude, Lucrèce, II, 1131 ). Ce que je serai dorénavant, ce ne sera plus qu´un demi-être, ce ne sera plus moi ; je m´échappe tous les jours et me dérobe à moi : Singula de nobis anni praedantur euntes ( = Les ans, dans leur marche, nous dérobent toutes choses, une à une, Horace, Ep., II, ii, 55).

D´adresse et de disposition, je n´en ai point eu ; (...)  de la musique, ni pour la voix, que j´y ai très inepte, ni pour les instruments, je n´y ai pu acquérir qu´une bien fort légère et vulgaire suffisance ; à nager, à escrimer, à voltiger et à sauter, nulle du tout. (...)

Mes conditions corporelles sont, en somme,  très bien accordantes à celles de l´âme. Il n´y a rien d´allègre : il y a seulement une vigueur pleine et ferme. Je dure bien à la peine : mais j´y dure si je m´y porte moi-même, et autant que mon plaisir  m´y conduit , Molliter austeraum studio fallente laborem ( = L´ardeur trompant doucement la peine sévère, Horace, Sat. II, ii, 12). Autrement, si je n´y suis pas alléché par quelque plaisir, et si j´ai autre guide que ma pure et libre volonté, je n´y vaux rien. Car j´en suis là que, sauf la santé et la vie, il n´est chose  pour quoi je veuille ronger mes ongles et que je veuille acheter au prix du tourment d´esprit et de la contrainte (...) extrêmement oisif, extrêmement libre, et par nature et par art. (...)

J´ai une âme toute sienne, accoutumée à se conduire à sa mode. N´ayant (...) à cette heure ni commandant ni maître forcé. j[e] march[e] aussi avant et le pas qu´il m[e plaît] : cela m´a amolli et rendu inutile au service d´autrui, et ne m´a fait bon qu´à moi. Et pour moi, il n´a été besoin de forcer ce naturel pesant, paresseux et fainéant . (...)

Je n´ai eu besoin que de la suffisance de me contenter, qui est pourtant un règlement d´âme, à le bien prendre, également difficile en toute sorte de condition, et que par usage nous voyons se trouver plus facilement encore en la nécessité qu´en l´abondance ; d´autant à l´aventure que, selon le cours de nos autres passions, la faim des richesses est plus aiguisée par leur usage que par leur disette, et la vertu de la modération plus rare que la patience. Je n´ai eu besoin que de jouir doucement des biens que Dieu par sa libéralité m´avait mis entre les mains. Je n´ai goûté aucune sorte de travail ennuyeux. Je n´ai eu guère en maniement que mes affaires ; ou, si j´en ai eu, ç´a été en condition de les manier à mon heure et à ma façon, commis par gens qui s´en fiaient à moi et qui ne me pressaient pas et me connaissaient. Car encore tirent les experts quelque service d´un cheval rétif et poussif.

Mon enfance même a été conduite d´une facon molle et libre, et exempte de sujétion rigoureuse. Tout cela m´a formé une complexion délicate et incapable de sollicitude:" - II, xvii, De la présomption

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Je me permets deux additifs. Oisif est pris au sens étymologique : "qui travaille pour soi". J´ai aussi modifié deux temps de verbes signalés entre crochets.

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24 avril 2007 2 24 /04 /avril /2007 06:19

[La politesse en chinois ( sic ! ) ]

J´ai eu du mal à trouver le concessionnaire Citroën. J´avais avec moi l´adresse, un plan et même un dessin, mais les rues ombragées de la banlieue cossue et huppée aux villas de bois entourées de jardins très bien entretenus n´avaient rien à voir avec celles des banlieues ordinaires de la banlieue parisienne du Nord ou de l´Est ; pas non plus grand chose à voir avec celles de l´Ouest, genre Boulogne, Neuilly  ou Saint-Clou. Je me perdais même encore plus car je n´arrivais pas à lire le nom des rues ; quand il y avait une plaque avec un nom. Ce qui n´était pas toujours le cas. Il était difficile de s´abstenir de jurer malgré soi : "Et merde ! C´est encore pas ca". Un jeune homme s´approcha, et me demanda en un francais, rocailleux, haché, mais correct alors que je m´étais arrrêté à sa hauteur : -"Che peux édé ?" - "Le garage Citroën , s´il vous plaît ? "- :" Che conné !." Et il m´indiqua le chemin. Je ne compris strictement rien. -" Merci !" . Comme si ce con ne pouvait pas simplement dire "troisième à gauche après le carrefour" ou "deuxième à droite après le rond-point". Je ne le savais pas encore, mais je n´étais pas au bout de mes peines. Contrairement au francais, le norvégien est une langue à la fois à accentuation syllabique et à tons. Ce que ne mentionne aucun dictionnaire franco-norvégien, au contraire des bons dictionnaires anglo-norvégiens. Le mot  "Parkveien" ( = (La) Rue du parc) est accentué sur la première syllabe et le "a" se prononce "â" comme dans "pâte dentifrice" et non "a" comme dans "patte d´oie" ( pour rester dans le vocabulaire des rues de la banlieue dans laquelle je cherchais à m´orienter ). "Bibliotek", au contraire, est accentué sur la dernière syllabe "tek"  parce que c´est un mot d´origine étrangère. De plus le "e" se prononce comme dans "é" ou  "eh eh ! poil au nez" !, -  mais..., mais mais... -,  est long, comme dans  "bouche bée" - " Bi-bli-o-téékk", donc. Quant à l´accent tonique, - ou encore le tonème -, il y en a deux. Disons, pour essayer de se faire comprendre, un ton "uni" et un ton "cassé" ou "double". Il n´y a que deux langues indo-europénnes qui ont un accent tonique : le suédois et le norvégien. Entre parenthèses, le vietnamien a quatre tons et certains de ses dialectes en ont six. Si vous arrivez à entendre la différence entre "medecin" prononcé "medeucin" et "medecin" prononcé "med´cin", vous pouvez peut-être vous faire une petite idée. Encore que... l´essentiel est alors sur la première syllable "mé" qui devient "mé" uni dans le premier cas, et "mé-é" cassé dans le second. Bref... En ce magnifique mois de juillet 1972, je n´avais strictement rien compris aux explications de mon gentil jeune homme. J´ai tout de même fini par trouver le "garache Chitroein".

Avec soulagement, un homme jeune parlait bien franchais. Souriant. - "Fou Foulez ?" Je devais attendre deux heures. Il était aimable, attentionné. Disert aussi, même si son acccent était assez fort. Homme jeune plein d´allan. Très bavard aussi. Il revenait souvent vers moi entre deux clients. Il voulait savoir pourquoi je n´étais pas allé dans un garache du chantre ville. Je lui ai répondu que ma femme norvégienne habitait près du camping Bogstad ( que vous pouvez prononcer comme vous voulez ). - " Ah ! Tu es marié ?" Il était vraiment très bavard. -"Tu es allé à l´Ambassade de la France ? " - " Il a bien fallu" . Léger silence. Pour changer un peu le cours de la conversation, et faire de l´humour à bon marché, j´ai précisé que le vice-consul de France était assez prétentieux. -" Che le conné !" Rires et ricanements réciproques, un peu gênés. Ce qui lui fit dire quelques instants plus tard, pour détendre l´atmosphère :  " En Norvèche, tout lé monde conné tout lé monde". Il ne m´a pas fallu plus de quinze jours pour le découvrir à nouveau, encore à mes dépens.

Je venais d´emménager dans un duplex face à la mer, face à un minuscule chantier naval, et face à un aéroport grand comme un mouchoir de poche sur lequel se posaient trois ou quatre fois par jour - et encore moins le dimanche -, des avions vert pomme et blanc cassé qui ne prenaient pas plus de dix-onze passagers. Quand l´avion devait atterrir en venant de Florø ( prononcez comme vous voulez ), il tangait entre les bras menacants de deux grues qui semblaient alors des monstres géants. La construction de cet aéroport avait suscité une gigantesque controverse qui n´était pas éteinte, car la piste d´atterrissage se trouvait presque au centre ville. A l´atterrissage comme au décollage, les minuscules avions passaient au-dessus de la route principale. Et surtout, on avait utilisé l´une des terres les plus fertiles de la commune. Derrière, se trouvaient sur la droite et tout en bout du centre, des petits immeubles bas de quatre étages assez laids genre HLM. Mais au centre et à gauche, en regardant cette partie de la ville de mon balcon, les habitations étaient des villas imposantes et fort luxueuses. C´est là, je l´ai su plus tard, qu´habitait le  proviseur du lycée de Førde. C´est aussi dans cette partie de la ville que je devais me rendre avec ma jeune femme Toril ce jour ensoleillé de la fin juillet 1972, et que j´allais souvent  longer pour me rendre sur la piste de ski de fond de Langeland en direction de Vadheim. Nous avions été invité à un "repas de midi" à 17 heures ( = middag ), invitation autant formelle qu´une véritable intronisation à la bourgeoisie locale. Mais je ne l´ai compris que bien plus tard. Beaucoup plus tard.

J´avais recu mes quelques meubles parisiens et tous mes livres le jour même  ( ou la veille en fin d´après midi ), et j´étais en plein emménagement., installant dans la salle de séjour qui donnait sur le fjord et l´aéroport les rayonnages bon marché de ma bibliothèque que je prononcais bibliothèque. - " On nous attend à cinq heures" - " Oui, oui !" . Ma femme commencait à s´impatienter. " On ne peut arriver en retard". -" Oui, oui !" Nous sommes arrivés en retard. Je n´avais pas ciré mes chaussures et j´avais perdu un des fers d´une semelle. Un clou dépassait le devant de ma chaussure et j´effilochais un magnifique tapis moelleux vert pomme tendre. Je ne savais où foutre mes pieds, ce qui faisait que j´effilochais encore plus le beau tapis vert pomme. La mère de celle qui nous avait invités dirigeait les thèmes,  les repliques et les silences de la conversation. Elle voulait tout savoir : - " C´est tèèèllement intéressant." . Mes origines, ma famille, mes études, mon lycée  : - "Ah ! Trèèès intéressant !. ´Pour me rendre à mon tour intéressant, j´ai mentionné que lorsque j´étais en Seconde, un des fils de Michel Debré, Jean-Louis, était un de mes camarades de classe ; comme deux des fils d´André Malraux, demi-frères, Vincent, qui s´est tué en voiture, et Florian. Je n´ai pas alors mentionné que dans la même classe, il y avait aussi le frère de Francis Jeanson, sartrien, et accusé par la Droite et l´Extrême Droite francaises ( pourquoi des majuscules ? ), d´encourager les fellaghas. Mais j´ai mentionné qu´il y avait un des fils Worms, des parfums bien connus. - "Trèèès trèèès intéressant". Puis, pour un rendre à mon tour trèèès intéressant, j´ai expliqué, fier de l´effet que j´allais occasionner, que la femme du Président René Coty, également parfumeur, disait : " Faut qu´ca sorte !" quand elle pêtait en public. -" Ah ? Vous connaissez les Coty ?" Puis, aussitôt après avoir avalé le petit morceau de viande piqué sur le bout de sa fourchette, et en me regardant droit dans les yeux : - "Vous ne trouvez pas que ces perdix des neiges ont un goût exquis de forêt ?"

Je venais d´avoir la révélation d´un niveau de langue que j´n´ soupconnais pas, surtout d´une Norvégienne dont les "r" et les "dont", - pour ne pas dire les airs et les dons -, étaient ceux des mères de certains de mes camarades de classe qui n´ont jamais été mes amis. Comme d´apprendre de ne pas fumer quand aucun cendrier ne se trouvait sur la petite table basse d´un salon ; ou en tout cas, pas avant d´y avoir été invité, et que l´on eût cherché le-dit cendrier. -  "Nous fumons si peu, mon époux et moi". J´étais à un âge où je voulais encore me faire de nouvelles relations. Je devais donc comprendre qu´il y avait certaines choses qui ne pouvaient être dites. Egalement en norvégien. D´autres au contraire que l´on pouvait dire, même si c´était des formules sans grandes importances. 

Quels que soient les niveaux de langues, il y a "des règles qui obligent".  Volontairement, je ne traduirai pas aujourd´hui l´expression "Takk for sist".

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22 avril 2007 7 22 /04 /avril /2007 16:43

"A voté !"

C´est dès 08 heures 05 que j´ai voté cette année pour l´élection du Président - ou de la Présidente - de la République, en me rendant à l´Ambassade de France en Norvège, Oslo. J´étais le troisième dans la queue. Devant moi, il y avait deux autres électeurs : sans doute un Francais originaire du Maghreb pour le premier, et probablement un Antillais pour le second ; mais ce dernier pouvait tout aussi bien venir des ex-colonies de l´Afrique Equatoriale Française. Derrière moi, sagement, attendait un Français originaire d´Asie que j´imagine du Vietnam. La Norvège, comme la France, sont devenues des terres d´accueil, parce que se sont des pays riches et à traditions démocratiques depuis longtemps, même si des inégalités politiques, économiques, sociales, régionales et culturelles existent encore.

Je me souviens d´un autre dimanche matin de décembre 1965. Comme beaucoup d´autres Français, je votais pour la première fois, afin d´élire un Président de la République au suffage universel. J´avais juste 21 ans. Je me souviens que je me suis présenté à l´ouverture du bureau de vote. J´étais parmi les premiers à voter. Je me souviens qu´un des assesseurs m´a demandé si je voulais  participer au dépouillement des bulletins. Je me souviens avoir dû refuser car moins de cinq minutes plus tard, je montais dans la minuscule Fiat de mon ami Norvégien Hans qui m´avait invité à passer La Noël chez lui à Lillehammer, future ville olympique d´hiver en 1994. Je ne me souviens pas seulement de De Gaulle, élu au second tour seulement, et de François Mitterrand, digne second, mais aussi de Lecanuet, centriste souriant représentant la Démocratie chrétienne,  de Marcillacy, géant de plus de 2 mètres, de l´ex-défenseur de l´Algérie française Tixier-Vignancourt, et de l´atypique Barbu qui commençait ses discours par : - "Mes amis ! Mes copains !"

Je ne me souviens pratiquement pas de l´élection présidentielle de 1969, et de l´arrivée au pouvoir de Georges Pompidou, sauf de sa mort en 1974 le lendemain d´un 1er avril. Je me souviens que l´on disait qu´il souffrait d´hémoroïdes. Et je me souviens que j´ai enlevé sa photo que j´avais collée à l´entrée de mes toilettes le jour-même de sa mort, car Pomp i do en norvégien peut être traduit par  "fesses aux chiottes ".

Je me souviens de l´élection de 1974, et du score étriqué du vainqueur Valéry Giscard d´Estaing. Je me souviens que pour voter par procuration, j´ai fait deux à trois cents kilomètres en voiture et ai traversé en bacs plusieurs bras de fjords norvégiens à travers les départements ( ou Comtés) du Sogn og Fjordane et Møre og Romsdal par une magnifique journée de printemps. Je me souviens que je me suis rendu à Volda, suis entré dans les bureaux du Consul de France, situés face à des monts couverts de neige pour remplir les papiers nécessaires, et que je me suis retrouvé devant un Norvégien peu aimable sentant le tabac, et qui, bien que remplissant les fonctions de Consul, m´a répliqué que je devais savoir mieux que lui la différence entre domicile et résidence.

Je me souviens de l´élection présidentielle de 1981, et des 110 propositions du candidat Mitterrand.

Je me souviens de l´élection présidentielle suivante, de la ré-élection de Mitterrand, et de sa " Lettre aux Francais". 

Je me souviens de l´élection de 1995, et de la première élection pour 7 ans de Jacques Chirac.

Je me souviens de l´élection présidentielle de 2002 et de la pléthore des candidats. Mais je ne me souviens pas de leur nombre exact. Je me souviens du premier tour et des 19 % virgule quelque chose du président-candidat-menteur Chirac qui sollicitait les suffrages des Français pour une ré-élection raccourcie - pour ne pas dire racornie - à 5 ans. Je me souviens du second tour et les consignes de vote qui encourageaient à voter par consigne et non par conscience. Je me souviens de son score digne d´une république bananière, 82 % et quelques.

Je me souviens du bilan des présidents de la Ve République.

Les Francais mériteront-ils de se souvenir de la nouvelle présidence qui commencera dans 15 jours ?

 

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