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27 février 2007 2 27 /02 /février /2007 05:21

C´était en mai 1974, un beau jour de printemps, dans la commune de Naustdal, dans le Comté ( ou département ) du Sogn og Fjordane, près de Førde. J´avais donc juste trente ans et vivais en Norvège occidentale depuis un peu moins de deux ans. Mon fils aîné n´était pas encore né, et tout autour de moi éveillait mon intérêt d´ancien étudiant en sociologie qui avais aussi suivi des cours d´ethnologie et lu avec suffisamment d´intérêt des ouvrages de cette discipline que j´avais plusieurs fois fait des exposés devant mes camarades de faculté. C´est donc avec cet oeil de sociologue-ethnologue que j´ai assisté à cette vente aux enchères. Un collègue norvégien me l´avait signalé. Il a été un peu étonné que je désire assister à cette vente aux enchères, mais c´est sans hésiter qu´il m´emmena avec lui.  

[ Grenier sur pilotis ( stabbur ) ]

Cette ferme était isolée de tout, au bout d´un chemin à ornières qui faisait suite à une route non goudronnée qui ne menait nulle part, à 10-12 kilomètres de Førde, dans la commune voisine où vivait une de mes premières connaissances norvégiennes, le peintre Oddvar Torsheim. Tout devait être liquidé : les bêtes, les bâtiments, les meubles, les menus objets, la bibliothèque et les champs alentours. Les propriétaires s´étaient tués dans un accident de voiture et les héritiers directs, qui vivaient maintenant en ville et avaient une toute autre activité professionnelle, n´étaient pas intéressés à reprendre la ferme ou à l´aménager.

Le jour de la vente était un magnifique jour de printemps de la fin mai après mon second 17 mai, jour de la fête nationale. On sentait la vie renaître dans cette verdeur où les arbres bruissaient dans une légère brise, et où l´herbre drue et ferme était haute. Les acheteurs comme les badauds et les simples curieux pour ne pas dire voyeurs comme moi, étaient pleins d´attente devant la vente qui allait se dérouler. Le commissaire-priseur était aussi maire de la commune, et il exercait en même temps les fonctions d´"officier d´administration chargé du maintien de l´ordre et de la collecte des impôts dans les communes rurales", autrement dit "lensmann". Un notable donc, véritable homme à tout faire de la commune, qui connaissait tout le monde et que tout le monde connaissait. Il était grand, et sur ses deux ou trois marches derrière sa chaire de commissaire-priseur et son maillet en main, ses appels d´offres en dialecte étaient d´une fermeté sans failles, même si l´on pouvait y déceler de l´émotion et une chaleur qu´il ne cherchait pas à dissimuler, vu le caractère particulier de cette vente aux enchères.

C´est par le bétail que le commissaire-priseur commenca la vente : " Gje bod ! " ( Faites vos enchères !). J´ai oublié le nombre de bêtes qu´il y avait à vendre. Mais il prenait tout son temps, permettant à tous les acheteurs éventuels d´évaluer chaque bête aussi longtemps qui leur semblait bon. On alla chercher la servante qui connaissait chaque vache par son nom. Quand le commissaire-priseur se trompa sur l´âge d´un veau, elle n´hésita pas à prendre la parole pour préciser qu´il n´était pas né en mars mais en février. Un silence respecteux et plein d´attention s´installa alors dans toute l´assistance, et chacun et chacune pouvaient encore plus soupeser du regard chacune des bêtes qui allaient une à une passer dans d´autres mains. Puis l´attente, de respectueuse, se fit solennelle, comme si l´on voulait se recueillir une dernière fois en mémoire des propriétaires décédés si tragiquement. 

- " Gje bod ! " Une légère hésitation se fit sentir, puis on put entendre une première offre, suivie de beaucoup d´autres, d´une voix à chaque fois plus ferme. Des murmures s´élevaient au fur et à mesure que montaient les enchères. Quand ce fut la voix du Vieux Rex, un vert et solide vieillard de plus de 75 ans qui se fit entendre, et qu´il acheta une vache imposante aux naseaux noirs et luisants de bave, un moment de satisfaction passa ; et quand il quitta le centre de l´arène d´acquéreurs, une fois la dernière enchére terminée qui le faisait propriétaire d´une nouvelle vache, pour glisser à l´oreille du commissaire-priseur quelques mots et montrer sa connivence avec lui, tout le monde sentit qu´il y avait entre eux plus qu´un respect : une sorte de reconnaissance de pouvoirs partagés.

- " Gje bod ! " Les  enchères se suivaient avec naturel. Vint celle d´un petit paysan, sans doute pas très riche, qui se rabatta aur une vache assez maigre. Puis celle d´un imposant paysan-fermier, bien établi dans la région, probablement guère aimé, et qui porta son dévolu sur la plus grosse bête du lot après avoir parlé avec la servante qu´il avait fait revenir. Elle s´était alors approchée d´un grand tableau présentant l´âge, le poids, et le nombre de litres que chaque vache produisait. Elle avait murmuré quelques paroles à son attention, et c´est à la suite de cela que ce propriétaire avait commencé à faire des enchères. Personne ne le suivit longtemps. La vente se fit vite. Mais la servante ne rentra pas dans le bâtiment principal ; elle resta près du tableau jusqu´à la fin de la vente des animaux. Elle hochait légèrement la tête après chaque enchère qui montait, et souriait imperceptiblement après le prix définitif de chaque vache vendue.

- " Gje bod ! " Quelques jeunes paysans se sont alors risqués à lancer deux ou trois chiffres, mais ils se retiraient rapidement quand les prix montaient trop hauts. Ils ne pouvaient suivre les enchères. Ils ne montraient cependant aucun dépit, aucun signe d´impatience. Il m´est difficile de savoir s´ils désiraient réellement acheter ou non, s´ils voulaient vraiment acquérir une nouvelle vache et agrandir leur modeste troupeau, ou s´ils voulaient simplement montrer leur solidarité de paysans certes peu fortunés, mais attentifs à la valeur de chaque bête.

C´est vers la fin que l´on fit avancer le jeune taureau. - " Gje bod ! " Une assez jeune et très belle femme lanca un prix d´une voix qui ne portait pas. - " Høgre ! " ( Plus fort ! ). Elle répéta son offre. Plusieurs sourires s´esquissèrent. Ses cheveux de lin tranchaient sur la couleur sombre mais propre des habits des hommes. Deux ou trois enchères firent monter les prix, mais c´est elle qui emporta le taureau ; ainsi que les deux veaux qui suivirent.

De lente au début, la vente s´accéléra, non par précipitation ou parce que la vente s´éternisait,  mais parce qu´un rythme plus allègre avait été trouvé après l´enchère lente et retenue des bêtes. C´est sans transition que l´on était passé à la vente aux enchères des meubles. Une table et ses chaises. Un fauteuil assez usé. Un buffet. La vaisselle. Des livres vendus en lots. Et un dernier, unique en son genre, dans tous les sens du terme, parce qu´il avait des enluminures et deux fermoirs. Il datait du temps de la grande guerre du Nord entre Charles XII de Suède ( 1682-1718 ) et la Norvège, au début du XVIIIe siècle ; du temps du fameux Charles XII dont Voltaire conta l´histoire et les exploits. Mon coeur se mit à battre. J´eus une envie folle de lancer une enchère, mais n´osai ouvrir la bouche. Une première enchère fut donnée, puis une seconde. Je n´arrivais pas à me décider. J´esquissai un chiffre en norvégien dans ma tête, quand une nouvelle enchère fut proposée. Il me fallait  trouver un nouveau montant quand le maillet s´est abattu, inexorablement  : -" Vendu !" Je me maudis encore d´avoir été si gauche et emprunté. M´ouvrir plus tard au collègue norvégien qui m´avait signalé cette vente aux enchères n´a servi qu´à croître mes regrets.

On avanca alors une carriole qu´un jeune homme tirait par les brancards.- "Gje bod ! " Une femme, visiblement de la ville, lanca un prix dans sa langue à elle, différente de celle de tous les paysans et autres acheteurs de cette assemblée. Une contre-proposition fut aussitôt lancée dans le dialecte du pays. La femme renchérit aussi rapidement, et les enchères se suivirent à un rythme de plus en plus accéléré, au grand amusement de toute l´assistance qui avait compris que cette femme qui venait d´ailleurs voulait sa carriole quel qu´en fût le prix.. Quelques rires se firent entendre, mais personne près de la femme ne s´avisait de lui recommander la modération. Ella arriva à ses fins, et quelques applaudissements se firent entendre, sans que je sache s´ils s´adressaient à la femme ayant acquis la carriole, ou aux petits plaisants qui avaient fait monter les enchères pour la joie de tout le monde. Je touchais à nouveau du doigt toute la différence entre ceux et celles qui parlent les dialectes de la Norvège de l´Ouest et les autres, ceux qui viennent de l´Est, des grandes métropoles régionales et d´Oslo. C´est-à-dire toute la moquerie que beaucoup de gens de l´Ouest qui parlent leur propre dialecte portent à ceux qui viennent de partout ailleurs ; et réciproquement. La moquerie est bien atténuée aujourd´hui, mais l´opposition existe toujours. La langue mise à part, on pourrait parler de l´opposition clichée que certains Francais utilisent quand ils parlent de la "France profonde", pour paraphraser "ce mot hideux de province" qu´utilisa un jour  Malraux dans une belle formule, comme si l´autre France se devait d´être  "superficielle" .

Et puis, subitement, un silence se fit. Un nouvel acte allait commencer, à la fois acte final et point culminant de la pièce qui se jouait en plein air ; la vente de la ferme elle-même : le bâtiment principal, l´étable, la grange, les remises et le grenier sur pilotis si caractéristique des fermes norvégiennes où l´on entassait des trésors ; la farine, les céréales, les viandes séchées suspendues à des crochets ou des esses, et le bac à sel. Les pilotis ont 1 à 1,5 mètre de haut, et ont deux fonctions : empêcher que  l´humidité venant du sol herbeux gâte les vivres et les céréales en réserve ; empêcher que les souris et les rats pénétrent subrepticement. Aujourd´hui, sa fonction de huche à farine ou farinière n´existe plus, mais ces greniers sur pilotis, pour des raisons esthétiques et de sauvegarde du patrimoine rural, servent encore de remises pour les outils de la ferme ; à moins qu´ils ne servent pour les skis et les vieux meubles que personne n´ose vendre ou jeter. J´ignore aujourd´hui si cette ferme existe toujours en tant que ferme, mais je suis sûr qu´en mai 1974, ce grenier sur pilotis était encore utilisé comme au temps où la ferme avait été construite alors que la voiture hippomobile n´existait pas encore ou très peu utilisée.

Mon collègue norvégien se mit à pietiner sur place, autant d´impatience que pour se dégourdir les jambes. Les enchères pour la vente de toute la ferme allaient commencer. Le commissaire-priseur changea à nouveau de rythme pour faire comprendre à tous l´importance de l´enjeu. Il précisa, en martelant les mots importants de chaque phrase, qu´il était impossible de revenir sur un prix annoncé ; qu´il fallait payer comptant dans un délai de 15 jours à dater de ce jour ; qu´il fallait avoir en mémoire que l´acheteur ne serait propriétaire définitif qu´après trois ans révolus, car les héritiers avaient droit durant cette période de faire opposition. Le silence se fit encore plus intense. Puis il lanca à nouveau sa phrase de grand maître d´oeuvre : - " Gje bod ! " 

J´ai oublié le montant des premières enchères. Mais je me souviens de la barrière symbolique des 100.000, - Couronnes. C´était pour l´époque une belle somme. Le commissaire-priseur ne put s´empêcher de le faire remarquer. Un temps s´écoula, le commissaire-priseur reformula sa phrase rituelle ; une nouvelle enchère fut lancée. Le prix continua encore à monter quelque temps ; et puis, tout le monde put entendre le son mat du maillet une dernière fois. La vente était bien terminée. 

Le commissaire-priseur remercia alors tous les participants qui s´étaient engagés avec autant de ferveur pour sauver les biens mobiliers et immobiliers d´un des leurs disparu, incluant aussi bien les acheteurs de menus bibelots, croutons ou rogatons que les acquéreurs du bétail et le nouveau propriétaire de la ferme. Mais je sentais bien en même temps que je l´écoutais, même si c´était confus, qu´il soupconnait qu´un certain monde était en train de prendre fin. La localité de Førde où j´habitais désormais avait été choisie comme centre de développement pour désenclaver toute la région. Il ignorait bien évidemment ma présence. Mais elle était à mes yeux un signe qui ne trompait pas. La première crise du pétrole de décembre 1973 venait juste de se terniner. Le prix du baril avait quadruplé. Les années d´optimisme de l´après guerre et du plein emploi aussi. Tous le pressentaient, même si personne ne pouvait encore le formuler clairement.

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25 février 2007 7 25 /02 /février /2007 08:24

Depuis que j´écris dans ce blog à la recherche de mon passé et de moi-même, j´ai comme l´impression d´éplucher un oignon : je le coupe tant et plus et je ne vois apparaître que des pelures, sans jamais voir de noyau : les épluchures ne font que s´accumuler comme pour le Peer GyntIbsen à l´acte V, scène 5.

Il y a peu, un ami américain de plus de 40 ans que j´ai connu à Tours alors que j´étais étudiant en Sociologie, un certain Bob H., m´a demandé si j´avais changé depuis qu´il m´avait connu. J´ai mis plusieurs jours pour lui répondre, et je pense aujourd´ hui encore autant à sa question qu´à ma réponse qui ne me satisfait plus.

Lorsque j´ai passé ma classe de philosophie au lycée Bertholet d´Annecy, j´ai eu la chance d´avoir un jeune agrégé, un certain Francois Chirpaz, qui m´a appris à lire et à penser. Il insistait dans ses cours que pour oser penser par soi-même, il fallait d´abord commencer par le commencement, c´est-à-dire comprendre comment les autres avaient établi leur propre pensée. C´est pendant cette année que j´ai retenu la phrase de Nietzsche : "Deviens ce que tu es" ( Wirst was du bist ). Retenir par coeur cette phrase et la citer quelquefois ne signifie pas que je l´avais comprise. Je dirai aujourd´hui que je sentais confusément qu´il s´agissait sans doute de devenir ce que je n´étais pas encore. Prendre cette phrase à 19 ans comme consigne de vie n´était cependant pas si mauvais. Mais qu´en est-il aujourd´hui pour un retraité expatrié vivant seul, et qui se plonge dans les replis de sa mémoire et des albums de photos jaunies d´où surgissent des souvenirs qui n´ont entre eux que des liens chronologiques les plus ténus, et où les vides, les manques et les blancs sont évidemment les plus nombreux ?

J´ai comme l´impression que durant 35 ans, professeur de Francais Langue étrangère et de littérature, ma personne s´est confondue avec mon personnage, et que j´ai, pour parler comme Sartre, "abdiqué ma liberté", que "je me suis fait chose". Pour Sartre, on ne pourrait prendre au sérieux un rôle quelconque sans une certaine mauvaise foi pour la simple raison que le rôle, on le joue, aussi bien pour les autres que pour soi-même, comme le faisait son célèbre garcon de café. Je ne discuterai pas ici de la mauvaise foi sartrienne. Je crois cependant avoir aujourd´hui une meilleure connaisssance de moi que lorsque j´avais 19 ou 24 ans.

Dans une contribution antérieure intitulée "Se choisir toute sa vie", j´ai osé affirmer que je croyais que ma période de professeur en Norvège était une longue parenthèse, une sorte de période de latence, et que je suis, depuis que j´ai décidé de prendre brusquement ma retraite, et peu après, d´écrire  pratiquement tous les jours mes souvenirs et mes impressions littéraires, entré dans une seconde puberté. Je le maintiens aujourd´hui. Je prends en même temps peu à peu conscience que la personnalité que j´avais à 19 et 24 ans n´était pas encore fixée parce que je n´avais en rien posé "l´acte libre de ma personne". Pour Sartre, si je l´ai bien compris, la chose "est", alors que l´homme "existe". Ce qui veut dire que l´homme échappe troujours à ce qu´il est ; qu´indéfiniment, il se renouvelle. L´étymologie n´est pas inutile ici : exister, c´est "sortir de". Ce qui veut dire que ni le caractère, ni les conditions de vie ne sont pour l´homme un destin. Ma vie d´enseignant en Norvège ne peut donc entièrement me définir. Reste que ce n´est que depuis que je m´efforce à faire ressurgir mon passé et à analyser ma vie présente que, très sérieusement et pour jouer avec les mots, j´arrive à m´en "sortir" ; je suis désormais,  - et sans mauvaise foi me semble-t-il -, celui que je veux être, celui qui se crée et se re-crée après chacune de ces contributions et analyses que j´appelle souvenirs et impressions, n´osant les appeler textes.

Il y a plusieurs actes et décisions dans ma vie qui ne cessent de me surprendre et que je n´arrive pas à vraiment comprendre pourquoi je les ai accomplis: mes deux fugues d´enfant, des actes d´enfant et d´adolescent que j´ai qualifiés de souvenirs honteux, ma troisième fugue. Loin de vouloir les oublier, loin de les gommer, de les passer sous silence, je les crois au contraire essentiels pour expliquer la personne que j´aspire être et que l´on retienne de moi. Je crois sincèrement - même si ce mot sincèrement n´est pas sartrien - que le fugueur que j´ai été ne jouait pas un rôle ; que la fugue est une partie incontournable de mon moi, et que découvrir cela fait que je redeviens ce que je voulais être. Il en est de même de ma décision de m´expatrier en Norvège en 1972 alors que j´avais 28 ans. C´était une nouvelle fugue pour me trouver, une nouvelle manière de me dépouiller de mes rôles précédents que j´avais endossés. J´ai cependant endossé un nouveau rôle, celui de professeur, même si je crois qu´il était plus vrai que les précédents et relativement bien joué. Je ne cherche pas à le refuser. Jamais cependant je ne pourrais l´annihiler, jamais je ne pourrais faire qu´il n´ait pas été. Il s´agit en fait de l´assumer pleinement, puis de le dépasser. Je refuse de me définir, pour paraphraser Tzvetan Torodov, comme un expatrié circontanciel.

J´ai écrit à mon ami américain Bob que j´étais peut-être devenu autre après qu´il m´eut connu, et je lui ai cité l´adage latin Non sum qualis eram : "je ne suis pas ce que j´étais". Cela est sans doute vrai pour l´homme jeune qu´il a connu en 1965-1966. Cet homme jeune jouait le bon et noble rôle d´un étudiant en Sociologie qui cherchait à entrer dans sa vie de jeune adulte. J´ose afirmer qu´il n´était cependant pas en continuité de l´enfant et l´adolescent fugueur qui cherchait confusément à se trouver.

Mais je ne crois pas non plus qu´il soit possible de découvrir à jamais ma "substantifique moelle". J´aurais beau éplucher tant et tant l´oignon, je ne trouverai que pelures après pelures et mes yeux pour pleurer. Serait-il donc vrai que "tout n´est que pelures..." , comme l´affirme le Peer Gynt d´Ibsen et que Günter Grass, sur qui j´ai écrit  - incroyable mais vrai - dans ma première contribution de blogueur, ne peut pas ne pas connaître ? Peut-être serait-il aussi pertinent de se référer à Freud qui "désigne comme tâche à la psychanalyse le dévoilement du sujet : "Là où c ´était, je dois advenir" ( Wo Es war, soll Ich werden )" ( Francois Regnault, "Les pelures du Soi" in Peer Gynt, Editions BEBA, 1981).

Diable ! Je n´ai pas fini d(e m´) étonner.

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23 février 2007 5 23 /02 /février /2007 13:43

C´était en décembre peu avant Noël et j´allais sur mes cinquante ans. Je voulais montrer ce qu´était un repas de Noël à la française même si je n´avais en la matière aucune expérience. Ma mère n´aimait pas faire la cuisine et lorsque j´étais enfant, elle ne m´invitait jamais à la regarder. La seule chose qu´elle aimait faire, c´était d´ouvrir des huîtres, et ce sont les seuls moments où j´avais l´occasion de l´assister.

Puisque la saison s´ y prêtait en ce mois de Noël, j´ouvrirai donc des huîtres. Mais quoi faire d´autres ? Il n´était pas question de faire une dinde, c´était beaucoup trop gros, ni même un canard ou du porc à l´orange, tradition que j´avais introduite auprès des miens et que je ne tenais pas du tout à faire ce jour-là. Je me suis donc décidé pour un tournedos bardé et ficelé. Le dessert serait des plus simples : une bûche achetée dans n´importe quelle boulangerie-patisserie, en espérant qu´elle ne soit ni trop sèche ni trop bourrative comme j´en avais le souvenir à chaque fois que l´on m´en avait offert une.

Les huîtres, je les ai achetées à l´étalage installé devant le restaurant de la Place Saint Sauveur de Caen. Je passais souvent devant ce restaurant, notamment les dimanches lors de mes promenades de l´après-midi. Je sortais de chez moi, gagnais sans me presser la place en triangle de la Place Saint Sauveur et passais alors devant ce restaurant et son étalage où les huîtres étaient posées sur des algues luisantes et noires et décorées de quelques citrons jaune saillant bien calés dans les divers cageots. Je n´y suis jamais entré pour déjeuner ou dîner, mais il m´est arrivé plusieurs fois de commander une ou deux Löwenburg, car d´énormes publicités vantaient cette marque de bière. C´est donc tout naturellement là que je me suis rendu  pour acheter mes deux douzaines d´huîtres. J´aime les avoir dans la main, palper leur rugosité froide et feuilletée extérieure, regarder leur blancheur nacrée intérieure et sentir leur odeur de mer houleuse et verte. Tout un monde m´apparaît, fait de plage, de sable et de vent dans les cheveux.

J´avais le choix de la provenance et c´est tout naturellement des huîtres de Marennes, en Charente Maritime, que j´ai choisies, car j´ai toujours entendu dire ma mère que les huîtres de Marennes étaient plus vertes et plus fermes que celles de la côte bretonne.

Du vendeur, j´ai eu droit au geste et à la phrase traditionnels : il prit de son cageot une treizième huître, la jeta négligemment parmi les autres et ajouta, le sourire aux lèvres, tout en refermant le sac où elles se trouvaient : - " Et treize à la douzaine !" - "Mais nous sommes deux..." répliquai-je. Il fronca les sourcils, me regarda. -"Je vous prends aussi deux citrons." Il les pesa, les mit dans un petit sac en papier et ajouta : -"Vou-ou-s !...".  Il replongea la main dans son cageot. -"Ca f´ra treize pour chaqu´ douzaine". Je partis content et m´engouffrai dans la rue Froide.

C´était une rue fort pittoresque et je suis sûr qu´elle l´est toujours : une rue légèrement en pente, sans trottoir, toute de travers, et où le vent s´engouffre et vous glace les os ; au milieu, une rigole pour l´écoulement de la pluie et les eaux de rincage et de lavage. Une rue d´autrefois, certes restaurée, mais moyenâgeuse à souhait comme à Sarlat ou ailleurs ; une de ces rues comme on n´en fait plus, une véritable cour des miracles. C´est là que se trouvait une boucherie-charcuterie où j´avais l´habitude de m´approvisionner, et qui vendait aussi des tripes et des andouillettes. L´un des murs était couvert d´étagères, et les bocaux de cuisses de canards ou d´oies en confit  voisinaient avec des Bourgognes et des Beaujolais.

Le vendeur choisit pour moi deux beaux tournedos bien épais. -"Je vous les barde ?" - "Volontiers." Il prit donc dans sa chambre froide une mince tranche de lard pour en faire deux fines lamelles qu´il ficela  avec soin autour des deux tournedos. - "Et avec ça ?" - "Ca s´ra tout". Je n´avais en effet pas besoin d´acheter de vin ce jour-là, car j´avais en réserve - incroyable mais vrai - quelques bouteilles de Château Lafite-Rotschild. J´avais acheté trois cartons de douze bouteilles dans une minuscule épicerie de la rue Saint Pierre deux ou trois semaines auparavant. C´était une offre exceptionnelle et inespérée, un surplus que le domaine bradait à prix raisonnable pour respecter le nombre de bouteilles qu´il avait droit d´écouler sur le marché sans faire chuter les cours. J´étais à pied le jour de l´offre et j´ai dû porter tout un carton à bout de bras. Après l´avoir goûté, je me suis précipité pour acheter deux autres cartons. Le stock était déjà écoulé quand je me suis présenté une troisième fois. Ce jour d´avant Noël, chargé de mes huîtres et de mes deux tournedos, c´est là que je suis entré pour acheter un "Entre-deux-Mers". J´ai totalement oublié où j´ai bien pu acheter la bûche.

Nous avons mangé dans la cuisine éclairée à la bougie. Elle m´a regardé ouvrir une à une les huîtres de Marennes, les poser délicatement sur deux assiettes différentes en évitant soigneusement que l´eau de mer ne s´égoutte de leur coquilles. Elle prenait chaque huître dans la main gauche, ajoutait, comme je le faisais, une ou deux gouttes de citron d´un bateau qu´elle pressait de ses doigts courts non vernis, mais elle ne les dégustait pas "le pouce-en-claire" ; elle s´aidait de la fourchette pour décrocher l´huître de sa coquille et la faisait ensuite glisser dans la bouche. Elle essaya bien une ou deux fois de faire comme je faisais, en utilisant son pouce et la lame de son couteau, mais elle renonça vite et resta elle-même, se satisfaisant de son geste bien à elle. Le vin était frais, et nous nous regardions dans les yeux, en attendant le plaisir à venir.

Puis vint le moment de faire cuire les deux tournedos. Je mis dans la poële beurre et huile mêlés. Elle aimait que la viande soit plus à point que la mienne. Nous avions fini la bouteille d´Entre-deux-Mers. Il ´était temps d´entamer le Château Lafite-Rotschild que j´avais ouvert deux heures auparavant. Je ne crois pas avoir expliqué ce que le vin avait d´exceptionnel, mais je pouvais voir dans ses yeux et son sourire qu´elle appréciait. C´était en effet du bon. Elle me regarda surveiller la cuisson des tournedos. Cela me gênait légèrement sans savoir pourquoi. Je réussis à détourner son attention en flambant les tournedos au Cognac. Je crois comprendre aujourd´hui pourquoi son regard me troublait : j´avais certes conscience que c´était un repas d´amour, mais je sentais en même temps que se serait sans doute le dernier.

Je ne connais pas le vocabulaire des vins. Je n´essayerai donc pas de parler de sa robe vermeille ou je ne sais quoi. Il se laissait boire et nous l´avons bu. Nous ne nous sommes pas lassés de ce bonheur. Les deux bûches en revanche sont restées dans nos assiettes.

 

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21 février 2007 3 21 /02 /février /2007 09:09

Manie et dépression, du Pr. Marc-Louis Bourgeois ( Odile Jacob, 2007, 320 pages ) a pour sous-titre : Comprendre et soigner les troubles bipolaires. Sa référence essentielle, sa bible qu´il cite à longueur de chapitres, c´est le DSM-IV-TR de l´APA. Kesako dirait Queneau ?

[ "L´homme aux loups", patient de Kraepelin, puis de Freud ]

La première apparition de ce sigle non expliqué apparaît à la page 10. La seconde se trouve dans un encadré à la page 22, mais toujours sans explication claire du sigle. Je ne crois pas que ce soit un lapsus calami , ni un acte manqué, mais plutôt un véritable tour de passe-passe, une dissimulation volontaire d´auteur pour passer sous silence ses confrères-rivaux qui ont aussi pignon sur rue, les psychanalystes.

DSM-IV-TR de l´APA vient de l´américain et signifie "Diagnostic and statistical Manual Disorders", 4e édition ( Text Revisited ) de l´ "American Psychiatric Association". Autrement dit un manuel diagnostique standard utilisé par les cliniciens en matière de troubles mentaux. L´essentiel à savoir, c´est que c´est un catalogue purement descriptif qui se prétend a-théorique, ce qui veut dire qu´il n´a plus aucune référence à la psychanalyse depuis la troisième révision. Certes, la page 4 de couverture précise que l´auteur est neuropsychiatre et docteur en psychologie, qu´il enseigne la psychiatrie dans une université francaise et qu´il préside l´Association de recherche et de traitement des troubles bipolaires ( ART-BP ). Bien : notre professeur a des références. Mais à la page 281, on apprend ceci à la fin d´un paragraphe consacré à la question de savoir : "Quelle psychanalyse pour les maniaco-dépressifs ?" Je cite intégralement : "Pour l´auteur de cet ouvrage, la psychanalyse est une expérience élitiste. Elle suppose un analysant capable d´insight, de compréhension et d´un bon niveau de verbalisation, impliquant souvent un niveau culturel élevé, une disponibilité en temps et en argent. Quant à l´analyste, il faut se méfier des contrefacons, éviter les quickies, et les speed-datings" ( sic, fin de citation ). En lisant les 280 pages précédentes, on s´était douté que le professeur n´était pas psychanalyste. Il est assez plaisant qu´il le signale au lecteur en ces termes.

Cela dit, son ouvrage est lisible et plaisant, même s´il a un peu trop des statistiques à mon goût, et que les exemples de cas qu´il cite ne font pas vraiment partie de la France d´en bas. Le premier cas mentionné est une Présidente d´Université ayant passé son doctorat cum summa laude (sic). Les autres sont diplomés des grandes écoles, directeurs de banque, P-DG, femme d´avocat, etc. Mais je mégote...

Cela dit, encore une fois, l´ouvrage de Monsieur le Professeur se lit facilement. Il se divise en trois parties et il s´y tient : Comment reconnaître les troubles bipolaires ; comprendre le trouble bipolaire ; comment gérer et soigner le trouble bipolaire. Il précise clairement que les termes PMD ( psychoses maniaco-dépressives ) ne sont plus utilisés depuis 1980 et qu´ils ont été remplacés par les termes de troubles bipolaires. Reste que son ouvrage est essentiellement descriptif et statistique. Pour le psychanalyste, le symptôme est l´expression déplacée et/ou symbolique d´un trouble et d´une angoisse en partie inconscientes. Notre professeur n´étant pas psychanalyste, il cite à longueur de chapitres des statistiques sur des troubles dont il rend compte en insistant sur leurs côtés visibles. Il n´aide pas vraiment, à mon humble avis, à aider le lecteur à comprendre l´origine des troubles.

Outre une abondante bibliographie où le nom de S. Freud n´est pas mentionné une seule fois, et une liste d´adresses de groupes et d´associations de malades que l´on peut contacter ou consulter sur le nett, par lettre ou par téléphone, l´ouvrage se termine par le MDQ, un instrument pour le diagnostic ( The Mood Disorder Questionnaire ), autrement dit le Questionnaire de trouble de l´humeur. Comme pour le DSM ( cf supra ), on a toutes les chances de se trouver quelque chose. Il vaut mieux le savoir. 

Pour conclure, il convient d´apporter cette précision : les personnes dont les noms suivent étaient des maniaco-dépressifs notoires : Honoré de Balzac, Goethe, Hemingway, Virginia Woolf, Dostoîesky, Tolstoî, Robert Schumann, Hector Berlioz, Van Gogh, August Strindberg. Edvard Munch l´était-il ? Les oeuvres qu´ils nous ont laissées, pour reprendre la dernière phrase du lumineux essai de Tzvetan Todorov, la littérature en péril,  ne nous aident-elles pas à mieux vivre ?

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20 février 2007 2 20 /02 /février /2007 13:48

C´est à Régis Boyer que l´on doit la traduction et la présentation de quelques 100 poèmes d´Ibsen. Ibsen est d´abord et avant tout un dramaturge , surtout connu en France pour avoir écrit Peer Gynt et Une maison de poupée. Mais il nous a laissé des poèmes qui ne sont pas négligeables ( Les Belles Lettres, 2006 ). Ce sont surtout des poèmes de circonstances, purement personnels, mais aussi écrits à l´occasion de la disparition de grands Norvégiens, Suédois ou Danois de son époque, ou lors de diverses commémorations. Plus d´un évoque la gloire de la Norvège du temps de sa splendeur et de sa grandeur lorsque les Vikings, ces explorateurs et marchands, sillonnaient  ( et non écumaient ) les mers du monde, et auraient pu rencontrer des "revenants" , ces "morts-mal-morts" que sont les "draugs".

La Nature, la lumière du Nord et les oiseaux y sont célébrés. La mer aussi, qui " n´est jamais houleuse au point de proscrire la beauté ". Il ne craint pas de se hisser " Sur les hauteurs ", sans doute son  chef d´oeuvre.

Certes, ce recueil s´adresse surtout aux inconditionnels du grand Norvégien, mais aussi aux curieux désireux d´emprunter des sentiers escarpés. 

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19 février 2007 1 19 /02 /février /2007 07:04

La réalité semble dépasser la fiction. Je disais dans la contribution de mon blog intitulée Papon ou comment tuer un stylo à la main  que Maurice Papon était capable d´arborer ses décorations à la sortie de l´hôpital. C´est pire que ce que je croyais. Son avocat Me Francis Vuillemin déclare : Je veillerai personnellement à ce que l´accompagne dans son tombeau la croix de commandeur de la Légion d´honneur que Charles de Gaulle lui a remise de ses propres mains.

La Ligue des Droits de l´homme (LDH) a dénoncé la "priorité" donnée à un "complice de la Shoah", dans la libération de détenus malades, sur d`autres détenus qui n´ont "pas bénéficié de la même humanité que le pourvoyeur d´Auschwitz". Pour Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l´Assemblée nationale, c´est tout à fait "choquant" que Maurice Papon soit  inhumé avec la Légion d´honneur. Pour le Parti Socialiste "un tel geste ne viserait qu´à offrir  à M. Papon une forme de réhabilitation posthume, voire de négation des faits graves et indignes dont il a été coupable."

C´est un "symbole de la collaboration de l´Etat francais," a estimé Francois Hollande. "Il a servi tous les régimes : haut fonctionnaire sous Vichy mais aussi haut fonctionnaire sous la IVe République, préfet de police au début de la Ve République, où il a couvert les tragédies de Charonne, et ministre RPR sous Giscard".

J´espère que Jacques Chirac, "en tant que grand chancelier de l´ordre de la Légion d´honneur, veillera (...) à ce que rien (...) ne vienne entacher cette disctinction particulièrement emblématique de la République"  a ajouté Bernard Accoyer.

Lien no1( Le Monde ) : Polémique sur les conditions des obsèques de Maurice Papon

Lien no2 ( Le Monde ) : le fonctionnaire qui n´a jamais eu de regrets 

Lien no3 : lire dans Rosebud : Eclats de biographies de Pierre Assouline le chapitre consacré à Jean Moulin.

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18 février 2007 7 18 /02 /février /2007 08:28

Le recueil de Nouvelles Portraits de mes amis de Philippe Caubet, illustre inconnu, et Sempé, illustrateur illustre, Editions Martine Gossieaux, 2006, 17 € , ne fait que 71 pages. Cela fait cher la page. Mais c´est lisible, bien que très nombriliste.

[ Illustration avec queue de pie mais sans tête ]

L´ouvrage commence par un "préambule" : les propres funérailles de l´auteur auxquelles assistent ses amis ; "la cérémonie aura de quoi émouvoir la pluie et quelques oiseaux". Il a de nombreux amies avec et sans e. Notamment des soeurs siamoises musiciennes dont l´une, celle qui jouait de la main droite, est morte d´une attaque alors qu´elles jouaient un galop. Depuis que Morta Poudre vit seule, quand elles est dans son yacht, elle demande à ses hôtes de "fermer les yeux et [d´] imaginer tous les poissons qui s´approchent des hublots pour apercevoir le grand piano".

Il a perdu de vue Marie Perdier. Mais il se souvient bien de son amitié avec Louis-Marcel Georges, cinéaste, qui tournait "le premier film abstrait de l´histoire du cinéma". S´il a embauché Mademoiselle de Liège comme femme de ménage alors qu´elle avait quatre-vingt deux ans, c´est "parce qu´elle sentait le muguet". C´est en farfouillant dans une librairie qu´il a fait la connaissance  de Constantin Magdir. Il "avait en main un grand livre intitulé D´autres illustrations du vide". Alors que Constantin était enfant, le père de celui-ci "avait acheté un précipice. Maman et [lui] étaient très inquiets".

C´est fou le grand nombre de gens qui connaissent son amie Catherine. "Il faut dire qu´elle est très gaie". Madame Malineau recherchait des cryptogames. Un jour, devant une erreur d´étiquette, elle se mit à "trépigner et rire". - "Ce n´est qu´une pleurote" s´écria-t-elle. "A vrai dire, même si elle était devenue [s]on amie le jour de la pleurote, en riant autant, [il s´est] toujours méfié de Madame Malineau". Jenny Parfieure était à l´enterrement d´une cousine à des amis communs. C´est elle qui lui téléphona car elle désirait qu´il soit son meilleur ami, à elle aussi. Elle portait ce jour-là "un imperméable et des lunettes fumées". Il a accepté de la rencontrer. Il croit "qu´elle n´avait plus d´amis, peut-être même qu´elle n´en avait pas encore eu".

Monsieur Sordd est un réparateur de chapeaux. Ils se sont connus le jour où pour rendre service à son oncle, il lui a apporté un feutre marron qui était un peu mité. Ce monsieur Sordd est immense quand il passe sa porte. Madeleine Lelièvre écrit des poèmes toujours très longs. Quand elle a fini de les lire, elle appuie sur un bouton dissimulé qui déclenche des applaudissement, toujours les mêmes. Il ne sait pas si c´est un disque ou une bande magnétique. A une époque où il cherchait un correspondant, il lut une annonce qui lui sembla lui convenir : Cherche correspondant bien renseigné sur lui-même pour échanges, Jules Alphur, 14 rue des Quais". Il écrivit. Jules Alphur s´empressa d´accepter, mais il prescrivit dans sa première lettre : J´exige que nous nous rencontrions jamais". Il croit que ce correspondant a moins d´amis que lui.

Il a sauvé la vie à M-D M-S. Ils écoutent ensemble " des musiques mélangées, une symphonie ici, un tango là, un chant pygmée un peu plus loin ... toutes ces musiques au même instant, grâce aux nombreux appareils simultanés dont elle est le propriétaire". Il  a aussi une amie parmi les bêtes. Il s´agit d´une grosse chienne de couleur noire. Casimir Moderno aurait pu devenir son ami. Il l´a rencontré dans la rue. " Il souriait : Aujourd´hui j´ai appris à parler seul" dit-il. Et il s´enfuit, très vite".

Bartove est son conseiller. Il ne répond pas quand les questions sont mal formulées,. Mais à celles qui sont clairement formulées, il répond tout de suite par " Oh ! Oh ça oui !" ou par " Ah ! Ah ! Ah ça oui !" Et il n´ajoute rien. Mais lui ajoute " qu´il n´est pas saugrenu de considérer son homme d´affaires comme un ami".

Le recueil se termine par un épilogue.

Epilogue 1 : Je sais vaguement ce qu´on appelle en littérature le "minimalisme", ayant lu du Jean-Philippe Toussaint, même si je ne raffole pas. M´étant délecté à la lecture de La littérature en péril de Tzvetan Todorov, j´ai appris ce qu´était le nouvelle tendance de la littérature nombriliste contemporaine, notamment la tendance "solipciste", du nom de cette théorie philosophique qui stipule ( ou postule ) "qu´on est soi-même le seul être existant". J´ignore si, avec ce premier recueil, Philippe Caubet se rattache au minimalisme, au formalisme, au nihilisme, au solipcisme ou à l´autofictioin. J´espère que ma question est suffisamment bien formulée pour obtenir une réponse de son ami le conseiller Bartove.

Epilogue 2 : - C´est imprimé sur du beau papier ; - le format est insolite : 16,5 x 21 cm ; - l´illustrateur Sempé  est égal à lui-même ; - je ne suis pas bibliophile, mais papivore et lectophage ; - Allez savoir pourquoi l´ouvrage commence par un préambule et pas un prologue ; - " étymologie : rien de plus facile à trouver avec le latin et un peu de réflexion"  ( Dictionnaire des idées recues).

N.B. (ou PS, c´est selon) : D´Emmanuel Bove (1898-1945), je vous recommande Mes amis, roman publié en 1924. Cet écrivain totalement méconnu aujourd´hui a été recommandé en son temps par R.M.Rilke, Samuel Beckett, Peter Handke.

Coda : Le recueil de Nouvelles Portraits de mes amis de Philippe Caubet et Sempé, Ed. M. Gossieaux, 2006, 17 € , ne fait que 71 pages. Ca fait cher la page. Mais c´est plaisant..

 

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17 février 2007 6 17 /02 /février /2007 11:53

Le dernier essai du citoyen français Tzvetan Todorov, La littérature en péril (Flammarion, coll. Café Voltaire, 2007, 95 pages), est un chaleureux plaidoyer pour les oeuvres littéraires qui donnent au lecteur la possibilité de mieux appréhender le monde et sa vie.


Il a participé avec Roland Barthes, durant les années 1960-1970, au courant structuraliste et sémiologique de l´interprétation des oeuvres littéraires qui cherchait à dépasser la critique subjective et impressionniste pour tenter d´élaborer une "théorie de la littérature". Il a par la suite fait partie de la direction de la revue Poétique avec Gérard Genette qui luttait pour promouvoir le décloisonnement de l´enseignement de la littérature à l´université (qui en était encore, pour parler vite, à l´étude de "l´homme et  l´oeuvre"). Il n´est pas responsable des abus, errances et impasses de certains universitaires et écrivains actuels qui voient dans l´oeuvre littéraire un objet langagier clos obéissant à ses lois propres de composition et d´écriture, et qui non seulement ne renvoie plus au monde mais qui n´est plus un discours sur lui.  C´est qu´aujourd´hui, à croire ces pisse-froid, le texte donné à la lecture ne dirait plus une vérité, pour la simple raison que la vérité n´existerait plus ; ou plutôt, parce que la vérité serait à jamais inaccessible.

Si l´écrivain construit son texte grâce à des constructions ingénieuses et des procédés d´engendrement, il se range dans la conception formaliste de la littérature qui remonte aux Formalistes russes des années 1920, - ceux-ci ayant eu recours à ces procédés pour échapper en partie à la censure totalitaire soviétique ; s´il appartient à la tendance qui estime que la vie est l´avènement d´un désastre, que les violences et les destructions disent la vérité de l´existence, il ne prétend peut-être plus que l´oeuvre littéraire ne décrive pas le monde, mais qu´elle est en tout cas une représentation de la négation, ce qui permet de la ranger dans la tendance nihiliste ; si enfin l´écrivain se contente d´analyser le fragment du monde que lui-même constitue, s´il se complaît dans la description narcissique de ses plus insignifiantes expériences personnelles et sexuelles, la littérature devient solipsiste, du nom de cette théorie philosophique qui stipule que "l´on est soi-même le seul être existant". D´où la tendance ultime et encore plus dérisoire, celle de l´autofiction où se côtoient la jubilation de l´évocation de ses humeurs et  la croyance en l´indépendance supposée de la fiction liée au plaisir de la mise en valeur de  soi.


Intellectuel de haut vol, Tzvetan Todorov explique en historien des idées et de la littérature, les origines des dernières conceptions en remontant aux Temps Modernes et à la Renaissance italienne jusqu´à nos jours, en passant par l´esthétique des Lumières, le romantisme et les diverses avant-gardes du début du XXe siècle. Il passe aussi en revue les analyses de Benjamin Constant qui est le premier en France à utiliser l´expression " l´art pour l´art", celles de Baudelaire, puis le bel échange de lettres entre Gustave Flaubert et Georges Sand qui se posent, chacun selon sa manière et son tempérament, la question de savoir à quelle nature de vérité le véritable écrivain accède dans son oeuvre.


La conclusion de Tzvetan Todorov est pleine d´optimisme et ne manque pas de réconfort pour tous les lecteurs de haute littérature ; il rappelle dans son avant-dernier chapitre ce que peut la littérature : " nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre (...), [ et même] chemin faisant, transformer chacun de nous de l´intérieur" ( page 72 ). Mais Todorov ne se contente pas de rendre compte de ses bonheurs de lecteur ; cet  " exilé circonstanciel ", cet être " né pour être dépaysé" , pour reprendre deux forrmules qu´il a utilisées dans une interview récente diffusée sur RFI, est aussi quelqu´un qui a autant des "devoirs" que des "délices" : il en appelle ainsi, dans la dernière phrase de son essai magistral de " bon sens qui est la chose du monde la mieux partagée ", à ce que chacun de nous soit comme lui un passeur à qui  "incombe le devoir de transmettre aux nouvelles générations cet héritage fragile, ces paroles qui aident à mieux vivre " ( page 90 ).

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16 février 2007 5 16 /02 /février /2007 10:18

Le Norvégien Edvard Munch ( 1863-1944 ) est sans doute le peintre qui explore le mieux les zones encore en friche de l´esprit humain. Contemporain du Suédois Strindberg et du Norvégien Ibsen qu´il connaissait, il les a dessinés et illustrés abondamment, et l´on peut sans crainte affirmer que Munch est un équivalent pictural d´Ibsen. Il y a dans sa peinture un rapport évident avec l´inconscient, un désir de peindre l´état second des individualités. Comme Ibsen dans Les Revenants, Hedda Gabler et Rosmersholm, Munch met en scène des êtres pour qui le passé qui ressurgit investit le présent jusqu´à plus ou moins l´abolir.

Munch comme graveur est aussi un artiste hors pair, et il est peut-être le plus important de l´époque moderne. Il renouvelle les voies ouvertes par Dürer, Rembrandt et Daumier et dépasse celles du Suédois Anders Zorn et de l´Allemande Käthe Kollwitz. Les thèmes de ses gravures et lithographies sont des reprises de ses huiles sur toile comme l´angoisse, la jalousie, la solitude et la sexualité féminine. Mais la morbidité des sujets est encore plus stylisée que dans ses tableaux au moyen de la couleur et des courbes des formes. Munch éveille chez celui ou celle qui regarde ses oeuvres le malaise et l´émotion, et parvient à transmettre les sentiments subjectifs que l´on peut éprouver l´espace d´un l´instant

 

Si l´attitude de sa Madonna, maintes fois reprises, investit l´irrationnel de celui qui la regarde et le dérange, c´est que cette attitude dévoile de l´insoupconné, présente la figure humaine dans les marges de son état conscient. Les stries de la couleur en appellent aux failles de la vie en chacun de nous. Dans les maintes versions des diverses Nuit d´été, l´émotion naît autant des courbes languides des paysages et des corps que dans les tons improbables et pourtant harmoniques utilisés. Le i jaune ou rouge du soleil couchant qui se reflète dans un ciel bleu de plomb va bien au-delà de la stricte apparence visuelle. Pour Munch, peindre c´est "peindre l´impression d´un instant", c´est  "donner le sang de son coeur". C´est toute la différence entre l´impressionnisme et l´expressionnisme : l´impressionnisme cherche à capter la lumière d´un instant du jour alors que l´expressionisme saisit le rouge sang d´une angoisse ou le bleu nuit d´une insomnie.

                                                            [ Ci-dessous : Nuit d´été sur la plage ]

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15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 04:59

J´allais bientôt avoir 50 ans et j´allais certains week-ends rejoindre mon ami Charles dans la région parisienne près de Neauphle le Château. Il ne vivait plus seul mais avec son petit-fils Kevin qu´il adorait, sa belle-fille Nathalie et la grande soeur de Kevin. Sa maison, qu´il avait en partie construite tout seul et qui n´était pas terminée, était une caverne d´Ali-ba-ba et un invraisemblable bric-à-brac. Des meubles en pin, un buffet japonais, un fauteuil à dossier inclinable posé devant un énorme écran de télévision entouré de dizaines de video-cassettes à thèmes surtout scientifiques ; et dans la partie mitoyenne au coin cuisine et à la partie qui servait de salle à manger, un vaisselier sur  lequel étaient rangés des pots de miel aux parfums rares et exclusifs ainsi qu´une série impressionnante de  bouteilles, des cognacs hors d´âge, des alcools de prune, de poire ou de mirabelle, des whiskies et des bourbons venant du monde entier et aux noms autant insolites que saugrenus en provenance du Pays de Galles, d´Ecosse, des Etats-Unis ou du Canada, et même de quelques républiques de l´ex-Union Soviétique. Ils les avait achetées dans divers aéroports lors de ses voyages de scientifique titulaire d´une chaire de physique théorique, et conseiller dans divers laboratoires de recherche un peu partout dans le monde.

Il avait été, alors que j´étais un garconnet de 5-7 ans, un jeune homme attentif à mon éveil d´enfant, et c´est émerveillé que je l´écoutais quand il m´expliquait le monde autour de moi ou m´emmenait avec ma soeur au bois de Boulogne. Alors que j´avais 7 ans et que j´étais en colonie de vacances en Vendée aux Sables d´Olonne, je lui ai même envoyé une lettre que ma mère a conservée dans ses papiers et qui a fait curieusement réagir ma grande soeur. Puis je l´ai perdu de vue car ma soeur et lui avaient rompu. Je l´ai retrouvé alors que j´étais un jeune adolescent un peu perdu, et il est alors devenu pour moi autant un conseiller pour mes études qu´un modèle intellectuel. Plus tard, il est même devenu un véritable ami. Son agilité intellectuelle et sa réussite professionnelle étaient éclatantes. Il était présent à mon mariage en Norvège. Mais ses relations avec sa femme Madeleine, sa fille Sophie et les femmes en général n´étaient pas simples. Sa misogynie était évidente. Ce qui explique que ma femme ne l´ait jamais vraiment apprécié. Plus tard, ses relations avec la grande soeur de Kevin étaient encore plus compliquées. Pour d´autres raisons aussi, j´ai fini par rompre avec lui. Si je parle de lui avec chaleur pour ses dons de pédagogue à propos du langage des abeilles et son amour certain pour son petit-fils Kevin qui montrait devant le monde et la vie une curiosité toujours en éveil et une intensité d´apprendre hors du commun, je ne suis pas tendre pour ses autres aspects. Il y a des attitudes et des mots qui sont lourds de conséquences. Il semble qu´ils aient été irrémédiables. Mes regrets d´aujourd´hui n´ont que peu de poids. Mais mes rapports avec lui en 1992-1994 étaient encore affecteux, même si j´ étais déjà critique.

Je n´ai jamais eu besoin de beaucoup de sommeil. Cinq ou six heures par nuit me suffisent amplement Quand je lui rendais visite en ces années 92-94, j´avais pris l´habitude de me lever de très bonne heure avant tout le monde, de rêvasser un peu au détour de quelques phrases lues, et d´aller chercher dans une petite boulangerie de Neauphle le Château des croissants chauds au beurre. Ces réveils matinaux ne me coûtaient guère. Il fallait quelquefois affronter le gris d´un matin de brouillard ou le bleu d´un ciel froid et souffler dans mes mains gelées une haleine qui faisait quelques nuages de brume avant d´ouvrir la porte verrouillée de ma voiture. La boulangerie ouvrait à 06 heures 30 et j´étais le premier et le seul de si bonne heure. "Pas chaud ce matin !" me disait-on en guise de réponse à mon salut poli. Ou, après quelques visites répétées qui ne me donnaient pas vraiment l´impression d´être devenu un vieil habitué du village : " Au beurre, comme d´habitude ? Ils sont encore tout chauds."

Je les posais en évidence sur la table en pin. Je prenais une revue scientifique que je feuilletais discrètement, lisais éventuellementt quelques pages d´un livre que j´avais pris avec moi et j´attendais le lever de mon ami puis celui de sa belle-fille qui ne tardait jamais. Ils préparaient à tour de rôle le café et le thé au lait pour les enfants. C´était souvent un dimanche. Il n´y avait donc pas école et nous avions tout notre temps, ce temps du petit déjeuner qui n´est ni le temps de midi ni celui du soir, mais celui de l´éveil au jour qui va venir, celui où le temps n´a pas de prise, celui du temps où l´enfance du petit Kevin me rappelait ma propre enfance où je n´avais moi-même que 5 ou 6 ans et que je m´asseyais sur un banc de bois qui me rougissait les fesses au Jardin d´Acclimatation. Je criais à l´unisson des garcons et filles de mon âge quand le loup arrivait derrière le petit chaperon rouge. Je ne le savais pas encore, mais c´était le temps du bonheur, comparable à celui que j´ai désormais à trouver des phrases sans importance dans le silence du petit matin et de ma page raturée que je recopie et modifie au gré des associations qui me viennent devant mon vieil ordinateur.

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