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28 octobre 2006 6 28 /10 /octobre /2006 09:45

Il est évident que si j´écris aujourd´hui sur le cormoran, c´est parce que j´ai écrit hier sur le "lusekofte" (= tricot jacquard norvégien). J´ai retrouvé dans ma bibliothèque un petit livre illustré par le peintre norvégien du Nord, Karl Erik Harr, Skarvene fra Ut-Røst, autrement dit  "Les Cormorans de Ut-Røst", conte recueilli et écrit par Peter Chr. Asbjørnsen et Jørgen Moe. Je ne crois pas que ce conte soit traduit en francais.

[ Hans Gerhard Sørensen, Cormorans sur un récif, gravure sur bois ]

"De retour chez eux, il peut arriver que des pêcheurs du Nordland trouvent accroché à la barre un brin de blé ou une touffe d´orge dans le ventre d´un poisson. Ils savent alors qu´ils sont allés jusqu´à l´au-delà de Ut-Røst, jusqu´au pays des Huldres, comme il se dit dans les légendes du Nordland. Mais le pays ne se montre qu´à ceux qui sont pieux et prévoyants, qui sont en danger en mer et qui parviennent là où par ailleurs ne se trouve aucun pays"

(...) "Sur l´île de Værøy, au large des Lofoten, vivait un pauvre pêcheur qui ne possédait rien d´autres que son bateau et quelques chèvres que sa femme nourrissait de vidures de poissons ou de brins d´herbes qu´elle pouvait ramasser à la hâte sur la montagne; mais la maisonnée était pleine d´enfants qui avaient faim. Il se contentait pourtant de ce peu, puisque c´était ainsi que le Seigneur l´avait voulu pour lui. Isak ne se plaignait que de son voisin qui estimait qu´il devait avoir en toutes choses meilleur que ce que cette vermine d´Isak avait."

(...) "Un jour qu´Isak était sorti  loin en mer, le brouillard se leva, et la tempête était si violente qu´il dut jeter par dessus bord tout le poisson pêché pour alléger le bateau et sauver sa vie. Après avoir résisté au vent et à la tempête cinq ou six heures, il pensa qu´il devait rencontrer le bout du monde. Mais il essuya un nouveau paquet d´eau; la tempête et les ténèbes du brouillard étaient pires que jamais. Il résistait comme il pouvait, suivait le sens des vagues et tournait au vent tournant, et finit par comprendre qu´il devait en être ainsi car il n´était que ballotté et n´atteignait aucun pays. Et voilà qu´il entendit un horrible bruit devant l´étrave, et il crut aussitôt que c´était le spectre de la mort qui poussait son cri. Il pria le Seigneur de prendre soin de sa femme et de ses enfants car il comprenait que sa dernière heure avait sonné; mais alors qu´il priait, il vit que quelque chose de noir brillait et quand il s´approcha il vit que ce n´était que trois cormorans posés sur une planche de bois, et zoup ! il les avait dépassés. Ce fut long et pénible, et il eut soif, et il eut si faim et fut si épuisé qu´il ne savait que faire et restait ainsi à moitié endormi, la main sur la barre; quand soudain le bateau s´échoua sur des galets et s´immobilisa. Il se peut qu´Isak leva les yeux. Le soleil transperçait le brouillard et brillait sur un beau pays verdoyant; les côteaux et les collines étaient verts de la base au sommet, et il sentait une senteur de germes et de  fleurs qui était si douce que jamais auparavant il ne pouvait se souvenir d´en avoir senti de si douce. -"Dieu soit loué, j´suis sauvé; j´suis sûr´ment à Ut-Røst".

(...) "Un petit homme habillé de bleu était assis sur un tabouret, suçant une bouffarde; sa barbe était si grosse et si longue qu´elle lui couvrait la poitrine. - "Bienvenu à Ut-Røst" dit le bonhomme. -"Que Dieu bénisse notre rencontre, père", répondit Isak. -"C´est-y pas que vous m´connaissez ?". -"Ca se peut" dit le bonhomme. Tu veux p´t-être un toit pour la nuit ?" -" Moui ! Ca serait rud´ment bien ! Ca s´rait pour le mieux" dit Isak. -"Mes fils sont tous un peu toqués, ils ne supportent pas l´odeur du chrétien" dit le bonhomme. Tu n´les a pas rencontrés ?". -"Non. J´ai pas rencontré d´autres que trois cormorans posés sur une planche de bois et qui criaient." répondit Isak. -"Ouais, c´était mes fils, ça." dit le bonhomme, et tout en frappant sa pipe pour en jeter la cendre, il dit à Isak :-"Tu peux toujours entrer. T´as sûr´ment faim et soif, à c´t´heure."

Isak trouva tout ce qu´un pêcheur du Nordland peut trouver. "Du lait caillé avec de la crème, des dorades, du rôti de renne, de la farine de foie avec du sirop et du fromage dessus, des piles de craquelins de Bergen, de l´eau-de-vie, et de la bière, et de l´hydromel, et tout ce qui peut être bon. Le Isak mangea et but autant qu´il pouvait, et rien n´était jamais vide. Et il avait beau boire, le verre était tojours aussi plein".

(...) Les cormorans s´installèrent près de lui et ils firent bon ménage. Encore à Ut-Røst, Isak se remit à pêcher, les cormorans l´accompagnèrent, "l´un tenait la barre, l´autre tendait la voile en raidissant l´amure, le troisième était second, et lui, l´Isak, devait se servir de la grande écope et suait sang et eau."

(...) Il fit des pêches miraculeuses, alla jusqu´à Bergen pour vendre son poisson et s´acheta un nouveau cotre flambant neuf. Puis il décida de rentrer chez lui. La veille du départ, le bonhomme du pays de Ut-Røst "monta à bord et le pria de ne pas les oublier, eux qui vivaient comme son voisin, car lui-même en était devenu un, et il prédit au Isak chance et bonheur avec le cotre".

(...) "Depuis ce temps, Isak avait rencontré le bonheur. Il savait d´où il venait (...) et chaque soir de Noël, c´était illuminé, le cotre était éclairé, et ils entendaient des violons, et des rires, et de l´animation, et sur le cotre il y avait danse à bord".

                                                                 

Je ne sais si je fais bien d´ajouter quelque chose à ce conte norvégien que j´ai en partie traduit, en partie raccourci. J´ai moi aussi reçu une main tendue après avoir erré et rencontré un cormoran solitaire. A part une petite tache de couleur près du bec, il était noir. Je ne pouvais soupçonner son corps allongé car son corps était enfoncé dans l´eau. Mais je voyais distinctement son long cou flexible et son bec puissant et crochu. Je le suivais des yeux alors que je marchais sur la plage. Il plongeait parfois la tête, puis la relevait, ayant sans doute attrapé quelque proie. Il était seul, tout noir, et dodelinait de la tête et du cou en avancant, majestueux. Il ne criait pas. Ce devait être en janvier ou en février et j´étais seul comme ce cormoran solitaire sur l´eau. Il n´y avait pas grand monde sur la plage ce jour-là. C´était un jour d´hiver et le ciel était bas mais relativement dégagé. Je vois aujourd´hui en ce cormoran comme un signe. 

 

 

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commentaires

S
Merci pour cette traduction, même partielle.J'en ai d'ailleurs fait usage dans mon dernier article, en vous citant, bien entendu.http://www.branche-rouge.org/Members/Jani/articles/scandinavie/articles-generaux/comptes-rendus-de-conferences/mythes-et-legendes-populaires-des-lofoten/Je vous joins le lien (ci-dessus) si cela vous interesse.Cordialement,- Souheil aka 'Jani'
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