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17 février 2007 6 17 /02 /février /2007 11:53

Le dernier essai du citoyen français Tzvetan Todorov, La littérature en péril (Flammarion, coll. Café Voltaire, 2007, 95 pages), est un chaleureux plaidoyer pour les oeuvres littéraires qui donnent au lecteur la possibilité de mieux appréhender le monde et sa vie.


Il a participé avec Roland Barthes, durant les années 1960-1970, au courant structuraliste et sémiologique de l´interprétation des oeuvres littéraires qui cherchait à dépasser la critique subjective et impressionniste pour tenter d´élaborer une "théorie de la littérature". Il a par la suite fait partie de la direction de la revue Poétique avec Gérard Genette qui luttait pour promouvoir le décloisonnement de l´enseignement de la littérature à l´université (qui en était encore, pour parler vite, à l´étude de "l´homme et  l´oeuvre"). Il n´est pas responsable des abus, errances et impasses de certains universitaires et écrivains actuels qui voient dans l´oeuvre littéraire un objet langagier clos obéissant à ses lois propres de composition et d´écriture, et qui non seulement ne renvoie plus au monde mais qui n´est plus un discours sur lui.  C´est qu´aujourd´hui, à croire ces pisse-froid, le texte donné à la lecture ne dirait plus une vérité, pour la simple raison que la vérité n´existerait plus ; ou plutôt, parce que la vérité serait à jamais inaccessible.

Si l´écrivain construit son texte grâce à des constructions ingénieuses et des procédés d´engendrement, il se range dans la conception formaliste de la littérature qui remonte aux Formalistes russes des années 1920, - ceux-ci ayant eu recours à ces procédés pour échapper en partie à la censure totalitaire soviétique ; s´il appartient à la tendance qui estime que la vie est l´avènement d´un désastre, que les violences et les destructions disent la vérité de l´existence, il ne prétend peut-être plus que l´oeuvre littéraire ne décrive pas le monde, mais qu´elle est en tout cas une représentation de la négation, ce qui permet de la ranger dans la tendance nihiliste ; si enfin l´écrivain se contente d´analyser le fragment du monde que lui-même constitue, s´il se complaît dans la description narcissique de ses plus insignifiantes expériences personnelles et sexuelles, la littérature devient solipsiste, du nom de cette théorie philosophique qui stipule que "l´on est soi-même le seul être existant". D´où la tendance ultime et encore plus dérisoire, celle de l´autofiction où se côtoient la jubilation de l´évocation de ses humeurs et  la croyance en l´indépendance supposée de la fiction liée au plaisir de la mise en valeur de  soi.


Intellectuel de haut vol, Tzvetan Todorov explique en historien des idées et de la littérature, les origines des dernières conceptions en remontant aux Temps Modernes et à la Renaissance italienne jusqu´à nos jours, en passant par l´esthétique des Lumières, le romantisme et les diverses avant-gardes du début du XXe siècle. Il passe aussi en revue les analyses de Benjamin Constant qui est le premier en France à utiliser l´expression " l´art pour l´art", celles de Baudelaire, puis le bel échange de lettres entre Gustave Flaubert et Georges Sand qui se posent, chacun selon sa manière et son tempérament, la question de savoir à quelle nature de vérité le véritable écrivain accède dans son oeuvre.


La conclusion de Tzvetan Todorov est pleine d´optimisme et ne manque pas de réconfort pour tous les lecteurs de haute littérature ; il rappelle dans son avant-dernier chapitre ce que peut la littérature : " nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre (...), [ et même] chemin faisant, transformer chacun de nous de l´intérieur" ( page 72 ). Mais Todorov ne se contente pas de rendre compte de ses bonheurs de lecteur ; cet  " exilé circonstanciel ", cet être " né pour être dépaysé" , pour reprendre deux forrmules qu´il a utilisées dans une interview récente diffusée sur RFI, est aussi quelqu´un qui a autant des "devoirs" que des "délices" : il en appelle ainsi, dans la dernière phrase de son essai magistral de " bon sens qui est la chose du monde la mieux partagée ", à ce que chacun de nous soit comme lui un passeur à qui  "incombe le devoir de transmettre aux nouvelles générations cet héritage fragile, ces paroles qui aident à mieux vivre " ( page 90 ).

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