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15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 04:59

J´allais bientôt avoir 50 ans et j´allais certains week-ends rejoindre mon ami Charles dans la région parisienne près de Neauphle le Château. Il ne vivait plus seul mais avec son petit-fils Kevin qu´il adorait, sa belle-fille Nathalie et la grande soeur de Kevin. Sa maison, qu´il avait en partie construite tout seul et qui n´était pas terminée, était une caverne d´Ali-ba-ba et un invraisemblable bric-à-brac. Des meubles en pin, un buffet japonais, un fauteuil à dossier inclinable posé devant un énorme écran de télévision entouré de dizaines de video-cassettes à thèmes surtout scientifiques ; et dans la partie mitoyenne au coin cuisine et à la partie qui servait de salle à manger, un vaisselier sur  lequel étaient rangés des pots de miel aux parfums rares et exclusifs ainsi qu´une série impressionnante de  bouteilles, des cognacs hors d´âge, des alcools de prune, de poire ou de mirabelle, des whiskies et des bourbons venant du monde entier et aux noms autant insolites que saugrenus en provenance du Pays de Galles, d´Ecosse, des Etats-Unis ou du Canada, et même de quelques républiques de l´ex-Union Soviétique. Ils les avait achetées dans divers aéroports lors de ses voyages de scientifique titulaire d´une chaire de physique théorique, et conseiller dans divers laboratoires de recherche un peu partout dans le monde.

Il avait été, alors que j´étais un garconnet de 5-7 ans, un jeune homme attentif à mon éveil d´enfant, et c´est émerveillé que je l´écoutais quand il m´expliquait le monde autour de moi ou m´emmenait avec ma soeur au bois de Boulogne. Alors que j´avais 7 ans et que j´étais en colonie de vacances en Vendée aux Sables d´Olonne, je lui ai même envoyé une lettre que ma mère a conservée dans ses papiers et qui a fait curieusement réagir ma grande soeur. Puis je l´ai perdu de vue car ma soeur et lui avaient rompu. Je l´ai retrouvé alors que j´étais un jeune adolescent un peu perdu, et il est alors devenu pour moi autant un conseiller pour mes études qu´un modèle intellectuel. Plus tard, il est même devenu un véritable ami. Son agilité intellectuelle et sa réussite professionnelle étaient éclatantes. Il était présent à mon mariage en Norvège. Mais ses relations avec sa femme Madeleine, sa fille Sophie et les femmes en général n´étaient pas simples. Sa misogynie était évidente. Ce qui explique que ma femme ne l´ait jamais vraiment apprécié. Plus tard, ses relations avec la grande soeur de Kevin étaient encore plus compliquées. Pour d´autres raisons aussi, j´ai fini par rompre avec lui. Si je parle de lui avec chaleur pour ses dons de pédagogue à propos du langage des abeilles et son amour certain pour son petit-fils Kevin qui montrait devant le monde et la vie une curiosité toujours en éveil et une intensité d´apprendre hors du commun, je ne suis pas tendre pour ses autres aspects. Il y a des attitudes et des mots qui sont lourds de conséquences. Il semble qu´ils aient été irrémédiables. Mes regrets d´aujourd´hui n´ont que peu de poids. Mais mes rapports avec lui en 1992-1994 étaient encore affecteux, même si j´ étais déjà critique.

Je n´ai jamais eu besoin de beaucoup de sommeil. Cinq ou six heures par nuit me suffisent amplement Quand je lui rendais visite en ces années 92-94, j´avais pris l´habitude de me lever de très bonne heure avant tout le monde, de rêvasser un peu au détour de quelques phrases lues, et d´aller chercher dans une petite boulangerie de Neauphle le Château des croissants chauds au beurre. Ces réveils matinaux ne me coûtaient guère. Il fallait quelquefois affronter le gris d´un matin de brouillard ou le bleu d´un ciel froid et souffler dans mes mains gelées une haleine qui faisait quelques nuages de brume avant d´ouvrir la porte verrouillée de ma voiture. La boulangerie ouvrait à 06 heures 30 et j´étais le premier et le seul de si bonne heure. "Pas chaud ce matin !" me disait-on en guise de réponse à mon salut poli. Ou, après quelques visites répétées qui ne me donnaient pas vraiment l´impression d´être devenu un vieil habitué du village : " Au beurre, comme d´habitude ? Ils sont encore tout chauds."

Je les posais en évidence sur la table en pin. Je prenais une revue scientifique que je feuilletais discrètement, lisais éventuellementt quelques pages d´un livre que j´avais pris avec moi et j´attendais le lever de mon ami puis celui de sa belle-fille qui ne tardait jamais. Ils préparaient à tour de rôle le café et le thé au lait pour les enfants. C´était souvent un dimanche. Il n´y avait donc pas école et nous avions tout notre temps, ce temps du petit déjeuner qui n´est ni le temps de midi ni celui du soir, mais celui de l´éveil au jour qui va venir, celui où le temps n´a pas de prise, celui du temps où l´enfance du petit Kevin me rappelait ma propre enfance où je n´avais moi-même que 5 ou 6 ans et que je m´asseyais sur un banc de bois qui me rougissait les fesses au Jardin d´Acclimatation. Je criais à l´unisson des garcons et filles de mon âge quand le loup arrivait derrière le petit chaperon rouge. Je ne le savais pas encore, mais c´était le temps du bonheur, comparable à celui que j´ai désormais à trouver des phrases sans importance dans le silence du petit matin et de ma page raturée que je recopie et modifie au gré des associations qui me viennent devant mon vieil ordinateur.

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commentaires

B
je lis depuis quelque temps votre blog.<br /> Je souhaite vous remercier de tenir un tel blog
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