Connaisez-vous Faulkner, prix Nobel de littérature 1949 ? Le Sud des Etats-Uni où il est né marquera à jamais son sens du tragique par le clivage entre les Noirs et les Blancs.
Lumière d´août (1932, 1938 pour l´édition francaise, Folio no.621), est moins original que Le bruit et la fureur (1929, 1938 our la traduction francaise), moins tapageur que Sanctuaire (1930, 1938 pour l´édition francaise) et moins sensationnel que Tandis que j´agonise (1930, 1934 pour l´édition francaise). Mais pour son traducteur Maurice-Edgar Coindreau, c´est le plus profond, le plus riche et le plus vigoureux.
C´est d´abord un drame psychologique individuel des principaux personnages. Celui de Lena Grove qui, enceinte d´un certain Luca Burch dit Brown qui l´abandonne, arrive à Jefferson en charrette, ville du Sud des Etats-Unis, pour le chercher et l´épouser. Celui de Byron Bunch qui tombe amoureux de Lena avant même de savoir qu´il l´est.
C´est ensuite le récit de la genèse d´un crime digne de Dostoïevski accompli par Joe Christmas, métis qui sait qu´il a du sang noir dans les veines mais que l´on peut prendre pour un Blanc. Crime que William Faulkner nous distille en trois actes : une maison qui brûle et découverte du corps d´un femme blanche égorgée de plus de 40 ans ; la recherche des mobiles et des antécédents du criminel Joe Christmas ; le dénouement enfin : lynchage déguisé et départ de Lena avec Byron Bunch dans une autre charrette.
Lumière d´août, c´est aussi le roman où le Présent, le Passé et l´Avenir sont intimement mêlés bien que nous ne vivions que dans le présent. Ce qui explique la multiplicité des points de vue narratifs d´un chapitre à l´autre et même à l´intérieur d´un même chapitre, la focalisation interne signalée par des italiques, les ellipses narratives et les phrases inachevées de certains dialogues pour mieux faire saisir les sous-entendus de la chose dite.
Lumière d´août est aussi la description d´un terre marquée par le puritanisme, la prédication et la "chiennerie et l´abomination" de la "fornication" pour reprendre les termes qu´utilise le vieux Uncle Doc Hines, qui ne peut supporter que sa fille Milly ait couché avec un saltimbanque qui a du sang noir dans les veines bien qu´il se fasse passer pour un Mexicain ; d´autant que naîtra de cet accouplement de malédiction un fils qu´il abandonnera quand celui-ci aura 5 ans et qu´il reconnaîtra dans le meurtrier Christmas. A cela il ne faut pas oublier Miss Burden, la femme égorgée plus près de 49 ans que de 41, et qui a besoin d´avoir un homme même si celui-ci est un nègre. Pas non plus le père adoptif blanc de Christmas et pas davantage le pasteur Hightower qui ne peut plus prêcher, rejeté par son Eglise et ses fidèles suite aux inconduites de sa femme.
Il y a cependant dans Lumière d`août un aspect supplémentaire qu´il faut relever. C´est la réapparition d´un thème où l´enracinement autobiographique dépassé par l´imagination et le torrent de l´écriture faulkérienne est évident.
William Faulknera été traumatisé d´être né deux fois trop tard. Après le guerre de Secession d´abord où son arrière-grand-père s´était illustré du coté des confédérés et qui donnera le personnage du vieux colonel John Sartoris l´Ancien ; et à nouveau trop tard pour que son engagement dans l´aviation canadienne pour combattre dans le ciel de France durant la Grande Guerre serve à quelque chose puisqu´il devra quitter le champ de bataille avant de savoir piloter et sans avoir tiré un seul coup de fusil. Cela donnera dans Sartoris les personnages des deux frères jumeaux John et Bayard. Bayard mort en héros dans le ciel de France alors que John mourra de ne pouvoir supporter les récits sur le Colonel John Sartoris l´Ancien et encore moins les "éclats" de récits sur son fère jumeau Bayard.
Mais la blessure du manque de n´avoir pu se couvrir de gloire durant des guerres qu´il n´aura pu faire ne se limite pas au seul nom des Sartoris. Elle réapparaît au chapitre XIX sous les traits de Percy Grim. C´est un jeune homme de 25 ans, capitaine de la garde nationale de l´Etat. Il est dit de lui qu´"il était trop jeune pour prendre part à la Grande Guerre. Ce n´est qu´en 1921 ou 1922 qu´il s´apercut cependant qu´il ne pardonnerait jamais cela à ses parents (...). Percy endurait la tragédie terrible d´être né, non seulement trop tard, mais encore pas assez tard pour échapper à la conscience du temps perdu, du temps où il aurait dû être un homme au lieu d´un enfant" (p. 559, édition Folio). C´est lui qui s´illustrera dans sa ville en tuant le meurtrier Chritsmas qui tentait de s´échapper.
On sait sans doute que l´activité littéraire chez Faulkner, comme chez beaucoup d´autres, est une fabuleuse compensation née d´uns frustration. On sait peut-être moins que son ambition était de "Tout dire en une phrase". Dans Lumière d`août, chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre est une véritable récréation de soi.
Il n´est pas indifférent de savoir que pour Claude Simon, prix Nobel de littérature 1985, William Faulkner est son maître. Comme pour Nathalie Sarraute, et à un moindre degré, Alain Robbe-Grillet.