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13 décembre 2006 3 13 /12 /décembre /2006 07:58

Dans l´appartement de mon enfance du 2e étage d´un immeuble de la rue Beaugrenelle du XVe arrondissement de Paris, nous avions un téléphone qui était posé sur le bureau de mon père situé dans la salle à manger.

 Il n´était pas si courant, juste après la Seconde Guerre mondiale, de posséder le téléphone. Mais il a toujours été pour moi un objet familier qui reliait ma mère à ses amis Rose, Madeleine, Germaine, Irvin, Paul et Suzanne, et sans doute bien d´autres, mais oubliés de moi depuis longtemps. Le téléphone était pour elle autant une prolongation de son travail qu´une nécessité de sa privée privée. Car elle travaillait aux PTT (Postes, Télégraphes, Téléphones) avec un poste de surveillante, puis surveillante principale, poste qui lui permettait de gagner honnêtement sa vie de veuve de guerre, et mère de deux enfants, ma grande soeur et moi.

La sonnerie était puissante et se faisait entendre de tout l´appartement comme de la rue. Il fallait alors se précipiter et monter l´escalier quatre à quatre si l´on voulait arriver à temps pour décrocher le récepteur et s´écrier, plein d´espérance fébrile : "Allo ?". Quelle déception quand il fallait annoncer : " Non Madame ! Vous faites erreur ; c´est ici VAUgirard 65 43, non le 75 34 !". Mais quelle joie quand c´était Tante Suzanne qui vous invitait à venir déjeuner le dimanche suivant:

Le téléphone était trapu, en bakélite noir, avec sur le dessus un genre de fléau comparable à celui des balances d´autrefois que l´on appelait balance Roberval, encore qu´il ne portait bien sûr aucun plateau, mais le récepteur, également en bakélite, muni d´un long fil gris souris, ce qui permettait de se déplacer jusqu´à la fenêtre, et jeter un coup d´oeil sur la circulation de la rue quand l´interlocuteur au bout du fil vous ennuyait de son bavardage incessant comme pouvait souvent l´être celui de Germaine... - "Mais oui, je vous écoute..." disait ma mère dans le soir qui tombait juste avant de poser le récepteur, pour aller ouvrir la fenêtre, fermer les volets, reprendre le recepteur pour vérifier que Germaine parlait toujours. " Oui, Oui !" disait-elle en me lancant un clin d´oeil complice, puis reposait le récepteur, fermait la fenêtre, tirait les rideaux et sans se démonter affirmait : "Mais si, je suis là ! Je vous entends très bien !"

Dans ma toute petite enfance, j´utilisais rarement le téléphone, mais j´aimais coller mon oreille à l´écouteur supplémentaire posé derrière l´appareil, et écouter la voix lointaine qui parlait au milieu de grésillements et divers bruits de friture. - "Qui c´est ? " - "Mais c´est Tonton Paul !" - "Qu´est-ce qu´il veut  ?" - "Tais-toi, voyons, je n´entends rien !". J´avais le doux sentiment d´être en même temps à deux endroits différents, auprès de Maman qui se tenait debout, attentive et éveillée, mais aussi auprès du bon Tonton Paul, au sourire si engageant et au regard accueillant, largement substitut de mon père pour toujours manquant, même si à cet âge, je ne le savais pas. J´ai toujours regretté la suppression de ces écouteurs supplémentaires. Ne parlons pas de ces minuscules téléphones mobiles dits portables que l´on tient dans la paume de la main et que l´on colle à l´oreille comme si c´était un véritable prolongement de la trompe d´eustache. Ils vous isolent encore plus dans votre sphère privée et immédiate, même s´ils semblent vous connecter, à l´heure de la globalisation, au monde tout entier. 

A 10 ou 13 ans, j´ai commencé à me servir assidûment du téléphone pour me  relier à quelques camarades de classe, notamment Jean Pierre K., Kaminka K. ou Evelyne L. J´étais du XVe arrondissement de Paris alors qu´ils habitaient le XVIe. Je ne manquais pas de préciser que mon numéro de téléphone était très simple à retenir puisqu´il était VAUgirard 65 43,  6 - 5 - 4 -3 . Rien n´y faisait, car ils croyaient tous que mon numéro était PASsy, AUTeuil, voire MOLitor. Un journaliste du Journal Le Monde, dans la mini-chronique "Au jour le jour" que l´on trouvait sur la une, a déploré le jour-même où ce code numérique a été adopté, l´abandon du code par lettres qui indiquait le quartier de Paris où l´on habitait. Robert Escarpit, sociologue de la lecture, écrivain satirique à ses heures, journaliste au courant de tout et chroniqueur habituel de la rubrique quasi-quotidienne "Au jour le jour" a aussitôt corrigé son collègue dès le lendemain. Robert Escarpit avait sans doute raison en affirmant que pour les étrangers qui vous téléphonaient du monde entier, les trois lettres VAU, PAS, AUT ou MOL étaient totalement hermétiques, et que l´on ne pouvait échapper à la modernisation des PTT (Postes, Télégraphes,Téléphones) devenus P&T (Postes et Télécommunications). Il n´empêche que j´ai oublié les trois chiffres qui ont remplacé les trois lettres de mon quartier Vaugirard. Et aujourd´hui, je suis incapable de me souvenir de tous les numéros qu´il faut taper pour téléphoner à mes deux fils ou mes amis, d´autant qu´ils ont deux numéros chacun : un téléphone fixe (même s´il est sans fil) et un téléphone portable qu´ils transportent sur eux où qu´ils aillent. Mais je me souviens très bien qu´ils habitent dans les quartiers qu´on appelle NORdstrand, GRØnland et HELsfyr...

Quelle évolution !  D´autant que j´ai en mémoire un épisode plaisant que j´ai vécu à l´âge de 30 ou 31 en 1974 ou 1975, et qui pour moi, du moins le croyais-je, était d´une époque révolue depuis longtemps. J´étais en Norvège occidentale, à Førde pour être précis, dans une communune rurale de 3000 à 5000 habitants, longtemps isolée, tant par des considérations géographiques, politiques qu´économiques. J´occupais un poste de jeune professeur de francais dans un petit lycée qui venait d´être ouvert. Sur l´un des murs de la salle des professeurs, était accroché un téléphone désuet ressemblant à un gros sabot de bakélite noir vaguement trapézoïdal. Une manette était apposée sur sa droite, que l´on tournait deux ou trois fois après avoir actionné un disque chromé à l´aide du pouce qui se trouvait sur le devant de l´appareil ; ce qui permettait d´établir la connexion avec une standardiste de la poste à qui on donnait le nom de la personne ainsi que le numéro de celui ou de celle avec qui on voulait parler. Sans oublier de mentionner le nom de la localité, car le 22 à Asnières n´avait rien à voir avec le 22 à Genevilliers, si vous voyez ce que je veux dire. Il en était de même pour le 18 à Naustdal et le 18 à Gaular.

Durant mon séjour oû j´ai vécu dans cette région, la commune a été reliée à l´automatique. Le hasard voulait que je connaisse le receveur des postes de l´endroit. Il m´a demandé de téléphoner à ma mère à 12 heures 01, soit une minute à peine après le raccordement de la commune de Førde au réseau téléphonique international, pour vérifier que tout s´était passé comme il convenait. J´ai donc fait "l´international", le "préfixe" pour la France, puis celui de Paris et enfin mon propre numéro qui était désormais celui de ma mère : VAUgirard 65 43. Mes collègues étaient tous des enseignants qui étaient ce qu´on pourrait appeler des agrégés ou des certifiés de Lettres Modernes norvégiennes, d´Allemand ou de Mathématiques. Ce qui n´empêche que deux d´entre eux ne pouvaient comprendre comment j´avais pu me connecter en quelques secondes au numéro personnel de ma mère qui habitait à 2000 ou 3000 kilomètres de moi sans passer par l´intermédiaire d´une standardiste. J´ai donc expliqué que les deux premiers chiffres me raccordaient  à l´international,, que les deux chiffres suivants indiquaient le pays où je voulais me rendre, soit la France, que les deux nouveaux chiffres étaient ceux de la région c´est-à-dire Paris, et qu´enfin, les derniers chiffres étaient ceux de la personne avec qui je voulais parler, ma mère. Rien n´y faisait. Il a fallu répéter deux ou trois les mêmes explications.  - "Mais comment t´as fait, comment t´as fait ?"

Je suppose aujourd´hui que ces collègues, retaités ou non comme moi, ont tous désormais un ordinateur, une ou deux adresses électroniques qu´ils appellent sûrement e-mail ou courriels, ainsi qu´un portable qu´ils portent sur eux où qu´ils aillent.

Je fais en grande partie comme eux, même si je n´arrive pas à voir l´utilité de dire "allo !" quand on achète une baguette industrielle dans le petit supermaché du coin, et encore moins de préciser que, assis dans l´autobus, je serai à la maison dans moins de dix minutes. Je vois dans le téléphone en bakélite d´autrefois un art de la communication que ni le e-mail, ni le portable me permettent d´éprouver, même si je suis sûr que les jeunes d´aujourd´hui ressentent autant d´émotion en s´envoyant  des SMS et photos numériques que j´en éprouvais lorsque je collais mon oreille à l´écouteur supplémentaire du vieux téléphone de l´appartement de mon enfance. On n´arrête pas le progrès, mais l´enfance, qu´elle ait été heureuse ou non, restera toujours indélébile toute la vie.

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