Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 11:27


De Charles d´Orléans (1391-1465) on ne se souvient guère que de ses joutes perdues avec Villon , faisant de lui un éternel soupirant éconduit ou écrivant À sa Dame "par un prier qui vaut commandement".

Blessé et fait prisonnier à la bataille d´Azincourt (1415), ce neveu du Roi de France Charles VII restera vingt cinq ans prisonnier en Angleterre "face à Douvre sur la mer".

Contrairement à Villon condamné plusieurs fois à la prison dont une à mort, la vie tragique de Charles d´Orléans ne semble pas avoir joué un grand rôle dans sa poésie. Jacques Roubaud signale cependant, dans la courte présentation qu´il fait de lui dans le très beau recueil Passeurs de Mémoire préfacé par Jean-Baptiste Para (Poésie/Gallimard )qu´il est réducteur de voir en Charles d´Orléans un poète exclusivement lié au vocabulaire amoureux de la séduction courtoise et aristocratique. La mélancolie qu´il nomme merencolie est beaucoup plus que nostagie : c´est une source de désespérance "dont il n´est sorti que pour entrer dans la vieillesse" (Jacques Roubaud).

Ou puis parfont de ma merencolie
L´eaue d´Espoir que ne cesse de tirer
Soif de Confort la me fait desirer
Quoy que souvent je la treuve tarie

Necte la voy ung temps et esclercie
Et puis après troubler et empirer
Ou puis parfont de ma merencolie

D´elle trempe mon ancre d´estudie
Quant j´en escrips, mais pour mon cueur irer
Fortune vient mon pappier dessirer
Et tout gecte par sa grant felonnie
Ou puis parfont de ma merencolie 

Au puits profond de ma mélancolie/L´eau d´espoir que je ne cesse de tirer/La soif de réconfort me la fait désirer/Mais souvent je la trouve tarie//Je la vois un moment propre et claire/et puis je la vois devenir trouble et mauvaise/Au puits profond de ma mélancolie//De cette eau je dilue l´encre de mon étude/Quand j´écris, mais pour mettre mon coeur en colère/Fortune vient déchirer mon papier/Et jette tout par grande perfidie/Au puits profond de ma mélancolie.

Repost0
5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 09:40


Il est des écrivains auxquels on revient régulièrement. Rainer Maria Rilke est pour moi l´un de ceux-là.

Rilke n´a trouvé refuge en aucun pays, souffrant longtemps de n´être de nulle part. La question qu´il pose d´entrée dans la première de ses Elégies de Duino ne cesse de résonner, qu´envrai poète Philippe Jaccottet a traduit : "Qui, si je criais, m´entendrait donc,/ d´entre les ordres des anges ?

En ces jours d´automne où les tons ocres et verts des arbres dénudés s´offrent à nous de leur présence comme une consolation - pour ne pas dire un remords - j´ai souhaité lire en son entier Le Chant de l´Amour et de la Mort du Cornette Christoph Rilke que Maurice Betz a traduit admirablement (Obsidiane/Les 3 P., 2008, 14 €, édition bilingue). Ecrit en une nuit à vingt quatre ans après avoir découvert des papiers de famille, ce poème est bien un chant comme plus tard le seront pleinement Les Elégies de Duino et Les Sonnets à Orphée.

On sait plus ou moins dans quelle longue chevauchée le très jeune cornette Christoph Rilke se lançait à travers les plaines de Hongrie pour n´en jamais revenir : Chevaucher, chevaucher, chevaucher, le jour, la nuit, le jour. Chevaucher, chevaucher, chevaucher. Et le coeur est si las, la nostalgie si grande. 

Ce poème est certes en partie un chant lyrique sur la mort martiale. Mais la mort n´y est cependant pas encore la face cachée de l´existence - l´ autre côté de la nature. Elle est celle qui fauche la vie d´un être qui ne demandait qu´à vivre. Dans Les cahiers de Malte Laurids Brigge Rainer Maria Rilke écrit que les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences. Je ne sais si à vingt quatre ans Rilke avait beaucoup d´expériences, mais il pouvait sans doute déjà repenser à des jours d´enfance dont le mystère ne s´est pas encore éclairci. Ainsi ce dialogue rapporté au tout début du poème, qui classe Rainer Maria Rilke parmi les experts en ravissement :

Quelqu´un parle de sa mère. Un Allemand sans doute. À voix haute et lente, il dispose ses mots. Ainsi qu´une jeune fille, qui noue un bouquet, essaie, pensive, les fleurs, une à une, sans savoir ce que donnera le tout - : ainsi ajuste-t-il ses mots. Pour la joie ? Pour la peine ? Tous prêtent l´oreille. Les cracheurs eux-mêmes se taisent. Car il n´y a là que seigneurs qui savent les bonnes façons. Et ceux-là mêmes, dans le nombre, qui n´entendent pas l´allemand, le comprennent tout à coup, sentent certains mots : "Le soir ... quand j´étais petit ... "

    

Repost0
20 août 2008 3 20 /08 /août /2008 13:49


Elle ne lira plus pour moi rimes et comptines 
M´en aurait-elle dit  ?
Bambi le film
Et plus tard 400 coups
Dimanches Ville d´Avray
Métro
n´en déplaise - Oui ! encore un métro
Abyme
mis à nu

Page non tournée
        



             

                    * * *



Désherber plus encore 
est-ce encore possible
Herbes folles des champs
que ploie le moindre vent 
Jet racinement

Repost0
18 août 2008 1 18 /08 /août /2008 12:33

[ Tarjei Vesaas IV ] - Vie au bord du courant ( = Liv ved straumen ) est le dernier recueil de poésies de Tarjei Vesaas.

Ce recueil, publié l´année de sa mort en 1970, est nul doute le plus personnel. Les allusions autobiographiques, ainsi que les noms de lieux où il coule simplement des jours heureux sont nombreux. Il ne s´épanche pas, mais il tient à faire comprendre au lecteur en quoi ces lieux lui apportent la paix.

Il sait que les ans qui lui restent à vivre sont comptés. Il n´oublie pas les tempêtes, les incendies, les ténèbres que le siècle a connus. Le poème-exergue du recueil que les traducteurs ( ou l´éditeur ? ) de Lisières du givre n´ont pas jugé bon de joindre au recueil le dit clairement. Il est fâcheux que le public francais ne puisse en prendre connaissance. Il dit ce qui lui en a couté que personne ni lui n´aient pu les comprendre : "Le grand espace ( ... ) / il est plein de tempêtes / que nous ne comprenons pas.".

Se souvenir des prises de positions éthiques que ces tempêtes ont suscitées ne sert plus à grand chose. C´est apaisé qu´il quitte sa terre natale. En témoignent de nombreux poèmes comme "Les collines de chez moi" ( = Bakkane heime ), "Coin de soleil" ( = Sol-krå ) et "Matin sur le lac de Vinje" ( = Morgon på Vinjevatn ) : Tout est pur et maintenant. / Bientôt achevé."

L´apaisement vient à lui, même si de sinistres images ne sont totalement effacées. Il essaie surtout de retenir désormais les joies pures que donnent les enfants et les arbres et le vent; -  des joies que donne la présence de l´éphémère. Mais il sait aussi qu´ "au bord du courant" une vie simple et obscure peut grouiller, souterraine ou cachée, largement inaccessible à la vue; -  bien présente, car la mort à chaque instant peut frapper, sans que personne n´ait à y redire.

     Dans les laîches, des oiseaux
     au coeur vaste et chaud
     derrière la dune un soir,
     en un doux murmure dans les joncs.
     Un serpent attend nuit après nuit,
     recoit son dû.
     Personne n´en sait davantage mais le petit poisson l´a vu.
     Ensanglanté et muet est peut-être le poisson maintenant,
     sur le tabouret du pêcheur.    

"
La vie près du fleuve" in Vie au bord du courant ( Traduction : Eva Sauvegrain et Pierre Grouix )

Sans guère de crainte, Tarjei Vesaas sait qu´après lui d´autres racines pousseront autour des pierres :

     Au plus profond du royaume,
     s´imaginent les vieilles racines,
     de nouveaux scarabées foulent
     de vieux reste.
     Les mêmes racines tendres, éternelles autour des pierres.
     sombres, humides. Toujours.
     Emplies de forces aveugles.
     Emplies de non-né
     dans un vent nocturne.

            "
Vent de nuit", dernier poème de Vie au bord du courant
               ( Traduction : E.S. et P. G. )


                          * * *


[ Illustration noir et blanc : Midtbø, au village de Vinje ]
[ Illustration couleurs : Laîche vulgaire ]


                                                                                                               ( À suivre )

Repost0
3 août 2008 7 03 /08 /août /2008 11:53

L´Art d´aimer
Ovide est un bonheur. La préface d´Hubert Juin est éblouissante d´intelligence et de verve. Elle retrace en un style tout à la fois galant et ludique la réception du texte au cours des siècles : la chape de plomb qui s´abat sur lui quand l´Eglise cherche à contrôler les moeurs, et le plaisir qu´il procure quand à certaines époques les moeurs se libèrent. Sa verve, bien que fort différente, est aussi brillante que celle qu´il utilise pour présenter quelques heureuses formules du ronchonneur solitaire qu´est Paul Léautaud.
[ Paul Léautaud en verve´. Présentation et choix de Hubert Juin, Horay, 2003 ]

L´Art d´aimer
est divisé en trois livres. Le premier traite de la séduction et des ruses de l´homme pour lui permettre de conquérir la femme qu´il convoite. Le deuxième s´attache à révéler ce qu´il lui convient de faire pour retenir l´aimée; là est d´ailleurs l´essentiel de cet art d´aimer : la conquête purement physique n´est rien si l´amant ne sait, par la tendresse perpetuée et sans cesse renouvelée, conserver son amour. Le troisième livre est pour l´époque plus surprenant encore : il fait de la femme une personne et non un objet de plaisir.

Etant d´avant les théologiens, Ovide ne dissocie pas l´âme du corps. Il va même plus loin : son "art d´aimer" sous-tend que l´acte d´amour a pour fin le plaisir et non la procréation. Rien n´est donc plus éloignée à Ovide que la notion de péché. Et même : le bonheur que procure le plaisir est à la portée des plus obscurs. Il n´est pas pour autant libertin. Prince des poètes, Ovide n´aurait jamais pu imaginer les procédés d´effraction d´un Choderlos de Laclos et plus encore ceux d´un Marquis de Sade dévoyé. Il admet pourtant qu´il faille feindre et tricher, mais à l´intérieur de limites permises. Le plaisir "pour qu´il soit vraiment agréable, il faut que la femme et l´homme y prennent part également:"  Les conseils d´Ovide ne procèdent pas d´un art du jouir, mais de la tendresse réciproque et du respect de l´Autre. Il n´a jamais été l´apôtre du "bas corporel".

Innombrables sont les moyens de plaire qu´Ovide mentionnent. Encore plus nombreux les lieux où il convient de les exercer. À Pompéï, dans La Villa des Mystères ( 70-60 av. J.-C.), la peinture monumentale de la salle à manger montre à droite une servante coiffée d´une couronne de myrte, symbole de Vénus. Les plaisirs de la table précèdent souvent le plaisir du lit.  

Le lecteur moderne se doit de ne pas être rebuté par les multiples exemples pris à la mythologie. Les notes en bas de pages du traducteur Henri Bornecque sont plus que les bienvenues : elles replacent dans leurs contextes les ébats amoureux sans cesse renouvelés des dieux de l´Olympe et du Capitole. Ils sont, pour l´époque, ce que sans doute sont de nos jours, les frasques des idoles contemporaines qu´avec complaisance révèle la presse people.

Ce beau texte bien traduit permet au corps, longtemps brimé par les docteurs et sorbonnards, de reprendre ses droits.
Repost0
1 août 2008 5 01 /08 /août /2008 13:27

On ne peut ignorer ce qu´ Yves Bonnefoy a récemment écrit sur "l´affaire" Paul Celan, accusé bassement deux fois de plagiat par Claire Goll en 1953 puis en 1960. Dans Ce qui alarma Paul Celan ( Galilée, 2007, 43 pages, 11 € ), Yves Bonnefoy ne prend pas seulement la défense de Paul Celan calomnié, il entend préciser ce qu´est l´enjeu de l´expérience poétique.

En plus de plagiat, les accusations perfides d´esthétisme, d´ hermétisme, de poésie obscure et donc de "trop d´art" ont été légion. Elles sont loin d´être éteintes. Et plus sournoises encore, ont été les ignobles insinuations antisémites.

 Mais pour Yves Bonnefoy, ce qui a le plus affecté Paul Celan jusqu´à sa fin tragique en 1970, c´est la non-reconnaissance de sa singularité de poète, investi totalement dans l´écriture poétique.

La poésie n´est par fioriture du langage, belles métaphores et montages de figures de style. Elle est parole, et elle ressort de la réflexion sur le matériau que constituent les mots. Elle procède du désir de dénoncer le piège que peut constituer une parole qui croit en la force de la formulation conceptuelle; - et qui, par là, masque ce qui devrait être irréductiblement premier dans la perception du spectacle du monde : la présence de l´éphémère. Là était le déchirement que Paul Celan n´a jamais surmonté : que pratiquement personne, de son vivant, n´ait compris que sa poésie, loin d´être de la rhétorique, était souffrance, mémoire et témoignage, c´est-à-dire préservation et "foi dans cette parole qu´avait persécutée le nazisme."

Trop parler de plagiat à son égard, c´est finalement privilégier ce qui aurait dû rester secondaire. Pour la simple raison, selon Yves Bonnefoy, qu´on ne peut parler de plagiat en poésie. Si "emprunts" il y a, le poète les "transform[e] sur le champ en un signifiant de lui-même." Ainsi de Shakespeare; ainsi de Baudelaire.

Ce qui donc déstabilisait Paul Celan, en l´accusant de plagiat, ce n´est pas tant d´être mal reconnu, que le fait qu´on ait tenté "de le dépouiller devant ses lecteurs d´un rapport à soi qui était ( ... ) sa vie même"; qu´on lui ait refusé le droit d´affirmer que ce qui donne sens à la vie, c´est le sentiment de notre finitude; que ce sont les hasards - et eux seuls - qui sont le réel; - et que les rencontres, avec qui que ce soit ou où que cela soit, constituent "un absolu ( ... ) que l´on ne peut régenter."

Refouler le sentiment de finitude, croire que l´universel se trouve davantage dans la formulation conceptuelle que dans les purs hasards du réel, sont des leurres que la poésie de Paul Celan dément et qu´ Yves Bonnefoy ne cesse d´affirmer depuis qu´il écrit. Pour l´un comme pour l´autre, pour reprendre ce qu´affirme Jean-Michel MaulpoixYves Bonnefoy, "le concept est la notion pure, coupée de la réalité." La poésie, au contraire, au plus profond d´elle-même, est ce qui permet de rendre par des mots la présence immédiate et durable du monde. Par là, dans le rapport que Paul Celan pouvait avoir avec de simples fleurs des prairies ou des montagnes, "se jouait non seulement sa destinée d´homme et de poète, mais [ peut-être aussi ] un peu du salut de l´humanité".

[ Photo du milieu : Paul Celan. Photo du bas : Yves Bonnefoy ]
Repost0
30 juillet 2008 3 30 /07 /juillet /2008 12:43

[ Tarjei Vesaas II ] : Il est des écrivains comme des êtres; certains sont sans grands mystères. D´autres au contraire se laissent difficilement approcher. Ainsi Tarjei Vesaas, décédé en 1970 à l´âge de 73 ans, alors qu´il se trouvait depuis trois ans sur la liste des nobélisables.

Il est surtout connu, du moins en France, pour ses romans. Sa poésie, cependant, est loin d´être seconde; elle est même essentielle. Il est heureux que quelques éditeurs francais courageux osent briser le silence. (Cf. le lien : Poésie - Pôles Nord ). Ce n´est pas seulement combler un impardonnable oubli, c´est reconnaître que la poésie de Tarjei Vesaas est en réalité la clef de voûte qui donne à l´ensemble de son oeuvre littéraire sa force et sa pureté.

Il est admis, pour parler vite, que Tarjei Vesaas écrit en néo-norvégien. Il serait plus juste d´avancer qu´il s´exprime en norvégien dialectal du Telemark, dans lequels les sonorités si particulières ne cessent d´étonner. 

À part quelques poèmes de jeunesse, c´est à l´âge de 49 ans, en 1946, que Tarjei Vesaas publie son premier recueil de poésies au titre révélateur de Kjeldene ( = Les Sources ). Suivront, en dix ans, quatre autres recueils. Puis, après une période de quatorze ans où paraîtront quatre romans essentiels et des nouvelles non négligeables, il publiera l´année de sa mort, en 1970, un dernier recueil au titre qui chante la vie : Liv ved straumen ( = Vie au bord du courant ). Il n´est pas indifférent qu´il se soit consacré essentiellement à la poésie l´année même de sa disparition.

Des six recueils que rend abondamment compte Lisières du Givre traduit par Eva Sauvegrain et Pierre Grouix ( et dont j´ai commencé, dans ce blog, à parler - en donnant à ma contribution un titre aussi anodin que possible : Petits canards vers le nord ...  - ) je me contenterai aujourd´hui de la sélection des poèmes du troisième recueil de Tarjei Vesaas paru en 1949 Lykka for ferdsmenn ( = Le Bonheur pour les voyageurs ) ; - non sans risquer de revisiter une traduction.

La guerre et ses ténèbres, qui avaient tout à la fois ébranlé et renouvelé de fond en comble la prose et les deux premiers recueil de poésies de Tarjei Vesaas, s´éloignent lentement. Nous sommes en 1949. Tarjei Vesaas a 52 ans. Le Bonheur pour les voyageurs n´est plus directement imprégné, comme le précédent recueil de 1946 Leiken og Lynet ( = Le Jeu et l´Eclair ), des événement mondiaux les plus marquants; - et que les traducteurs ( ou l´éditeur ) de Lisières du Givre ont supprimés. Le recueil n´en est pas moins grave. La désespérance n´est pas totalement absente, mais détachée de l´actualité la plus tangible. À vrai dire, si le mot bohneur est dans son titre, c´est plutôt le rêve qui irradie tout le recueil, à condition de donner au rêve autant les sens d´aspiration, de croyance que d´espérance, d´amour, - et de désir pas toujours assouvi, comme dans le premier poème qui ouvre le recueil LÀ OÙ LA FLAMME BRÛLAIT : Près du long chemin gris, / les cendres d´un feu éteint / et les traces d´un départ / dans la poussière et la chaleur. // Rien d´autre. / Mais la flamme qui brûlait / dans le cercles des voyageurs / a disparu seulement de leur regard / en un désir non assouvi. //  Ils sont partis pour un rêve, / et ont pu tout donner, / et ont dû aller plus loin dans leur quête, / et dire leur tourment. / Et le feu a continué de brûler / par tous les horizons, / pendant que de nouveaux chercheurs creusent dans les  cendres, / et dans le sol sous les cendres. / Et le rêve est ce qui est le bonheur, / pour les voyageurs." [ Poème que j´ai retraduit ]

À vrai dire, comme l´affirme Régis Boyer dans le no 25 - 26 que la revue Plein Chant a consacré en 1985 à Tarjei Vesaas,  ce n´est pas tant le non-dit, l´allégorique, le métaphorique ou le symbolique qui importent dans l´oeuvre tant poétique que romanesque de Tarjei Vesaas, mais ce qui résiste dans ce qui est simplement dit.

     
AVEC CELA SE CONSTRUIT UN CHEMIN

Tout soupcon de rêve
glissera au loin vers l´oubli,
mais pas avant que les pierres
ne se retournent dans les pierriers.

Un coeur sans amour
existera un jour,
mais pas avant que les rivières
ne coulent vers l´amont.

Une main qui n´a pas besoin
d´autres main
est peu probable.
Nous ne la verrons jamais.
                                    
Traduction : Eva Sauvegrain et Pierre Grouix.

L´écriture poétique de Tarjei Vesaas, dans ce troisième recueil, tente simplement d´affonter le réel d´une vie sans pourtant gommer l´angoisse d´être homme. La vie, comme le sang qui coule dans les veines, n´est autre qu´un courant , comme l´affirme le dernier poème du recueil Le bonheur pour les voyageurs :

      HEUREUSEMENT

Rouge
est le sang de tes veines
à l´heure la plus sombre.

La sève vitale
se prépare jour et nuit
dans un jour las à mourir.

Heureusement, à travers,
filent de grandes lois,
filent de profonds courants.

Vie,vie,vie -
qui chante là ?
Tous ceux qui ne sont pas morts
la chantent en route
à travers les cols brumeux
jusqu´au plus profond d´eux-mêmes."

                                         
Traduction : E. S. et P. G.

                                                                                                  ( à suivre )

 

Repost0
27 juillet 2008 7 27 /07 /juillet /2008 09:11

[ Tarjei Vesaas I ] : Lisières du givre de Tarjei Vesaas ( Editions Grèges, 2007, 179 pages, 18 € ) est traduit du néo-norvégien par Eva Sauvegrain et Pierre Grouix. Ce beau titre ne correspond à aucun recueil publié par Vesaas. Peu importe : c´est un beau titre qui fait rêver de neige et forêt de sapins ... .

Le papier de l´ouvrage est magnifique; et l´illustration des première et quatrième de couverture plus encore. Elle reproduit un paysage de bruine et de pluie du peintre lithuanien M. K. Ciurlionis, Fugue (1908). Quelques silhouettes de sapins se détachent sur un fond de buée et de crêtes diffuses que j´imagine être entrapercues à travers la vitre d´une maison faiblement chauffée un crépuscule de septembre; - sans savoir si c´est le crépuscule du soir ou celui d´un matin. Belle entrée en matière pour un ouvrage de poésies. 

Personne, je crois, ne lit un recueil de poésies comme on lit un roman.

J´ai découvert cet ouvrage par hasard. Je venais de passer un peu plus de deux semaines au Pays Basque espagnol et surtout francais. Puis deux jours à Bordeaux. Quelques heures avant de prendre mon avion de retour direct Bordeaux-Oslo, je suis entré seul dans une excellente librairie juste en face de mon hôtel. Le poids m´étant compté, je me suis contenté de trois ouvrages : un roman, un essai philosophico-littéraire et ce recueil de poésies, attiré tout à la fois par le titre, l´illustration et le nom de l´auteur. J´ai retrouvé sans peine les gestes que depuis longtemps je ne fais plus, commandant désormais mes livres par internet : j´ai sorti lentement le volume de son rayon. Ai alors mieux évalué la couleur bistre de sa couverture. Puis l´ai ouvert, au hasard, lisant quelques passages de deux ou trois poèmes, cherchant déjà à les évaluer à leurs justes valeurs.

Puis, seul à la terrasse d´un café, protégé du soleil de juillet par un grand parasol, ( et en attendant ma compagne partie chiner, - n´osant dire, comme Mérimée, allée à shopping - ) , j´en ai lu trois ou quatre autres, dont un, deux ou trois fois. Puis me suis mis à rêver, bercé par le rythme et les images de quelques lignes : je suis un chant / et j´étais une bouche sèche.

Je n´ai repris le recueil que le surlendemain; pour alors recopier à l´attention d´un retraité philosophe un court extrait de Pain et tranquillité : Encore un jour si chaud et rude / dont des mains de moisson ont fait du pain / - comme si leur vie en dépendait , / en prévision du gel et de l´hiver. /  Un été de soleil rassemblé en un seul épi - ( ... ) il s´agit de justifier sa vie. Où est ton pain ? demande sans cesse la claire lumière, / et toute question doit trouver réponse.

Le titre francais du recueil ne cessant de m´intriguer, je me suis rendu avant le week-end à la bibliothèque de mon ancienne commune pour savoir d´où pouvait venir ce titre. Des trois recueils empruntés, je n´ai encore rien trouvé. Peu importe; ce n´est que partie remise.

Lisières du givre est une sélection, et, comme il se doit, largement subjective. Qu´il y ait dans une anthologie consacrée à un vrai et grand poète une subjectivité revisitée, rien à redire. Toute anthologie obéit par nécessité aux impératifs catégoriques que sont la recherche, la découverte et la sélection ( sans négliger la traduction, autre couperet sans merci ). Reste qu´une anthologie digne de ce nom ne peut être une simple accumulation. Elle doit être une mise en scène, un véritable art de la perspective. Il manque à ce recueil plus qu´un-je-ne-sais-quoi : une préface, une introduction, un avis au lecteur ... bref, une mise en condition, ou du moins une mise en garde, replacant, même sommairement, l´époque et le contexte dans lesquels ces poèmes traduits et sélectionnés ont été écrits. Qui incriminer ? Les traducteurs ? Le ou les conseillers d´édition ? L´éditeur lui-même ? Impossible ici de répondre. Disons simplement qu´il est dommage que rien ne vienne préciser que le Vesaas de vingt ans qui publie ici ou là quelques poèmes dans divers journaux ou revues, n´a pas grand chose à voir avec le Vesaas de 1946 qui publie à 49 ans son premier recueil de poésies au titre révélateur de Kjeldene ( = Les Sources ). Le vent et la pluie ont buriné son visage; et plus encore, les années de guerre dont les ténèbres ont dépouillé à l´extrême sa langue, donnant à son inspiration une portée universelle.

N´ayant pas cependant lu dans sa totalité ce beau recueil prometteur, je m´abstiendrai pour le moment de formuler d´autres critiques. Pour votre plaisir - et aussi le mien - je terminerai cette première et courte introduction par la copie d´un court poème : ce ne sont que des canards qui regagnent le nord :

       CANARDS PLONGEURS VERS LE NORD

Hauts comme des points contre les nuages,
solitaires même à deux,
les canards plongeurs filent au Nord,
disparaissent.

Là où nous sommes ancrés
dans notre vaste confusion,
seul un cri froid
nous parvient de là-haut.

Mais hors de notre vue
ils plongent tout droit
dans une mer glacée
qui fit naître une chaleur secrète.

Ce sont des choses que nous aimons entendre -
un coeur solitaire et sauvage
qui dans sa liberté sans limites cherche encore
à s´approcher de nous, ceux d´en bas.

                                      Traduction E.S et P.G.
                              [ De Leiken og Lynet = Eclair et Jeu ( 1947 ) ] 
                          
                                                        * * *
( Illustration à droite : M. K. Ciurlionis, Pasaulio Sutverimas VI )
                                                             
                                                         * * *                                      
                                                                                                             ( à suivre )
Repost0
15 juin 2008 7 15 /06 /juin /2008 10:53


Les Elégies de Duino
de Rainer Maria Rilke viennent d´êtres publiées dans une magnifique traduction accompagnée d´une éclairante postface, toutes deux signées du poète et traducteur Philippe Jaccottet ( La Dagona, Genève, 2007, 115 pages, € ). La postface est indispensable pour qui veut appécier à leur juste valeur ces dix élégies écrites sur une période de dix ans.

Philippe Jaccottet, - différemment de Paul Celan qui considère la traduction "un dialogue qui chemine"-, nous explique en poète-traducteur la "cosmogonie" de Rilke.

Au premier étage se trouvent les "choses" comme les arbres et les fleurs, ainsi que les objets manufacturés comme la cruche, le pont, la fenêtre, la fontaine. Rilke préfère d´ailleurs les nommer "choses d´art" ( Kunstdinge ) plutôt qu´"oeuvres d´art" ( Kunstwerke ), en référence à Auguste Rodin qu´il a bien connu. À l´étage au-dessus se trouvent les "bêtes" - la "créature" ; ainsi l´oiseau qui habite l´"Ouvert", "cet espace idéal (...) où, sans doute, la mort serait comprise et qui ne connaîtrait ni murs, ni fontières". L´étage suivant est celui des humains. Il y aurait les "saints" et les "héros", comme le danseur de la Quatrième élégie qui n´est plus qu´un bourgeois déguisé, ou l´acrobate de la Cinquième, virtuose douloureusement vide; mais aussi les "délaissées" avec lesquelles Rilke a tant correspondu, qu´il nomme les "Liebende", et que Philippe Jaccottet, en scrupuleux traducteur, ne sait s´il doit les nommer "amoureuses", "amantes" et même "aimantes". L´étage le plus élevé est "celui où l´on aurait jadis logé Dieu ou les dieux" et dans lequel Rilke se contente d´imaginer ses "anges"

Au fil des élégies, Rilke chante sa plainte, posant maintes et maintes questions dont la première d´entre elles est le premier vers de la Première Elégie :

     Qui, si je criais, m´entendrait donc, d´entre /
     les ordres des anges ?
     Wer, wenn ich schriee, hørte mich denn aus den Engel /
     Ordnungen ?

Seul un poète comme Philippe Jaccottet peut traduire un autre poète :

     Nous apprenons à fleurir et faner en même temps.
     Blühm und verdorrn ist uns zugleich bewusst.

La question essentielle est de savoir comment échapper à la "facticité" de notre condition. La Septième et la Neuvième Elégie semblent nous donner une réponse : c´est en trouvant le chemin des choses simples en ce monde : 

     le simple, tout ce qui, modelé d´âge en âge,
     vit comme nôtre, à portée de la main et dans nos yeux.

Mais c´est peut-être dans la Deuxième Elégie, - et non dans la Neuvième, un peu trop éloquente selon Philippe Jaccottet -, que Rilke a le mieux dit le "simple", le "tout proche" et le "terrestre", rejoignant presqu´ainsi "à sa facon le voeu qui avait été celui d´Hölderlin de s´élever de l´élégie jusqu´à l´hymne, de la plainte isolée jusqu´à la célébration chorale " :

     Réussites premières, favoris de l´univers,
     chaînes d´alpes, crêtes roses d´aurore
     de toute Création - pollen de la divinité en fleurs,
     attaches de lumières, couloirs, degrés, trônes,
     espaces faits d´essence, pavois de plaisirs, tumulte
     de tempétueuse extase et soudain, isolés,
    
miroirs : où la beauté qui d´eux ruisselle
     est puisée et rendue à leur propre face.

Repost0
5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 14:06
Georges-Arthur Goldschmidt, dans Un enfant aux cheveux gris dont j´ai parlé hier, avoue que c´est en traduisant Peter Handke qu´il a appris à écrire. Je tiens aujourd´hui à revenir sur ce sujet en citant une nouvelle phrase. "La traduction de Handke m´a appris à réduire le vocabulaire, à lui faire vraiment occuper son champ propre."

Je ferai une comparaison. J´ose espérer qu´on n´y verra aucune outrecuidance.

J´aime de plus en plus me risquer à traduire le poète-jardinier Olav H. Hauge. Ce n´est pas, comme chez Peter Handkeson vocabulaire dialectal, immensément riche, qu´il réduit, mais la grammaire et la plupart des liaisons grammaticales

     Ta route

Personne n´a balisé la route /
que tu prends /
loin vers l´inconnu /
loin vers le bleu.

Ceci est ta route, /
toi seul /
la prends. Et c´est / impossible
de rebrousser chemin.

Et tu ne balises pas la route /
toi non plus. /
Et le vent efface ta trace / 
 dans la montagne inhabitée.
                                                           
                     -----------------------








Il en est de même du poème Aujourd´hui et demain, même si, étant l´un des premiers qu´il ait publié, les liaisons grammaticales sont moins effacées.  On peut le touver en francais en cliquant sur le lien suivant : http://riviere-interdite.over-blog.com/
Repost0

Présentation

  • : Souvenirs et impressions littéraires
  • Souvenirs et impressions littéraires
  • : Souvenirs et impressions littéraires (d´un professeur retraité expatrié en Norvège)
  • Contact

Recherche