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8 septembre 2006 5 08 /09 /septembre /2006 08:10

J´ai peu de souvenirs de ma mère. Beaucoup d´écrivains ont écrit dans leurs vieux jours des souvenirs attendris sur le dévouement de leur mère alors qu´ils étaient tout petit. Je n´ai rien de cela à raconter. Mes souvenirs sont d´une autre nature et  concerne mes relations aux livres que j´ai lus beaucoup plus tard alors que j´étais adolescent et adulte,- et qui concernent des mères.

Elle était petite, ni laide ni belle, et assez âgée. Elle m´avait eu alors qu´elle avait plus de quarante ans, ce qui explique que petit, je la considérais plus comme une grand-mère qu´une mère. C´est ma soeur, plus "vieille" de 12 ans que moi, qui a longtemps joué le rôle de mère, avec toutes les erreurs qu´une jeune fille si jeune pouvait faire avec un frère en si bas âge. Ce dont je me souviens alors que j´étais garconnet, c´est qu´elle avait une dent de devant ébréchée et qu´elle était toujours habillée de noir. Elle a en effet porté pendant des années le deuil de mon père mort à trente neuf ans. Lui m´a vu deux mois. Aujourd´hui, je possède d´elle deux photos encadrées que j´ai placées en évidence dans ma salle à manger. L´une d´elle est posée à coté de mon père en uniforme d´officier de la marine marchande. C´est un portrait. La tête est fière, altière, décidée. Ce n´est pas la mère que j´ai connue. Je l´ai placée là pour la réunir à l´homme qui a été celui qui lui a "donné la lumière" comme elle disait souvent. L´autre est celle d´une vieille femme et plus vraiment ma mère. Elle est placée près de la photo de  mes deux enfants petits et évoque plutôt la Mammy qu´elle a été pour eux.

J´ai dévoré adolescent Les Mémoires d´une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. Je n´ai pas manqué de lire les trois autres volumes qui lui font suite au moment de leur parution. J´ai donc aussi lu Une mort très douce. Dans ses mémoires Simone de Beauvoir ne cache pas ses sentiment partagés à l´égard de sa mère. Quelle n´est donc pas sa surprise quand elle découvre son émotion à l´annonce de la grave maladie de sa mère et de sa mort prochaine. Elle prend subitemement conscience que l´irréparable va se produire et qu´il lui faut essayer de sauvegarder ce qu´elle avait condamné avec tant de véhémence quand elle était plus jeune. Je n´ai jamais eu cette véhémence à l´égard de ma mère, mais je lui ai toujours voué une certaine rancune de n´avoir jamais vraiment répondu aux questions que je lui posais sur mon père. De savoir qu´elle formait avec mon père un beau couple et qu´elle avait aimé la représentation théâtrale de Maison de poupées de Ibsen est une maigre consolation. Elle ne concerne pas le père qui était le mien mais l´homme qui était son mari.

Je garde à la mémoire un autre souvenir de lecture associé à une mère. C´est Le malheur indifférent de l l´écrivain de langue allemande Peter Handke. On ne parle guère de lui aujourd´hui, mais son récit est poignant. Il met en évidence que le seul acte que sa mère ait jamais accompli de sa vie est son suicide.

Ces souvenirs concernent des récits clairement autobriographiques. Plus compliqués à analyser sont en revanche les références à la mère dans les oeuvres romanesques de Camus. On connaît le début tonitruant de L´Etranger : "Aujourd´hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J´ai recu un télégramme de l´asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C´était peut-être hier." Comment mieux dire ce sentiment voilé de culpabilité refoulé ?

On connaît moins les quelques lignes sur la mère du Docteur Rieux dans La Peste du même Camus. Elle est toute silencieuse, immobile, toujours assise à regarder par la fenêtre. Mais ses yeux suivent toujours les allées et venues de son fils. "Je suis heureuse de te voir, Bernard. Les rats ne peuvent rien contre ca." Les autres passages où apparaissent la mère de Rieux sont tout aussi furtifs et puissants de vérité.

Il y a une autre phrase de Camus qui  m´a trottée pendant des années dans la tête et que ses adversaires politiques ont aussitôt condamnée. Si je me souviens bien, ce n´est pas une phrase prononcée lors d´une interview ou un entretien relu ou corrigé par lui, mais une phrase lancée en aparté qu´un journaliste a recueillie en Suède lors de son attribution au prix Nobel de littérature. J´ai l´ai retrouvée récemment en relisant sur L´Etranger l´un des rares commentaires pertinents que je connaisse, celui de Bernard Pingaud dans la collection Foliothèque :"Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice." Longtemps, Camus s´est opposé à la réédtion de son premier recueil L´Envers et L´Endroit , le trouvant maladroit. Plusieurs de ces textes mettent en scène une mère qu´il n´est guère difficile d´authentifier comme étant la sienne. Après l´insistance de plusieurs commentateurs, il a finalement consenti à le rééditer, accompagné d´un longue préface émouvante: "Relisant L´Envers et l´Endroit après tant d´années, pour cette édition, je sais instinctivement devant certaines pages, et malgré les maladressses, que c´est cela. Cela, c´est-à-dire cette vieille femme, une mère silencieuse, la pauvreté, la lumière sur les oliviers d´Italie, l´amour solitaire et peuplé, tout ce qui témoigne, à mes propres yeux, de la vérité".

Comment mieux dire ?

 

 

 

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