Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 octobre 2007 5 19 /10 /octobre /2007 12:38

EcoTraduction.jpg
Dire presque la même chose
Umberto Eco, Grasset, 2006 (460 pages, 22,50 €), a pour sous-titre Expériences de traduction. Tout est clair dès la page de couverture, y compris dans la photo noir et blanc pleine d´humour et d´ironie intersémiotique que je ne chercherai pas à décrire. Toute traduction est un presque. La fidélité parfaite en traduction n´existe pas, et la réversibilité un miroir aux alouettes. Il ne s´agit donc pas de rendre compte du mot à mot mais du monde à monde,comme le dit admirablement la page quatre de couverture et la traductrice elle-même, Myriem Bouzaher. Toute traduction est donc une interprétation, mais toute interprétation n´est pas une traduction. En fait, pour Umberto Eco, une traductioin, bonne ou mauvaise, est une négociation. Il n´aura de cesse de le répéter tout au long de ces pages illustrées de très nombreux exemples et de ses expériences aussi variées que diverses en tant que traducteur, auteur et éditeur, allant de la phrase apparemment la plus simple comme I love you  à une autre voisine et impossible à rendre dans sa redondance sonore I like Ike.

Ce n´est pas en théoricien qu´Umberto Eco nous livre ces réflexions, mais en praticien soucieux de pédagogie au meilleur sens du terme, volontiers vulgarisateur mais se refusant d´être réducteur. On trouve donc de nombreux exemples empruntés aux langues qu´il pratique, c´est-à-dire l´italien, l´anglais, le francais, l´allemand, l´espagnol et bien sûr le latin, sans lequel Umberto Eco ne pourrait être ce qu´il est. Il se réfère aussi aux grands noms de la linguistique et de la traduction, sans tomber dans le jargon des spécialistes, et l´érudition mal placée. Ces textes sont en fait nés de conférences. Les notes en bas de pages sont donc réduites au minimum. Les références bibliographiques en fin de volume ne sont que des reconnaissances de dettes les plus évidentes, et non une bibliographie générale. Cet ouvrage s´adresse par conséquent à un public non spécialisé. Voilà pourquoi je l´ai apprécié. Je crois pouvoir ajouter qu´il plaira à tout amateur désireux de comprendre aujourd´hui comment on passe non seulement d´une langue à l´autre, mais d´une culture à une autre, et d´un support médiatique à un autre support qui est un autre langage.

Dès lors que la traduction est une négociation, il s´agit de se placer devant l´habituel dilemme : sauver quelque chose, et du coup, perdre quelque chose d´autre ; par exemple, renoncer à une réversibilité lexicale et syntaxique au profit du niveau métrique. Le cas de la poésie est évidemment le cas extrême. Mais la traduction intersémiotique encore plus, que Roman Jakobson appelait plutôt transmutation et que d´autres appellent adaptation. Elle concerne par exemple l´adaptation d´un roman au cinéma, la description d´un tableau ou d´une photographie, ou encore de toute interprétation chorégraphique de n´importe quel ballet accompagnant la musique de n´importe quel compositeur.

Par ailleurs, toute traduction d´une langue à une autre ne peut échapper au dilemme suivant : faut-il orienter le lecteur vers le texte source, le texte d´origine, - surtout s´il date de plusieurs siècles comme ceux d´Homère, ceux du début de l´ère chrétienne ou ceux de Shakespeare, - ou faut-il l´orienter vers le texte d´arrivée, le texte de destination ? Autrement dit : faut-il que la traduction conduise le lecteur à s´identifier à la langue d´origine, à une certaine époque et à un certain milieu culturel révolus, - ou doit-elle au contraire  rendre l´époque, le milieu et la langue d´origine accessibles au lecteur de la langue et de la culture cibles ? En fait, citant  Humboldt (1767-1835), Umberto Eco précise qu´une traduction digne de ce nom consiste à amener le lecteur à comprendre la langue et la culture d´origine en l´amenant à enrichir la sienne propre.

Les exemples sur lesquels Umberto Eco s´appuie sont nombreux, variés et très personnels. Ils émanent de son expérience pratique. Ils viennent de La Bible, de Dante ou de Sylvie de Nerval qu´il a traduit en italien, - ainsi que des Exercices de style de Raymond Queneau , - mais aussi de Shakespeare, Baudelaire, de Poe et de bien d´autres plus intéressants les uns que les autres. Sans oublier la traduction de ses propres textes comme Le Nom de la rose ou Le Pendule de Foucault ainsi que de leurs adaptations au cinéma. Sans oublier non plus sa collaboration avec des traducteurs dont il ne connaît ni la langue ni vraiment la culture.
 
On peut parler de pertes, quelquefois de compensations. Il s´agit toujours de faire comprendre le sens profond autant que littéral,c´est-à-dire faire saisir dans le texte d´arrivée l´essentiel des intentions du texte ( intentio operis ) avant les intentions de l´auteur ( intentio auctoris ), y compris les plus difficiles à rendre : les effets esthétiques. Etant entendu, - il convient de la rappeler avec force -, que "l´appréciation esthétique ne se résout pas dans l´effet que l´on éprouve, mais aussi dans l´appréciation de la stratégie textuelle qui le produit" (p.343). Ce qui est donc souvent en jeu dans la traduction, c´est la notion d´horizon du traducteur (p. 321). Voilà pourquoi beaucoup de traductions vieillissent et qu´il convient régulièrement de retraduire les textes les plus importants. Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Fumée de fumée, tout est fumée.

Eco ne parle pas du prix de la traduction. Ce n´est visiblement pas son problème. Ni vraiment celui des mauvaises traductions. Sauf sur le mode plaisant en abordant Alexandre Dumas et la paralittérature. Dumas écrit toujours que quelqu´un se lève de la chaise où il etait assis. De quelle chaise aurait-il dû se lever ? Et donc, n´est-il pas suffisant de traduire qu´il se levait de sa chaise ou carrément qu´il se levait, tout court ? ... ". Je vous laisse découvrir la malice avec laquelle Umberto Eco se tire d´afffaire en vantant la force narratologique du texte de Dumas, et du vertige qu´offre le procédé de l´agnition du Comte de Monte-Christo, procédé narratif fondamental depuis la tragédie grecque et que Dumas utilise volontairement plusieurs fois.

Malice pour malice, je me demande bien comment on pourrait rendre, l´asteure de Montaigne, ou le tant  employé  au jour d´aujourd´hui en italien, en anglais ou en toute autre langue.

Partager cet article

Repost0

commentaires

Présentation

  • : Souvenirs et impressions littéraires
  • Souvenirs et impressions littéraires
  • : Souvenirs et impressions littéraires (d´un professeur retraité expatrié en Norvège)
  • Contact

Recherche