Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 05:45

Ma mère n´avait pas beaucoup d´amis. Mais je me souviens que tout petit j´allais souvent avec elle voir une très vieille femme appelée Rose. Nous traversions une bonne partie de Paris pour aller la voir en métro. Elle habitait, si mes souvenirs sont bons, soit Rue Charlemagne, soit Rue Saint Paul dans le IVe arrondissement de Paris. C´était une rue très étroite avec de hauts immeubles austères. Je pouvais voir que ce quartier était plus populaire que le mien.

L´appartement de Rose était très sombre et encombré de milliers de choses hétéroclites avec d´immenses tentures qui rendaient l´appartement encore plus feutré. J´écoutais sans rien dire ma mère et cette Rose qui parlaient de l´avant guerre, du temps où elles s´étaient connues. J´ignore si elles parlaient de mon père. Rose était une Juive rescapée d´un camp d´extermination. Un beau jour nous ne sommes plus allés chez elle et j´en déduis qu´elle était morte.

Irvin et Germaine A., au contraire de Rose, habitaient un quartier beaucoup plus cossu. Ils occupaient un bel appartement à un étage élevé avec balcon à la Porte de Champeret, dans le XVIIe arrondissement. On montait à leur étage par un ascenseur poussif.

 Comme Rose, ils étaient d´origine juive. Ils avaient quitté la France pour vivre pendant la guerre aux Etats Unis et étaient revenus en France après la Libération. Ils parlaient souvent de la guerre. Il y a notamment une phrase que Germaine disait souvent et qui irritait profondément ma soeur : - "La guerre nous a fait tellement de mal." Ma soeur ne manquait jamais de souligner, en citant cette phrase à la maison, que son père à elle avait payé de sa vie son engagement pendant la guerre. Germaine était ma marraine et Irvin mon parrain. Je ne sais pas de quelle région de France venait Germaine, mais Irvin était un Juif d´origine égyptienne. Il parlait francais "comme vous et moi", mais avec un très léger accent que je ne peux définir.

 

Leur appartement était recouvert de moquette et avait l´air conditionné. Ils avaient un grand couloir. Quand j´étais tout petit et qu´ils voyaient que je m´ennuyais, ils me disaient :   "Va donc jouer dans le couloir". Plus grand, je restais assis auprès d´eux et de ma mère. Ils buvaient du thé, mangeaient du "cake" et moi je buvais de l´eau d´une petite bouteille d´eau versée dans un verre. La bouteille était toujours soigneusement refermée pour éviter que "les microbes" y rentrent. C´était surtout Germaine qui parlait et c´était pour moi insignifiant. Je trouvais qu´elle parlait avec une bouche "en cul de poule". Ils avaient très bien connu mon père. J´ai fini par dire à ma mère que je ne souhaitais plus l´accompagner lorsqu´elle allait chez eux, ce qu´elle consentit sans trop de difficultés.

Ma mère avait une autre amie qui habitait le même quartier que nous, c´est-à-dire le XVe arrondissement , mais c´était assez loin. Nous y allions pourtant généralement à pied car prendre le métro était très compliqué. Il fallait changer plusieurs fois et ca prenait beaucoup de temps. Elle habitait Rue Olivier de Serres. Pas très loin de chez elle, je pouvais voir des joueurs de boules.

Elle s´appelait Madeleine H. Devenu adulte et père de deux enfants, j´ai toujours cherché à la voir lorsque j´étais de passage à Paris, ai continué à lui téléphoner de temps en temps et à lui écrire quelques rares cartes postales. Elle m´avait offert Le Livre de la Jungle  de Rudyard Kipling et trouvait que je ressemblais à Mowgli. Je ne possède plus son livre qu´elle m´avait dédicacé et je le regrette. Son appartement était situé au cinquième ou sixième étage d´un immeuble sans ascenseur, mais la cage d´escalier était si vaste qu´il aurait pu en avoir un. La vue de sa salle à manger était magnifique. On découvrait "tous les toits de Paris" et au loin le sommet de la Tour Eiffel. Au bas de l´immeuble se trouvait une vieille ligne de chemin de fer où ne passaient pratiquement jamais de trains. Le long de la voie poussait de la verdure, ce qui évitait d´avoir le vertige quand on s´apuyait à la fenêtre. Elle vivait seule et je n´ai jamais vraiment su si elle était divorcée ou non. Elle lisait beaucoup, écoutait des émissions culturelles à la radio, avait travaillé chez un éditeur et avait un point de vue à la fois sensé et personnel sur les sujets qui lui tenaient à coeur. J´ai fini par la perdre de vue et ne sais comment  elle est morte.

Ma mère avaient d´autres excellents amis, notamment des amis d´enfance qui avaient aussi connu mon père, mais ils habitaient Versailles. 

Les autres relations que ma mère pouvait avoir à Paris n´étaient que des connaissances. Mais elles les rencontraient très souvent, notamment  "en loge" car c´étaient tous, comme ses vrais amis hommes et femmes, des Francs-Macons très actifs. Les hommes étaient généralement membres du "Grand Orient de France", mais certains, comme ma mère, étaient membres de "l´Ordre Maconnique Mixte International Le Droit Humain". Enfant et adolescent, je suis allé plusieurs fois au siège du "Grand Orient de France" 16 Rue Cadet, dans le IXe arrondissement de Paris. 

C´était une rue passionnante avec une multitude de petites boutiques très pittoresques et insolites. Mes souvenirs liés à ma présence au siège du "Grand Orient de France" sont plus confus. J´ai assisté à quelques "tenues ouvertes". Le port du "tablier" et de "l´épée" m´a toujours paru étrange. Vers l´âge de 25 ans à peu près j´ai même été "initié" au "Droit Humain". Je suis donc devenu "compagnon". Mais je n´ai jamais cherché  à prendre contact avec une loge maconnique en Norvège, au regret de certains de mes bons amis francais Francs-Macons. Chose étrange pour moi. A la maison ma mère parlait très peu. Mais avec ses connaissances et ses amis Francs-Macons, c´était une toute autre femme. Elle était vive et enjouée. C´est mon père qui lui avait  "apporté la lumière". Elle est devenue "Vénérable" et a même occupé, une fois retraitée, un poste encore plus élevé dans la hiérarchie maconnique. Elle visitait des loges de province pour les aider à se développer. J´ai tenu, quand elle s´est éteinte à l´âge de 85 ans, à respecter ses voeux d´être incinérée selon un rite maconnique. Ses cendres reposent au cimetière parisien du Père Lachaise.

 

Repost0
22 septembre 2006 5 22 /09 /septembre /2006 03:37

Enfant et adolescent j´ai habité dans le XVe arrondissement de Paris. C´est donc dans un établissement scolaire de cet arrondissement  que j´aurais dû être inscrit. Mais ma mère choisit pour moi un établissement du XVIe arrondissement, le Lycée Janson de Sailly, lycée prestigieux s´il en fut. J´en appris la raison beaucoup plus tard. Des élèves des classes terminales du lycée s´étaient illustrés en 1944, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en partant en Allemagne pour se battre. Plusieurs y avaient trouvé la mort. En mémoire de mon père, résistant de la première heure, et mort dans un camp de concentration, ma mère avait obtenu une dérogation et réussit à m´inscrire à Janson de Sailly. Un monument à la mémoire de ces élèves de terminales leur est consacré dans la cour d´honneur du lycée.

Le lycée Janson de Sailly est l´un des plus grands lycées de Paris. De mon temps il recevait déjà 2500 à 3000 élèves de la 11e aux classes terminales, classes auxquelles il faut ajouter les nombreuses classes préparatoires aux Grandes Ecoles. Il y a donc plusieurs entrées.

Petit, j´entrais par la porte de l´avenue Georges Mandel.  Comme toute avenue, l´avenue Georges Mandel est plantée d´arbres. L´entrée proprement dite était une petite porte précédée d´un petit jardin fermé par une grille peinte en noir. Puis les élèves pénétraient dans une grande cour carrée où se trouvaient quelques arbres et des bosquets. Les classes donnaient évidemment sur la cour.

Du temps de mes "petites classes", je me souviens surtout de deux professeurs, en particulier celle que j´ai eu en 11e et qui m´apprit à lire. Elle devait s´appeler Mademoiselle L. Je me souviens encore par coeur de quelques vers de poésies qu´elle nous donnait à apprendre, notamment une poésie de Robert Desnos, poète surréaliste décédé dans un camp de la mort en 1945. Il s´intitulait  La Fourmi  et commencait ainsi : "Une fourmi de dix-mètres/ Avec un chapeau sur la tête/ Ca n´existe pas, ca n´existe pas" et se terminait par le vers "Eh ! Pourquoi pas ? " Je me souviens aussi d´un autre poème de Jacques Prévert, Chanson des escargots qui vont à l´enterrement  et qui commence ainsi :  "A l´enterrement d´une feuille morte/Deux escargots s´en vont ..." Le second professeur était aussi une demoiselle L. que j´ai eu pendant ma seconde 7e. Je me souviens surtout de sa sévérité et de ses encouragements à nous faire lire. Il y avait dans le fond de la classe une grande armoire pleine de livres aussi bien pour enfants que pour adolescents. Il y avait à la maison une belle bibliothèque, constituée en grande partie par mon père et contenant essentiellement des livres pour adultes. Je ne les lisais pas, pas plus que les livres proposés par mon institutrice, à son grand regret. J´ai fini par en prendre un, qui était un roman de la Comtesse de Ségur et je vois encore la grimace de mon professeur devant mon choix !

Je ne me souviens pas par quelle porte les élèves de 6e entraient, mais nos classes se trouvaient dans une autre cour carrée. Les arbres étaient moins nombreux et la cour était austère. Mon premier professeur de Francais enseignait aussi le Latin. Il était assez jeune et fort compétent. Je me souviens en particulier de plusieurs lecons où il nous expliqua l´origine étymoligique de nos noms de famille. C´est ainsi que j´ai pris conscience de la beauté de mon nom puisqu´il est aussi celui d´un des premiers Chevaliers de la Table ronde. Mais il est parti au début de l´année scolaire suivante pour prendre un poste d´enseignant (ou de proviseur ?) dans un pays d´Afrique du Nord. Nous avons alors eu remplacants D´abord un homme extrêmement colérique et peu patient. Je me souviens qu´un jour il jeta en l´air le livre qui était sur son bureau avec une telle force qu´il se brisa en touchant le plafond. Il nous donnait à apprendre par coeur vingt à trente vers par semaine et notamment des poèmes de Victor Hugo tirés de La Légendes des Siècles, en particulier le poème La Conscience qui se termine par le vers suivant : "L´oeil était dans la tombe et regardait Caïn" Le second remplacant était une très jeune femme incapable de faire respecter la discipline. Son enseignement de francais et de latin était une vraie catastrophe. C´est ainsi qu´après avoir parlé avec ma mère j´ai abandonné le latin, quitté la filière classique et suis entré dans une quatrième dite moderne.

Le professeur de Francais que j´ai alors eu m´a laissé un mauvais souvenir. Il était très compétent, mais fort cassant, et, me emble-t-il, quelque peu méprisant. Il donnait surtout la parole aux meilleurs élèves, en particulier à une fille toujours désireuse de prendre la parole. Ma mère était allée le voir et je sus par la suite que l´entretien s´était très mal passé. Ma mère était veuve de guerre et travaillait pour subvenir à nos besoins, ma soeur et moi. Elle occupait un bon poste à responsabilités au x PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones). Il lui aurait dit : - "Mais une femme ne travaille pas !"

Mon professeur de Francais de 3e s´appelait Pol G.(Pol et non Paul). Très pédagogue, c´était un passionné de théâtre.  Il a écrit lui-même plusieurs pièces qui ont été jouées, a édité un grand nombre de disques de théâtre du théâtre classique francais et publié plusieurs fascicules de critiques littéraires destinés aux élèves du secondaire et aux étudiants, en particulier sur La Peste d´Albert Camus, dans la collection Profil d´une oeuvre. En lisant beaucoup plus tard ce petit livre d´initiation bien fait, je me suis souvenu d´un de ses cours où il nous avait parlé de la guerre et d´élèves résistants fusillés par les Allemands. Il n´avait pu retenir quelques larmes en évoquant leur mémoire.

C´est en 3e qu´un des mes professeurs, celui d´Histoire et Géographie, me fit une remarque digne d´être rapportée. C´était au mois de juin et il faisait fort chaud. Je n´avais que 15 ou 16 ans mais avais une cravate. Pendant le cours, je desserre mon col de chemise et descend légèrement mon noeud de cravate. Mon professeur arrête aussitôt son cours et me dit à peu près ceci : - "Monsieur L  ! Vous avez une cravate. Vous n´étiez pas obligé d´en porter une. Je vous demande de reboutonner votre chemise, de remonter votre cravate ou de sortir:" J ´ai resserré mon noeud de cravate. Nous étions devenus, mes camarades et moi, des petits messieurs. 

C´est à partir de la Seconde, si mes souvenirs sont bons que nous entrions au lycée par la rue de Longchamps. C´était une petite rue étroite encombrée de centaines de vélos, mobylettes, motos et scooters de toutes tailles et de toutes marques. Un de mes profeseurs venait lui aussi à vélo, mais il entrait par l´entrée principale du 106 Rue de la Pompe. C´était un professeur d´Allemand et un prodigieux pédagogue. Il s´appelait Monsieur C. Il parlait plusieurs langues dont, outre l´allemand, l´anglais, le néerlandais et l´italien. Il servait aussi d´interprète auprès de la police et traduisait les aveux ou déclarations des criminels étrangers arrêtés sur le territoire francais. Il nous raconta un jour qu´il avait déjoué un détenu en se faisant passer lui même pour un détenu.   

Mon professeur de Francais de Seconde était un homme âgé d´une autre génération. Il était pupille de la Nation de la Première Guerre Mondiale. Il s´appelait Monsieur D. C´est avec lui que j´ai véritablement commencé à lire. Il nous donnait à faire des tableaux synoptiques sur la vie et l´oeuvre de chaque écrivain du programme. De la vie il ne fallait retenir que ce qui avait un intérêt pour expliquer l´oeuvre. Dans mon propre enseignement de Francais en Norvège, je n´ai jamais oublíé ce conseil. Je me souviens particulièrement de ses explications lumineuses de Britannicus de Racine, en particulier ce vers de Néron, mettant en évidence son sadisme, mot que j´entendais pour la première fois : " J´aimais jusqu´à ces pleurs que je faisais couler", phrase que prononce Néron quand il décrit l´arrestation en pleine nuit de la jeune Junie, amante de Britannicus. C´est avec lui que j´ai appris à apprécier les auteurs du progamme de francais du Moyen Age à la fin du XIXe siècle. Mais le programme n´abordait pratiquement  pas les auteurs du XXe siècle  et encore moins les auteurs étrangers. C´est donc seul que j´ai appris à les connaître et à les acheter dans des collections bon marché, notamment la collection "Le Livre de Poche",  relativement nouvelle pour l´époque.

Cette classse de Seconde était très particulière. Il n´y avait que 24 (ou 27) élèves, ce qui veut dire très peu. C´était la Seconde C5M3. Certains faisaient encore du latin, d´autres non. Certains de mes camarades avaient des pères qui occupaient une position très élevée dans la société politique, économique et intellectuelle francaise. L´un était le fils du Premier ministre de Charles de Gaulle, Michel Debré, l´autre était le fils du Ministre de la Culture et écrivain André Malraux, le troisième était le frère de l´intellectuel de gauche engagé pendant la guerre d´Algérie et commentateur de l´oeuvre de Jean Paul Sartre, Francis Jeanson. C´est à partir de cette classe de Seconde que j´ai véritablement pris conscience de l´excellence du Lycée Janson de Sailly. Je venais d´un milieu beaucoup plus modeste. L´aisance verbale et de comportement de mes camarades ne cessaient de m´étonner. Je ne cherchais pas à les imiter. Je ne pense pas non plus que je les enviais. Mais je ne les fréquentais pas vraiment. C´est ainsi que j´ai commencé à m´isoler. Je n´étais pas un mauvais élève, mais je n´étais pas non plus très brillant. Après l´échec à la deuxième partie de mon baccalauréat section "Sciences Naturelles", j´ai convaincu ma mère de m´inscrire dans une section "Philosophie" comme interne dans un Lycée de province, le Lycée Berthollet à Annecy. Année que j´ai terminée avec profit.

J´ai passé plus de dix ans au Lycée Janson de Sailly. Tous les professeurs titulaires que j´ai eus, en particulier les professeurs de francais, étaient de remarquables pédagogues. Beaucoup étaient assez âgés, plus ou moins proches de la retraite, mais ils savaient enseigner et n´avaient pas perdu leur enthousiame pour nous tranmettre leurs connaissances. C´est en me souvenant d´eux que j´ai cherché plus tard à faire modestement mon métier d´enseignant. 

   

 

 

   

 

Repost0
21 septembre 2006 4 21 /09 /septembre /2006 05:43

C´est à partir de ma 6e que j´ai commencé à aller au Musée du Louvre. J´avais donc 11ou 12 ans. Au début de l´année scolaire, notre professeur d´Histoire et Géographie, dont j´ai oublié le nom, nous a demandé si certains et certaines d´entre nous étions libres le jeudi matin. Un grand nombre de mains s´est levé et c´est alors qu´il a proposé d´être notre guide au Musée du Louvre une fois tous les quinze jours. Et, fidèle à son engagement, il a systématiquement visité avec nous pendant deux ans, toutes les salles du musée en rapport avec notre programme d´histoire.

La plupart des élèves de mon lycée suivaient un enseignement religieux le jeudi matin. La majorité allait au catéchisme, soit catholique, soit protestant, soit israëlite. Quelques uns avaient des lecons de panio, de violon, de flûte ou de trompette. Plus petit , ma mère et ma soeur m´avaient inscrit à des lecons de violon, mais j´avais abandonné, car même après plusieurs années, je ne sortais toujours qu´un abominable crincrin. J´étais donc libre le jeudi matin comme certains de mes camarades. Ma mère et à ma soeur, à qui je racontai le même jour la proposition de mon professeur, furent évidemment ravies.

Je prenais le métro et descendais à la station de métro indiquée par mon professeur. Ce n´était pas toujours la station Le Louvre. Je ne me souviens plus des autres stations où je descendais. Ce dont je suis sûr, c´est qu´il n´y avait pas à l´époque la fameuse Pyramide du Louvre édifée par l´architecte sino-américain Pei. Nous entrions généralement. par la Facade Horloge de la Cour Carrée.

Nous avons commencé par les salles consacrées aux sculptures grecques, étrusques et romaines. Nous ne pouvions évidemment pas ignorer la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo, placées en évidence au fond d´une immense galerie ou au carrefour d´autres salles. Notre professeur expliquait en ne lisant aucun papier et certains d´entre nous prenaient quelques notes. Il s´attardait sur le drapé de la Victoire de Samotrace, ses ailes, l´élégance de son maintien, et le symbole qu´elle représentait. Ou bien sur les doigts retrouvés de la Vénus de Milo, posés sur un socle à côté et protégés dans une cage de verre. Je n´ai aucun souvenir des sales consacrées aux Etrusques.

Je me souviens mieux des salles consacrées à la Mésopotamie antique, c´est-à-dire à Sumer, Babylone et l´Assyrie, notamment des sculptures d´énormes éléphants ou de gigantesques rois à la barbe fleurie. Je me souviens également de certaines fresques égyptiennes sans pour autant être capable de citer le nom de pharaons à l´exception de celui de Ramès (Mais est-ce Ramsès Ier ou est-ce Ramès II ? - Je ne sais plus...) Je vois mieux quelques extraits du Livre des Morts, mais je me souviens surtout d´une petite statue d´un personnage accroupi, les bras croisés, le visage intelligent avec des yeux verts étincellants : Le scribe, personnage important de la civilisation égyptienne puisqu´il savait lire et écrire.

  

Notre professeur a aussi arpenté avec nous les salles consacrées au Moyen Age francais, mais mes souvenirs sont pratiquement inexistants.

Je suis allé plusieurs fois au Musée du Louvre avec mes deux enfants. Je me souviens particulièrement bien de la première visite, notamment des salles égyptiennes. L´aîné s´arrêtait longuement devant telle ou telle fresque, revenait sur ses pas, prenait les fiches explicatives en francais que l´on pouvait trouver à l´entrée de chaque salle, les lisait à son rythme, et cherchait à repérer sur la fresque les explications de la fiche. Le plus jeune marchait beaucoup plus vite, sa main dans la main de sa mère. Il a fini par nous attendre au petit café du musée. Mais l´aîné a passé plusieurs heures uniquement dans les salles égyptiennes. Je commentais le moins possible, désireux de le laisser découvrir lui même. A une exception près. On voyait un bateau sur le Nil et je lui fis remarquer que les esclaves qui ramaient étaient déjà des Noirs (venant de Nubie, si je me souviens bien). L´heure avancait. Il fallait songer à partir et retrouver ma femme et mon plus jeune fils. Je lui dis cependant qu´il était difficile de sortir du Musée du Louvre que l´on visitait pour la première fois sans voir La Joconde, c´est-à-dire Mona LIsa. Sans trop me tromper, je réussis à retrouver la salle sans demander mon chemin à personne. Une foule considérable se trouvait devant le tableau mis sous verre et protégé par un ou deux gardiens.

J´avoue avoir éprouvé un très grand plaisir d´avoir retrouvé si vite la salle où se trouve Mona Lisa.  Mais tout le mérite vient de mon professeur d´Histore et Géographie qui a consacré deux jeudis par mois pendant deux ans à faire bénévolement  le guide au Musée de Louvre.

 

Repost0
20 septembre 2006 3 20 /09 /septembre /2006 04:34

Le Planétarium est une salle consacrée à l´astronomie à l´intérieur du Palais de la Découverte à Paris. Petit, j´y allais avec ma soeur, beaucoup plus âgée que moi. Je ne me souviens pas si ma mère pouvait nous accompager. Pour y aller nous prenions le métro et descendions à la station Champs Elysées Clémenceau, mais nous pouvions aussi prendre la ligne d´autobus 42 qui passait près de chez moi et descendre au Pont de l´Alma. Nous faisions le reste du trajet à pied en longeant en partie la Seine. Nous ne payions à l´époque que deux tickets de bus, ce qui correspondait au prix d´un ticket de métro. C´était un moyen commode de faire quelques économies. Contrairement au métro, le prix du voyage en bus était en effet fonction de la distance. Plus on voyageait loin et plus c´était cher.

 

Aller au Planétarium était pour ma soeur une occasion de parler de son père. Elle l´avait connu puisqu´il est mort alors qu´elle avait 12 ans. Moi, je ne l´ai jamais connu. Membre actif de la Résistance, il a été pris sur dénonciation par les Allemands alors que j´avais deux mois. Il est mort en Allemagne dans le camp de concentration de Gandersheim. J´avais alors tout juste dix mois. C´était un officier de la marine marchande et à ce titre connaissait, selon ma soeur, toutes les étoiles du ciel. Elle gardait un souvenir émerveillé de ces soirées où son papa lui expliquait comment reconnaître dans le ciel étoilé certaines constellations. M´emmener au Planétarium était donc pour ma soeur une manière d´évoquer mon père et de penser à lui. Sinon, elle n´en parlait jamais, et encore moins ma mère malgré les questions que je pouvais quelquefois lui poser.

 

La salle du Planétarium était toute ronde avec d´immenses fauteuils bleus dans lesquels on s´enfoncait en relevant la tête. On parlait tous à voix basse, et on attendait sagement, recueillis. Sur les murs circulaires de la salle se trouvaient les silhouettes noires de quelques monuments célèbres de Paris, dont la Tour Eiffel, Notre-Dame et le Sacré Coeur. Au milieu se trouvait un étrange appareil noir formé de deux grosses boules pleines de petits trous d´où sortaient des flux lumineux dans l´obscurité. Il y avait plusieurs conférenciers, mais celui que ma soeur et moi préférions était un petit homme infirme, presqu´un nain, aux cheveux assez longs. Il n´était pas très beau. Il entrait en boìtant, marchait lentement vers l´appareil insolite installé au milieu de la salle et appuyait sur quelques boutons. La nuit se faisait lentement et les étoiles apparaissaient une à une sur la voûte céleste. Le petit homme se mettait alors à parler, si je me souviens bien sans papier. Il parlait bien, lentement, en articulant distinctement. Il précisait la position des étoiles les unes par rapport aux autres afin que nous puissions nous mêmes les reconnaître à l´oeil nu la nuit sans brouillard. Sa voix était chaleureuse, non pédante, simple et il n´était pas difficile de suivre ses explications. Il nous donnait en tout cas l´impression de tout comprendre. On pouvait découvrir le ciel de Paris qu´on verrait le soir même en levant simplement la tête, à l´oeil nu;  mais il lui était aussi possible de reconstituer le ciel de Jérusalem du temps de la Bible et de Jésus Christ. J´étais toujours émerveillé, et ne me lassais jamais d´écouter ce petit bonhomme difforme aussi savant. Les séances étaient relativement courtes et j´étais souvent désappointé qu´elles se finissent si vite. C´est alors que commençait une musique lancinante, toujours la même, pour annoncer à la fois la fin de la séance et le début du jour. Les étoiles s´éteignaient lentement, une à une. L´extrait de musique qui accompagnait la disparition des étoiles était une partie fort connue de l´ouverture (ou le prélude) de Lohengrin de Richard Wagner.  A chaque fois que je l´entendais j´avais la chair de poule et tremblais de plaisir. Nous n´avions pas de tourne-disques à la maison, et à part la musique que je pouvais entendre grésiller sur un vieil apparail de TSF ( comme on disait à l´époque ), c´est le seul morceau que j´ai vraiment écouté tout petit. Quand, adolescent, je me suis acheté un électrophone digne de ce nom, après avoir économisé de l´argent pendant plusieurs mois, je me souviens que les deux premiers disques que je me suis procurés ont été la Mer de Debussy et des extraits des ouvertures des opéras de Wagner.

Après la séance du Planétarium nous parcourions les différentes salles du Palais de la Découverte. Je pouvais aussi y aller seul. Mais j´étais alors beaucoup plus grand. J´y allais surtout le jeudi après-midi ou le dimanche. Je pouvais tirer sur des cordes enroulées sur des poulies, soulever des poids, actionner des manivelles, appuyer sur des boutons rouges ou verts, mais je ne comprenais pas grand chose... Il y avait des salles d´expositions permanentes et des conférences étaient tenues par de jeunes scientifiques sur des thèmes les plus divers. Je passais devant eux, m´arrêtais quelques instants, essayais de comprendre ce qu´on disait, mais allais rapidement un peu plus loin. Je n´étais pas un très bon élève en sciences et toutes ces explications scientifiques passaient largement au dessus de ma tête. J´écoutais cependant avec admiration les questions que des garcons et de filles sensiblement de mon âge pouvaient poser. Je me souviens vraiment bien que d´une salle. Elle était circulaire et remplie de centaines de chiffres alignés les uns derrière les autres. Elle symbolisait le nombre PI = 3,1416, c´est-à-dire, quand on parlait vite, PI égal Trois-quatorze-cent-seize. J´avais aussi appris par coeur un alexandrin dont je me souviens encore et qui permet de retrouver les chiffres exacts après PI = 3,14. Cet alexandrin est le suivant : 

        Que   j´  aime   à   faire   connaître   ce   nombre   utile   aux   sages !

          3  ,   1     4       1      5          9             2          6            5        3         5

 

Adulte je suis allé deux ou trois fois avec des amis, mes enfants ou des touristes étrangers à la Cité des Sciences  de La Villette. Je n´ai jamais éprouvé le même plaisir. Trop de choses à voir, trop de monde et beaucoup trop de bruit. Mais les deux fois où je suis retourné dans un lieu où se trouvait un Planétarium n´ont guère été plus heureux. Je me souviens notamment du Planétarium - ou prétendu tel - de la ville de Tromsø, dans le Nord de la Norvège, au delà du cercle polaire. C´était, pour être précis, durant l´été 1998. J´y suis resté à peu près trois semaines. Ville universitaire réputée pour son Université des Sciences et ses recherches sur les aurores boréales, j´appris qu´elle avait aussi un Planétarium. C´est donc plein d´attente que j´y suis allé avec ma compagne.... Nous prenons les billets et entrons. La salle est pratiquement vide. Je cherche l´appareil mystérieux aux deux boules pleines de petits trous lumineux au milieu de la salle circulaire, mais ne vois rien. Je me tais et indique de la main que je souhaite monter vers les derniers rangs de la salle. Nous prenons place. La salle s´assombrit enfin et un film bavard et savant est projeté sur un écran géant semi circulaire. Je suis fort désappointé. Mais je n´abandonne pas ! A la fin de la séance, je retourne à la caisse et demande à la jeune femme vendeuse de billets où se trouve le "planétarium" qui projette les étoiles. Elle écoute poliment, me fait répéter une ou deux fois mes explications et finit par me dire qu´elle ne sait rien, mais consent à appeler un responsable qui pourra certainement me renseigner. Un homme assez jeune arrive, m´écoute attentivement et  me dit que malheureusement, l´université de Tromsø ne possède plus l´appareil. Il se propose même, si je me souviens bien, de me rembourser. Je l´ai remercié gentiment, ai décliné son offre, et suis parti, pensif et silencieux.

La même année, j´ai été à Paris une huitaine de jours pour les fêtes de Noël et du nouvel An. Je me souvenais de ma déception de Tromsø et décidai de montrer à ma compagne ce qu´était un vrai Planétarium.  Mon émotion était grande en entrant dans la salle car j´avais en mémoire les souvenirs de ma petite enfance. C´était bien la même salle ronde, les mêmes fauteuils confortables et profonds, et les mêmes silhouettes des monuments de Paris se découpant sur la voûte. Et bien sûr, au milieu, placé sur une petite estrade entourée d´un pupitre de bois où l´on pouvait poser les notes d´un manuscrit, le même appareil à deux boules. Ce n´était évidemment pas le même homme qui parlait. J´ai vu un ciel, j´ai vu des étoiles, mais le commentaire était insipide et vantait les mérites d´un astronome totalement inconnu d´avant la Révolution française, et précurseur, disait-on, de l´astronomie moderne. A la fin de la séance, ce n´était évidemment pas du Wagner.

Je ne suis jamais, depuis cette année-là, retourné au Planétarium du Palais de la Découverte de Paris

 

Repost0
19 septembre 2006 2 19 /09 /septembre /2006 03:55

Le Jardin d´Acclimatation est à la fois un zoo, un parc d´attractions et un parc de jeux pour jeunes enfants. Il fait partie du Bois de Boulogne et est à cheval sur le XVIe arrondissement de Paris et la commune de Neuilly. Lorsque j´étais tout petit j´y allais accompagné. Nous descendions à la station de métro Les Sablons et nous prenions un petit train qui nous amenait jusqu´à l´entrée du jardin.

Prendre le petit train était toujours une immense joie. On attendait, impatient et plein d´attente. Il faut dire qu´il y avait toujours la queue. On ne pouvait donc pas prendre place tout de suite. Le petit train entrait sur une aire faisant un cercle, sifflait ( ou était-ce une cloche que le conducteur faisait tinter ?) et s´arrêtait pour prendre les voyageurs que nous allions être. Deux types de places avaient ma préférence: soit tout à fait devant, soit tout à fait derrière. Devant, je voyais la locomotive, le conducteur et les manoeuvres qu´il faisait. Derrière, au dernier rang, je pouvais voir des enfants de 10 ou 12 ans, presque uniquement des garcons, courir derrière le dernier wagon du train qui traversait le bois et monter en marche. Ils éveillaient mon admiration ! Je voyais bien quelques désapprobations dans le regard des parents assis à côté de moi, mais je n´en avais cure.  Devenu plus grand, quand j´allais seul au Jardin d´Acclimentation, j´ai  moi-même souvent pris le petit train en marche. C´était bien un peu dangereux, mais je n´ai jamais été victime ou témoin d´un accident. C´était évidemment de la resquille. Il fallait donc aussi descendre en marche avant l´arrêt du petit train devant l´entrée payante du jardin. C´était une manière de montrer son agilité et sa débrouillardise.

Les guichets une fois passés, on arrivait dans une espèce d´esplanade qu´il fallait traverser. Puis nous arrivions aux premières cages d´animaux. C´était des singes ! Il était interdit de leur donner à manger. Mais ce n´était guère respecté. C´était en tout un bon moyen de les faire s´approcher de nous. Ils faisaient des grimaces, remuaient leurs lèvres, et prenaient ou non dans leurs mains ce que nous leur tendions. Les singes du fond de la cage pouvaient ou non sauter d´une branche à l´autre des arbres installés là. Les spectateurs étaient toujours assez nombreux et il fallait attendre un peu pour se retrouver au premier rang devant la grille. Il n´y a qu´une chose que je n´aimais pas : c´était de voir leurs petits culs roses qu´ils nous montraient lorsqu´ils s´éloignaient du devant de la cage.

Il y avait toujours beaucoup moins de monde devant les volières. Je me souviens surtout des perroquets de toutes les couleurs et des paons qui faisaient la roue. Il y avait aussi une aire avec des ours bruns. Ce n´était pas une cage, mais un plan d´eau aménagé de rochers. Ils pouvaient donc se baigner, nager, et remuer de tout leur corps lorsqu´ils sortaient de l´eau. Ils étaient beaucoup photographiés, surtout lorsqu´ils se dressaient sur leurs pattes de derrière. Je me souviens avoir participé à un petit concours de photos quand je devais avoir 12 ou 13 ans. Des questions étaient posées sous forme d´énigmes et la "bonne" photo était celle qui "illustrait" la solution de l´énigme. Je n´avais résolu qu´une seule énigme et c´était justement celle où il fallait photographier un ours dressé sur ses pattes arrières. La plupart des autres photos que j´avais prises n´avaient aucun rapport avec le thème général du concours et je me souviens fort bien que le photagraphe qui avait développé la pellicule était très mécontent.

Je me souviens aussi d´une "rivière enchantée". Là aussi il fallait faire la queue. La rivière serpentait à travers quelques arbres et un paysage légèrement colliné se déroulait lentement au fur et à mesure que le bateau s´avancait. Seul, je négligeais généralement cette attraction. Je me souviens beaucoup plus du labyrinthe et des glaces déformantes. Les glaces du labyrinthe étaient tellement propres qu´il arrivait quelquefois de se heurter le nez contre elles. J´ai vu plus d´une fois des adultes marcher trop vite et qui devaient rajuster leurs lunettes plus ou moins tordues.Il fallait donc faire demi-tour et trouver le bon chemin. Mais le plus drôle de tout était de se placer devant les glaces déformantes. Le corps devenait tout maigre ou au contraire énorme, la tête défigurée, les yeux exorbités et le front déformé, presque aussi horrible que celui de Frankenstein. On montrait du doigt le voisin et c´était alors l´occasion d´échanger avec lui quelques mots accompagnés de rires complices.

Je me souviens aussi d´une autre attraction essentiellement réservée aux plus grands. Je ne me souviens plus de l´âge limite d´entrée, mais je me souviens qu´il fallait payer alors que les autres attractions, comprises dans le billet d´entrée, pouvaient  être considérés comme gratuites. C´était un genre de karting qui faisait un bruit infernal. On pouvait conduire seul ou à deux. On avait droit à plusieurs tours. Le circuit était sinueux mais pas dangereux. Il y avait essentiellement de grandes courbes mais certains virages étaient plus brusques que d´autres. Il fallait donc ralentir pour les passer sans encombre, mais pas trop cependant car alors on se faisait dépasser. Nous avions vraiment l´impression d´être de vrais pilotes de courses !

Je me souviens aussi du circuit beaucoup plus calme de la prévention routière. Il était dirigé par des agents de police en uniforme. On prenait son vélo, on suivait le circuit et il fallait évidemment respecter le code de la route, tendre le bras quand on devait tourner et s´arrêter au "Stop" en mettant pied à terre. Faisant seul du vélo dans Paris, je recevais souvent les félicitations des agents de police. Je n´étais pas peu fier !

Et puis, on arrivait au bout du jardin qui était une immense aire de jeux avec des tobogans plus ou moins longs avec ou sans bosses, des torniquets assez dangereux qui donnaient le tournis, des agrès, des barres parallèles, des anneaux . Je ne me souviens pas s´il y avait des barres fixes. Il y avait aussi des éléphants, des dromadaires et des poneys sur lesquels on pouvait monter. Il fallait payer. Les dromadaires pliaient leurs pattes de devant, mettaient leurs genoux à terre et je grimpais sur leur dos, m´agrippant aux poils qu´ils avaient sur le cou. Je ne me souviens pas comment je montais sur les dos des éléphants. Je dédaignais les poneys, ceux-ci étants réservés aux tout petits....Il y avait aussi des chèvres en semi liberté. Je me souviens qu´un jour j´ai essayé de leur donner à manger. J´avais avec moi un goûter, un "quatre-heures" comme j´entendais souvent dire à la maison. Je confectionnais des petits morceaux de pain et je les mettais devant le museau des chèvres. Elles s´approchaient , reniflaient, bavaient sur mon morceau de pain mais ne mangeaient rien et s´éloignaient, dédaigneuses. J´ai fini par manger moi-même ces bouchées de pain, dépité, sans le moins du monde me rendre compte du peu d´hygiène de la situation. J ´ai souvent entendu ma mère me raconter cette anecdote.

C´est sur cette même partie du jardin que se trouvaient des tobogans avec ou sans bosse, des tourniquets assez dangeureux qui donnaient le tournis, des agrès, des barres parallèles, des anneaux. Je ne me rappelle pas s´il y avait des barres fixes. C´est ainsi que je mesurais ma force à celle des autres garcons plus âgés que moi. Peu de filles s´y aventuraient.

Mais le plus attrayant de cette extrémité du jardin, c´était le théâtre de guignol ! Il y avait deux ou trois séances par après-midi. Il y avait toujours beaucoup de monde et c´était gratuit. Il fallait arriver de bonne heure pour avoir une bonne place et être placé devant , face à la scène. Je m´asseyais, entouré de garcons et de filles de mon âge, ou plus jeunes ou plus vieux, et j´attendais le début de la séance, impatient..Il fallait s´asseoir sur des bancs de bois inconfortables alignés les uns derrière les autres, posés sur du sable. C´était assez instable. Je me tortillais continuellement pour trouver une meilleure position, mais mes efforts étaient de plus en plus défectueux au cours de l´attente. Je sortais toujours de là les fesses violacées et meurtries. Mais enfin, le spectacle commencait. ! On entendait trois coups de baton, le rideau bougeait et guignol apparaissait, un baton à la main. C´était des hurlements à n´en plus finir à chacune de ses apparitions. Il poursuivait d´autres marionnettes à figure rose papier mâché et frappait continuellement de son long baton noir ou gris.Ce n´était que joie. Mais le plus excitant, c´était le loup qui poursuivait le petit chaperon rouge. Elle arrivait lentement, insouciante et nonchalante.Le loup, au contraire, arrivait sournoisement. Nous hurlions de tous nos poumons pour la prévenir, mais elle n´entendait rien. On hurlait de plus belle. Elle finissait par se retourner, mais le loup était justement parti. Elle cueillait des fleurs, remplissait son petit panier,et nous recommencions à hurler. - "Plus fort ! Je n´entends rien !" disait une voix derrière la scène. Et nous cherchions alors à crier encore plus fort. Et puis c´était la fin. Nous sortions en désordre et d´autres enfants se précipitaient déjà pour prendre les meilleures places. C´est l´une des rares histoires que je me souvienne avoir entendue au chevet de mon lit, lue par ma soeur ou ma mère avant de m´endormir.

Adulte, je me souviens avoir emmené mon fils aîné de 3 ou 4 ans au Jardin d´Acclimatation. Nous sommes sortis à la fermuture, à 6 ou 7 heures du soir. Il s´est mis à pleurer, ne voulant pas partir. J´ai essayé de le consoler comme j´ai pu, lui affirmant qu´on reviendrait, que le jardin était fermé, qu´il fallait rentrer chez Mammy, qu´il se faisait tard. Rien n´y faisait. Au métro Sablons, il pleurait toujours. Je ne disais plus rien, irrité. Les gens arrivaient un à un sur le quai du métro, regardait mon fils qui pleurait à chaudes larmes à quelques mètres de moi, me regardaient et commencaient à se demander - c´est du moins ainsi que j´interprétais leurs regards - quel était ce père qui laissait son fils pleurer et crier sans réagir ..., - quand je finis par dire, d´une voix suffisamment haute pour me faire entendre de tout le monde : -" Mais on reviendra au Jardin d´Acclimatation !" Je vis des sourires s´esquisser, mon fils me regarder en coin. Le métro arriva et mon fils s´est tu.

Je me souviens que Georges Perec a écrit Je me souviens.

Je me souviens avec attendrissement du Jardin d´Acclimatation.

  

Repost0
18 septembre 2006 1 18 /09 /septembre /2006 05:21

Le premier souvenir que j´ai du Bois de Boulogne est extrêmement confus, et il fait partie de l´un de mes tout premier souvenir de Paris.

J´ai tout au plus trois ou quatre ans et je suis accompagné de ma soeur et d´un homme jeune que j´ai considéré à l´époque comme un grand frère. Il s´appelait Charles G. Je ne me souviens plus du tout comment je suis allé au bois. Etait-ce en métro ? Etait-ce en voiture ? Il me semble que c´était à pied, mais j´en doute, car le chemin jusqu´au bois est long. Toujours est-il que le suis au bois. Je cours, on me poursuit, je me cache derrière un arbre, je joue à cache-cache. Des petits chiens ou des chiens un peu plus gros courent aussi autour de moi et je n´ai pas peur. Il fait beau et doux. Ma soeur et Charles se sourient. Ils me sourient aussi et je suis heureux. Le jeu de cache-cache se poursuit, je cours un peu plus loin et patatras ! je glisse et me retrouve par terre, la jambe et ma petite culotte couvertes de feuilles et de merde ! On me lave comme on peut, on me console, mais la journée est gâchée; pas tout à fait cependant , car pendant le chemin de retour, on  trouve un petit chat. Charles et ma soeur essayaient de savoir à qui appartient ce petit chat, mais personne ne le sait. Ils le prennenet avec eux, et nous avons gardé, ma mère, ma soeur et moi ce petit chat plusieurs années.Il est rapidement devenu un gros chat gris. Il s´appelait Bouby. Un beau jour il n´y eut plus de chat à la maison. Je n´ai jamais su ce qu´on a fait de lui.

Plus grand j´allais souvent au bois de Boulogne. Je pouvais y aller à pied, en métro ou à vélo, seul ou accompagné. Quand j´étais encore petit, j´y allais surtout le dimanche après-midi. Je jouais à la balle ou au ballon, courais, faisais du vélo. Je pouvais ainsi jouer avec des petits garcons ou des petites filles de mon âge. Quand j´avais soif, je buvais de l´eau à des fontaines qui se trouvaient là. Il y avait sur le dessus de la fontaine un gros poussoir rond qu´il fallait appuyer pour faire sortir l´eau d´un petit robinet gris blanc. J´appuyais d´une main, me courbais et placais la bouche contre le robinet qui avait un drôle de goût, mais l´eau était fraîche et désaltérante. Ma mère me raconta un jour qu´un petit garcon était mort en buvant de cette eau. Il allait aussi souvent au bois accompagné de sa mère qui emportait toujours avec elle un petite bouteille d´eau minérale. Il alla un jour seul au bois et fit comme ses camarades quand il eut soif : il but de l´eau de la fontaine qu´il ne supporta pas. Heureusement, disait ma mère, j´étais plus "aguerri".   

Il y a à l´intérieur du bois un lac sur lequel on peut faire du canotage. C´est un lieu traditionnel de promenades pour les familles le dimanche. Il y avait toujours beaucoup de monde désireux de louer une barque. Il fallait faire la queue longtemps. On payait à l´heure et on pouvait prendre deux ou trois de suite. Je n´ai jamais pris de barque seul. Petit j´y allais avec ma soeur et ma mère, mais elles s´épuisaient vite à ramer. Quand j´y allais avec des camarades, j´ y allais plutôt le dimanche matin. Il y avait moins de monde et donc moins de queue. 

Le lycée dans lequel j´allais, qui avait des petites classes et des classes primaires du "premier cycle" (si je me souviens bien, on parlait ainsi des classes de 6e et 5e), était tout près du Bois de Boulogne.  On pouvait y aller certains après-midis quand il faisait beau. Ces après-midis s´appelaient  "journées de plein air". On sortait par la petite porte du lycée, en rangs deux par deux et on remontait toute l´Avenue Georges Mandel, traversait la Place de la Muette, le Boulevard Lannes, et on arrivait enfin au bois. Ces sorties étaient toujours populaires. On jouait généralement au football. Le professeur emportait avec lui plusieurs ballons mis dans un filet. Quand on avait soif, les garcons buvaient généralement à la fontaine, mais les filles s´abstenaient. Il y avait un seul problème et c´était le problème de douches.On transpirait en retournant au lycée et le maiilot de corps collait à la peau. C´était désagréable. Mais les garcons que nous étions s´en souciaient peu. On revenait fourbis mais contents.

Un de mes camarades habitait Boulevard Lannes.  Il demanda un jour s´il pouvait rentrer directement chez lui après l´après-midi de plein air. Le professeur hésita et finit par dire oui. Mon camarade demanda aussi si je pouvais venir avec lui. Le professeur n´osa pas dire non. C´est ainsi que je connu la mère et le père de ce camarade qui s´appelait Serge V. Son père était d´origine russe et parlait cinq ou six langues. Il avait un fort accent en francais. Il roulait beaucoup les "r" et disait souvent que c´était le francais qu´il parlait le moins bien et qui avait été la langue la plus difficile à apprendre, Il parlait évidemment le russe, mais aussi l´anglais, l´allemand, l´ítalien (si je me souviens bien) et le chinois. Il avait en effet vécu longtemps en Chine et continuait à avoir des relations d´import-export avec la Chine, même si le pays avait réduit ses relations commerciales depuis qu´il était devenu communiste. C´était un homme petit, presque chauve, le crâne un peu rouge et qui aimait faire lui-même et manger du bortsch. C´était fort et délicieux. Il aimait parler et racontait bien. C´était visible que mon camarade le respectait beaucoup.

Sa mère était toute autre. Petite, très maquillée, elle parlait avec autorité d´une voix cassante et admettait rarement la réplique. Elle était toujours très bien habillée et il était évident que les vêtement qu´elle portait étaient des vêtements fort chers. Elle avait sûrement été très belle étant jeune. La peau de son visage était toute fripée quand je l´ai connue.Je la rencontrais souvent car elle s´était associée avec le professeur de gymnastique qui nous emmenait au Bois de Boulogne pour jouer au football. Ce professeur était un Martiniquais café au lait avec un nom de famille à sonorité alsacienne, Monsieur Robert Z. C´était un bel homme. Lui et la mère de mon camarade formaient un couple étrange. Ils avaient fondé une sorte de colonie de vacances et emmenaient avec eux aux vacances de Noël, de février et de Pâques une cinquantaine d´enfants garcons et filles aux sports h´hiver. L´été ils organisaient des stages de tennis en Bretagne. J´y suis allé plusieurs fois et c´est ainsi que Serge V. est devenu mon ami. C´était un élève extrêmement brillant, excellent en tout. Il a été présenté à plusieurs épreuves au Concours général. Il recut plusieurs prix et un accessit, dont le 1er prix de thème latin si mes souvenirs sont bons. Je pouvais voir le Bois de Boulogne du cinquième étage de son appartement et je l´enviais beaucoup. Il fit plus tard Polytechnique, devint marxiste-léniniste enragé et je le perdis de vue.

A la même époque, j´eus un autre camarade qui habitait à deux pas du Bois de Boulogne, Rue de la Tour pour être précis. J´ai oublié son prénom, mais son nom prétait à rire. On faisait régulièrement un jeu de mot très facile avec son nom en l´appelant  "tête de turc". Son appartement était tout en longueur et sa chambre était, comme la mienne, située au fond de l´appartement. C´est avec lui que j´appris à développer des photos en noir et blanc. Il utilisait une marque que je ne connaissais pas, mais que j´appris à connaître, Ildford. Il avait un appareil de photos beaucoup plus avancé que le mien. On prenait des photos d´arbres, on allait au bord du lac et on prenait des photos de canards, de cygnes ou  de personnes en train de ramer sur le lac. On développait ensuite les photos dans un petit réduit aménagé pour cela. Son père avait un poste élevé à Air France et était un passionné de moteurs. Je suis allé plusieurs fois avec lui voir des courses automobiles, notamment à Montléry. La femme qui vivait avec son père n´était pas sa mère, mais sa belle mère. C´était une très grande femme très blonde et beaucoup plus jeune que son père. Elle demandait à sa bonne, qui était espagnole, d´aller acheter por elle des journaux faciles à lire comme "Ici Paris". Mon camarade, lui, avait commencé à lire Voyage au bout de la nuit, de Céline, et me dit que c´était quelque chose de prodigieux qui n´avait rien a voir avec la littérature qu´on pouvait lire au lycée. Je n´ai pas essayé de le lire. Enfant, je n´étais pas lecteur.Comme Serg V. , je l´ai perdu de vue, un an ou deux avant la 1ère partie du Baccalauréat. Il avait choisi une autre section que la mienne.

Dans ma petite enfance, le Bois de Boulogne a toujours été pour moi un havre de paix.

 

 

Repost0
17 septembre 2006 7 17 /09 /septembre /2006 04:56

C´était Noël et je devais avoir 5 ans et demi ou 6 ans et demi. J´étais très impatient car j´avais dicté à ma mère une lettre destinée au Père Noël. Je désirais entre autres choses un train électrique. Je passais souvent devant le magasin de jouets de l´Avenue Emile Zola et c´était toujours avec envie et admiration que je voyais le petit train de la vitrine tourner indéfiniment avec sa petite locomotive et tous ses wagons accrochés l´un derrière l´autre. Il s´arrêtait parfois à un passage à niveau et une petite lampe rouge s´allumait. J´étais fasciné ! Le jour de Noël arrive enfin. C´était donc le 25 décembre au matin. Je vais dans la chambre de ma mère où il y avait une cheminée dans laquelle on ne faisait jamais de feu. Nous avions en effet dans la cuisine une chaudìère que l´on remplissait de charbon pour chauffer tout l´appartement. Je vois bien près de la cheminée une grand boîte, mais ce qui attire mon attention, c´est un vélo ! Il était en partie installé dans l´âtre de la cheminée; la roue arrière en sortait. Incrédule, je m´approche et demande à ma mère et à ma soeur comment le Père Noël a pu faire pour glisser dans le trou de la cheminée le vélo tout entier. Des explications s´ensuivent auxquelles je ne comprends rien. Je regarde le trou, je regarde le vélo.... On finit par détourner mon attention en me faisant remarquer qu´il y a un paquet que je n´ai pas encore ouvert. Je l´ouvre mais je pense toujours au vélo et au trou de la cheminée. C´était un train mécanique. Il y avait une locomotive avec un petit trou sur le côté droit. On la remontait à l´aide d´une clef de métal que l´on mettait dans le trou. Le train pouvait tourner quelques tours en tirant poussivement quelques wagons et s´arrêtait. Il fallait à nouveau remonter le mécanisme de la locomotive avec la petite clef. J´étais bien un peu déçu, mais le Père Noël m´avait apporté un vélo....Ce n´était pas rien !

 La matinée s´avance et je demande si je peux descendre dans la rue pour jouer. Il était rare que l´on me dise non. Je descends donc. Je rencontre un ou deux petits camarades et nous parlons des jouets que nous avons reçus. Tout fier, j´explique que le Père Noël m´a apporté un vélo. - "L e Père Noël n´existe pas !" s´exclame l´un de mes petits camarades. Je reste incrédule, essaye d´argumenter et finis par accepter ce qu´ils ne font que répéter : "Le Père Noël n´existe pas ! C´est une invention des parents !".... Je pars alors en courant, monte quatre à quatre les deux étages de mon immeuble, et demande, furieux, si c´est vrai que le Père Noël n´existe pas. Embarrassé, on finit par me dire que c´est vrai. Je me précipite alors sur mon train mécanique toujours installé sur le plancher, saisis avec rage la locomotive et la jette de toutes mes forces sur le sol en hurlant : - "Tu m´as menti ! Tu savais bien, toi, que je voulais un train électrique!" On me rappela souvent cette rage. Je n´étais pas très fier. La locomotive était brisée, et je crois bien n´avoir plus jamais essayé de jouer enfant au petit train. 

Mais j´appris très vite à faire du vélo ! Il me suffit de deux ou trois après-midi pour savoir en faire. Nous allions ma mère, ma soeur et moi au Champ de Mars à pied en tenant le vélo par le guidon. C´est ma soeur qui tenait de sa main le porte-bagages placé à l´arrière du vélo et qui maintenait mon équilibre. Je n´ai jamais eu de stabilisateur aux deux roues arrières du vélo. Ma mère me regardait, debout pas très loin, ou assise sur un banc.

 A un bout du Champ de Mars se trouvait l´Ecole Militaire et à l´autre bout La Tour Eiffel. Les allées sont spacieuses, les arbres magnifiques, les bosquets d´arbustes nombreux et les pelouses très bien entretenues. De petits écriteaux portant l´inscription "Pelouse interdite" étaient bien plantés sur chaque pelouse, mais personne ne disait jamais rien si quelqu´un marchait dessus et je n´ai jamais entendu de gardien siffler comme un forcené dans son sifflet pour exiger aux contrevenants de quitter la pelouse. Adulte, j´ai souvent dit à mes divers amis et collègues que j´avais appris à marcher et à faire du vélo sous la Tour Eiffel. Ce n´est pas tout à fait vrai, mais ce n´est pas vraiment faux non plus. Je pouvais faire du vélo à loisir dans toutes les allées caillouteuses du parc et c´est avec frénésie que je m´élançais à toute vitesse pour freiner brusquement et laisser derrière moi une longue trainée de terre brune. Je pouvais rencontrer d´autres enfants et nous faisions souvent la course. Je dépensais ainsi mon trop plein d´énergie, comme pouvait dire ma mère.

Il y avait aussi dans le Champ de Mars un petit manège de chevaux de bois où l´on m´emmenait souvent. Il y avait toujours la queue. Il fallait attendre sagement les uns derrière les autres, une piècette à la main. Le manège s´arrêtait, les garcons et les filles devant s´avancaient, les premiers montaient sur un petit cheval et le manège repartait. C´était délicieux d´attendre son tour ! Quand mon tour arrivait, je recevais un petit bâton, et le jeu consistait à décrocher à chaque tour un petit anneau qui se trouvait au-dessus de nos têtes. Celui ou celle qui avait réussi à enfiler le plus grand nombre d´anneaux autour de son bâton recevait un petit cadeau. Je ne me lassais jamais de ce manège. Je n´étais pas peu fier quand c´était moi qui gagnais ! 

C´est aussi au Champ de Mars que je faisais du patin à roulettes. Une allée plus large que les autres était spécialement aménagée pour ça. La chaussée était goudronnée, d´une couleur grise mouchetée de blanc. A chaque extrémité de l´allée se trouvait une barrière basse peinte en partie en rouge qui empêchait les voitures de passer. J´y allais souvent , d´abord accompagné, puis seul. C´est là que je passais une grande partie de mes jeudis après-midi quand je n´avais pas d´école; - ou de mes dimanches. On pouvait aussi faire du vélo, mais la piste était trop petite, et c´est à partir du Champ de Mars, si mes souvenirs sont bons, que j´ai commencé à faire tout seul du vélo dans Paris. Les voisins et les commerçants de la rue où j´habitais traitaient ma mère d´inconsciente. Elle était bien inquiète, mais elle me laissait faire, car elle savait désormais que malgré son interdiction je l´aurais fait quand même. C´est ainsi que j´appris peu à peu à "explorer" Paris, d´abord le XVe arrondissement où j´habitais, puis le XVIe où j´allais à l´école; et plus tard encore dans les autres arrondissements de Paris. C´est ainsi que j´allais souvent faire du patin à roulettes sur l`esplanade du Trocadéro d´où l´on découvre en enfilade la Tour Eiffel et tout le Champ de Mars.  A vrai dire c´était interdit d´en faire, mais il y avait rarement des gardiens pour nous en empêcher. Et puis, l´esplanade était toujours pleine de curieux et de touristes provinciaux et étrangers qui nous regardaient. Le jeu consistait à aller le plus vite possible, passer entre les passants sans les heurter et à sauter les quelques marches qui se trouvent là. Quand je suis à Paris avec des étrangers qui ne connaissent pas Paris, je ne manque jamais de leur montrer la Tour Eiffel du haut de cette esplanade. Il y a toujours autant d´enfants, d´adolescents et même de jeunes adultes des deux sexes drôlement habillés qui sautent les quelques marches de l´esplanade, mais ce n´est plus en patins à roulettes. Ils utilisent des skateboards ou des rollers. C´est beaucoup plus moderne, mais c´est finalement la même chose ! Paris change beaucoup, mais certains lieux sont toujours aussi fréquentés et animés qu´autrefois.Cela permet de ne pas être trop perdu devant l´éternel changement.

 

Repost0
16 septembre 2006 6 16 /09 /septembre /2006 04:21

La première fois que j´ai pris le métro tout seul, je devais avoir cinq ans et demi ou six ans. Je se savais pas lire mais je pouvais reconnaître certaines lettres. Je suis parti de la maison sans rien dire. J´ai oublié la direction que j´ai prise mais il y avait un changement. A mon retour je me suis trompé. J´ai vu en lisant les lettres de la station dans laquelle le métro arrivait que c´était une mauvaise direction. Je suis descendu et ai pris le sens inverse, sans demander l´aide de personne. Une fois revenu à la maison, j´expliquai où j´étais allé. J´avais longtemps été absent  et ma mère s´était inquiétée. Je racontai mal, m´embrouillai. J´étais très fier de moi mais n´arrivais pas à exprimer ce que je ressentais. Au cours de mon enfance et plus tard à l´âge adulte, ma mère est souvent revenu sur cet "exploit" en citant invariablement une phrase que je ne me souviens pas avoir dite : - "Je m´as gourré !". Je n´ajoutais jamais rien au récit qu´elle faisait, mais cette phrase m´énervait toujours car elle mettait en évidence qu´enfant., je n´ai jamais su m´expliquer correctement. J´avais toujours trop de choses à dire. Les mots sortaient difficilement de ma bouche. Je finis par me taire, gardant pour moi mes impressions toujours vives. 

Pour aller au lycée - qui avait des "petites classes" - je devais prendre le métro. Ma mère m´avait en effet inscrit dans un établissement prestigieux du XVIe arrondissement de Paris et non dans une école de garçons tout près de chez nous. Pour y aller, je pouvais prendre deux directions. Le matin, je prenais le chemin le plus court. Je montais à la station Charles Michels, prenait la direction Porte d´Auteuil, et changeais à la station Michel Ange Auteuil. Je descendais souvent du wagon alors que le métro n´était pas encore arrêté. Je courais, prenais une nouvelle direction et descendais à la station Rue de la Pompe. De chez moi, je pouvais aussi prende la direction inverse. Le trajet était plus long mais plus agréable. C´est ce trajet que je prenais généralement quand j´avais plus de temps devant moi ou que c´était l´après midi. Il fallait changer deux fois. Je prenais la direction Austerlitz, changeais à la station La Motte-Piquet- Grenelle. Le métro devenait alors aérein. A la station Bir-Hakem, il traversait la Seine sur le Pont de Bir-Hakem. Selon l´endroit où je me trouvais dans le wagon, je pouvais voir La Tour Eiffel dans le ciel de Paris ou l´Allée aux cygnes.  A la station Trocadéro, je pouvais descendre et continuer à pied jusqu´à mon lycée en remontant l´Avenue Georges Mandel ou prendre une nouvelle direction vers L´Etoile pour descendre à nouveau à la station Rue de la Pompe.

Aux heures d´affluence, quand le métro était bondé, je pouvais être tout près du corps d´une autre personne. Je n´aimais pas trop ça. J´avais la tête au mlieu de la poitrine de l´adulte, et je respirais mal. Pour me distraire, je pris une drôle d´habitude. Je tournais le plus doucement possible les boutons des manteaux des femmes pour les détacher, et les mettais dans ma poche. Pendant que je tournais les boutons autour de leur fil, je regardai les femmes d´un air innocent, et elles me souriaient, attendries. Quand j´avais dans la poche plusieurs des ces boutons disparates, je finissais par les jeter n´importe où, tout simplement. Je n´ai jamais été pris. J´ai fini par perdre cette habitude imbécile. Je n´ai  jamais vraiment  compris pourquoi je l´avais commencée.

Un jour que j´allais chez un camarade de classe qui habitait dans le XVIe arrondissement, un homme assez jeune et très grand se placa tout contre moi en me regardant intensément dans les yeux . Il voulait me montrer son "father". Il répéta plusieurs fois ce mot en me serrant toujours de très près. Je finis par comprendre qu´il voulait me montrer son sexe. Le métro arrivait au Pont Bir-Hakem. Je vis la Tour Eiffel s´éloigner peu à peu, je me contorsionnais pour me dégager de son étreinte, lançais des regards éperdus à deux ou trois femmes qui se trouvaient dans la voiture en espérant qu´elles allaient comprendre la situation où je me trouvais et intervenir, mais rien ne se passa. Le métro s´arrêta à la station Passy. Deux des trois femmes que j´avaient suppliées du regard descendirent en me regardant d´un drôle d´air et sans aucune preuve valable que ce soit, j´interprétai leur descente comme une lâcheté. Voyant ma réticence, l´homme finit par se lasser et descendit à je ne sais plus quelle station. J´arrivai fort troublé chez mon camarade. Sa mère s´en aperçut et écouta mon récit sans grands commentaires. Le soir, de retour à la maison, je racontai à nouveau ce qui s´était passé. Ma mère ne put s´empêcher de s´exclamer "Salaud !" Je n´ai jamais su si ce mot désignait l´homme qui cherchait à m´emmener avec lui ou les gens du wagon qui n´étaient pas intervenus. A part le mot  "Et merde !" que ma mère transformait généralement en "mer...credi !" quand elle faisait tomber un oeuf dans la cuisine ou n´arrivait pas à enfiler du fil dans une aiguille, elle ne jurait jamais. C´est l´une des rares fois où je l´ai entendue dire un juron devant moi.  

 Il y avait dans ma classe une petite camarade que j´aimais bien. Elle s´appelais Evelyne L. et habitait également le XVIe arrondissement. J´allais souvent chez elle. Elle habitait dans un appartement plus grand que le mien, et comme chez moi, elle vivait seule avec sa mère. Je ne crois pas que son père était décédé, mais il n´y avait pas d´homme chez elle. Elle avait une grande chambre où nous jouions souvent à nous battre sur le lit ! J´éprouvais des sensations étranges qui étaient nouvelles pour moi. Un jour que j´étais avec elle dans le métro, je vis un homme sortir de la station Rue de la Pompe, la braguette ouverte qui triturait un sexe dressé. - "T´as vu ? " Elle me répondit  "Oui !", sans autres commentaires. Je racontai le soir cette aventure à ma mère. Elle commenta mon récit d´une réplique que je trouvai étrange.  "J´espère que tu as protégé ta petite camarade !" Je la regardai, étonné. La protéger de quoi ? L´homme s´était enfui en nous voyant et nous avions poursuivi notre route sans rien dire. Ma camarade et moi n´avons jamais évoqué entre nous cet épisode sordide.  C´était la première fois que je voyais un sexe en érection.

Une autre fois, mais j´étais déjà plus âgé, un homme entre quarante et cinquante ans se mit à me tripoter les couilles. Je me trouvais du côté de la gare Saint Lazare. Il était entre 6 heures et 7 heures du soir et le métro plein à craquer. J´essayais en vain de me dégager mais il me tenait fermement d´un des ses bras pour m´empêcher de bouger et continuait de son autre main à me malaxer le sexe. Je n´éprouvais absolument aucune sensation et décidai de le laisser faire. Je descendis à la station suivante en haussant les épaules et le regardai en essayant de donner à mon regard un air le plus méprisant possible.  

Une autre fois encore, mon sexe se trouva bloqué dans la raie des fesses d´une femme assez jeune. Je me mis à bander. La femme bougea pour se dégager, mais je me mis à bander encore plus. Je me mis à ricaner, sans bouger, mais sans chercher non plus à me dégager. Elle chercha à tourner la tête, me regarda en coin, et esquissa un très léger sourire amusé. Le métro entra dans la station suivante, et chacun changea de place en regardant autre chose. Mais la sensation que j´avais éprouvée n´avait pas été désagréable.

Un autre jour encore, alors que je sortais du métro une fin d´après midi pour rentrer chez moi, je vis des CRS armés de mitraillettes qui barraient la sortie. C´était pendant la guerre d´Algérie. Paris était alors secouée par des attentats revendiqués par le FLN ou l´OAS. Les CRS en armes arrêtaient toutes les personnes qui arrivaient et les fouillaient sans ménagement. Ils me virent arriver, hésitèrent, mais me laissèrent passer. Quelques mois plus tard, il y eut un nouveau contrôle. Je ralentis le pas, allais passer sans m´arrêter, mais je vis qu´ils hésitaient. Ils échangérent entre eux un furtif clin d´oeil et le CRS placé de mon côté pointa le canon de sa mitraillette contre ma poitrine. Il me donna l´ordre d´ouvrir mon cartable. Je m´exécutai, légèrment tremblant, et montrai des cahiers et des livres de classe que mon cartable contenait.

Je compris ce jour là que je n´étais plus un enfant. Dans les yeux des adultes, j´étais devenu un adolescent qui pouvais militer pour l´OAS.

Repost0
15 septembre 2006 5 15 /09 /septembre /2006 06:47

De la Rue Linois, qui donnait sur la Place Charles Michels, je me souviens surtout du cabinet du Docteur Lemeur. ll était situé au deuxième ou troisième étage d´un petit immeuble à côté d´une boulangerie. La salle d´attente était toujours pleine et il fallait attendre longtemps. Il y avait des magazines bizarres tout écornés que je feuilletais. Je me souviens en particulier de l´un d´eux qui s´appelait "Le Chasseur francais". On y voyait surtout des hommes habillés en chasseur, un fusil à la main, et presque toujours accompagné d´un chien. Les patients et malades étaient tous des petites gens du quartier qui attendaient leur tour sans parler. Les uns lisaient un magazine, d´autres non. Ils toussaient, se mouchaient, râclaient leur gorge, changeaient de position, mal assis sur leur chaise. On entendait une porte s´ouvrir, la voix d´un homme ou d´une femme qui disait "Au revoir Docteur", puis une porte se fermer. Une petite femme assez âgée entrait alors dans la salle d´attente et disait " au suivant". Elle pouvait parfois appeler un patient par son nom. C´était toujours le cas de ma mère. Le médecin était grand, souriant et savait me mettre en confiance. Il me demandait de me mettre torse nu et m´auscultait de son stéthoscope froid. Il rassurait ma mère et lui remettait une feuille d´ordonnance. C´était fini ! J´aimais moins quand il venait en visite à la maison, car alors j´étais vraiment malade, couché, les yeux rouges et la gorge brûlante. Il venait surtout le soir, était toujours pressé et parlait alors fort peu.

La Rue Emériau était perpendiculaire à la Rue Beaugrenelle où j´habitais et la Rue Linois. Je me souviens surtout d´un petit immeuble désuet qui faisait dancing le samedi soir. Il y avait à l´entrée un ou deux arbres rabougris. Il faisait aussi hôtel. Pour attirer le client éventuel une plaque précisait : "eau courante à tous les étages". Il a été remplacé beaucoup plus tard par un immense gratte-ciel de trente ou quarante étages qui abritait au rez-de-chaussée un grand magazin d´alimentation où l´on pouvait acheter des plats tout faits inconnus du temps de mon enfance, comme par exemple du saumon ou du caviar. Ma mère, alors âgée et vivant seule, y allait souvent. Cela lui évitait de faire la cuisine.

L´Avenue Emile Zola traversait de part en part la Place Charles Michels. De la partie qui allait vers la Seine, je ne me souviens bien que d´une chose, même si je n´y suis allé qu´une seule fois. C´était un patronnage. J´étais accompagné d´un petit camarade qui avait pris l´initiative de m´enmener là. Il pousse une porte de bois, entre dans une cour. Un prêtre habillé d´une soutane s´approche de nous et déclare d´un air jovial en me tendant la main ."Voilà une tête que je ne connais pas". Je lui prends poliment la main et lui réponds : "Bonjour monsieur !". Je ne suis jamais revenu.

La partie de l´Avenue Emile Zola qui allait vers la Rue du Commerce et  La Motte Piquet était plus attrayante. Les immeubles étaient légèrement plus cossus que le mien, il y avait quelques hôtels et des boutiques peu ordinaires. L´une d´elle était tenue par un Arabe qui vendait toutes sortes de produits inconnus de moi, mais il vendait aussi des bonbons et des friandises ou confiseries diverses dont des loukoums. Ils étaient exposés dans la vitrine et me tentaient toujours. J´en achetais souvent. Ils étaient jaunes, ocres, verts et tous entourés de sucre en poudre très fine et blanche qui collait aux doigts et à la bouche. C´était très sucré et un peu pâteux. C´est là que je rencontrais aussi parfois un marchand de tapis. Il était grand , corpulant, habillé à l´arabe et portait sur une de ses épaules plusieurs tapis rouges et noirs qui lui descendaient jusqu´aux pieds chaussés de babouches. Il portait sur la tête une chéchia. Il n´arrêtait pas les passants mais disait régulièrement, en frottant entre le pouce et l´index le tissu du tapis de dessus pour attirer le regard de l´homme ou de la femme qui venait vers lui :"Pas cher mon z`ami, moitié prix" . Je n´ai jamais vu quelqu´un lui acheter quelque chose..

Presqu´en face se tenait un magasin qui sentait le caoutchouc et la colle quand on y entrait. C´était un réparateur de vélos ancien coureur cycliste. Son échoppe était d´un fouillis indescriptible. Il y avait des roues de vélos partout posées les unes contre les autres, des pneus, des chambres à air et des vélos de toutes tailles suspendus au plafond. Quand j´y allais c´était pour acheter des rustines et de la colle. Quand il fallait réparer un frein ou remplacer la chaîne, c´était généralement ma mère qui y allait.

 Plus loin se trouvait un magasin de jouets. Le propriétaire et vendeur était un ancien pharmacien qui avait transformé son fond de commerce pour y vendre des jouets. Il y avait dans la devanture un train électrique qui circulait continuellement, des bâteaux à voiles, des boites de modèles réduits et un nombre considérable de petites voitures "Dinky Toys". Je ne les collectionnais pas, mais mes camarades de classe en avaient beaucoup et se les échangeaient. Moi, je collectionnais des boites d´allumettes. Je les collais sur le mur de ma chambre. C´était moins cher.

Presqu´en face du magasin de jouets se trouvait un couvent. Un grand mur gris empêchait de voir la cour  l´intérieure. On entendait parfois un faible son de cloches. Ma soeur y allait quelquefois et le rapportait à ma mère. On lui avait fait croire que si son père - et donc le mien - était mort à la guerre, c´était pour la punir parce que sa famille ne croyait pas en Dieu. Ma mère l´écoutait , haussait les épaules et s´éloignait, dédaigneuse, en faisant la moue.

La Rue de Entrepreneurs commencait à la Place Charles Michels. Sur le trottoir de gauche en direction de la Croix Nivert se tenait un serrurier. Des serrures et des clefs de toutes sortes et de toutes tailles étaient exposées dans sa vitrine ainsi que des cadenas. Il possédait une machine qui faisait un bruit sifflant infernal. C´est chez lui que je pouvais aller pour me faire refaire une clef perdue.

Plus loin se trouvait une station des sapeurs pompiers. Le trottoir était beaucoup plus large à cet endroit-là et il n´était pas rare de voir une une deux voitures de couleur rouge étincellant. Je voyais rarement les pompiers casqués, sauf lorsqu´ils montaient en courant dans une voiture qui partait brusquement en hurlant. Je n´ai jamais désiré être gendarme ou pompier quand je deviendrais grand. Je voulais être clown.

Juste à côté se trouvait un petit square. Ma mère m´a raconté plus d´une fois qu´elle y allait souvent en poussant mon landau. J´y allais moi-même quelques fois. Il était surtout fréquenté de mamans avec des enfants de bas âge ou des persoones très âgées assises sur des bancs qui regardaient les oiseaux et les pigeons picorer ou s´envoler. Il y avait aussi un gardien gigantesque coiffé d´un képi et qui tenait toujours à la main une longue chaîne au bout de la laquelle se tenait un sifflet. Il faisait continuellement avec cette chaîne un nombre invraisemblable de moulinets. Il était strictement interdit de marcher sur les pelouses. Il ne manquait jamais de donner un coup de sifflet strident quand un enfant devait marcher sur la pelouse pour aller chercher une balle ou son ballon. Un jour que j´étais déjà assez grand et seul, je marchai malencontreusement sur le bord de la pelouse. Il était près de moi. Il me prit l´oreille et la tordit violemment en tirant vers le haut. Je ne sais plus ce qu´il me dit. Il finit par me lâcher. Je le regardai droit dans les yeux et dit en m´enfuyant à toutes jambes :"Pauv´e con !"

 Vers le square Saint Lambert, en face du duquel se trouvait le Lycée de filles Camiile Sée, que ma soeur fréquentait, se trouvait l´atelier d´un maréchal ferrant. Ses gestes ne me laissait jamais indifférent. Il prenait calmement la jambe d´un cheval gris pommelé, donnait une ou deux petites tapes qu´il pouvait répéter plusieurs fois, aidait le cheval à plier sa jambe et extirpait du sabot une matière d´un vert sale à l´aide d´une sorte de racloir. Il arrachait ensuite le fer à cheval usé, limait le sabot avec une lime assez longue, puis clouait un nouveau fer en frappant des coups fermes . Le cheval ne bronchait jamais et cela m´étonnait toujours. Mais il fallait partir et je gardais dans les yeux autant la précision de l´homme qui maniait ses outils que le calme du cheval.    

 

 

 

 

   

Repost0
14 septembre 2006 4 14 /09 /septembre /2006 06:18

J´allais très souvent enfant dans la rue Saint Charles qui traversait de part en part  la place Charles Michels. Je sortais de mon immeuble de la rue Beaugrenelle, tournait à droite après de numéro 16, passais devant un café qui faisait le coin et qui était tenu par un ancien boxeur, puis passait devant une boucherie, un petit hôtel au nom d´ Hôtel Beaugrenelle situé au 82 de la rue, traversait la place, pour finalement gagner le trottoir gauche de cette même rue Saint Charles.

 La première boutique était mitoyenne avec l´étalage du marchand de journaux de la place et un immeuble tout ordinaire. C´était une minuscule et étroite boutique mal éclairée, mais une véritable caverne aux trésors de produits fermiers. La tenancière était une femme entre deux âges habillée d´un tablier blanc qui lui descendait au delà des genoux, toujours aimable et très serviable. Elle recevait ses produits de la ferme familiale et notamment des saucissons de toutes sortes et de tous calibres, des jambons dont certains étaient suspendus au plafond, des patés d´oies et de canards, des magrets ou des pilons de volailles baignant dans des bocaux de verre remplis de graisse de couleur jaune mat et fermés par des couvercles de fer blanc, ainsi qu´un assortiment considérable de fromages onctueux de diverses régions. Elle possédait  aussi un grand choix de bouteilles de vins alignées sur des étagères placées sur la droite. Elles vendait également des oeufs frais placés en vrac dans des paniers d´osier posés sur une table près de l´entrée qui empiétait en partie le trottoir de la rue. Sa caisse était placée au fond de la boutique. Elle avait toujours à la main un petit carnet de feuilles blanches auquel était attaché par un bout de ficelle un petit crayon jaune et notait au fur et à mesure des commandes que nous lui faisions les prix de chaque produit. Elle comptait de tête à une vitesse incroyable sans jamais se tromper. Ma mère allait souvent chez elle et vantait la qualité de ses produits. Sa boutique était fermée durant le dimanche par une sorte de tôle tout de ginguois en fer blanc sale, mais c´est fort tard qu´elle fermait sa boutique le soir des jours ouvrables.

Un peu plus loin se trouvait une minuscule maison verte et sale de deux étages légèrement en retrait par rapport à l´alignement des immeubles de la rue. Elle était toujours fermée et je ne voyais jamais personne. C´était une maison de pierre d´un autre âge, genre ancien petit hôtel particulier. Devant se trouvait un  jardin ridicule avec quelques arbustes nains sales et couverts de poussière couleur terre, séparés de la rue par une grille noire mal entretenue. Je ne manquais jamais de me demander qui pouvait bien habiter là. Je passais ensuite devant un magasin de vêtements où il nous est arrivé , ma mère, ma soeur et moi, d´acheter quelques vêtements bon marché, mais ma mère n´aimait généralement pas la finition, ce qui explique que nous y allions rarement ; puis je passais devant une petite boutique qui vendait des culottes roses et blanches de femme, des soutiens gorges, des mouchoirs de toutes les couleurs, ainsi que des robes sans apprêt suspendues à des cintres accrochés maladroitement à une sorte de rideau qui descendait du plafond. Je crois même me souvenir qu´il y avait des corsets. Je traversais pour finir  la rue de l´Eglise et je me trouvais alors dans la partie de la rue Saint Charles aux trottoirs plus larges et plantés de petits arbres pas très fournis. C´est là que se tenait deux fois par semaine le marché en plein air, tous les mardis et vendredis si je m´en souviens bien.

Les vendeurs qui venaient là régulièrement deux fois par semaine arrivaient dans la fin de la nuit ou très tôt avant l´aube. Ils garaient  leur camion dans la rue où il était interdit de se garer depuis la veille au soir, et ils installaient leur étalage. Des barres de fer étaient posées verticalement dans de petits trous qui avaient plus ou moins une forme de "s" cerclés de fer vert  bouteille sombre qui brillaient les jours de pluie et qui étaient glissants. Les vendeurs et les vendeuses de tous âges étalaient leurs produits sur des étalages de bois surmontés d´une bâche qui leur servait de toit pour les abriter du vent ou de la pluie. Ils étaient fort bruyants et chacun criait plus fort que le voisin pour vanter ses produits et annoncer les prix. On trouvait absolument tout ce qu´une ménagère a besoin pour faire son marché et varier les menus. Je dis ménagères car je rencontrais peu d´hommes. Elles marchaient nonchalamment, s´arrêtaient, comparaient les prix, reprenaient leur marche et s´arrêtaient à nouveau pour acheter un produit. Elles pouvaient porter un panier d´osier, un sac de toile, un cabas en rotin, mais beaucoup tiraient derrières elles un panier monté sur des petites roulettes. Elles étaient simplement vêtues. Les manteaux qu´elles portaient l´hiver étaient assez démodés. Leurs tenues au printemps et en été étaient beucoup plus attrayantes, et il n´était alors pas rare de les voir former des petits groupes et parler entre elles. Elles n´étaient jamais pressées. 

On trouvait tous les fruits et légumes possibles, différents selon la saison, des bouchers, des charcutiers, des fromagiers. On pouvait toucher les produits frais, notamment les melons quand c´était la saison. Ma mère en prenait un, le soupesait dans la main, le sentait plusieurs fois, le reposait, en prenait un autre, et recommencait les mêmes gestes précis sur d´autres plus gros ou plus petits  Le vendeur précisait sa provenance et garantisssait sa saveur. Elle finissait par en acheter un et ne manquait jamais de commenter son goût quand nous le mangions accompagné de sel ou de beurre. Trois fruits avaient aussi sa préférence : des raisins, qu´elle mangeait très vite en arrachant un par un les grains de la grappe, les framboises et les abricots. Elles aimaient aussi les fraises, qu´elles mettaient quelques fois dans son verre en rajoutant un peu de vin et du sucre. Je ne me souviens plus s´il m´était permis de le faire ou non, mais j´évoque souvent ce souvenir quand je mange des fraises avec des amis.

Il y avait sur le marché plusieurs fromagiers vendant leurs produits de différentes régions. La concurrence était grande. Chacun vantait ses produits et précisait les prix sur des petites ardoises noires posées devant chaque fromage. Il n´était pas toujours possible de lire facilement le prix indiqué à la craie sur l´ardoise. Le vendeur ne s´en offusquait pas, répondait calmement et coupait une fine tranche de fromage pour nous le faire goûter. Ma mère prenait son morceau, je prenais le mien et nous les mangions lentement en appréciant ou non. Elle pouvait alors demander le prix d´un autre fromage et le goûter à nouveau. La même cérémonie recommencait. Elle finissait par en acheter plusieurs, chacun enveloppé dans un petit papier blanc sur lequel le vendeur avait écrit le prix avec un crayon qu´il tenait installé sur l´une de ses oreilles et généralement calé par une casquette. Au repas de midi ou du soir, c´est alors que ma mère se servait quelques gouttes de vin pour accompagner les deux ou trois morceaux de fromage qu´elle mettait dans son assiette. C´était pratiquement le seul moment du repas où elle buvait du vin. Ce qu´elle buvait en effet pendant ses repas qui étaient aussi les miens, c´était généralement de l´eau achetée en bouteille.

Elle achetait rarement de la viande à l´un des bouchers du marché. Mais elle achetait souvent du foie de veau quand elle en voyait, car je l´adorais. Le vendeur coupait une tranche assez fine, la posait sur un papier gris crisssant , la pesait rapidemment et ajoutait un peu de persil mis entre le papier gris et un nouveau papier d´emballage de couleur ocre pisseux. Le vendeur accompagnait souvent  ses gestes d´un commentaire. Pendant la cuisson , il ne fallait pas oublier de verser sur la tranche de foie deux trois gouttes de vinaigre de vin. C´était un produit fort cher, comme elle disait presqu´à chaque que j´en avais dans mon assiette, et elle ajoutait souvent que c´était pour que je prenne des forces qu´elle en achetait, vantant les vitamines qui pouvaient s´y trouver. J´écoutais sans rien dire. Elle a plusieurs fois essayé de me faire manger du foie de génisse, d´un prix plus abordable, mais je ne manquais jamais de déclarer, selon ses souvenirs à elle : - "C´est pas du foie, ca !". Pour la viande de tous les jours, ma mère allait tout simplement dans la boucherie qui se trouvait à moins de deux minutes à pied de chez nous.

Il y avait aussi un poissonnier, mais il ne faisait pas partie du marché. Il possédait une boutique assez grande dans la même portion de la rue Saint Charles.  J´associe cependant les achats que ma mère pouvait y faire aux jours du marché car les arrivages de poissons frais se faisaient le mardi et le vendredi. On y trouvait de la sole, des limandes, du maquereau, des raies, du colin, de la roussette, des truites, du thon, que sais-je encore. Le choix était varié et riche. Les poissons étaient posés sur de la glace pilée, avec ou sans tête, vidés ou non. De l´eau dégoulinait de l´étalage et ca sentait bien un peu une drôle d´odeur, mais je ne manquais pas de contempler tous ces poissons, légèrement effrayé, car on pouvait aussi y voir d´énormes têtes coupées et à la gueule ouverte. J´aimais particulièrement la sole qui n´avait pas ou peu d´arêtes.Je devais aussi l´hiver prendre régulièrement une cuiller à soupe d´huile de foie de morue pour me fortifier. J´ignore où elle achetait la bouteille. C´était infecte. Mais je l´associe à la poissonnerie et autres poissons que je n´aimais pas trop.

J´aimais bien voir les animaux vivants que certains marchands exposaient à la vente. Il y avait des poulets, des coqs, des dindons, des oies, des canards, des pintades, des lapins, des pigeons,  tous enfermés dans des cages posées sur le trottoir. Je voulais toujours m´arrêter pour les regarder, mais ma mère me tirait par le main car elle n´en achetait jamais. Il aurait en effet fallu les tuer, voir le sang couler, les déplumer, les dépiauter, les vider,  toutes choses que ma mère était peu désireuse de faire. Adulte, il m´est arrivé de déplumer des perdrix des neiges que j´avais achetées à un collègue norvégien qui avait un ami chasseur. Les oiseaux étaient déjà morts et il fallait les supendre par les pattes plusieurs jours avant de les déplumer. J´ai dû mettre deux ou trois heures la premIère fois que j´ai fait ce travail, et les plumes voltigeaient partout dans la cuisine. Mon livre francais de recettes de cuisine ne parlait pas de perdrix des neiges. Je suivis la recette décrite pour le faisan. J´ai répété une ou deux fois l´expérience, mais j´ai bientôt abandonné. J´ignore si ma mère avait vu la sienne préparer du gibier ou des animaux de ferme, mais je comprends aujourd´hui pourquoi elle n´a jamais acheté d´animaux vivants pour les tuer dans une cuisine d´un appartement parisien avant de les préparer et les mettre dans un four. Il faut dire qu´elle n´aimait guère faire la cuisine.

En revanche, quand c´était la saison, et notammant à l´approche de Noël, elle achetait souvent des huîtres qu´elle accompagnait d´un vin frais d Alsace. Les marchands ne faisaient pas partie des habitués du marché ou des autres commercants du quartier. Ils exposaient leurs produits dans des cageots de bois très légers décorés de branches de sapins verts qui tranchaient avec les citrons ovales jaune vif. Les cageots n´étaient pas posés à même le sol, mais sur des étalages provisoires de fortune. Ma mère ouvrait elle-même les huîtres. Elle avait un petit couteau spécial très court et très pointu qu´on appelle tout simplement un couteau à huîtres. Elle prenait un torchon de cuisine qu´elle pliait plusieurs fois pour en faire un petit rectangle carré, le mettait dans sa main gauche au-dessus de l´évier de la cuisine, placait la pointe rigide du couteau à huître dans la partie renflée de l´huître, et l´ouvrait en accompagnant son effort d´un petit son de voix qui lui sortait de la gorge. Elle avalait toujours la partie de l´huître qui restait attachée à la coquille du dessus avant  de jeter celle-ci dans l´évier. Elle posait ensuite délicatement chaque huître sur une assiette plate en faisant attention de ne pas renverser l´eau de mer qui était dedans. Jamais elle ne s´est coupée ou taillée la paume de la main. Enfant je n´appréciais guère ces huîtres qu´elle aimait tant, et maniais mal la fourchette à huître ou le couteau pour les porter à la bouche. Il en est tout autrement aujourd´hui, et les rares amis francais qui me restent et qui me connaissent un peu ne manquent pas de m´en offrir et de me laisser les ouvrir. 

Le marché se terminait à la rue de la  Convention.

J´allais moins souvent sur le trottoir d´en face de la rue Saint Charles et qui était à droite en venant de chez moi. Il y a eu un cinéma dans lequel je crois bien n´être jamais allé et qui a été transformé  en un restaurant. Il y avait  surtout une impasse Saint Charles dans laquelle ma mère avait trouvé un petit studio au dernier étage d´um immeuble à escalier étroit et dans lequel j´ai habité un an ou deux avec celle qui devait devenir ma femme pendant plus de vingt ans. Un peu plus loin se trouvait un nouveau café qui faisait le coin avec une autre rue dont j´ai oublé le nom. Puis c´était à nouveau la partie de la rue Saint Charles au trottoir agrandi recevant le marché. Je ne me souviens bien que de deux petites boutiques. L´une était une boulangerie. Les gâteaux étaient écoeurants et toujours trop sucrés. Ma mère y entrait cependant pour satisfaire ma gourmandise les jours où j´allais avec elle faire le marché. Il y avait en revanche une autre boutique où elle ne manquait pas d´aller. C´était le marchand de vins Nicolas. Le choix n´était pas immense mais bien assorti. Il y en avait pour à peu près tous les goûts et à des prix très abordables. Des rouges,des rosés, des blancs, des alcools, des liqueurs, des  champagnes, des mousseux. Les bouteilles pouvaient être debout ou couchées. Un ou deux tonneaux s´y trouvaient aussi sur lesquels le vendeur avait installé plusieurs bouteilles, le prix indiqué sur un petit carton posé verticalement au pied de chacune d´elles. Le marchand était petit et ressemblait à l´affiche de mon enfance qui vantait les vins Nicolas. Il ne portait pas dans chacune de ses mains aux bras ballants le long du corps une dizaine de bouteilles par le goulot, mais il avait le même genre de couvre-chef qui lui couvrait la tête et qui n´était ni chapeau, ni toque, ni bonnet: Les achats de ma mère étaient très modestes car elle ne buvait pratiquement pas de vin sauf pour accompagner son fromage. C´était généralement un petit rosé d´Anjou. Mais elle pouvait acheter d´autres vins qu´elle mettait dans la cave sans électricité que nous possédions dans le sous-sol de l´immeuble. Il fallait avoir une lampe électrique pour aller les chercher. Elle les buvait les jours où elles recevaient quelques amis ou connaissances. Je faisais partie du repas,  écoutais ce qu´on disait, mais me mêlais peu à la conversation et n´avais pas droit aux vins qui pouvaient être servis. La seule exception était quelquefois un fond de verre de champagne versé dans une coupe circulaire faisant partie de tout un service de verre de cristal Baccarra que j´ai hérité et qui est toujours complet , ma mère ayant réussi à se procurer, chez un spécialiste en services de verres anciens en cristal situé au Marché Biron près de La Porte de Clignancourt, les quelques rares verres cassés. Il est rare que j´achète du vin pour moi seul, mais je ne manque jamais de le boire dans un de mes petites verres de cristal.

Je n´y connais rien en vins. Je trouve les vins bon marché toujours médiocres et les vins de qualité trop chers. Je ne manque cependant jamais d´apprécier ceux que mes amis mettent sur la table.

 

Repost0

Présentation

  • : Souvenirs et impressions littéraires
  • Souvenirs et impressions littéraires
  • : Souvenirs et impressions littéraires (d´un professeur retraité expatrié en Norvège)
  • Contact

Recherche