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4 octobre 2007 4 04 /10 /octobre /2007 13:31
Egon Schiele est surtout connu pour ses autoportraits grimacants aux contorsions corporelles exagérées ; ainsi que pour ses tableaux à personnages féminins aux attitudes provocantes. En 1915, à vingt cinq ans, il quitte sa maîtresse, se marie, et est, très peu de temps après, mobilisé. S´ouvre alors une période de deux ans où il peindra peu. Son regard, jusque là sombre et torturé malgré son très jeune âge, change notablement. Ces trois événements agissent l´un sur l´autre. La rupture et le mariage sont une acceptation de l´existence bourgeoise. La guerre, plus sourdement, agit comme si elle avait actualisé ce qu´il n´avait plus besoin de réprimer : le déchirement de soi. Son langage pictural sera dès lors plus réaliste et moins agressif. Cela apparaît nettement dans les paysages ainsi que dans les représentations de la ville.

La simple représentation n´a jamais été pour Egon Schiele un but en soi. Il travaille de mémoire. 
QuatreArbres.jpg
Les paysages sont des "visions de paysages", des "réminiscences". Il veut peindre ce qu´il ressent au plus profond de l´âme, "avec l´âme et le corps ", comme pour restituer "la mélancolie d´un arbre d´automne au milieu de l´été". Le paysage qu´il nous montre n´a donc rien de réel, il s´agit d´un paysage construit. Le tableau Quatre arbres, peint en 1917, en est un bel exemple. Le fond est traversé d´une lumière rouge orangé apaisée. L´un des arbres, presque totalement effeuillé, évoque inmanquablement ce qu´il a dit plus tôt : "une mélancolie qu´éveille un arbre d´automne au milieu de l´été". L´affectivité violente des autoportraits grimacants aux contorsions exacerbées est en partie révolue. Ce que laisse aussi voir le tableau de 1918 intitulé La famille.
SchieleLaFamille.jpg
Il en est de même des tableaux dans lesquels Egon Schiele peint des quartiers de petites villes. Dans Maison de banlieue et linge, 1917, Egon Schiele s´attache à restituer un autre type de mélancolie : une certaine pauvreté décorative de la banlieue épargnée par l´industrialisation. Ce n´est donc en rien la métropole des Impressionnistes en train de se transformer sous nos yeux. Il y a comme une croyance en une possibilité de rédemption par l´art.
SchieleBanlieue.jpg
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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 12:48

EgonSchiele1.jpg

J´avais mal soupconné la puissance du peintre autrichien Egon Schiele (1890-1918). 
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Tout le monde connaît Le Baiser de Gustav Klimt (1862-1918) qui fait que, par le voilement ornemental des corps et les couleurs d´or, "Eros devient icône" (Werner Hofmann). A vingt ans, Egon Schiele déclare sans fausse  honte : "J´ai fait le tour de Klimt"

Egon Schiele est mort à vingt-huit ans. Il a cependant fait de lui presqu´une centaine d´autoportraits. Sans doute plus que Dürer et Rembrandt réunis. 


A la Renaissance, le miroir est pour le peintre un instrument de la découverte de l´identité. L´artiste écarte toute idéalisation allégorique de son corps : il peint un individu. Même si l´attitude permet à l´artiste d´adopter dans l´autoportrait le rôle d´un autre que  lui-même, - comme par exemple le Christ -, cet autoportrait ne remet pas en cause l´identité de la personne. Dürer et Rembrandt restent dans leurs autoportraits des êtres indivisés.


Il n´en est pas de même dans les autoportraits d´Egon Schiele après 1910. Les poses et les attitudes exacerbées présentent un autre que lui-même, un alter ego différent et inconnu. L´assurance narcissique de soi n´existe plus. Le corps est mis à nu. Les contorsions physiques, les mimiques grimacantes du visage, la minceur du corps, et la chevelure hérissée et comme électrisée révèlent des énergies vitales que le peintre ne peut totalement réprimer. Même si l´exhibitionnisme ne peut être totalement exclu, ce n´est en rien du voyeurisme, car dans les nus comme dans les autoportraits, Egon Schiele ne cherche pas à montrer au spectateur une scène qui ne lui est pas destinée. Bien au contraire : les poses sont telles que le corps est volontairement mis à nu dans toute son expressivité. Il se pourrait bien qu´ainsi Egon Schiele cherche à maitriser ses démons érotiques en les exposant,  satisfaisant du même coup par l´imaginaire les pulsions que le réel ne peut pas toujours satisfaire ; - comme cet autre Autrichien de Vienne qu´est Arthur Schnitzler réalisait sans doute en partie les siens en utilisant ses rêves dans ses textes littéraires. L´autoportrait chez Egon Schiele n´est donc plus une contemplation narcissique de soi-même, mais la représentation expressionniste et déchirée de la personne dans laquelle, comme l´écrit Paul Hatvani dans son Essai sur l´Expressionnisme (1917) : "l´artiste crée son monde dans sa propre image". Il en a été de même pour le peintre norvégien  Edvard Munch. Paul Hatvani écrit encore : "Dans l´Impressionnisme, le monde et le moi (...) avaient été placés dans un rapport harmonieux. Dans l´Expressionnisme, le moi inonde le monde".

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9 avril 2007 1 09 /04 /avril /2007 11:03

[ Paul Cézanne, Jardin des Lauves, 1906 ]

En ce jour anniversaire de mon fils aîné Erik, né il y a 32 ans au petit matin à Florø dans le département ( ou Comté ) du Sogn og Fjordane de la Norvège occidentale, j´ai devant les yeux une nappe blanche, -  une couche de neige fraîchement tombée -, au-dessus de laquelle se dressent des troncs gris et blêmes de bouleaux, ainsi que quelques branches de pins aux aiguilles vertes sous la voûte bleue et moutonnée d´un ciel de printemps qui n´ose encore éclore totalement ; et cette neige printanière et ce ciel sont comparables à ce que mon souvenir m´a laissé quand j´ai regagné en coccinelle bleu pâle les 70 kilomètres qui séparaient la clinique de chez moi à Førde.

Pendant qu´il neigeait hier après midi, je regardais une bonne émission télévisée anglaise sur Paul Cézanne. Vers la fin de l´émission, un étonnant tableau a été montré, intitulé "Le Jardin des Lauves", véritable variation de jaunes, d´ocres, de verts et de bleus qui annonce le siècle à venir de la peinture abstraite. Comme il y a 32 ans, j´ai somnolé au gré de rêves colorés.

On sait peut-être que Cézanne avait acquis en 1901 une propriété plantée d´oliviers et de figuiers en bordure du canal de Verdon, et qui était alors à la périphérie Aix-en Provence. C´est sous une couche de neige comme une nappe blanche d´anniversaire que j´ai découvert son jardin de Lauves une après-midi froide mais éclairée d´un ciel bleu de Provence en décembre 1998. Les branches brunes et sombres des arbres se découpaient, couverts du blanc de la neige. C´est dans cette propriété plantée d´oliviers et de figuiers non loin du chemin dit des " Lauves", que Cézanne a construit son atelier. Il a alors repris un thème qui l´ocupait de plus en plus : Les Grandes baigneuses.

Selon les versions dites de Londres ou de Philadelphie, on passe d´une vision pastorale et lyrique d´une baignade à une "élévation sereine finale (...) sous un vaste ciel qui s´étend au-delà de la voûte ouverte des arbres courbes" évoquant une cathédrale (Joseph J. Rishel in "Cézanne", Réunion des Musées Nationaux, 1995). Avec Le Jardinier Vallier, qui rappelle les portraits de Rembrandt, et les natures mortes aux crânes, Cézanne médite sur la mort qui approche. Il n´a plus que quatre ans à vivre. Il n´a peut-être jamais peint avec autant de joie et de ferveur.

Le Jardin des Lauves, peint quelques mois avant sa mort, est d´une inspiration pleine de vie et de sensations incomparables. La composition et l´exécution réfléchies, qui sont à l´oeuvre dans les toiles antérieures, ne sont pas présentes ici. Il s´agit plutôt d´une symphonie de couleurs à trois étages. La terrasse est évoquée par le vert jaune du bas de la toile. Le feuillage des arbres occupe toute la partie centrale où domine le sombre de l´ombre rafraîchissante ; le souffle du vent est comme suspendu. Quelques tourbillons de rose, de lavande et de violet éclairent un ciel, non d´éternité, mais de vie éclairée comme peut l´être le ciel de sa Provence. C´est l´instinct sensible qui est privilégié dans cette toile annonciatrice d´un autre siècle. L´ intellect et la réflexion, qui ont tojours été si importants dans la peinture de Cézanne, sont comme écartés. Ce qui prime ici, c´est tout autre chose : c´est le désir d´exprimer ses sentiments face au chatoiement des couleurs de son jardin, de ses arbres, de ses feuilles, de son ciel ( et non de n´importe quel jardin ). A quelques mois de sa mort, Cézanne cherche à montrer à l´aide de la couleur seule dans son atelier de lumière et de silence qu´il a construit pour y vivre les dernières années de sa vie et y mourir en travaillant, que son obsession a toujours été la même : peindre l´harmonie vitale et organique de la nature.

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16 février 2007 5 16 /02 /février /2007 10:18

Le Norvégien Edvard Munch ( 1863-1944 ) est sans doute le peintre qui explore le mieux les zones encore en friche de l´esprit humain. Contemporain du Suédois Strindberg et du Norvégien Ibsen qu´il connaissait, il les a dessinés et illustrés abondamment, et l´on peut sans crainte affirmer que Munch est un équivalent pictural d´Ibsen. Il y a dans sa peinture un rapport évident avec l´inconscient, un désir de peindre l´état second des individualités. Comme Ibsen dans Les Revenants, Hedda Gabler et Rosmersholm, Munch met en scène des êtres pour qui le passé qui ressurgit investit le présent jusqu´à plus ou moins l´abolir.

Munch comme graveur est aussi un artiste hors pair, et il est peut-être le plus important de l´époque moderne. Il renouvelle les voies ouvertes par Dürer, Rembrandt et Daumier et dépasse celles du Suédois Anders Zorn et de l´Allemande Käthe Kollwitz. Les thèmes de ses gravures et lithographies sont des reprises de ses huiles sur toile comme l´angoisse, la jalousie, la solitude et la sexualité féminine. Mais la morbidité des sujets est encore plus stylisée que dans ses tableaux au moyen de la couleur et des courbes des formes. Munch éveille chez celui ou celle qui regarde ses oeuvres le malaise et l´émotion, et parvient à transmettre les sentiments subjectifs que l´on peut éprouver l´espace d´un l´instant

 

Si l´attitude de sa Madonna, maintes fois reprises, investit l´irrationnel de celui qui la regarde et le dérange, c´est que cette attitude dévoile de l´insoupconné, présente la figure humaine dans les marges de son état conscient. Les stries de la couleur en appellent aux failles de la vie en chacun de nous. Dans les maintes versions des diverses Nuit d´été, l´émotion naît autant des courbes languides des paysages et des corps que dans les tons improbables et pourtant harmoniques utilisés. Le i jaune ou rouge du soleil couchant qui se reflète dans un ciel bleu de plomb va bien au-delà de la stricte apparence visuelle. Pour Munch, peindre c´est "peindre l´impression d´un instant", c´est  "donner le sang de son coeur". C´est toute la différence entre l´impressionnisme et l´expressionnisme : l´impressionnisme cherche à capter la lumière d´un instant du jour alors que l´expressionisme saisit le rouge sang d´une angoisse ou le bleu nuit d´une insomnie.

                                                            [ Ci-dessous : Nuit d´été sur la plage ]

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3 février 2007 6 03 /02 /février /2007 11:35

J´ai écrit hier sur Ibsen et la coyance au revenant, au "draug", ce "mort-mal-mort" qui revient hanter les vivants quand un défunt estime avoir été mal enterré ou quand il estime que son patrimoine est mal géré par les vivants qui lui ont succédé. Il exige alors d´être équitablement rejugé pour disparaître à jamais, apaisé. Mais il peut aussi apparaître pour rappeler aux vivants ce pour quoi ils sont faits. Régis Boyer considère qu´il convient de s´en souvenir pour comprendre la pièce d´Ibsen Les revenants.

Ce que j´ai écrit hier m´a évidemment fait penser à la traduction du conte norvégien "Les Cormorans d´Utrøst" que j´ai faite en son temps. J´avais alors illustré ce conte d´une gravure sur bois de Hans Gerhard Sørensen, Cormorans sur un récif. Mais le petit livre que je possède en norvégien est illustré par le peintre du Nord de la Norvège Karl Erik Harr, né en 1940 à Kværfjord dans le Comté ( ou département ) du Troms. J´ai donc ressorti ce petit livre illustré en noir et blanc, comme le sont les cormorans.

L´illustrateur est considéré comme un néo-romantique, et trouve son inspiration dans le paysage du Comté du Nordland, le même que le prix Nobel de littérature 1920 Knut Hamsun a tellement décrit. Il illustre en noir et blanc le conte que les écrivains du XIXe siècle P.C. Asbjørnson et J. Moe ont recueilli. C´est à ces derniers que l´on doit la sauvegarde des contes populaires norvégiens. On peut comparer leur travail à celui qu´a fait en France Charles Perrault ou en Allemagne les frères Grimm, encore qu´ils aient décidé de s´y prendre d´une toute autre manière : ils ont recueilli ces contes sous leur forme populaire, proche de la tradition orale, transmise de bouche à bouche, d´une génération à l´autre, d´un siècle au siècle suivant, en modifiant le moins possible la langue utilisée. Le sel de ces contes est ainsi incomparable et d´une fraîcheur inégalée.

Utrøst n´existe pas. Voilà pourquoi, selon l´illustrateur Karl Erik Har, il lui a été si facile de le représenter : il suffit de l´imaginer à la seule lecture des mots.

Isak y est allé, l´a vu de ses yeux, et en est revenu. L´illustrateur ne se souvient plus de la première fois qu´il l´a lu. Mais des images s´étaient alors imposées à lui tout naturellement. Son livret date de 1974 et reprend ses souvenirs de jeune lecteur comme ses associations d´illustrateur imprégné du paysage marin dans lequel il s´est établi. Il illustre le chemin que montrent les cormorans au pêcheur Isak qui pensait bien que sa dernière heure était venue après avoir cru entrevoir le "draug" devant son étrave, - re-venant qui lui rappelle que pour vivre sur terre il lui faut accomplir son devoir, non seulement de père, de chrétien et de marin, mais aussi de bon voisin. Etait-ce le "spectre annonciateur de la mort" ou le "mort-mal-mort" qui lui rappelle sa condition de mortel qu´il a entrevu ?

Ce conte s´appelle "Les Cormorans de Utrøst". Le mot "draug" n´apparaît qu´une fois dans le texte. Karl Erik Harrn´a pas cherché à représenter ce spectre ou ce "mort-mal-mort" qui revient. Il s´est contenté de montrer les cormorans, Isak sur son bateau ballotté par les flots, les côteaux verdoyants de Utrøst, la barbe et la bouffarde du bonhomme de l´île, le repas plantureux qui lui est offert, les pêches miraculeuses faites avec les cormorans, le cotre qu´il achète dans le port marchand de Bergen et les yeux malicieux du bonhomme hospitalier à la pipe et à la très longue barbe de patriarche. Il ne nous montre pas non plus le voisin qui enviait Isak. Les dernières illustrations du conte donnent à voir un ciel déchiré de Nordland dans lequel volent trois cormorans aux ailes déployées. La mort est  oubliée. Reste le souvenir de l´avoir écartée et le bonheur de vivre.

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31 janvier 2007 3 31 /01 /janvier /2007 05:25

La vue sur le lac de Jølster dans le district du Sunnfjord, Comté ( ou département ) du Sogn og Fjordane, est un véritablement enchantement. J´y allais souvent pour faire du ski entre 1972 et 1977, seuls ma femme et moi ; ensuite, avec mon fils ainé, elle et moi. C´est là que j´ai vraiment commencé à aimer faire du ski de promenade ( et non du ski de fond ), mais surtout, que j´ai commencé à m´éveiller à la lumière du Nord que des écrivains comme Hamsun ou Ibsen ont su décrire ou prendre en compte dans leurs oeuvres, et que les peintres ont su rendre de leurs couleurs incomparables comme le peintre local Nikolai Astrup ( 1880-1928) si peu connu en dehors de la Norvège et sans doute aussi grand que Gauguin, sinon plus. Ce dernier se considère un "naturaliste naïf", et peint davantage ce qu´il a vu que ce qu´il voit. Il magnifie les souvenirs d´enfance, et n´est jamais aussi grand que lorsqu´il peint la terre où nous retournerons tous, ou  que le ciel où certains croient que nous irons après notre temps passé sur la terre.

Il a peint plusieurs "Nuit de la Saint-Jean" qui ont si souvent le pouvoir de transfigurer plus d´un. Dans son tableau "Matin de mars" , on y voit l´hiver encore présent dans un printemps à peine naissant. La nature y est plus que magnifiée : elle est personnifiée. Les monts qui dominent le lac représentent les formes blanches d´une femme encore somnolente ; elle n´est pas encore vraiment éveillée, mais on sent qu´elle est au sortir du sommeil de la nuit autant qu´à la fin de l´hiver engourdissant et réparateur ; autant avant une nouvelle journée qui s´annonce qu´un nouveau printemps. Elle repose sur un drap de lit bleu de monts aux courbes apaisées. Au dessus d´elle, un ciel sans soleil couvre de ses nuages effilochés ses hanches et ses genoux repliés. Près des eaux du lac où des glacons dérivent et commencent à fondre, un arbre aux branches décharnées de feuilles s´étire et s´éveille au matin, et tend ses doigts crochus vers la femme, dans une attitude évidente de désir à peine retenu. Au premier plan, des roches sombres où apparaît un peu de rouge, attirent le regard et créent un contraste qui étonne, voire dérange l´harmonie visuelle. L´arbre aux bras tendus de désir, légèrement sur la droite, équilibrait les formes bleutées et blanches des monts au lointain figurant la femme ensommeillée. Les pierres du premier plan brisent cependant volontairement cet équilibre et rappellent les rigeurs de l´hiver. La présence de ces formes rondes et brunes et légèrement rouges sur le bord donnent une inquiétude, un caractère étrange et insolite à la composition de l´ensemble. Elles ne peuvent être fortuites.Elles rappellent que des êtres surnaturels vivent cachés sous terre comme nos instincts qui peuvent à tout moment ressurgir au retour du jour et du printemps. 

La pierre du premier plan a une présence aussi importante sinon plus que la lumière qui émane de l´eau et du ciel. C´est une pierre brute, non taillée, comme celle que Nikolai Astrup a voulu pour sa tombe, derrière la petite église de Ålhus où il repose pour l´éternité. Les lettres gravées de son nom sont à peine visibles, recouvertes de mousse. Cette pierre ressemble étrangement à toutes celles qu´il a peintes et repeintes si souvent , et qu´il étudiait autant que les plantes et les fleurs les plus modestes. Elle est à son image : immanente et oubliée à la fois. 

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27 novembre 2006 1 27 /11 /novembre /2006 06:19

Le titre que l´on donne a une oeuvre n´est pas indifférent. Le regard porté sur le tableau ou la lecture que l´on fait d´un roman ou d´une autobiographie change totalement selon le titre que l´on lui donne.

J´ai en tête depuis des décennies une référence que je n´arrive pas à retrouver. L´Angélus de Millet (1859) aurait eu pour titre original "Paysans se lamentant devant un champ de pommes de terre malades".  Ce titre explique certainement mieux les intentions réalistes de Millet désireux de peindre la condition paysanne, mais le titre L´Angélus qu´a trouvé le marchand de tableaux a plus fait pour sa gloire. La minuscule église à peine visible à l´horizon donne au tableau une vision du monde paysan qu´un champ labouré de pommes de terre ne peut donner.

Pierre Assouline, au détour de plusieurs paragraphes de son dernier Eclats de biographies, ne dit pas autre chose. Il donne plusieurs exemples. J´en retiendrai deux.

René Char, maquisard pendant la Seconde Guerre mondiale a sous les yeux une petite reproduction de Georges de la Tour intitulée Le prisonnier. C´est écrit derrière la reproduction. Cela le renforce dans sa lutte pour la liberté. Il s´avère que ce tableau a pour titre véritable Job raillé par sa femme. Les yeux qui regardent ne voient pas la même chose selon les mots que l´on utilise pour voir. Petite différence. Faut-il lire ou faut-il voir ? Faut-il entendre ou faut-il écrire ? Faut-il suivre sa première pensée ou faut-il la raturer ?

En villégiature dans sa famille au début du printemps 1941, Jean Moulin rédige son Journal de bord. Sa soeur le publiera à la Libération sous le titre Premier combat. Autres temps, autre lecture. Le Jean Moulin de 1941 relate au jour le jour les petits événements qui constituent sa vie de jeune préfet révoqué ou non. Pierre Assouline révèle que la tentative de suicide du préfet dans la nuit du 17 ou 18 juin 1940 n´est évoquée qu´à la page 107 du manuscrit en des termes légèrement diiférents de ceux publiés. En donnant au livre le titre Premier combat, sa soeur Laure fait de son frère dès juin 1940 une incarnation de la Résistance à lui tout seul que l´Histoire retiendra.


Le titre change tout et modifie totalement le regard ou la lecture que l´on peut faire d´une oeuvre. Gustave Courbet peint en 1866 L´origine du monde :  www.zikaden.de/bilder/courbet.jpg . Femme couchée sur le dos, elle montre au regard qui la contemple le sexe qu´elle a entre ses deux jambes légèrement écartées.  Mais le titre que Courbet a donné à son oeuvre impose une autre vision. Depuis des millénaires, la peinture et la sculpture nous ont fait voir des sexes masculins symboles de puissance et de virilité qui dominent encore le monde. Le tableau de Courbet, malgré son titre, est resté un scandale que les censeurs de tous bords nous ont détourné de voir pendant plus de 100 ans. Jusqu´en 1995 pour être précis. Courbet, par son titre L´Origine du monde, nous force à voir que le sexe féminin est source de vie autant que source de jouissance. Il n´est pas sûr qu´aujourd´hui, l´homme comme la femme, soient prêts à l´accepter. Le spectateur qui le découvre pour la première ou la seconde fois s´en écarte souvent, horrifié et gêné. Il n´ose regarder ce que le titre cherche à lui imposer : que le sexe est la vie.

 

 

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