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14 décembre 2006 4 14 /12 /décembre /2006 09:04

J´ai oublié l´âge que j´avais, mais je jouais au "Tour de France".

Nous avions des petits cyclistes en plomb comme d´autres, avec des soldats de plomb, jouaient à reconstituer des batailles napoléoniennes, coloniales ou de la Grande Guerre. Autres temps, autres jeux. Le Tour de France de mon enfance, comme encore aujourd´hui, a une fonction de repères historiques familiale.

Nous avions à nous tous toutes les couleurs des équipes nationales ou de marques. Le maillot jaune, le maillot vert du vainqueur du classement par points, le maillot à poix du meilleur grimpeur, mais aussi les maillots nationaux des différents pays participants, les Italiens, les Espagnols, les Francais ou même Luxembourgeois.

Chaque coureurs cycliste avait sa casquette, la visière sur le front ou sur la nuque. Une chambre à air pouvait entourer sa poitrine en forme de huit. Le guidon était recourbé et les mains du coureur pouvaient être posées sur le haut du guidon ou dans le demi-cercle du guidon recourbé vers le bas. On voyait mal ses yeux, mais on pouvait voir à sa bouche qu´il esquissait un sourire pressentant la victoire ou une grimace de douleur.

L´enjeu était bien sûr de gagner. On construisait selon que nous étions sur l´asphalte d´un trottoir de Paris ou dans un lieu de vacances à la campagne ou au bord de la mer, une piste tracée à la craie ou un serpent tortueux limité par de petits rebord de sable ou de terre. Si la piste était dessinée à la craie, nous faisions progresser le cycliste en plomb en faisant avancer un petit caillou ou une boule de carton pâte humidifié de salive, par une brusque pichenette exercée par le pouce et le majeur. Si le caillou ou la boule de carton mâché dépassait le bord de la piste, le cycliste en plomb restait à sa place et c´était au joueur suivant de faire sa pichenette. Le cycliste en plomb avancait alors d´autant. Si le caillou renversait le cycliste concurrent, le joueur pouvait jouer deux fois de suite : cela signifait que le coureur renversé avait chuté ou crevé.

Si la piste avait été tracée sur du sable ou de la terre meuble d´un jardin de Paris comme par exemple au Champs de Mars ou au Jardin d´Acclimatation, nous utilisions une bille pour notre progression en faisant le même genre de pichenette. Mais il fallait être beaucoup plus attentif car elle roulait très facilement en dehors des limites de la piste.

Les adultes qui nous regardaient jouer pouvaient nous crier en passant "Vas-y Robic ! ", mais nous ne répondions pas parce que les héros à nous, en ces années largement d´après guerre, étaient des Louison Bobet, des Fausto Copi, des Frederico Bahamontès et des Charly Gaul. Nous avions 8 à 12 ans, voire 14 ans, et nous achetions L´Equipe pour connaître les classements exacts, les écarts qui séparaient les coureurs et les jugements des journalistes sur les chances de chacun. Je ne sais si nous apprécions alors les métaphores d´Antoine Blondin dans ses chroniques quotidiennes du Tour de France, mais il est certain que tous ces coureurs étaient des héros de la route, des forcats du vélo, des pédaleurs de l´inutile, des conquérants de l´asphalte, et il était certain que nous étions nous aussi des émules de la petite reine car nous avions tous notre vélo posé à proximité contre un mur ou un arbre. Frederico Bahamontès, c´était l´Aigle de Tolède qui survolait les Pyrénées dans l´ascension du col du Tourmalet, Charly Gaul était  l´Ange de la Montagne, le meilleur grimpeur de tous les temps. J´ai oublié si Jacques Anquetil a eu un surnom, mais je me souviens très bien de la victoire de Roger Walkowiak qui a remporté la Grande Boucle sans avoir gagné une seule étape. Je me souviens ausssi d´André Darrigade, le sprinter au maillot vert qui remportait les sprints des étapes en ligne et gagnait souvent la première étape ou le prologue comme la toute dernière étape du Tour. L´une d´elle avait été dramatique car il avait percuté un spectateur lors d´une arrivée au Parc des Princes et celui-ci était mort.

J´ai oublié à partir de quand je n´ai plus joué sur le sol de Paris ou d´ailleurs au "Tour de France". Mais j´ai continué régulièrement à suivre les exploits des coureurs au jour le jour en écoutant à la radio le reportage des journalistes. Il n´y avait pas de télévision à la maison et la vieille radio de la salle à manger sur laquelle il fallait taper du poing pour rétablir un son défaillant avait finalement été remplacée par une radio portative "Radionnette". C´est donc de ma chambre que je pouvais suivre la progression des coureurs. La voix du journaliste était épique et signalait à chaque instant l´effort que le coureur faisait, l´écart qui le séparait du suivant ou précisait, haletant, que le leader perdait du terrain à chaque coup de pédale, que la défaillance était visible sur son visage émacié par la fatigue, due sans doute à un coup de fringale non prévu, c´est-à-dire un terrible coup de pompe qui l´empêchait d´avancer. La richesse des images, la variété des adjectifs, le débit de la parole faisaient que chaque jour j´attendais avec toujours un peu plus d´impatience l´heure de la retransmission en direct.

Il n´était pas rare non plus qu´une partie du peleton se disloque à un passage à niveau. Une barrière s´abaissait. Un train allait passer, mais les premiers descendaient  à toute vitesse de leur vélo, jetaient leur machine par dessus la barrière et traversait en courant le passage à niveau avant le passage du train. C´est à ces moments qu´Hassenforder, coureur fantasque et anticonformiste en profitait pour faire le pitre. Au lieu de sauter par dessus la barrière ou d´attendre sagement le pasage du train, il quittait le peloton, posait son vélo par terre ou sur un mur mitoyen et pissait hilare en tournant la tête vers ceux et celles qui se trouvaient à proximité pour montrer le soulagement que lui procurait le vidage de sa vessie. J´admirais encore plus la faconde du journaliste qui me donnait à voir par ses mots la drôlerie de la situation. Je pouvais lire le lendemain qu´Hassendorfer avair écopé d´une amende pour conduite inconvenante, mais je n´en avais que faire car l´article prolongeait le plaisir que j´avais éprouvé en écoutant le récit du journaliste qui m´avait, avec des mots insolites, souligné le côté saugrenu de la situation : satisfaire en public un besoin aussi pressant. J´ai oublié le nom de ce journaliste, mais sa gloire est autant précieuse à mes yeux que celle d´Hassendorfer.

Walkowiak en revanche, qui a remporté une Grande Boucle sans avoir gagné une seule étape a toujours souffert d´être mal considéré,. C´est depuis ce temps que date l´expression "remporter un Tour à la Walkowiak" pour signifier remporter une victoire inattendue et considérée imméritée.

Je me souviens aussi très bien  de la chute spectaculaire de Roger Rivière dans le Tour 1960 et gagné par un inconnu. C´est Rivière qui aurait dû gagner puisque son rival d´alors, le fameux Jacques Anquetil, ne s´était aligné au départ du Tour. Je n´ai cependant pas vu la chute ce jour-là. Ce n´est que bien plus tard que je l´ai maintes et maintes fois vue et revue, alors que la télévision en couleurs repassait en noir et noir les exploits des coureurs de légende qu´ont été Robic, Fausto Copi, Bartoli, Kubler, Louison Bobet ou Bahamontès.

Il n´empêche que je crois bien que c´est à partir de 1958 que j´ai commencé à délaisser le Tour de France pour suivre la Coupe du Monde de football avec la chevauchée fantastique du Brésil et Pelé, mais surtout l´épopée de l´équipe de France grâce à Raymond Kopa, le meilleur joueur du mondial et Juste Fontaine, toujours détenteur du record des buts marqués lors d´une même phase finale : 13 buts. J´étais alors un fidèle lecteur de L´Equipe et je me souviens avoir recopié dans un épais cahier d´écolier que j´ai fini par jeter un jour de grand rangement, le titre que L´Equipe avait sur toute sa Une pour signaler la performance de l´équipe de France : "A onze, la Suède n´a pas mieux fait que la France à dix : 5 -3". Pourquoi à 10 plutôt qu´à 11 ?  Parce qu´il n´était alors pas possible de remplacer un joueur sorti pour blessure.

Je n´en avais cependant pas fini avec le Tour de France et il reste encore largement à mes yeux un repère jouant un  rôle de frise historique familiale. C´était en 1983 ou 1984 et j´étais dans les Alpes, au Grand-Bornand près de La Clusaz. avec ma femme et mes enfants. C ´est l´année où Laurent Fignon, le coureur aux petites lunettes rondes cerclées de fer et au chignon blond queue de cheval noué derrière la tête par un ruban rose, faisait figure d´intellectuel ayant le bac. J´ai suivi sa progression, au grand émerveillement de mes enfants qui appréciaient autant les hélicoptères qui survolaient la caravane que les voitures publicitaires qui jetaient avant l´approche des coureurs des gadgets publicitaires de toutes sortes, vantant autant les exploits de Pif le Chien que les bulles de l´eau minérale Le Badoit. La défaite du même Fignon, en 1989, était aussi spectaculaire que sa victoire, et éclipse en partie à mes yeux les cérémonies du bicentenaire de la Révolution, ou Chirac, Maire de Paris, jouait à concurrencer  Mitterrand, Président de la République dans l´organisation du plus beau feu d´artifice selon qu´il serait tiré au-dessus des Champs Elysées ou de l´Esplanade du Trocadéro face à la Tour Eiffel le 14 juillet-même ou le lendemain 15 juillet. C´est pour un écart de 8 petites secondes dans la dernière étape contre la montre entre Versailles et Paris que Fignon a perdu son troisième Tour, car il avait ce jour-là un furoncle à la selle, ce que mon plus jeune fils a parfaitement compris en disant qu´il avait perdu parce qu´il avait mal au cul. Mais autant que le désappointement  de Fignon et le langage clair et direct de mon fils, je me souviens du flottement des officiels de Paris qui avaient prévu de couronner et féliciter comme se doit, l´année du bicentenaire de la Révolution Francaise, un Francais et non un Américain nommé Greg Lemond.

Je ne lis plus depuis longtemps L´Equipe, n´écoute pas les reportages en direct de France Inter ou Europe No 1 , mais je suis toujours avec plaisir chaque année en juillet les retransmissions en direct d´Eurosport ou de la Télévision suédoise ou norvégienne. Avec le Tennis, c´est le seul sport que j´aime vraiment regarder, car je peux voir l´effort et les grimaces de chaque échappé, la jambe musclée de chaque poursuivant concentré dans son effort ou le visage crispé du leader à la dérive. La moto 1 suit le régional de l´étape qui tente son échappée solitaire et suicidaire comme la moto 2 se concentre sur la nonchalance du peleton tandis que l´hélicoptère nous fait découvrir les châteaux de la Loire, la forteresse de Montségur , cinq chevaux au galop qui suivent affolés le long de la route le peloton étiré ou les millions de spectateurs qui ont attendu des heures pour voir passer quelques secondes un peloton groupé. A moins qu´il ne s´agisse de quatre ou cinq isolés qui échangent leur chapeau en attendant Godot sur une route détournée. 

Cela fait bien longtemps qu´un Francais n´a gagné le Tour de France. Mais les exploits du jeune prodige norvégien Thor Hushovd, qui défend autant les couleurs du Crédit Agricole que les couleurs de la Norvège, est plaisant à suivre. Il est le seul à ce jour, en 2006, à avoir remporté la même année le prologue et la dernière étape qui se court sur les Champs Elysées. Il mérite bien de sa patrie.

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