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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 08:22

J´ai été présent il y a quelques jours à l´enterrement de Jo Giæver Tenfjord ( 1918-2007 ), bibliothécaire, auteur de livres pour enfants, éditrice, traductrice, également émissaire en son temps de l´organisation internationale UNICEF et co-fondatrice en Norvège il y a plus de 50 ans de CISV ( = Children International Summer Villages ). L´idée de sa vie est la cause des enfants, et la  promotion sous toutes ses formes de l´idée de paix dans le monde, que ce soit dans ses textes à elle, ses traductions ou ses initiatives en organisant des camps de l´amitié pour le compte de CISV à l´attention des enfants des deux sexes de 11 à 12 ans du monde entier.

C´est en décembre 1965 que j´ai rencontré pour la première fois Jo Tenfjord. Cette première entrevue était autant de politesse qu´une présentation réciproque. On me la présenta comme une seconde mère. Mais dès ce jour, j´ai découvert en cette femme de 50 ans environ, une personne, certes menue d´apparence, mais qui non seulement montrait  dès les premiers instants qu´elle savait ce qu´était la vie, mais qui pouvait en deux ou trois phrases transmettre à ceux ou celles qui lui étaient présentés que ce qui était important dans leur propre vie était ce qu´elle avait appris depuis longtemps : être soi-même. Sa voix était claire et ferme, tout en étant légèrement éraillée ; ou plutôt un peu caverneuse comme pour laisser faire surgir de sa poitrine des êtres cachés et enfouis en elle que sa voix et ses mots se devaient de donner vie. Les questions qu´elle me posa lors de cette première entrevue n´étaient pas seulement de politesse ou de circonstances ; elle me posait, je le compris beaucoup plus tard, qu´il était important de dire simplement ce qui vous tenait à coeur. Je ne sais l´impression que j´ai laissée sur elle, mais je sais celle qu´elle a laissé sur moi : un désir de laisser de soi une impression de vérité sincère.

C´est beaucoup plus tard que j´ai su qu´elle avait été élevée dans une immense maison aux multiples pièces, recoins et cagibis, entourée d´un beau jardin bien entretenu. Entourée de surcroît de personnes relativement âgées qui avaient toutes beaucoup d´histoires à raconter. C´est de ce temps qu´elle a toujours su que cette maison devenue musée était habitée de spectres ; et que sa vie de conteuse d´histoires pour enfants vient de là : donner à chaque enfant qui s´éveille à la vie le désir d´explorer sans crainte le monde.

Elle avait certes une télévision, mais on voyait bien qu´elle n´était guère allumée. Les murs de sa chambre à coucher étaient couverts de livres. C´était un désordre sympathique qui suscitait le respect car les livres ne faisaient pas tapisserie comme si souvent ceux que l´on peut trouver dans les salles de séjour de cetaines demeures bourgeoises. Ils étaient posés les uns contre les autres sur des rayonnages de plusieurs dimensions, ou les uns sur les autres sur la table où se tenait prête à être utilisée une machine à écrire ; mais aussi sur la table de nuit. Le désordre n´était qu´apparent ; c´était celui de la nécessité de trouver rapidement le livre qui lui fallait pour se remémorer les mots ou les phrases dont elle avait besoin pour elle-même.

Jo Tenfjord était aussi la traductrice attitrée de l´écrivain suédois Astrid Lindgren. On sentait qu´elle avait pour elle une admiration sans bornes. La réciproque était partagée. Les livres de Jo Tenfjord dégagent cependant un air différent. On peut lire chez Astrid Lindgren le désir d´être premier, l´ambition de triompher, le souhait d´être reconnu comme meilleur que les autres, notamment de certains adultes aux fonctions officielles comme des agents de police un peu ridicules, ou des vieilles tantes ou oncles dont on ne peut savoir leur âge ou leur raison d´être dans la vie. On peut aussi  y lire la difficulté parfois d´être accepté pour ce que je suis ou ce que je fais, la peur de se retrouver seul dans une pièce fermée, la déception de ne pas avoir de réponses à ses questions, ou l´interrogation devant l´énigme inéluctable  de la mort. Les livres de Jo Tenfjord sont d´un autre registre. Ils peignent surtout les joies de l´enfance, les découvertes insolites et les rencontres inattendues qui surgissent certains jours sans que l´on sache pourquoi, le lever du soleil ou au contraire la beauté d´un soleil couchant, le vol majestueux d´une mouette, la queue d´un jeune chien qui vous vient lécher la jambe ou le bout des doigts. Mes enfants ne sont jamais lassés de ses livres que ma femme ou moi nous leur avons lus avant qu´ils ne s´endorment le soir. Mon plus jeune fils est désormais père. Il a pris avec lui les livres d´enfants que nous lui avons offerts alors qu´il était petit ou un peu plus grand. Lui, sa compagne et sa mère ont  commencé déjà à feuilletter, lire et décrire les illustrations des livres qui correspondent à l´âge de ses enfants. Plusieurs sont ceux de Jo Tenfjord. Je fais parfois de même quand je vais leur rendre visite certains dimanches. Peut-être se souvient-il d´une phrase que Jo dit un jour en sa présence et que sa mère a répétée quelquefois alors que l´on s´apprêtait à lui lire une histoire avant son coucher : - " On ne prend sur ses genoux un écran de télévision, mais un enfant et un livre."

Ses enfants disposent d´un grand sofa devant un écran de télévision souvent allumé. 18 heures est l´heure du conte pour enfants à la télévision. Pour l´aînée de leur fille, qui a maintenant trois ans et demi, l´heure du conte est sacrée : elle se vautre sur le divan et regarde, en chaussettes et sans se soucier de montrer sa petite culotte,  le film ou le sketch qui sont projetés sur l´écran. L´Emil de Astrid Lindgren qui taille ses sculptures de bois lorsqu´il est enfermé après avoir fait une sottise de garnement indiscipliné est son héros favori. Je me demande ce qu´elle lui trouve, car elle n´est jamais punie : elle n´est que tancée de la voix, ce qu´elle supporte mal. Peut-être désire-t-elle un petit frère.

 Elle aime moins Fifi Brin d´Acier du même auteur. Sa force est peut-être trop grande pour elle. Elle n´a pas de nattes rousses, ne soulève  pad de cheval et ne s´habille pas de couleurs aussi vives avec des chaussettes dépareillées: C´est déjà une vraie petite fille consciente de sa féminité. Elle aime aussi qu´on lui lise avant qu´on ne la couche et juste après le bain des histoires au lit, mais ce moment ne se prolonge jamais aussi longtemps que celui où elle se vautre seule sur le divan face à la télévision. Autre temps, autres  moeurs,

Les livres traduits ou écrits par Jo Tenfjord cherchent à donner à l´enfant la ferme pensée que dans les années d´après la Seconde Guerre mondiale tout enfant devait dès son plus jeune âge recevoir ces  certitudes : haïr la guerre ; accepter l´autre pour ce qu´il est, coutumes et pensées confondues. S´enrichir grâce aux différences des autres. Et croire fermement aux relations familiales et à l´amitié entre les peuples. Son engagement pour le développement de l´enfant remonte autant à son enfance choyée dans une grande maison qu´elle s´imaginait habitée de spectres qu´il lui faillait impérativement faire revivre, que chasser des démons venus de toutes les guerres que le XXe siècle a connues.

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