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30 décembre 2006 6 30 /12 /décembre /2006 07:54

L´appartement de mon enfance dans la rue Beaugrenelle du XVe arrondisement de Paris était suffisamment grand que je pouvais jouer à cache-cache avec ma mère et ma grande soeur.

J´avais le choix des pièces. Dans la salle à manger, je pouvais me glisser sous le long buffet au dessus duquel se trouvait le portrait de mon père habillé en officier de la marine marchande, ou me tenir à croupetons derrière le grand fauteuil usagé dans lequel ma mère aimait fumer une cigarette et se détendre quelques instants à la fin d´un bon repas de dimanche. Elle ne disait rien, faisait comme si de rien n´était, et ma soeur cherchait des minutes entières comme si ma cachette était impossible à trouver. Elle s´approchait lentement, rebroussait chemin, tournait autour de la table, revenait vers le fond de la pièce, et quand je sentais qu´elle s´approchait inexorablement, je pivotais autour du fauteuil pour retarder le plus possible le moment où je serais découvert. "Ah ! Tu étais là !", et je jubilais qu´elle ait mis tant de temps à trouver ma cachettte, et que ma mère n´ait rien dit durant tout ce temps. C´était alors au tour de ma soeur de se cacher. Mais les lieux à elle étaient moins insolites que les miens. C´était derrière une porte, ou derrière un rideau, et je pouvais voir ses pieds dès que j´avais fini de compter jusqu´a dix ou vingt en ayant fermé les yeux et mis mes mains devant eux pour faire le noir complet. Mais je faisais durer le plaisir, et ne tirais pas immédiatement le rideau où elle s´était cachée.

Il y avait dans la salle à manger une troisième cachette que j´aimais par dessus tout : le dessous du bureau de mon père où se trouvait le téléphone et tout un tas de papiers, lettres et livres divers. J´écartais sans bruit le fauteuil, me recroquevillais le plus que je pouvais, et replacais en silence le fauteuil que j´avais déplacé pour me cacher. Je retenais mon souffle. Le comble de ma joie était les fois où le téléphone sonnait. Ma mère ou ma soeur s´approchaient alors à grands pas, prenaient le combiné et répondaient sans se douter le moins du monde que j´étais tout près, à leurs pieds, et que je pouvais écouter tout ce qu´elles disaient. La conversation terminée, elles reprenaient leurs recherches en s´éloignant, passaient dans les autres pièces, criaient : " Où es-tu ?", mais je ne répondais pas, certain que ma cachette était quasi introuvable ; mais elles me trouvaient cependant, et le jeu reprenait aussitôt.

Je pouvais me cacher dans la cuisine derrière une porte toujours ouverte, je pouvais pénétrer dans la chambre de ma mère et me glisser dans le lit en évitant de respirer, je pouvais me glisser derrière le grand rideau du couloir qui condamnait une porte d´entrée que l´on n´ouvrait jamais, je pouvais aussi choisir ma chambre, l´avant dernière pièce en enfilade de l´appartement au bout du couloir où se trouvaient les toilettes juste à côté de la salle de bains.

J´ai réussi une fois à me cacher dans l´immense armoire à deux battants de ma chambre. J´avais en toute hâte déplacé les vieilles chaussures du bas de l´armoire et réussi à m´y glisser sans bruit. J´avais même pu refermer en partie les deux battants, mais l´une des portes était restée entrebaillée, et c´est ainsi que ma soeur a fini par me trouver. Je me cachais rarement sous un lit, car j´ai toujours trouvé cette cachette trop facile à trouver. Je n´allais cependant jamais dans la dernière pièce, car elle était occupée par une jeune provinciale qui travaillait à Paris, Huguette, qui payait un modeste loyer. Se cacher chez elle aurait été de la triche, et la règle voulait qu´on ne se cache que dans les limites de nos pièces à nous.

Lorsque je fus plus grand, la règle changea quelque peu. Ce n´était plus moi-même que je cachais mais un petit objet, par exemple un rond de serviette ou une cuiller à café. C´était presque toujours à la fin d´un déjeuner, les dimanches où ma mère ne travaillait pas. Là aussi il fallait fermer les yeux, compter jusqu´à 100 ( et non plus jusqu´à dix ou vingt ), et trouver un lieu insolite sans faire de bruit dans la salle à manger. Ouvrir un tiroir pouvait s´entendre ; il fallait donc être le plus silencieux possible. Quand la cachette était trouvée, on ne disait cependant rien, et on laissait la personne qui devait compter jusqu´à 100 dire : "97, 98, 99, 100 !". Le temps imparti était alors écoulé. Le moment de la recherche de l´objet caché était venu. Au début, on ne disait rien. On laissait la personne qui devait chercher, tatonner plusieurs minutes. Mais peu à peu, quand le jeu s´éternisait, on pouvait dire : "Tu brûles !" , ou même  : "Tu crames !" si c´était  tout près. Mais si ma soeur ou ma mère s´éloignaient de la cachette, le " Tu brûles !" était abandonné pour faire place à une phrase plus anodine du genre : "Tu t´éloignes !", "Non ! Non ! Tu t´éloignes !", ce qui indiquait le désappointement.

Comme j´aurais aimé que l´appartement soit plus grand, pouvoir me cacher dans un grenier ou ouvrir un placard à la cave et qu´une grand-mère puisse me dire, après une éternité où personne ne m´aurait trouvé, tellement la cachette était parfaite : -" Mais où as-tu été  ? Tu es tout couvert de poussière !" - " On t´as cherché partout ! " - "Cet enfant ne sait pas quoi inventer !"

Cela me suffit de le vivre en pensée. Cela me suffit d´imaginer qu´un jour, mes petites filles Tiril et Thea joueront avec le grand-père que je suis devenu, au jeu de cache-cache dans une maison à recoins qui est la leur.

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