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21 janvier 2007 7 21 /01 /janvier /2007 16:12

[ Alambic miniature ]

Décembre 1965 : Je suis pour la première fois en Norvège depuis quelques heures. Mon amie norvégienne m´emmène chez celle qu´elle appelle sa seconde mère, une bibliothécaire et auteur de livres pour enfants Jo Tenfjord. Nous allons à pied chez elle. Elle m´accueille les bras ouverts.Sa fille et elle feront partie de mes meilleures amies. Elle sort plusieurs bouteilles de liqueur d´un petit buffet-secrétaire : Cognac, Grand-Marnier et "alcools norvégiens". Par politesse et curiosité je choisis un "alcool norvégien". La maîtresse de maison montre de l´étonnement et me le déconseille. J´insiste. Elle s´incline avec un sourire en coin. J´apprends mon premier mot norvégien : "Skål !" ( = à la tienne ), et je goûte. C´est à mon tour d´être étonné : c´est à la fois âcre et sirupeux et d´un goût plus que bizarre. J´ai appris plus tard que cela avait été "fait-maison" avec de l´extrait de plante ( = essens ) et de l´alcool à 90%. Inoubliable : la preuve !

Eté 1970 ou 1971 : Je suis dans le Finmark, le Comté ( ou département ) le plus au Nord de la Norvège qui a une frontière avec la Russie, ex-Union Soviétique. Les localités, bourgs, villages et hameaux sont distants les uns des autres de plusieurs dizaines de kilomètres. Peu d´arbres. Lumières d´été que j´apprendrai à apprécier plus tard. Les rares auberges n´en sont pas vraiment, plutôt des cafétérias qui ne servent ni vins ni bières. Nous allions à Vadsø  ( ou Vardø ), deux "villes de merde" ( sic ) d´après deux jeunes filles de 16-17 ans que nous avons prises en stop soixante dix kilomètres et qui faisaient environ cent cinquante kilomètres pour aller danser un samedi soir. Nous les avons laissés à une patte d´oie fort mécontentes que nous ne fassions pas une rallonge de deux fois soixante quinze kilomètres pour leur permettre d´arriver en avance à leur bal du samedi soir. Inoubliable : la preuve !

Nous arrivons enfin à Vardø ( ou Vadsø ). A jeun, après avoir pris nos dispositions pour la nuit, je bois en attendant le plat du jour que nous avions commandé, un demi-litre de bière presque d´un trait. Puis je commande un deuxième demi-litre pour accompagner ce que j´ai pris comme plat du jour. Une fois terminé, je me commande un troisième demi-litre. Je n´avais pas bu une seule goutte d´alcool depuis plusieurs jours. La tête me tourne. Je comprends pour la première fois de ma vie que l´on puisse avoir soif d´alcool, boire sans discernement et se soûler à la bière. Inoubliable : la preuve !

Juillet 1972 : Mon mariage dans la banlieue cossue, feutrée et huppée de la capitale Oslo. De France, nous avions mis dans le coffre de la voiture de dimension modeste qui se traînait sur les autoroutes allemandes, surtout dans les côtes, deux ou trois cartons de Gewurztraminer, d´autres vins d´Alsace et d´ailleurs, des rouges capiteux et des blancs secs, et plusieurs bouteilles de Champagne, du Mumm Rouge. A la frontière, nous avions déclaré le tout et payé les droits de douane qu´il fallait. "C´est un vrai déménagement !" nous dit un des douaniers. En effet, c´était un emménagement. J´avais invité ma mère, ma soeur qui n´a pu venir, mon témoin, et d´excellents amis. Je savais qu´il y aurait du saumon en entrée, du renne en plat de résistance et de la crème aux mûres arctiques ( = multekrem, et non moltekrem comme je l´ai appris plus tard ...). Je tenais à ce que les vins soient à mon goût : simples et selon ma bourse. Comme j´aime souvent dire, en parodiant De Gaulle " mon verre est petit, mais je bois dans mon verre".

J´ai tenu à ce que chacun soit servi autant qu´il le voulait pendant le repas. De même avec le champagne. Les bouchons ont sauté comme il le fallait. Personne n´a manqué de rien. A part une seule personne proche de la famille de ma belle-mère, personne n´a été ivre ni même "pompette". Ce qui a étonné ma belle-mère ; et cela m´a étonné que ma belle-mère l´ait été. Je n´ai jamais vu parmi mes amis, mes proches et les membres de ma famille que quelqu´un ait trop bu, surtout en famille. J´ai lu deux fois Lillelord de Johan Borgen ( 1902-1979 ), écrivain estimable, estimé et prisé pour ses romans et ses nouvelles, notamment ce roman. Il décrit les émois, les interrogations et les pulsions inavouées d´un enfant puis jeune adolescent de la très bonne société bourgeoise d´Oslo au début du XXe siècle. Il est fasciné par la pauvreté des classes laborieuses et la marginalité. Sa relation à l´alcool dans les deux derniers chapitres du roman me laisse incrédule : j´ai peine à croire aux situations imaginées par l´écrivain, qui sont à la fois réalistes par les lieux décrits et symboliques par le désir de descente en enfer du héros,  même si j´admets que boire à en perdre l´équilibre et la raison puisse exister dans toutes les classes sociales. J´ai à ce moment du roman plus de sympathie pour son Oncle Martin, vrai "soutien de la société" selon Ibsen,  que pour lui, qui lui dit : " Il ne faut jamais s´enivrer pendant une réunion de famille".

Plusieurs Noëls de suite : Je n´ai guère le souvenir de Noëls familiaux en France. Mais ils étaient l´occasion de bons petits repas soignés bien que traditionnels avec quelques vins qui cherchaient à sortir de l´ordinaire tout en étant de prix modérés. Le repas du jour de Noël dans ma belle-famille auquel j´ai dû me soumettre plusieurs années de suite avant la naissance de mes deux enfants, est quelque chose d´inoubliable : la preuve ! Du " fiskepudding" ( = "hachis de poisson cuit au bain-marie" selon le dictionnaire ; je dirai plutôt "quenelle de poisson" pour être plus positif en ce jour de fête célébré avec éclat dans toute la chrétienté ...), assaisonné de "sauce blanche" ( = sauce Béchamel ", toujours pour être positif et aimable ) , et accompagné d´une petite bouteille de bière légère de moins de 2% d´alcool. Puis, comme dessert, du riz au lait ( = risgrøt, pour encore éviter par courtoisie et amabilité la traduction que propose le dictionnaire qui fait, comme chacun sait, autorité : "bouillie de riz" ...). Inoubliable : la preuve !

1972 - 1974 : Nous somme invités, ma femme et moi, chez de bons amis, Sigrid N. et son mari Jarl. La soirée est simple et animée. Les enfants de nos amis sont couchés et la mère de Jarl, qui habite dans la même maison à un étage en dessous, ne dérange personne. Jarl va alors chercher dans sa cave - ou plutôt dans une pièce du sous-sol - une boisson jaune clair qu´il appelle jus de pomme. Il sert tout le monde en souriant. Je ne vois pas en quoi cela a le goût du jus de la pomme, mais ca se boit gentiment. Jarl apprécie de voir que j´apprécie. Il descendra une ou deux fois au sous-sol pour aller chercher d´autres bouteilles. Le moment du départ arrive. Sigrid et Jarl, presqu´en même temps, demandent qui va conduire. Il va sans dire que ce sera moi, ma femme n´ayant pas à cette époque passé son permis. Cris de Jarl et Sigrid :  " Tu as plus de 0, 5 pour mille d´alcool dans le sang !" - " Mais j´ai bu du jus de pomme !". Je n´avais pas compris que ce jus de pomme qui n´en avait pas le goût n´en était pas, mais de l´alcool maison fait clandestinnement ( = hjemmebrennevin ou heimebrennevin selon les dialectes...). J´ai oublié si j´ai conduit tout de même ce jour-là ou si nous sommes rentrés à pied. C´est l´une des rares fois où je n´ai pas été malade après avoir bu de l´alcool fait clandestinement. " A la tienne, Jarl ! "Inoubliable : la preuve ! 

Alcool clandestin bis :  Lorsque mon futur beau-frère était étudiant à l´Ecole Polytechnique de Trondheim ( ex-NTH ), il avait installé un petit ( ? ) alambic dans sa chambre d´étudiant pour faire de l´alcool en douce. Il l´utilisait encore dans mes premières années en Norvège, alors que ses enfants étaient tous petits. J´en ai bu plusieurs fois. C´était de l´abominable tord-boyaux qui m´a rendu plusieurs fois malade presque comme un chien. J´en ai bu dans d´autres circonstances avec neuf fois sur dix les mêmes effets que je ne décrirai pas : ils sont faciles à imaginer. Je peux vous renvoyer à Zola ou Céline. Inoubliable : la preuve !

Alcool clandestin ter : On achète de l´alcool à 90% ( ou 96% ), on ajoute de l´extrait de différents fruits : framboise, prune, fraise, raisin, etc. On verse dans cet alcool et cet extrait de plante ou de fruit de l´eau gazeuse ou plate et on dilue le tout. C´est sirupeux  au possible et ca vous dérange l´estomac presque aussi bien que le "véritable" alcool clandestin fait en alambic. On doit toujours le faire, puisque ces petites bouteilles d´extraits de plantes et de fruits se vendent encore dans les supermarchés du coin.

Passage de douane en 1973 : Lors d´un séjour en France et en Suisse durant l´été 1973, mon beau-frère s´était décidé à faire un peu de contrebande. Il a donc acheté un grand nombre de bouteilles qu´il a soigneusement calées dans les quatre dossiers de sa voiture. Pour ma part, je m´étais contenté de une ou deux bouteilles supplémentaires et une plante avec sa terre dans son pot. Cela aussi était interdit. Que pensez qu´à la plante il arrivât ? Elle mourût ! Les douaniers arrêtaient environ une voiture sur quatre. J´étais juste devant la voiture de mon beau-frère. C´est moi qui dû me ranger sur le bas côté pour subir le contrôle tant redouté de la douane. En me dépassant à faible allure, mon beau-frère me fit un petit signe discret de la main accompagné d´un sourire en coin. La première chose que les douaniers firent fut de secouer vigoureusement les quatre dossiers de la voiture. Ils me sermonèrent pour la plante en pot et sa terre. A chaque petit verre de l´alcool de poire Williams, nous évoquions, mon beau-frère et moi, ce passage de douane mémorable.

Décembre 2006 : Je recois une lettre mystérieuse de trois ou quatre pages plus qu´officielles de la Poste. Elle m´annonce que j´ai recu de France un paquet contenant de l´alcool. D´un certain BENDIST. Je ne connais aucun Bendist. Je dois payer 125,- Couronnes à la Poste, 175,- Couronnes au Ministère ( ou Direcrorat ) de la Santé ( ou le contraire...), et des frais de douane une fois ces taxes administratives acquitées. Je comprends après trois jours de réflexion que ce cadeau vient de ma soeur. Une faute de frappe rendait son nom incompréhensible : un "o" n´est pas un "d" comme dirait Victor Hugo avec son célèbre Jérimadeth, ville biblique bien connue depuis. Je lui téléphone. Elle m´avait envoyé une bonne bouteille de Dubonnet. Si j´avais accepté cette bouteille bon enfant, j´aurais dû payer environ le triple de ce qu´elle coûte réellement en Norvège ; prix qui est déjà plus du double de ce qu´il est en France. Peut être que j´aurais dû accepter ce cadeau venant du coeur, quel qu´en soit son prix. La relation à l´alcool des Norvégiens n´a pas fini de m´étonner. Cela touche au plus profond de leur savoir-être ( = væremåten ), et remonte à la nuit des temps.

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