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20 janvier 2007 6 20 /01 /janvier /2007 15:51

Je n´ai jamais eu de problèmes d´alcool. J´ai été franchement ivre une fois, deux jours avant mon conseil de révision, au cours duquel j´ai été déclaré  bon pour le service ; et cela m´a suffit. Il m´est certes arrivé, au cours de ma vie, d´être pompette plusieurs fois, mais jamais ivre au point de ne pas me souvenir ce que j´avais fait, y compris les jours où l´on s´y attendait, comme par exemple quand j´ai été invité par des élèves à une fête du cochon.

Francais de naissance et avant tout parisien, même si je me considère aussi largement charentais, j´ai toujours fait la différence entre la bière, le vin et l´alcool. Je peux boire une bière simplement pour me désaltérer, surtout en été ; ou en mangeant une choucroute ou des harengs. Le vin, je le bois essentiellement pour accompagner les plats qui me sont servis ou que je me fais : du rouge ou du blanc pour la semaine si c´est de la viande ou du poisson, un Bordeaux, un Bourgogne, un Beaujolais ou un Moselle si c´est un dimanche ou un jour un peu spécial. Parler de Morgon 1968 ou Pommerol 65 est trop avancé pour moi. Je peux parler du vin que j´ai dans mon verre, je ne peux parler vin. Quant aux alcools, c´est soit un apéritif genre whisky, ricard ou kirr, soit un digestif comme un cognac ou un Grand Marnier. Ma relation à l´alcool ne va pas plus loin. Pour parodier de Gaulle : " mon verre est petit, mais je bois dans mon verre".

Ma mère aimait accompagner son fromage avec une ou deux gorgées de vin. Agée, elle vivait seule et s´achetait de Cabernet d´Anjou. Mais il arrivait souvent qu´elle doive jeter le fond de la bouteille, car le vin qui restait était devenu aigre. Je me souviens qu´en 1954, elle avait salué les efforts de Pierre Mendès-France, alors Président du Conseil, dans sa lutte contre les bouilleurs de cru, et le fléau qu´est l´alcoolisme en France. Elle avait aussi approuvé ses dispositions pour faire boire du lait aux enfants des écoles. Pour moi, enfant de 10 ans, c´était une désagréable obligation : elle me forcait à ingurgiter d´immenses bols de lait dans un réfectoire tout en long et sentant l´eau de javel à 16 heures de l´après-midi. Je n´aimais pas le lait, ne l´aime toujours pas et le digère très mal. A dix ans, je commencais à avoir d´autres préoccupations que le lait ... 

Quelques années plus tard, quand ma mère, ma soeur et moi, pour attendre un train à Bâle ( ou  Zurich ), sommes entrés dans un restaurant près de la gare et que la servante peu aimable nous a précisé que l´on ne servait pas de vin, nous avons bien ricanné quand, après s´être décidé à prendre de la bière au lieu de vin,  elle nous a aussi dit d´un air excédé que le café ne servait pas du tout d´alcool. Il nous a bien fallu comprendre, et nous nous sommes inclinés, ne désirant pas changer de restaurant. 

C´est vraiment en Norvège que j´ai compris que la bière était de l´alcool. Et plus encore ce qu´était une politique de contrôle et de restriction. Il y a en France un monopole de tabac. Il y en en Norvège un monopole de vin. On peut certes acheter de la bière en épicerie, ou dans les surpermarchés que l´on trouve partout dans le pays, mais les bières dépassant 4,7% d´alcool, les vins et les alcools "forts" sont uniquement vendus dans des magasins spécialisés, les fameux "vinmonopolet". Il y a même des régions, notamment dans le Grand Nord, où il y a des "monopoles de bières". Ce n´était pas le cas à Førde ou Nordfjordeid. Entre 1972 et 1977, les années où j´y ai vécu, on pouvait acheter deux ou trois bouteilles de bière à l´unité dans les petites épiceries. Mais si on voulait acheter toute une caisse de 24 bouteilles, il fallait la commander en baissant la voix et passer par la porte de derrière le jour où on allait la chercher. Pour que personne ne sache que l´on n´était pas un abstinent.

Ma femme et moi avions fait la connaissance d´un juriste qui intervenait comme avocat à Førde, Alf B. Il commanda un jour toute une caisse de bière dans l´épicerie où nous avions l´ habitude d´aller. Le jour où il alla la chercher, l´épicier lui dit soudain : "Cachez-vous, votre mère arrive !" Je ne sais s´il s´est exécuté. Mais il avait plus de quarante ans, était marié, père de famille et donnait des conférences à l´Université de Bergen.

Nous connaissions aussi fort bien un professeur d´école primaire, marié à la bibliothécaire en chef, Roald F. Nous allions souvent chez eux bavarder, discuter de choses et d´autres et quelquefois déjeuner. Il y avait toujours des bières et parfois du vin. Mais ni Roald, ni sa femme n´achetaient de l´alcool à Førde. Roald ne voulait pas que l´on sache, en tant qu´enseignant ayant la charge d´éduquer les enfants de la commune, qu´il pouvait boire de l´alcool. Il achetait donc ses caisses de bières à Bergen quand il allait en voiture rendre visite à ses beaux-parents. Tout comme le vin. Car la commune, comme tout le Comté ( ou le département ) de Sogn og Fjordane à l´époque, n´avait aucun magasin vendant des vins et des alcools. On pouvait cependant en acheter, mais il fallait le commander auprès du "lensmann", c´est-à-dire, comme le précise en deux mots simples le dictionnaire qui fait autorité en la matière : "l´officier d´administration chargé de maintenir l´ordre et de la collecte des impôts dans les communes rurales". Ni plus, ni moins. Il est évident que ce notable fonctionnaire se devait d´être discret. Il n´était cependant pas en mesure de contrôler les allées et venues des habitants de sa commune qui, un certain jour de la semaine, allaient à la gare routière pour découvrir ceux qui emportaient des lourdes caisses venant de Bergen et estampillées des étiquettes du monopole des vins. Ces observateurs sans doute bien intentionnés pouvaient ainsi savoir qui, parmi les habitants de la commune, n´étaient pas abstinents.

Le jour où la commune a ouvert son propre monopole des vins, j´ai appris qu´il y avait deux catégories de personnes qui s´étaient rassemblées devant le magasin : ceux qui faisaient la queue pour pouvoir enfin s´acheter sur place une ou plusieurs bouteilles, et les curieux, badauds et censeurs qui voulaient voir qui faisaient la queue pour acheter. J´ai même appris que durant les premières années qui ont suivi son ouverture, le magasin a dû plusieurs fois être fermé pour cause d´incendie.

Alors que j´ habitais encore à Førde, ma femme et moi avions fait la connaissance du jeune assistant du juge, un certain F., amateur de jazz et joueur de flûte. Lors de son départ, il organisa chez lui une pendaison de crémaillère à l´envers. Il nous invita, avec quelques autres, dont son successeur, qui non seulement allait reprendre son poste mais aussi son logement. Ce dernier, le jour de la fête, avait oublié où exatement il devait se rendre. Il demanda donc à un passant où se trouvait le logement de l´assistant du juge. Le passant le renseigna aussitôt, en ajoutant avant de s´éloigner : " Je sais qu´il attend de la visite. Je l´ai vu emporter une caisse de bière". Ce qui fit une forte impression au nouvel assistant du juge qui allait devoir vivre à Førde plusieurs années de suite.  

J´ai encore du mal à comprende cette législation restricitive et cette suspicion vis-à-vis de l´alcool, même si elles ne sont plus aujourd´hui, en 2007, ce qu´elles étaient dans les années 1970. Certains magasins spécialisés dans la vente de vins, alcools et bières fortes sont maintenant des self-services. On ne fait donc plus la queue en tenant à la main son numéro pour attendre son tour et être servi comme on peut le faire dans une banque ou une pharmacie. Je ne crois pas non plus qu´un élève me dirait "skål" ( = à la vôtre !" ou plutôt  "à la tienne ! "... ) s´il me voyait accompagner un plat du jour avec une bouteille de bière faible en alcool. On pourrait en revanche certainement encore renvoyer trois jours du lycée un élève qui aurait jeter une bouteille de bière sur la portrait du proviseur. Mais sûrement  pas quinze jours, comme on l´avait proposé lors de mon premier conseil de classe, en 1973. J´avais été le seul a voter contre. Après délibération, la sanction avait été ramenée à huit jours. Mon voisin Einar Å., qui n´avait encore jamais mangé de pizza ni d´olives, s´était abstenu. 

Reste que la vente libre d´alcool n´est toujours pas autorisée dans les épiceries et les supermarchés. Ce ne sera sans doute pas demain la veille que ce le sera. Comme ce ne sera pas non plus demain que la Norvège entrera dans l´Union européeenne. La relation à l´alcool du Norvégien ne vient pas seulement de la législation ; elle est une part non négligeable de son mode de vie quotidien, et a pour racines et origines aussi bien son climat que la prise de position de l´Eglise luthérienne. Comme dirait BodinMontesquieu ou Hippolyte Taine.

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