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20 juillet 2007 5 20 /07 /juillet /2007 17:25

[ 5 ] - La pièce où se trouvait la bibliothèque de mon père dans l´appartement de mon enfance n´a été ma chambre que  deux ou trois ans alors que j´avais 15 ou 16 ans. C´est là que j´ai commencé à la connaître en recherchant  notamment deux ouvrages dont deux de mes professeurs avaient parlé à titres divers : les Maximes de La Rochefoucault, dont j´avais appris par coeur une maxime qui avait fait sourire d´une drôle de facon mon professseur de francais ; Les Illuminations de Rimbaud, dont le poème "Aube" que j´avais ouvertement "utilisé" sans le dire, pour écrire en anglais une courte dissertation qui n´avait aucun rapport avec le sujet que mon professeur d´anglais avait donné. Le volume des Maximes, que j´ai jeté, ne me manque pas, mais je relis assez souvent certains poèmes des Illuminations; et je le sors toujours avec émotion, même s´il n´a pu appartenir à mon père, car la date de parution du livre que je possède est de 1946. Qui a acheté ce livre ? Ma mère ? Ma soeur quand elle a été lycéenne ? "Enfance", du même Rimbaud, est annoté de ma main quand j´ai relu attentivement toutes les Illuminations à la fin des années 1970 pour le mettre à mon programme d´examen de francais de hovedfag  (= maîtrise) en Norvège. Pas "Aube". Mais c´est "Aube" qui a servi de déclic. Je crois savoir pourquoi j´aime par dessus tout ce vieux volume sale : ce sont les poèmes de ce volume et notamment "Aube" qui m´ont donné l´envie de "prolonger" de manière personnelle en anglais un texte très court d´un vrai poète : J´ai embrassé l´aube d´été ( ...) / Je ris au wasserfall blond qui s´échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse (... ) / Au réveil il était midi.

C´est Rimbaud qui a écrit : On n´est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. ( "Roman", dans Poésies ).Mon commentaire de retraité sera laconique : j´en doute. [ Le portrait ci-dessus à droite est de Fantin Latour (détail ) ].

Outre ces deux ouvrages aux couvertures jaunâtres et sales, c´est aussi dans cette pièce que j´ai dévoré en un long week-end de trois jours ensoleillés de pentecôte et deux nuits entières Les Thibault de Roger Martin du Gard en livre de poche, en m´identifiant sans honte à Jacques, jeune fils qui souffre à double titre : d´abord de son père, lointain, autoritaire et catholique intransigeant ; ensuite de son  frère beaucoup plus âgé, Antoine, jeune médecin entièrement voué à sa profession. J´ignore totalement si mon père connaissait cet écrivain. L´oeuvre n´était pas dans sa bibliothèque. C´était en tout cas à la lecture de ce roman que je me suis totalement identifé aux aventures d´un personnage de papier, la première fois que je vivais ce qu´un écrivain avait inventé.  Enfant rebelle, sans frère et soeur de son âge, orphelin de mère, fils mal aimé d´un père âgé inaccessible, Jacques était placé, sans vraiment savoir pourquoi, dans une maison de redressement. Il me semblait, à lire ce que Jacques vivait, que j´aurais pu moi aussi être placé dans une telle maison si j´avais dû vivre soixante plus tôt dans une famille analogue. Adolescent révolté, Jacques se sentait incompris, insatisfait de tout, bouillonnant et maladroit. Moi aussi. Il quittait sur un coup de tête sa famille qui n´en était pas vraiment une à ses yeux à la suite d´une déception amoureuse avec la jeune fille d´un milieu protestant que son père n´appréciait en rien. Il me semblait que cela aurait pu être mon cas.  Il était recu brillamment à une Grande Ecole, mais refusait  d´y entrer pour gagner la Suisse et construire sa propre vie. Il me semblait que je serais capable de le faire plus tard. Il publiait une nouvelle sous un pseudonyme qui ne trompait pas son vieux professeur de lettres. C´est ce qu´il fallait faire. Il diffusait les idées socialistes et pacifistes de son époque pour s´opposer aux menaces de guerres qui couvaient dans l´Europe des années de la prétendue "Belle époque". C´est lui qui était dans le vrai. Pour le père, les Thibault avait un nom, une renommée, des ancêtres, un rang à tenir, une mission à accomplir. Son frère Antoine prenait le même chemin que son Père. Lui, Jacques, avait un autre destin :  il devait ouvrir une voie.

Le père Thibault n´avait aucun état d´âme. Le frère médecin pas beaucoup plus. Jacques en avait trop.  Le père Thibault, à l´agonie, évoque à deux ou trois reprises l´absence de son fils Jacques qu´il n´a pas vu depuis plusieurs années. Antoine comprend la souffrance quasi muette du père. Il sent que son devoir d´aîné est de retrouver son frère avant la mort du père. Aucun des frères ne survivra à l´hécatombe de la Première Guerre mondiale que l´on s´osbtine à appeler, je ne sais pourquoi, La Grande Guerre. L´épilogue de Martin du Gard est sans illusion. Les Thibaut n´auront aucune postérité. Aurais-je pu parler de cette oeuvre à un père qui ne la connaissait probablement pas ?

Ce compte-rendu, fait totalement de mémoire plus de quarante après avoir lu le roman une seule fois,  ne prétend à aucune réalité objective. Je n´ai consulté aucun manuel scolaire du XXe siècle du genre Lagarde et Michard ou compagnie, n´ai pas cherché à lire une page quatre de couverture publiée sur le net, ou lancé un moteur de recherche en tapant le nom  de Roger Martin du Gard. Il y a des raccourcis et des comparaisons avec mon histoire personnelle qui ne peuvent qu´irriter. Je ne le nie pas. Ce que je cherche à dire dans ces souvenirs et ses impressions n´a pas pour objectif de restituer une objectivité illusoire, et encore moins une vérité. C´est un souvenir travaillé par le temps et restitué par des mots que je trouve aujourd´hui. Il n´est que celui d´un retraité qui se souvient plus de quarante ans après. Si j´avais tenté de l´écrire il y a dix ou vingt ans, il aurait eu une tonalité différente. Si j´y reviens plus tard, il est possible que j´y ajoute une ou deux phrases, voire un paragraphe. Je souhaite pouvoir écrire, comme Montaigne que mon père a lu et aimé, " j´adjouste, mais je ne corrige pas." 

 Les ouvrages de mon père que j´ai déménagés dans l´appartement du dessous beaucoup plus petit n´avaient cependant  rien à voir avec ceux que je commencais à lire et qui me revélaient à moi-même autant qu´ils me dévoilaient le monde. Je m´en suis rendu compte avec évidence quand il m´a fallu les regrouper dans trois endroits différents. ( .../..6 )

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