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27 octobre 2007 6 27 /10 /octobre /2007 08:31
Cher Papa

Voilà bien longtemps que je ne t´aie écrit. Cela ne m´empêche pas de penser à toi pratiquement tous les jours. Mais il est aussi important que je vive ma vie de jeune retraité qui est désormais la mienne. J´occupe donc autant mon esprit de nourritures terrestes que spirituelles. Je lis, j´écris,  je vais quelquefois au cinéma , mais je fais aussi régulièrement  mes courses. Je n´oublie pas de faire le ménage et plus encore d´entretenir mes deux petits jardins devant et derrière ma maison. De bonnes connaissances m´encouragent  souvent à faire des promenades deux ou trois heures plusieurs fois par semaine dans la campagne environnante, mais j´avoue que cela ne m´intéresse guère. Me promener seul m´ennuie. J´entretiens peut-être mal mon corps, mais je ne le néglige pas pour autant. J´adore faire la cuisine, et mon hygiène est saine et régulière. Pour citer l´un des maîtres d´Anouilh, il faut manger pour vivre et non ... point.

J´ai commencé à lire l´énorme roman Les deux étendards de Lucien Rebatet dont je t´ai parlé dans ma lettre précédente. Je l´ai recu il y a six ou sept semaines. Les deux premières pages m´avaient immédiatement accroché. Mais les quelques 120 pages que j´ai lues sur les 1.100 au total sont assez fastidieuses. Cet écrivain est d´un bavard sans nom. Il écrit certes très bien, sa culture est très grande et ses inventions langagières et verbales dans les répliques de ses personnages sont nombreuses. Il utilise avec humour et ironie narquoise l´argot des potaches et étudiants de l´époque. Il n´empêche que ces 120 pages ne m´accrochent pas. Ce qui explique pourquoi j´ai lu plusieurs autres livres entre-temps. Sans doute pour deux bonnes raisons. Rebatet fait beaucoup trop parler ses jeunes gens de 18-20ans qui sont Michel le narrateur et Guillaume, ainsi que Régis, qui deviendra bientôt un protagoniste important ( si j´ai bien compris ). Ils discutent sans cesse de tout avec une assurance incroyable. Tout y passe : la découverte du plaisir facile à Paris, la littérature d´avant-garde, conformiste ou reconnue, la peinture, la philosophie, et bien sûr La Musique, notamment celle de Wagner et de Stravinsky. Rebatet ne pourrait être lui-même sans parler de musique. Chose curieuse, ses héros ne parlent pas de politique. Cela doit autant venir de Stendhal que des années que l´écrivain a passées en prison à la Libération. Mais on sent bien dans les dialogues entre les jeunes gens que Rebatet est contre le parlementarisme et la démocratie qui, pour ses héros, sont défendus par les médiocres. 

Je ne connais pas la fin exacte du roman. Mais j´en connais le thème, - si j´ai bien compris la page quatre du roman -, l´amour mystique de Régis et de sa fiancée Anne-Marie qui veulent tous les deux consacrer leur vie à Dieu malgré leur attirance physique réciproque qu´ils surmontent ;  ce qui exalte l´amour intense de Michel pour Anne-Marie qui rompra ses voeux pour rejoindre Michel, celle-ci étant tombée amoureuse de l´amour que Michel lui porte. Ce sera un échec total. C´est, sans doute, autant ce thème que les palabres incessantes entre les protagonistes, qui me gênent. L´amour mystique et l´amour de Dieu sont totalement en dehors de mes préoccupations quotidiennes. Si Rebatet est au purgatoire aujourd´hui, c´est bien sûr avant tout à cause de son pamphlet Les décombres que ceux qui le connaissent considèrent un livre odieux, , mais aussi à cause des longueurs et du thème lui-même : l´amour mystique. Je n´ai pourtant pas l´intention d´abandonner ma lecture. Mes priorités terrestes et spirituelles actuelles sont, heureusement, toutes autres.

Ce roman a été publié en 1951. Tu ne peux donc, cher Papa, le connaître. Je ne sais si tu as lu le pamphlet Les décombres de Lucien Rebatet. Mais tu ne peux ignorer son nom et son soutien plus qu´actif sous l´Occupation et son rôle dans la Collaboration avec les Nazis. Il a pourtant été grâcié et non exécuté comme Robert Brasillach qu´Anouilh a cherché à sauver. Toi qui aimais lire la grande littérature, aurais-tu acheté ce roman de 1.100 pages que l´on a dit grand dès avant sa parution comme l´a affirmé Albert Camus ?

A part cela, j´ai lu presque d´un trait La Garconne de Victor Margueritte qui se trouvait dans ta bibliothèque que j´ai jetée. Je l´ai lu en deux ou trois jours après l´avoir recu par la poste. La remarque laconique de Maman disant "un livre à scandale" m´était restée. Je comprends que ce roman ait suscité un débat dans la société bourgeoise du début des années 1920. Mais parler de scandale dépeint davantage le côté étriqué de l´époque qu´autre chose. C´est facile à lire et rempli de poncifs alléchants, sans plus. L´antisémitisme, la xénophobie et le racisme rampants sont particulèrement déplaisants. La fin est totalement ridicule et d´un conformisme affligeant : la garconne finit par découvrir l´amour et sa féminité de femme avec un grand A et un grand F ; elle consacrera sa vie qui s´ouvre devant elle à être une épouse dévouée, fidèle et exemplaire. C´est d´une ineptie sans nom quand on a lu tous les excès qu´elle s´est permise tout au long du roman. Je ne sais si on parlait en 1922-1923 de "happy end" pour parler de fins conventionnelles de beaucoup de films américains, mais cette fin est d´une tristesse autant affligeante que stupide. Pauvres Flaubert et Baudelaire auxquels a fait référence l´Académicien Anatole France dans sa lettre ouverte à la Légion d´honneur pour prendre la défense de Victor Margueritte.
C´est vraiment incroyable comment certains écrivains reconnus et adulés d´une époque peuvent se tromper sur la valeur littéraire de leurs confrères contemporaions.

Je tiens aussi à te parler d´un autre livre à scandale de la même époque à quelques années près : L´amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence. On a tourné un film à partir de la seconde version du roman - et non la troisième version qui est celle qui a été publiée en 1928 que tu connais. J´ai suffisamment aimé le film que j´ai commandé les deuxième et troisième versions du roman

J´ai déja lu plus de cent pages en deux jours à peine de la troisième version que je tiens à lire avant la deuxième.

Mais j´arrête volontairement là ma lettre, même si j´ai encore beaucoup de choses à te dire. C´est en effet aujourd´hui que l´on va fêter les quatre ans de Tiril, l´aînée de mes deux petites filles. Il faut que je me prépare pour cette fête où toute la famille sera réunie autour de tes deux arrière-petites-filles. 

Je t´embrasse affectueusement,

Ton fils Bernard

 

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commentaires

L
Salut Bernard ! ton cousin de Franche Comté ému par tes lettres adressées à ton père . Depuis mon enfance , l'oncle Marcel fait partie des héros de cette époque . Je ne connaissais de lui que les petits mots qui transmettaient ses voeux chaque année.. Ensuite c'est tante Yvette qui prit la releve.; Affection à toi et ta famille.Meilleurs voeux pour 2008. Claude
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