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17 septembre 2007 1 17 /09 /septembre /2007 09:08

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[ I ] - C´est à la fin de ma quatrième que je me suis rendu pour la première fois en Allemagne. Je faisais donc de l´allemand depuis un an, avec comme professeur un homme au nom qui prêtait à rire mais excellent pédagogue, M. Coquin. Il venait au Lycée Janson de Sailly à vélo, les jambes de son pantalon attachées de pinces pour éviter qu´elles ne se coincent dans la chaîne. Sa tête était inmanquablement coiffée d´un béret enfoncé suffisamment profond qu´on ne voyait que le lobe des oreilles. Les jours froids d´automne et durant tout l´hiver, - ainsi que les jours de pluie au printemps -, il était emmitouflé d´une immense garbardine sans forme qui lui descendait jusqu´aux chevilles. Il entrait par la porte principale de La Rue de la Pompe, réservée aux professeurs, aux visiteurs et aux parents convoqués ou non. J´ignore où il déposait son vélo, mais quand, sautant allègrement de sa drôle de machine, il enlevait ses pinces de cycliste et poussait l´imposant portail du Lycée,son vélo à sa droitre, les passants ne pouvaient s´empêcher d´esquisser un sourire, moi le premier. Plus tard, j´ai associé son allure à celle d´Alfred Jarry. 
[ Ci-contre : Une place du vieux Stuttgart ]

Il parlait couramment quatre ou cinq langues. Il travaillait également pour la police comme interprète. Sa voix profonde et puissante accentuait les sonorités gutturales de l´allemand. Mais il chuintait les "g". Certains mots de son vocabulaire était à la mesure de son nom et de son accoutrement : il ne parlait pas de "programme" mais de "pensum". Il nous expliquait la grammaire allemande en faisant régulièrement référence à la latine. Il ne tolérait aucun manquement à la discipline. Je me souviens notamment du cours qu´ un de mes camarades avait troublé deux ou trois fois alors qu´il avait le dos tourné. Excédé, il s´était retourné vivement pour démasquer le gêneur. Mais il n´a pu que déterminer la direction. Il a alors exigé que le coupable se dénonce lui-même. Devant notre silence il nous a expliqué que le fauteur de troubles avait pour obligation de se dénoncer et que son devoir d´enseignant était de le sanctionner. Et qu´il ne reprendrait pas son cours avant. Pour que tout soit clair, il a alors précisé ce que serait la sentence : quatre heures de retenue. Le coupable a fini par se dénoncer, sentant certains regards se tourner vers lui. La sentence annoncée  est tombée comme un couperet : quatre heures de retenue. Ce qui a suscité le murmure puis la désaprobation d´un ou deux de mes camarades capables de prendre la parole pour défendre l´un des nôtres. Il s´était dénoncé de lui-même, il méritait une clémence. Ce que notre professeur a aussitôt refusé. Je ne peux oublier sa réponse : "Que X se soit dénoncé est à mettre à son crédit, mais mon rôle de maître de discipline est de le punir. Je ne peux me dédire".

Cela dit, les cours de M. Coquin étaient d´une rigueur et d´un immense intérêt. Malgré notre très jeune âge et nos connaissances rudimentaires d´allemand, il ne se contentait pas de nous enseigner la langue. Il parlait d´histoire, de culture et de littérature. Notre manuel avait le poème fort connu du Roi des Aulnes de Goethe. Je me souviens encore avec émotion de son explication du poème et de sa scansion pour nous faire comprendre la voix venant de la forêt bruissante de vent que percoit l´enfant malade, délirant et grelottant de fièvre dans les bras du père: " Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht. / Was Erlenkönig mir leise verspricht ?" , - et la chute brutale du poème : " In seinen Armen das Kind war tot". (1-2/2- 2/2)

C´est pendant cette année de quatrième et dès cette première année d´allemand que j´ai souhaité aller en Allemagne. Depuis que je faisais de l´allemand, ma soeur avait cité une fois ou deux la phrase de la mère d´une de ses camarades de classe entendue enfant avant la guerre : " Il est nécessaire d´apprendre la langue de l´ennemie", sans savoir ce que ma soeur entendait en me citant cette phrase. Je n´ignorais évidemment pas que l´Allemagne et la France s´étaient livrées à des guerres sans merci. Mais ce que je découvrais aux cours de mon professeur d´allemand M. Coquin était tout autre. Je commencais par ailleurs à m´éveiller à la rumeur politique du monde. Dire que j´ai eu à partir de cet âge une conscience politique serait totalement faux, mais certains mots comme certains noms commencaient à tinter à mes oreilles comme ceux de  communiste, sale juif  ou Pierre Mendès-France. En me rendant un dimanche matin  à Versailles avec ma soeur et ma mère pour passer toute la journée chez nos meilleurs amis, Paul et Suzanne, j´avais été témoin d´une manisfestation concernant la C.E.D. ( = La Communauté Européenne de Défense). Etait-ce une manifestation en sa faveur ou au contraire contre ? Je l´ignore totalement aujourd´hui. Si elle était pour la C.E.D., elle était sans doute un soutien pour la position de Mendès-France. Si elle était contre, elle était, au choix, organisée par les communistes ou les gaullistes. Je n´avais que 12 ou 13 ans, et les subtilités politiques de l´époque m´échappaient totalement. Mais je me souviens que ma soeur, tout en marchant à mes cotés, trouvait prématurée de penser au "réarmement de l´Allemagne", pour reprendre ses mots. J´ ai ensuite entendu un second commentaire laconique, mais ne peux me souvenir s´il  émanait de ma mère ou à nouveau de ma soeur : " C´est dans l´ordre des choses". Comme d´habitude je n´ai fait aucun commentaire. Je me suis contenté d´ écouter et d´enregistrer. Mais mon désir de passer mes vacances d´été à la fin de ma quatrième était grandissant.

J´ignore ce que ma mère et mon professeur d´allemand M. Coquin ont pu se dire, mais l´été de cette année-là, j´ai passé le mois de juillet à Stuttgart, et mon correspondant Peter le mois d´août à Paris. Le résultat a suffisamment été concluant pour que l´échange ait été répété l´année suivante. Nous avons correspondu plusieurs années de suite, mais par négligeance réciproque, Peter et moi avons perdu le contact, et je n´ai guère fait effort de répondre aux lettres chaleureuses que sa mère m´envoyait de temps en temps. Mais j´ai appris depuis peu que ma soeur aînée a passé en août 2007 une semaine en Italie auprès de la soeur de mon correspondant. Il y a donc entre certains membres de nos deux familles une amitié de plus de quarante ans qui a résisté aux ans et aux différences de cultures. Les personnalités de ma soeur Claudine et d´Ellen, la soeur de mon  correspondant,  y sont sûrement pour quelque chose, Le comportement pendant la Seconde Guerre mondiale en Allemagne du père de Peter et d´Ellen n´est sans doute pas non plus à négliger quand ont connaît celui que mon père a eu avant et pendant la même guerre. Le doigté de mon professeur d´allemand qui a permis de mettre en relations nos deux familles de pays dits "ennemies"  est peut-être dû au hasard, mais le hasard fait, parfois, étrangement bien les choses.

Peter, de trois ans plus âgé que moi, était comme moi orphelin de père, - et son père, comme le mien, avait été un opposant de la première heure à l´idéologie nazie. Mon père, comme on sait, m´a vu deux mois. Le père de Peter n´a jamais vu son fils. Aviateur ( ou pilote d´essais ? ) ayant  pour mission de tester la fiabilité de nouveaux moteurs, il a recu l´orde en 1941 de continuer à voler coûte que coûte avec son seul second moteur, - le premier étant défaillant - , et en dépit de ses demandes réitérées de se poser en urgence. L´avion, faute de carburant, n´a pu se poser à temps et nulle part. Le père de mon correspondant a donc été pour l´Allemagne en guerre un opposant de moins, comme mon père avait été un résistant qu´il convenait d´arrêter. ( ... / ... à suivre, Cf II )


  

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