Le train de Simenon est un roman poignant (Livre de poche, 156 pages). Il semble gauche, maladroit, mais la fin, d´une terrible concision, montre la maîtrise de l´écrivain. Simenon feint de mal écrire, mais c´est pour mieux suivre son narrateur qui, pour la première fois - et sans doute la dernière - écrit "surtout par besoin de découvrir une certaine vérité." C´est vraiment du très grand art.
Le récit débute le 10 mai 1940 dans le nord de la France, très près de la frontière belge. Les Allemands progressent vite. Le narrateur, homme effacé et plutôt terne, comme ses voisins, décide de partir, accompagné de sa femme Jeanne, enceinte de sept mois et demi et de sa fille Sophie, à peine âgée de quatre ans. Mais il tient tout de suite à mettre les choses au point : ce n´est pas par peur qu´il quitte Fumay et sa maison. "C´était une fuite, certes, mais en ce qui me concernait, pas une fuite devant les Allemands, devant les balles ou les bombes, devant la mort." Pour lui, c´était autre chose. "C´était l´heure de la rencontre avec le destin, l´heure d´un rendez-vous que j´avais depuis longtemps, depuis toujours avec le destin." Sans développer, un souvenir est sans doute à l´origine de ce départ : voir sa mère, un soir de novembre 1918, "rentrer à la maison, toute nue, les cheveux coupés ras." Puis, sans l´embrasser, partir sans un mot et ne jamais revenir.
Sans vraiment réfléchir, c´est un train qu´il prendra. Séparé de sa femme et de sa fille pendant le trajet, il rencontrera une jeune réfugiée de l´Est, juive par sa mère. Balloté de gare en gare, il découvrira ce qu´est la vie, sans honte de ses désirs sexuels. Il retrouvera finalement sa femme à Bressuire, qui avait accouché d´un garçon. Avant de le quitter, devant la maternité de Bressuire, la jeune réfugiée, dans un souffle, put lui murmurer : "J´ai été heureuse avec toi."
Si, près de vingt ans plus tard, il entreprend ce récit, c´est pour laisser à son fils Jean-François une autre image de lui - peut-être aussi à ses filles - et lui faire savoir que son père n´a pas toujours été le commerçant et le mari timide qu´il a connu, sans autres aspirations que d´élever les siens et de leur faire gravir un petit échelon de l´échelle sociale (...) mais qu´il y a eu en [lui] un autre homme et que, pendant quelques semaines, [il a] été capable d´une vraie passion." Plus encore, bien qu´il ne le dise pas, pour se dédouaner de ce qu´il faut bien appeler une certaine lâcheté. Et qu´ainsi, Anna Kupfer, fusillée comme espion durant l´hiver 1941-1942 dans la cour de la prison de Mézières, ne soit pas totalement oubliée.
Quel récit !
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