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4 janvier 2007 4 04 /01 /janvier /2007 11:23

Ma soeur est née dans la maison familiale à Mosnac, en Charente Maritime. Mais souvenirs personnels liés à cette maison sont fort confus. Je crois y avoir été tout petit, mais d´après une cousine Madeleine, je mélange des souvenirs d´adulte avec ceux que j´ai vécus dans une autre maison, appelée Petite Ville dans la commune voisine de Saint Georges d´Antignac. Je ne sais donc si j´ai vraiment connu cette petite maison , lorsque j´avais 3 ou 4 ans, ou si je plaque des souvenirs alors que j´y ai habité un été dans le début des années 1980 avec ma mère, ma femme et mes deux enfants. J´avais alors 40 ans. Mais j´ai aussi en mémoire des souvenirs d´enfant de 8-9 ans qui me semblent aujourd´hui difficiles d´inventer de toutes pièces...

Près de la grille d´entrée du jardin, il y avait un arbre très particulier : un magnolia. Suffisamment particulier pour qu´un jour, alors que nous prenions du thé et des boissons rafraîchissantes sous son feuillage imposant, un père de famille s´écria en passant devant cet arbre aux fleurs si spéciales : " Oh ! un arbre à nénuphars !" Nous avons bien ri.

Le magnolia est une plante d´ornement qui ne sert à rien, qui ne donne aucun fruit comestible, mais qui est très exigente, car il lui faut 15 litres par jour pendant plusieurs années pour se développer harmonieusement. Dans certaines régions où une certaine sécheresse peut sévir l´été, il est un véritable luxe de jardin. La floraison apparaît au bout de 15 à 20 ans. Les applications médicinales sont restreintes. Je ne sais avec certitude qui peut l´avoir planté dans le jardin de la maison familiale, mais je peux m´imaginer que c´est mon oncle Raymond qui en a eu l´idée lors de son séjour en Indochine, où il a vécu de 1920 environ à 1952-1953.

J´ai peu connu mon oncle, né en 1895, et qui est parti "aux colonies", comme on disait alors après la Première Guerre mondiale. Je me souviens l´avoir rencontré deux ou trois fois tout au plus, peu de temps avant son décès en 1953. J´avais donc moins de 10 ans. C´était un homme imposant, autoritaire, peu commode et cassant. J´ai sur lui deux ou trois souvenirs liés à des situations que je n´ai pas vécues moi-même, mais que j´ai entendues rapportées. Ils ne sont pas en sa faveur.

Le premier concerne une discussion avec mon père que je n´ai jamais connu, celui-ci étant mort dix mois après ma naisance, dans un camp de concentration. Mon père était un Franc-Maçon, intellectuel idéaliste, aux idées avancées et républicaines, sinon socialisantes ou radicales. Il s´était élevé à la force du poignet. Désirant devenir marin dans une famille de notaires, médecins de campagne, pharmaciens et auparavant marchands de chevaux, il avait quitté sa famille à 16 ans, voyageait six mois de l´année pour payer ses études, et travaillait seul le restant de l´année pour lire et passer des examens. Quand il sa connu ma mère, il était Officier dans la Marine marchande. En 1939, il a transporté sur le pétrolier pour lequel il travaillait, des armes soviétiques en provenance de Mourmansk pour les livrer aux Républicains espagnols. Dès 1940, il s´est engagé, sans être gaulliste, dans la Résistance.

Mon oncle Raymond avait un tout autre bagage. Il a quitté le giron familial plus que modeste, après 1918 je crois, pour gagner les colonies. Il fit fortune; à Saïgon me semble-t-il. Comment ? Je ne fais que le soupçonner. Mais les sous-entendus étaient légions, même s´il était malséant de parler argent, surtout devant l´enfant que j´étais. Je ne veux blesser personne, mais c´était un homme de droite pour ne pas dire d´extrême droite. Il était de toute évidence d´un autre bord que mon père, c´est le moins qu´on puisse dire. Ce qui explique leurs différends, pour utiliser un euphémisme. Il ne faisait pas mystère de son mépris pour les indigènes qu´il exploitait ouvertement, ayant, si mes souvenirs sont bons, alors qu´il vivait à Saïgon, plusieurs "boys" pour le servir.

La conversation que m´a rapportée ma mère portait sur le colonialisme. Mon père lui aurait fait remarquer qu´il se pourrait bien qu´un jour les "indigènes" prennent d´eux-mêmes les droits que les Blancs et les colons ne leur donnaient pas.

Mon oncle a dû quitter précipitamment l´Indochine en 1952 ou 1953, en laissant sur place toute sa propriété, sa fortune et ses piastres qu´il avait accumulées dans ses affaires Import Export, si l´on veut bien écarter le mot de trafic.Sa fille, ma cousine Chr., au nom bien chrétien s´il en est, a fait un beau mariage, avec un auditeur au Conseil d´Etat sous la Présidence du Général de Gaulle. Elle a eu quatre enfants ; sa fille aînée M, journaliste, et qui aurait bien voulu reprendre la maison de Mosnac, m´envoie quelquefois de ses nouvelles.

La seconde anecdote sur mon oncle Raymond n´est pas davantage en son honneur. Elle m´a été rapportée par mon autre cousine Madeleine, avec qui j´ai eu des rapports chaleureux jusqu´à sa disparition peu après ma dernière rencontre avec elle durant l´été 1999. C´est mon oncle qui avait hérité de la maison de Mosnac. D´après cette cousine, la maison au magnolia aurait davantage dû revenir aux héritiers Sch. qu´aux héritiers S. Ce qu´il fit  "n´avait pas été très beau". Je n´en sais guère plus. Cela se passait dans les années 1930, bien avant ma naissance. Ce dont je suis sûr, c´est que ma mère, à la mort de son frère en 1953, n´a hérité de rien., si ce n´est une robe de chambre en soie que j´ai toujours et que je porte quelquefois, certains dimanches ensoleillés. Plus un ensemble tout chiffonné de femme, égalemment en soie, que j´ai trouvé dans un carton avec de vieux habits lors du décès de ma mère en février 1986.

Le magnolia, sans autre indication, est signe d´amour de la nature. Le magnolia virginiania, est signe de persévérance, fidélité et longévité. La femme de mon oncle s´appelait Marguerite, autre fleur qui évoque symboliquement l´amour, même si le message peut varier en fonction de sa couleur : blanche, elle semble dire "vous êtes la plus belle" ; bleue, elle signifie "je crois en vous" ; rose et violette, "vous êtes la plus aimée" . Ma tante Marguerite était fort belle. J´ignore totalement si mon oncle avait une quelconque connaissance de la symbolique des fleurs.

Je ne crois pas que l´on aurait pu planter un magnolia s´il n´y avait eu un puits dans le jardin. Dans les années 1980, il était fermé par un couvercle de bois lourd et épais. Par curiosité, je l´ai ouvert pour essayer d´évaluer sa profondeur et son secret. M´est alors revenu à l´esprit que pendant la Révolution francaise, cette maison avait devenue  la mairie de la Commune de Mosnac. Partisan des changements et anticlérical notoire, le maire désapprouva cependant, après le vote de la Constitution civile du clérgé de juillet 1790, les excès qui suivirent ; et la chasse aux prêtres réfractaires qui refusèrent de prêter serment "à la Nation, à la Loi, au Roi". Il cacha donc chez lui le curé du village, et la saga familiale se plaisait à dire que cet ancien propriétaire avait donné au lieu son génie.

 

Au fond du jardin, le long des murs de la maison à la facade de pierres de taille, poussaient des seringas, aux nombreuses fleurs, solitaires ou groupées par deux ou trois à l´extrémité de pousses secondaires. Ce sont des fleurs blanches qui apparaissent en mai-juin en répandant un parfum caractéristique qui embaumait au printemps toute la terrasse qui donnait sur le jardin.

Dans le langage des fleurs, le seringa est le symbole de la mémoire, sans doute en raison de son parfum très persistant dont on se souvient longtemps. Il me semble me souvenir de ce parfum envoûtant, tout comme de la blancheur laiteuse de ses fleurs. Je vois aussi la pénombre de la dernière pièce où mon oncle, étrangement pâle, se tenait, silencieux et solitaire. Et l´inquiétude de ma tante Marguerite, devant ce silence qui ne lui ressemblait guère. J´ai donc bien des souvenirs enfantins de ces lieux ; je ne peux imaginer les avoir inventés. Je ne sais quand le puits fut fermé. Je ne sais non plus quand mon oncle, quelques mois avant sa mort, fit arracher tous les seringas dont l´odeur prégnante l´incommodait. Mais pendant l´été 1999, le magnolia, aussi impérial, présidait encore au génie du lieu. Il perpétue, au delà d´un passé qui n´est plus, une certaine mémoire où se croisent des ombres qui se sont aimées, affrontées et combattues.

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