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12 novembre 2006 7 12 /11 /novembre /2006 20:21

Alors que j´étais à Heidelberg pendant l´été 1965 dans un institut privé de langues pour me perfectionner en allemand, les responsables de l´institut informèrent un jour tous les étudiants qu´ils organisaient une excursion de plusieurs jour à Berlin. Tout le monde apprécia et moi le premier.

Pour limiter les frais, il avait été décidé que le voyage se ferait en car. A part un concert joué par l´orchestre philharmonique de Berlin et dirigé par Karajan, je me souviens à peu près rien du Berlin de 1965. Mais j´ai parfaitement en mémoire les passages de frontières que nous avons dû subir.

[ Rideau de fer sur la fontière interallemande ]

Le car roulait vite et ralentissait rarement, mais après deux ou trois heures de route, l´un des responsables du groupe prit le micro et nous annonca que nous allions bientôt devoir passer la frontière pour entrer en RDA, c´est-à-dire en République Démocratique Allemande. Il fallait donc préparer nos passeports. Il a fallu le faire deux fois à l´aller : la première fois en entrant en Allemagne de l´Est, et la seconde en pénétrant dans l´enclave de Berlin-Ouest. J´avais été de ceux qui désiraient passer quelques heures à Berlin-Est. J´ai donc dû rééditer mon geste à Checkpoint Charlie, et pour être sûr que je comprenne que je quittais, comme on disait alors, le monde libre, un panneau quadrilingue anglais, russe, francais et allemand ( bien qu´en lettres plus petites ), précisait que vous sortiez du secteur américain.

Comme le Berlin où nous logions, le Berlin-Est était une vitrine. J´ai oublié le nom des rues que j´ai parcourues à l´Est, mais je me souviens qu´il y avait du Marx, du Engels, du Rosa Luxembourg et du Karl Liebknecht. Je me souviens surtout des alignements sans vie des parallélépipèdes cages à lapins à toits bas et plats qui servaient de logements aux Berlinois de cette partie de la ville. Tous jaunes pisseux avec des rectangles blancs qui encadraient des fenêtres sans balcons. Et d´autres rues mal éclairées où des dizaines et des dizaines d´immeubles gris vert feldgrau étaient encore criblés de balles. Vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

J´avais avec moi quelques marks uniquement valables à l´Est. J´ai dû les dépenser avant de regagner l´Ouest. Je m´en suis donc débarrassé en achetant n´importe quoi dans un petit magasin situé à proximité du point de passage. J´avais touché du doigt la misère à Naples deux trois années plus tôt, mais au moins il y avait le soleil, la mer et le ciel immensément bleu. Ici, à Berlin-Est, tout était sale et désolé, sentant la mort et la désolation. Quant aux rues illuminées de la vitrine de l´Ouest, elles me faisaient mal aux yeux car je n´y voyais que du faux et du clinquant pour attirer coûte que coûte le passant attardé. Elles m´irritaient plus qu´autre chose, et c´est avec soulagement que j´ai repris un ou deux jours plus tard le car pour le retour à Heidelberg. Je n´étais cependant pas au bout de mes peines.

Le car traverait un paysage morne, sans grâce et ruisselant de pluie froide, même si nous étions en août. L´eau ruisselait en oblique sur les vitres du car à cause de la vitesse. J´ai pu apercevoir deux ou trois biches affolées qui disparurent de ma vue en entrant dans un petit bois. Puis le paysage monotone recommenca. J´ai alors dû m´assoupir, quand l´un des responsables du groupe prit la parole pour annoncer que nous allions à nouveau passer la frontière. Il fallait donc encore une fois préparer les passeports.

Le car s´arrêta et deux gardes-frontières sanglés, cravatés et casquettés montèrent. J´étais assis au milieu du car. Il a donc fallu que j´attende patiemment mon tour. Les contrôles précédents avaient été relativement rapides et les préposés aux contrôles cherchaient à détendre l´atmosphère en s´efforcant de sourire, soit aux visages que nous leur montrions, soit aux photos de nos passeports. Ceux-là étaient beaucoup plus lents et regardaient longuement les passeports et les visages que nous leur tendions. Mon tour arriva. La photo de mon passeport était celle d´un garconnet de 13 ou 14 ans, avec un petit cordon en guise de cravate, un front dégarni et des cheveux courts. Je ne souriais pas mais ma bouche et mon regard n´avaient pas été écrasés par le flash du photographe. Le garde-frontière fronca les sourcils. Il avait devant lui un jeune homme de 21 ans avec des lunettes et les cheveux relativement longs. Il réfléchit quelques secondes, me regarda de ses yeux noisette et finit par dire d´une voix qui n´admettait pas de répliques :  "Tournez la tête à droite". Ce que je fis. "A gauche". J´obtempérai à nouveau. Il répéta deux ou trois fois le même ordre, puis me demanda de sourire, de lever le menton, de fermer les yeux, d´enlever mes lunettes, puis de les remettre. Je n´avais jamais de ma vie été détaillé de la sorte et si par la suite j´ai souvent montré mon passport à d´autres frontières pour entrer ou sortir d´un pays, je n´ai jamais attendu plus de quelques secondes la remise de mon passeport. J´ignore totalement si la comparaison de mon visage de jeune homme de 21 ans avec la photo d´un gamin de 13-14 ans a duré trente secondes ou plusieurs minutes. Mais il m´est arrivé de trouver le temps long quand vingt, trente ou trente-cinq ans plus tard il m´est arrivé d´attendre à une frontière un peu plus de quelques secondes la remise de mon passeport. Poliment, le garde-frontière me pria sans sourire de changer au plus vite la photo de mon passeport. Puis il porta ses yeux noisette sur le passeport suivant.

La frontière interallemande n´existe plus depuis que le rideau de fer est tombé et que le Mur de Berlin n´est plus qu´un vestige. Je suis passé avec quelques centaines de milliers d´Allemands sous la Porte de Brandebourg une demi-heure après minuit le 03 octobre 1990, jour officiel de la réunification de l´Allemagne. J´avais sur moi mon passeport. J´ai toujours une appréhension quand je dois montrer mon passeport en passant une frontière.

 

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