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24 octobre 2007 3 24 /10 /octobre /2007 07:20


Paris l´instant
de Philippe Delerm, recueil de petits textes sur des photographies de sa femme Martine Delerm, a été publié pour la première fois en 2002 chez Arthème Fayard. Il a été réédité dans la collection "Livre de poche" no 30054 en 2004 dans l´adaptation graphique davipaire.com (160 pages).

La première photo qui illustre la page 6 de gauche en regard de la page 7 de droite du titre est la seule qui n´a aucun commentaire écrit par Philippe Delerm. Mais au milieu de la photo prise par sa femme, on peut lire deux indications. L´une est écrite sur un carton brun ocre d´une main qui semble malhabile. Elle est placée comme un marque-page entre plusieurs dizaines d´intercalaires : Demander au BOUQUINISTE de sortir les Cartes. Merci". La seconde inscription, d´une calligraphie plus sûre, précise en lettres capitales : PARIS
Sur la page de droite, on trouve les indications de la page de couverture qui reprend sensiblement les mêmes intentions typograhiques, même si l´ordre et les caractères purement typographiques sont légèrement différents : PHILIPPE DELERM  Paris l´instant  Photographies MARTINE DELERM,

Tout n´est cependant pas encore dit, loin de là. Mais la typographie et la disposition dans la page indiquent clairement comment il faut lire : c´est bien du Philippe Delerm que l´on va lire en ouvrant page après page Paris l´instant. Les photos en couleur sont certes très belles. Elles montrent le coup d´oeil acéré et le savoir-faire d´une vraie photographe amateur. Elles évitent habilement le cliché touristique. Il n´empêche : le recueil vaut surtout pour les textes qui n´excèdent jamais les deux pages. C´est donc bien du Philippe Delerm, - à la fois celui que l´on croit connaître le mieux, et celui que l´on connaît moins -,  et qui mériterait de l´être plus, à condtion que l´on prenne le temps de le lire vraiment. À condition, aussi, que l´on cherche un peu moins à lire entre les lignes...

La photo sauvegarde un Paris de quatre(-)saisons nostalgiques, mais c´est le doigté de l´écriture qui en donne le suc, qui fait que chaque texte est un instant décanté de bonheur, un tableau parisien autant qu´un joli bavardage. Rien à voir, cependant, avec Ville du poète Guillevic qui, pour faire comprendre à ses lecteurs ce que peut être un paysage urbain ou l´effervescence de la ville, le renvoit à presque chaque vers au coeur de la nature : Taupinnière, la ville / Surtout vers le soir. // Vers le soir aussi : / Tribu de bruyère en exaltation" . Etc.

Le recueil a six parties précédées chacune de deux photographies accolées où seuls trois éléments sont précisés. Une date. Une heure. Un lieu.

En guise de conclusion, une seule photographie. Vol d´une chauve-souris avec au dessous ce mot gravé BATMAN. Aucune précision.

La première et la dernière partie contiennent cinq textes. Serait-ce pour indiquer une partition à quatre mains ? 

Les autres parties en ont six. Pourquoi six ? On ne peut tout comprendre. Peut-être par simple souci d´un équilibre de distinction.

Les photos rassemblées dans chaque partie semblent indiquer le thème de l´écoulement du temps et des saisons. A lire cependant chaque texte qui les illustre et les met en valeur, l´assemblage thématique est comme déjoué, tel le commentaire Jeux de rampe qui l´accompagne. Ce texte évoque les divers âges d´une vie à plusieurs personnages : l´enfance joyeuse ou solitaire qui utilise la rampe d´escalier d´une rue en pente pour glisser ; la vieillesse qui l´utilise en la saisissant ; l´amoureux qui, en faisant le clown, "feint de basculer pour qu´elle pousse un petit cri" ; l´adulte qui la dédaigne - que ce soit pour monter ou descendre ; à nouveau un petit vieux qui s´écarte pour pemettre à un gosse de glisser sur le métal froid de la rampe : complicité de deux sourires qui se croisent.

Magnifique.

Les photos sont fort belles. Que seraient-elles, cependant, sans le texte ? Un coup d´oeil trop rapide ne peut qu´effleurer leurs sens. Seule une relecture - ou mêmes plusieurs pour certains textes -, permettent  de sentir ce qu´elles cherchent à donner pleinement : une certaine intensité de la fragilité de l´instant qui renvoit à l´intérieur ouaté d´une bulle, qu´elle soit celle de l´enfance, ou celle du désir de création.

Tous ceux pour qui Paris sont des lieux de travail, - qu´ils soient concierges, garcons de café, coursiers ou même contractuelles -, savent se ménager une bulle de temps protectrice ; en particulier ce livreur qui "arrête sa camionnette en double file pour siroter un petit noir serré, délicieux" , - en ayant accroché sur son pare-brise ce mot : "en service".

Ce Paris l´instant est cependant nostalgique. Il montre surtout des échoppes, des boutiques, des bazars, des brocantes, des caissons de bouquinistes, des épiceries qui proposent des coeurs de pigeons, des bars à vins, des ardoises qui vantent de pouvoir déguster avant d´acheter, des brasseries qui donnent envie au petit matin de se payer une soupe à l´oignon. On y voit aussi des bouches de métro qui ouvre le ciel d´un carré bleu, des allées de cimetières jonchées de feuilles d´automne, des chaises canelées de café ou celles en fer des squares et des parcs, des fontaines de petites places, des grilles de marronniers pour y déposer son vélo attaché de son antivol. Les Parisiens sont des petits commercants, des boutiquiers, des livreurs, des garcons de café. Des gens peu pressés, des petits vieux et des enfants au regard qui s´ouvrent aux mille facettes de la ville du jour, du matin au soir. Des instants captés par une photographe et décrits par un vrai écrivain flaneur, même s´il n´a pas tort de remarquer comme en passant que "flaner à plein temps vide Paris de sa substance". Ces instants sont cependant autre chose que des annotations quotidiennes : ce sont des instants décantés par le souvenir et travaillés par une écriture qui cherche à éviter l´esbrouffe. De purs instants de bonheur. Mais écrire "pur" ne signifie pas "parfait". Deux ou trois photos évoquent la transformation du Paris des lumières et de l´ombre, notamment celle qui a pour titre Noël à Haussmann. Un air de commercialisation flotte : celui "des derniers cadeaux à la hâte". Dans le regard des enfants, "se lit un accablement du désir, une résignation d´émerveillement".

L´avant dernière photo est un clin d´oeil narquois, une mise en abyme. Elle montre des photos noir et blanc d´un autre âge que des touristes d´aujourd´hui achètent autant pour leur destinataire que pour eux mêmes. Paris est écrit neuf fois. Paris ne donnera jamais totalement son âme quel que soit le talent du photographe. 

Philippe Delerm
a aussi bien du talent quand il décrit Bruges ou Venise.

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