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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 12:39


C´était plein d´attente amusée que je m´étais procuré Critique amoureuse des FrançaisAlberto Toscano (Hachette-littérature, 2009, 281pages, 17 €). C´est avec grande difficulté que j´ai terminé son ouvrage, car il enfile à longueur de pages et sans vraiment faire rire les clichés et approximations qu´il voulait dénoncer. Je ne peux  m´en prendre qu´à moi-même : je n´ai fait que retrouver par écrit ses embrouillaminis et emberlificotages sans fin de ses interventions orales qu´il peut fournir, quand,  sur le plateau de Kiosque qu´anime Philippe Dessaint sur TV5Monde, est présente la Camerounaise Marie-Roger Biloa qui le titille sans fin pour le bonheur de tous.

Ce pamphlet se voulait réjouissant et dénoncer en souriant les petits travers des Français. Il enfonce le plus souvent des portes ouvertes.

 Les 48 courts chapitres qu´Alberto Toscano aligne sont plus décevants les uns que les autres. Les premiers sont relativement bien enlevés, notamment "Paris, capitale mondiale" ou encore la fameuse affirmation répétée à satiété par les seuls Français : "Les Champs Elysées, la plus belle avenue du monde". Ou encore, quand il brocarde le besoin qu´ont beaucoup de Français de se croire premiers en tout, notamment grâce à leurs vins, leurs fromages et leur cuisine.  Alberto Toscano s´essouffle malheureusement très vite. Il perd souvent de vue l´essentiel, et sort même, parfois, des contre-vérités. À vous de les repérer si le coeur vous en dit.

Alberto Toscano aime visiblement la France. Il aime aussi les Français, même si beaucoup l´agacent. Journaliste, il s´appuie un peu trop sur des sondages d´opinions publiés ici ou là ; - ou d´anciens numéros de Paris Match ou de L´Illustration. Ces publications sont à prendre uniquement pour ce qu´elles sont : la doxa de leur époque. Il cite avec amusement le Roland Barthes des Mythologies et Le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert. C´est leur faire un bien grand honneur. Face aux faits, Alberto Toscano croit un peu trop au bien fondé de son bon sens ; c´est là son moindre défaut. Il ne semble pas connaître, de Michel Maffesoli, les Iconologies et idolatreries postmodernes. C´est à mettre à son cédit. Mais il aurait pu sans rougir s´appuyer sur son compatriote Umberto Eco et notamment l´excellent recueil d´articles que ce dernier a intitulé À reculons comme une écrevisse. Cet ouvrage s´en prend fort bien et dans tous les domaines au politiquement correct. Il n´est en rien démodé. Je vous le recommande chaudement. N´est pas Eco qui veut.

 

Alberto Toscano retrouve sa verve vers la fin de son livre, notamment dans son chapitre "Zidane avait raison". Pour lui, rien n´est plus faux. Je lui donne entièrement raison. Le coup de boule de Zidane ne peut être excusé. Ne pas répondre à une insulte par une gifle ou un coup de poing devrait faire partie aujourd´hui des données immédiates de la conscience comme des fondements de la métaphysique des moeurs

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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 14:26


Français de l´étranger, je trouve curieux que la loi électorale ne m´ait pas permis de voter aux élections européennes du 07 juin 2009, alors que je suis inscrit sur la liste électorale consulaire d´Oslo depuis maintenant un très grand nombre d´années. Soyons sans ambages : la loi doit être changée. La liste Europe-Ecologie pour laquelle j´aurai voté me semble la plus qualifiée pour proposer sur ce point un amendement.

À bon entendeur, salut.

Lien complémentaire : - L´écume des choses en mai 68 

 

                                                               * * *

[llustration : Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly, Europe-Ecologie, Libération du 08/06/2009] 

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6 juin 2009 6 06 /06 /juin /2009 10:26

En ce 65e anniversaire du débarquement des forces alliées sur les plages de Normandie, je me permettrai ce petit exercice de mémoire :

citer l´un des Trente-trois sonnets composés au secret que Jean Cassou a composé sans papier ni crayon, et faisant ainsi de la poésie une résistance face à l´aliénation et la mort.

Ces sonnets, pour l´essentiel, évoquent les rues de Paris, une amie trop tôt perdue, une Alice-Enfant ; mais l´Histoire va donner à ces poèmes une envergure civique comme l´ont été ceux d´Ossip Mandelstam, d´Anna Akhmatova ou, plus près de nous, Liberté de Paul Eluard.

Je ne peux non plus, sur un plan plus personnel, oublier certains "petits bouts de carton" sur lesquels mon père au camp de concentration de Gandersheim écrivait de mémoire des poèmes entiers grâce à "l´addition de forces" de ses co-détenus que cite
Robert Antelme dans L´espèce humaine et que mentionne aussi en notes
Catherine Henri dans son très beau petit livre sur l´enseignement de la littérature au Lycée : De Marivaux et du loft.

     Les poètes, un jour, reviendront sur la terre.

     Ils reverront le lac et la grotte enchantée,

     les jeux d´enfants dans les bocages de Cythère,

     le vallon des aveux, la maison des péchés,

    
     et toutes les amies perdues dans la pensée,

     les soeurs plaintives et les femmes étrangères,

     le bonheur féerique et la douce fierté

     qui posait des baisers à leur front solitaire.

     
 
     Et ils reconnaîtront, sous des masques des folles,

     à travers Carnaval, dansant la farandole,

     leurs plus beaux vers enfin délivrés du sanglot

    
     qui les fit naître. Alors, satisfait, dans le soir,

     ils s´en retourneront en bénissant la gloire,
     l´amour perpétuel, le vent, le sang, les flots.

                           Jean Cassou Trente-trois sonnets composés au secret

Il est heureux que chacun puisse aujourd´hui, davantage qu´en juin 1944, apprécier qu´au matin "l´aiguail brille au soleil comme un vitrail brisé" et, devant le soir qui tombe, 
"À jamais, la lumière" (Xavier Bordes)

    

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5 juin 2009 5 05 /06 /juin /2009 12:43

L´hirondelle avant l´orage
de Robert Littell (BakerStreet, 2009, 332 pages, 22€, traduit de l´américain par Cécile Arnaud) n´est pas un grand livre, mais il repose sur une idée plus qu´estimable : il cherche à rendre compte des cinq dernières années cauchemardesques de la vie de l´immense poète russe Ossip Mandelstam (1892-1938) ; - et de comprendre pourquoi il a écrit en 1934 ses fameux Distiques sur Staline qui ont causé son arrestation, son exil et sa mort.

Robert Littell est le père de Jonathan Littell dont le prix Goncourt Les Bienveillantes a fait sensation en 2006. À défaut de talent littéraire, Robert le père à du savoir-faire ; son roman est loin d´être négligeable. Mais il laisse un peu à désirer. Il cherche à cerner ce qu´a bien pu pousser Ossip Mandelstam à tenter le diable en la personne du Maître du Kremlin Staline, dont le nom de guerre vient de stali qui signifie acier. Le titre américain est plus sobre : The Stalin epigram. Il me semble qu´on aurait pu le garder au lieu de le "poétiser". En revanche, son sous-titre français est bien trouvé : le poète et le dictateur ; ainsi que l´illustration qui est due à Jesse Littell, frère de Jonathan et fils de Robert.

Ce roman est construit comme une enquête journalistique, genre que Robert Littell affectionne particulièrement pour avoir écrit maints essais sur des affaires russes et moyen-orientales. La composition de ce romann est cependant déroutante car il y a comme un parti pris de roman policier. Je ne suis pas sûr que cette manière de procéder soit bien efficace. De plus, il alterne les voix du poète et de ses proches, sa femme Nadejda Mandelstam, la poétesse Anna Akhmatova, l´écrivain Boris Pasternak avec celles de personnages plus anodins, mais qui sont censés être aussi fascinés et répulsés que lui par la personnalité de Staline au faîte du pouvoir. J´estime que ce n´est pas toujours une réussite.

Reste que les pages des interrogatoires, des scènes de torture, des aveux extorqués, et des aveux lors des procès arrangés de 1936 font froid dans le dos. Ainsi que la peur au ventre d´Ossip Mandelstam quand il s´imagine avoir véritablement rencontré Staline

Ce livre est par ailleurs un émouvant hommage à Nadejda Mandelstam, épouse et veuve exemplaire qui apprenait par coeur les poèmes publiés ou non d´Ossip Mandelstam son mari pour les sauver de l´oubli ; -  et montrer au monde le "pouvoir explosif " qu´ils pouvaient contenir. Les quelques extraits sont tous fort bien choisis. Et la version de l´épigramme, traduite de l´anglais, est remarquable.

                                                * * *

Lien complémentaire : - Le bruit du tempsOssip Mandelstam
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4 juin 2009 4 04 /06 /juin /2009 08:42
Je lis actuellement, de Marina Tsvetaeva, Vivre dans le feu qu´a composé pour nous, lecteurs français, Tzvetan Todorov.

Je ne peux, par ailleurs, oublier l´actualité et donc le vingtième anniversaire de la terrible répression policière qu´ont connue les étudiants contestataires chinois dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 sur la place Tian An Men à Peking.



En solidarité avec tous les dissidents,  quels qu´ils soient et d´oú qu´ils viennent, emprisonnés ou en exil, qui luttent pour la démocratie ou les droits de l´Homme, et qui refusent, plus que jamais, leur mise à l´écart, je leur dédie ce modeste haïku :

              
              Harmonie en Chine
              Ne fait ni ombre ni vagues
              Mais crabes en rivière

J´ose espérer qu´il permettra, à plus qualifiés que moi, de redonner à l´art sa possibilité d´être dangeureux.

                                                             * * *

[Illustration : Caonima]
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2 juin 2009 2 02 /06 /juin /2009 05:39

Ida
est un squelette de lémurien vieux de 47 millions d´années. C´est une créature transitoire entre le groupe des grands singes et les humains et celui des primates primitifs. Ce serait donc, pour les paléontologues Jens Lorenz Franzen, Allemand, et Jørn Hurum, Norvégien (du Musée d´histoire naturelle de l´Université d´Oslo), un primate qui pourrait être notre ancêtre. C´est aller un peu vite en besogne. Ce pourrait même être de la poudre aux yeux ...

Jørn Hurum, grand communicateur en son pays et partout ailleurs dans le monde, a parlé, pour présenter Ida, de "chaînon manquant". Belle formule médiatique ; mais cette expression est honnie des paléontologues, car tout fossile, par définition, est un chaînon manquant. Elle frappe cependant l´imagination, car pour un non-spécialiste (que je suis), elle permet de placer ce fossile Ida sur la chaîne de l´évolution des espèces. Le New York Times a pourtant été prudent dans son titre : "Un squelette jette une lumière sur l´évolution des primates". C´est sur le site canadien suivant que je tiens ces informations :
http://www.sciencepresse.qc.ca/node/23742  À vous de vous y reporter.


Ida
n´est en fait qu´une arrière-grande-tante de l´homme. Deux de ses caractéristiques ne sont certes pas négligeables : 
- la présence d´ongles et non de griffes aux doigts (utilisées par les lémuriens pour se nettoyer le pelage);
- un pouce opposable aux autres doigts.
Mais est-ce bien nouveau ?

Pour d´autres paléontologues, dont Elwyn Simons de l´Université Duke, la réponse est non. 

La vraie question, si j´ai bien compris, porte en fait  sur l´origine des anthropoïdes, - et donc sur les primates supérieurs, dont l´homme. En d´autres termes : les anthropoïdes primitifs descendent-ils ou non d´un groupe de primates primitifs appelés adapides ? (Cf. le site canadien). Pour Jørn Hurum., ce fait est acquis.  Pour d´autres, c´est à démontrer. Seuls les scientifiques pourront trancher.

La vraie sensation est en réalité ailleurs : dans l´état de conservation du fossile, qui est exceptionnel car il est complet à 95%. Il contient en plus les traces de son dernier repas.

Dernière précision qui ne manque pas de faire sourire. Ida (d´après le prénom de la fille de 6 ans de Jørn Hurum) a reçu le nom scientifique de Darwinius masillae. Beau nouveau tir de fumée. On intronise ainsi - outre Darwin qui n´en peut mais - le site allemand Messel, près de Darmstadt, où le fossile a été trouvé. C´est en fait ne pas dire grand chose : ce fossile, dans tous les sens du terme, est unique.

Affaire à suivre.
                                                        ***

Lien complémentaire possible : - le langage des abeilles
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31 mai 2009 7 31 /05 /mai /2009 13:54


L´homme qui plantait des arbres
, de Jean Giono, est autant un conte qu´une nouvelle. Il date de 1953. On le trouve toujours chez Gallimard (2008 (1986), 34 pages, 8,50€). C´est une réussite totale qui allie le meilleur style qui soit, la maîtrise d´une pensée ample et généreuse et le plaisir le plus pur de conter. Cette histoire est d´autant plus prenante qu´elle aurait pu être vraie. Elle est celle d´un vrai conteur. En rendre compte juste après avoir présenté L´Eveil de la glèbe du Norvégien Knut Hamsun ne peut mieux tomber car Giono connaissait Hamsun l´écrivain. Il avait fort admiré L´Eveil de la glèbe, et n´avait pas manqué de souligner que le thème était identique à celui de Regain, paru en 1930 en France par la revue Commerce et traduit dès 1933 en norvégien par une grande dame de la littérature norvégienne, Cora Sandel (1880-1974).

Commandé pour la rubrique "Le personnage le plus extraordinaire que j´aie jamais rencontré" du magazine américain The Reader´s Digest, ce texte fait revivre les faits et gestes d´un berger de Provence, dans "cette région délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance, entre Sisteron et Mirabeau". L´homme de cette nouvelle est en fait sorti de la seule imagination de Giono. Mais il est si vrai qu´il est inimaginable qu´il n´ait pas existé. Et Giono lui-même dira de lui : "c´est un des mes textes dont je suis le plus fier".

Le narrateur, au début du récit, est un promeneur de vingt ans qui, un beau jour de juin 1913, fait "une longue course à pied (...) sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel [où] le vent soufflait avec une brutalité insupportable".  Il y rencontre un berger solitaire qui l´héberge pour la nuit. Âgé de cinquante-cinq ans, il avait perdu son fils et sa femme. "Retiré dans la solitude (...), il prenait plaisir à vivre lentement, avec ses brebis et son chien. Il avait jugé que ce pays mourait par manque d´arbres. N´ayant pas d´occupations importantes, il avait résolu d´[y] remédier".

À défaut de bâtir, il plantait donc. Sans être pour autant vieillard octogénaire ...

Il s´appelait Elzéard Bouffier. Il commença par des chênes. C´était en 1910. Quand le narrateur le retrouve, deux ans après la fin de la guerre de 14 "il avait changé de métier. Il ne possédait plus que quatre brebis mais, par contre, une centaine de ruches. (...) Il ne s´était pas du tout soucié de la guerre. Il avait imperturbablement continué à planter".

Il ne se contentait plus de planter des chênes, il plantait aussi des hêtres, des bouleaux. Il se risqua même à planter des érables, mais ils moururent tous. Il revint donc "aux hêtres qui réussirent encore mieux que les chênes".

Miracle de la nature, l´eau se remit à couler. De nouveaux habitants s´installèrent. Des experts eurent vent de l´affaire. Une délégation administrative vint sur place. On fit des discours et l´un des personnages invités, sûrement plus important qu´expert, ne manqua pas de déclarer cette forêt naturelle. Goguenard, Giono ajoute :"On décida de faire quelque chose, et heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile : mettre la forêt sous la sauvegarde de l´Etat et interdire qu´on vienne y charbonner".

Giono fait mourir Elzéart Bouffier paisiblement en 1947 à l´hospice de Banon à quatre-vingt-neuf ans. Il "ignora[a] la guerre 39 comme il ignora la guerre de 14". Pour qui connaît un peu Giono, il y a dans ce planteur imaginaire et solitaire comme un air de Déserteur avant la lettre.

En 1913, le hameau près duquel Elzéart Bouffier plantait n´avait que dix à douze maisons et comptait trois habitants. En juin 1945, il en avait vingt-huit. Aujourd´hui, Vergons est un village qui en compte un peu plus de cent. Une de ses rues a pour nom Elzéart Bouffier.

"Quand on se souv[ient] que tout était sorti des mains et de l´âme de cet homme - sans moyens techniques - on compren[d] que des hommes peuv[ent] être aussi efficaces que Dieu dans d´autres domaines que la destruction". On peut aussi imaginer que pour laisser aux hommes une telle réussite - tant pour le personnage Elzéart Bouffier que pour Giono lui-même - il leur "a fallu vaincre l´adversité".



                                                             ***

Liens complémentaires possibles :

 - La Maison du retour de Jean-Paul Kauffmann
   - L´Acacia de Claude Simon

     - L´Herbe du même Claude Simon 
       - Et même : Un octogénaire plantait ... de Jean de la Fontaine

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29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 02:56


L´Eveil de la glèbe
, du Norvégien Knut Hamsun, est un frémissant récit (Biblio no 3312). Ecrit et publié pendant la Grande Guerre, il valut à son auteur le Nobel de littérature en 1920. C´est un superbe chant du monde, un hymne prodigieux de vie et d´espoir. La réussite y est d´autant plus totale que la thématique du retour à terre, l´accomplissement des tâches les plus élémentaires de la vie et la défense des valeurs les plus traditionnelles sont exposés dans un style où le réalisme le plus dru côtoie à chaque instant un lyrisme parfaitement maîtrisé. La traduction de Jean Petithuguenin, malheureusement, n´est pas toujours à la hauteur. Le titre français, notamment, est plus que malheureux car il donne une connotation populiste que le roman n´a pas. Son titre norvégien est Markens grøde. "Mark", c´est le sol, c´est le champ ; c´est donc la terre dans son sens le plus premier et concret qui soit. C´est aussi le ver qui sort quand le paysan la laboure et la retourne avant de semer. "Grøde"  c´est tout ce qui pousse, tout ce qui croît. Markens grøde, c´est donc ce que toute terre donne après défrichage et labourage ; c´est, dans sa littéralité première, Les Fruits de la terre.

Isak est défricheur, un paysan d´âme et de corps ; autrement dit un semeur, aussi âpre au travail que ceux peints par Millet et un peu plus tard Van Gogh. "Isak allait nue tête et semait au nom de Jésus ; ses bras étaient des bûches et ses doigts des rondins ; mais intérieurement il était un enfant. Auguste, il jette ses grains de blé à poignées, simple et résigné. Voyez ! Ces graines vont bientôt germer, puis donner des épis, et plus tard devenir blé ; et c´est ainsi sur toute la terre quand le blé est semé." Le semeur au geste augusteHugo n´est pas loin.

Il sera bientôt rejoint par Inger qu´un bec-de-lièvre défigure. "Mais il n´avait pas à s´en plaindre : sans sa bouche difforme, elle ne serait jamais venue jusqu´à lui. Pour Isak, ce bec-de-lièvre était une chance."  Elle se révèlera indispensable. Au travail, elle était aussi âpre que lui.

 

L´histoire qu´Isak et Inger vivront est quasiment biblique. Mais bien après la Chute. Pour être précis, dans la Norvège du Nord ; et pour être encore plus précis, aux pieds du mont  Kråkmo, dans le district du Nordland, près duquel Hamsun a écrit les premières pages du livre.

C´est une Norvège en plein bouleversement, quand, à la fin du XIXe siècle, elle sort de son isolement séculaire pour entrer dans l´ère des villes, de l´industrialisation et du capitalisme naissant. Autrement dit le progrès, ce qui, pour Hamsun, n´est pas loin du mal absolu. Isak, certes, en profitera, mais sans pour autant se laisser leurrer par les promesses factices que peut apporter l´argent facile. Il ne renoncera jamais à la valeur qu´est le travail de la terre. Inger, un temps, s´éloignera d´Isak. Je laisse au lecteur le plaisir de trouver par lui-même à la suite de quoi. Mais elle saura se reprendre, tant la droiture et le bon sens de son Isak resteront exemplaires.

L´oeuvre s´ouvre sur la marche d´un homme qui n´a pas encore de nom. Il traverse la lande et les marais du Nordland à la recherche d´une terre sur les communaux. "Il est robuste et rude ; il a une barbe rousse, inculte ; des cicatrices sur le visage et sur les mains : témoins du travail ou de la guerre. Peut-être, fuyant le châtiment, se cache-t-il ici, ou peut-être est-ce un philosophe qui aspire à la paix ; tel il est venu, l´être humain, au milieu de cette affreuse solitude. Il va, il va. Autour de lui, les oiseaux et les bêtes de la terre". Il est le premier homme. Il prendra le nom d´Isak.

Le recit s´achève sur Isak qui sème. "Le soleil du soir illumine les grains de blé qui s´échappent de ses mains et tombent comme une pluie d´or dans les sillons". Quant à Inger, elle est au foyer, "vestale au feu de son fourneau".


Il y a dans ce récit du Giono au mieux de sa forme, c´est-à-dire débarrassé de recherche exagérément poétique. Il possède par son thème et dans son écriture une richesse qui ne se dément jamais. C´est dire sa réussite. Traduit il y a près d´un siècle, il mériterait d´être retraduit.

 
                                          ***

Liens complémentaires :
  - Victoria de Knut Hamsun

      - Hamsun : l´écrivain et non l´homme

                                          ***

[Illustrations noir et et blanc : Karl Erik Harr ]

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26 mai 2009 2 26 /05 /mai /2009 21:44
Je ne vous dirai que deux mots ce soir : allez sur le blog de Jean Botquin et cliquez sur le lien qu´il donne pour dérouler devant vos yeux un chef d´oeuvre de la peinture chinoise du XIe-XIIe siècle. C´est un régal des yeux et de l´ouïe.

Excellente fin de soirée.
Et bonne nuit.

Ajout clin d´oeil :

         Vieille peinture
         Trois clics vous y plongent
          Bruits de l´eau
                   
                    
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20 mai 2009 3 20 /05 /mai /2009 12:56

Il en est de certains films comme des romans : les avoir vus modifie à jamais le regard.

Crin-Blanc
, que j´ai vu enfant, est de ceux-là. Et quand jeune père, je lisais à mes enfants le livre qu´Albert Lamorisse a écrit après avoir tourné son film, je revivais à chaque fois, sans ne rien révéler, mon émotion première.

Dans les eaux du Rhône où le courant du fleuve se mêle aux vagues de la mer, la  Camargue est libre. Crin-Blanc s´y jeta pour échapper aux hommes. Il n´avait jamais été monté. http://www.dailymotion.com/video/x58wk7_crin-blanc_shortfilms.

Il ne le sera qu´ une fois ; mais ce sera par Folco, enfant d´autant blessé qu´on lui avait menti.

C´est pour échapper aux flammes, qui montaient du marais, qu´il se laissa monter. Des manadiers sans scrupules y avaient mis le feu. Ils se vengeaient ainsi de n´avoir pu le capturer. Folco, quant à lui, savait la fausseté de leurs promesses. Ils lui avaient fait croire que Crin-Blanc serait à lui s´il pouvait l´attraper. Mais par deux fois, ils s´étaient rétractés.

Crin-Blanc, cerné par les flammes et aveuglé par la fumée, laissa Folco monter sur son dos. Et ainsi, gagna les sables des dunes puis la mer qui montait.

Les gardians pourtant se rapprochaient. Crin-Blanc, alors, se jeta dans le tumulte des eaux.

--"Reviens, mais reviens, petit. Je te le donne, ton cheval. Il est à toi. Reviens ! mais reviens donc !..."

 

C´était trop tard. "Et Crin-Blanc, qui était doué d´une grande force, emporta Folco dans une île mystérieuse où les enfants et les chevaux sont toujours des amis."


Cette dernière phrase, au moment ou non du coucher de mes enfants pour la nuit, je l´ai bien dite au moins cent fois sans jamais, pour autant, réveler ce qu´elle cachait. Il n´est jamais très bon de chercher le fin mot d´une énigme. Il faut, au secret, laisser sa raison d´être.

Mais un soir où l´intimité, entre nous, était sans doute un peu plus vraie, je vis mon plus jeune fils bouleversé ; des larmes perlaient de ses yeux. L´ainé me regarda, interrogatif. Il voulait par des mots que je l´aide à comprendre ce qu´il ne comprenait pas. Il y a dans la vie des moments cruciaux où la terre, l´espace d´une seconde, semble s´arrêter.

Près de trente ans se sont écoulés depuis. J´ai revu ces jours-ci Crin-Blanc avec mon plus jeune fils, accompagné de ses deux petites filles. L´aînée Tiril a cinq ans et demi ; la plus jeune, Thea, a trois ans. Nous n´étions que six au cinéma : nous quatre ; plus un père et sa fille de huit ou dix ans. Thea la plus jeune suçait sa sucette et se régalait de pop-corn. Tiril l´aînée se tortillait sur son siège, posait maintes questions à son père, et qualifia les manadiers de méchants. Peut-être cherchait-elle aussi à comprendre le pourquoi de mon invitation. Elle finit par demander, peu avant le mot fin, où Crin-Blanc emmenait l´enfant. Son père me regarda et répondit en même temps que moi en direction de sa fille, un petit sourire aux lèvres : "  ... dans une île merveilleuse où les enfants et les chevaux sont toujours des amis." 

La surprise et la nouveauté sont aujourd´hui bien différentes. Elles ne sont pas moins grandes. Comment tout à la fois jeter un enfant dans les flots indomptables d´un fleuve, refuser le mensonge, et laisser en suspens une interrogation ? Et comment, en même temps, être enchanté et se vouloir enchanteur ? 

L´essentiel est du côté des mots.
 
                                                            ***
Autre lien possible : deux fugues.



   

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