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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 13:02

Jenny
, roman de la Norvégienne prix Nobel Sigrid Undset 1928 (1882-1949), est, pour reprendre ce que dit tout le monde, largement autobiographique. Mais mettre en récit des données de sa propre vie n´a jamais été un gage de qualité romanesque ... 

Ce roman date de 1911. Bien traduit du norvégien par M. Metzger, on le trouve chez Stock ( Bibliothèque cosmopolite,1998, 301 pages). Sauf erreur, sa traduction en français date de 1940.

Précisons une fois pour toutes, pour ne plus y revenir par la suite, les éléments largement autobiographiques du roman. Ils ne sont pas négligeables. Mais ils n´expliquent en rien la force du récit. L´intrigue se passe à Rome au début du XXe siècle parmi la bohême norvégienne. Jenny, comme Sigrid Undset, s´y est rendue pour étudier l´art et la peinture. Elle s´éprend, à vrai dire sans conviction, d´un jeune Norvégien venu étudier l´archéologie, mais elle repoussera ses avances. C´est du père, peintre raté, sentimental, beau parleur et dépassé dans ses conceptions sur l´art, qu´elle connaîtra la passion. De ce père encombrant elle aura même un enfant. La suite du roman, cependant, quittera la veine autobiographique. Jenny, pleine d´absolu, refusera le mariage. L´enfant mourra quelques semaines seulement après la naissance. Seule et désespérée, Jenny finira par se suicider. L´intérêt du roman, heureusement, va bien au-delà des éléments purement autobiographiques : dans le rejet de tous les tabous, dans les discussions sur l´Art pour ceux et celles qui croient ou non avoir une vocation, et sur la soif d´absolu.

Jenny n´est pas le premier roman de Sigrid Undset, mais c´est celui par lequel elle aura désormais un public élargi et fidèle. Ce roman mériterait d´être davantage connu.

Le sillon que Sigrid Undset ne cessera jamais de creuser est celui de la femme dans la société, qu´elle soit femme qui se perd, femme qui néglige sa vocation ou femme qui se meurt de ne pas trouver le grand amour ; ou au contraire, celle qui se réalise en acceptant sa condition de femme, d´épouse ou de mère ; et ce, que ce soient dans les romans que la critique qualifiera plus tard de "contemporains" comme Jenny, ou ceux que la critique appellera "historiques" comme Christine Lavransdatter, qui lui a valu le Prix Nobel en 1928 et qui se situe dans la Norvège du XIVe siècle d´avant la Réforme.

Dans Jenny, ce qui s´affirme avec force, c´est la certitude que l´épanouissement de la femme ne peut en rien venir du seul amour ; que l´amour individualiste, romantique et absolu est un leurre. Il ne s´agit cependant pas de rompre toutes les amarres et de s´émanciper de tout. Bien au contraire. Certes,Sigrid Undset refuse les conventions sociales et religieuses qui étouffent la femme, mais elle revendique pleinement sa condition de femme, à savoir ses devoirs d´épouse et de mère. Là est sans doute le paradoxe de toute l´oeuvre de Sigrid Undset et sans conteste sa force dérangeante : bien qu´ayant toujours chanté la femme, elle n´a jamais été féministe, même si à la fin de sa vie, elle a reconnu que les revendications du mouvement féministe des années 1880 n´étaient pas sans fondements. L´émancipation inconditionnelle de la femme n´a jamais été pour elle une fin en soi. Bien au contraire : ce qu´elle revendique, c´est que la femme assume sa spécificité première et entière de femme.

L´héritage littéraire de Ibsen , bien que revu et corrigé par sa vision de femme, d´épouse et de mère, n´est pas loin. Mais cet héritage est flanqué d´un refus sans condition : celui que soutenait Knut Hamsun, Prix Nobel 1920, quand il affirmait, dans son style bien à lui, que la réalisation de soi ne pouvait que passer par l´individualisme le plus exacerbé, le retour à la terre et le rejet de tout progrès.

Sigrid Undset est plus modeste. Cela ne l´empêche pas d´être ambitieuse : ce qu´elle affirme haut et fort, c´est que la vocation de la femme est simplement d´accepter sa condition pleine et entière de femme : prendre ses responsabilités devant les hommes et devant Dieu, s´étant, après une lente et sûre évolution, convertie en 1925 au catholicisme.

Ce roman, beau et fort, est exigeant. Il a en germes tout ce que Sigrid Undset reprendra sans cesse et toujours sans jamais se lasser tant sa conviction est profonde : qu´il y a dans le christianisme et plus particulièrement dans le catholicisme auquel elle a pleinement adhéré en toutes connaissances de causes en 1925, - sans pour autant tomber dans le respect du dogme le plus étroit -, des valeurs de civilisation que personne, chrétien ou non, ne peut rejeter. 

[illustration du bas : Sigrid Undset chez elle à Bjerkebæk. Photo de Alvilde Torp 1920-22]

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commentaires

B
Trois petites corrections : 1) notamment; 2) Il suffit d´écrire ... 3) son nom ... Cela allait de soi, mais tout de même.Sorry !
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B
@Dominique : Oh là là ! De Knut Hamsun, j´ai pratiquement tout lu. Sa prose en norvégien ( bokmål) est prodigieuse. C´est un véritable ensorceleur. Il n´est pas toujours bien traduit, mais cela ne doit pas vous arrêter.C´est un écrivain majeur, qui fait partie de la littérature universelle. Sur lui, j´ai écrit quatre ou cinq billets (et même plus si je mentionne diverses allusions dans d´autres billets, notament sur les deux langues officielles de la Norvège). Pour retrouver les billets que j´ai écrits sur Knut Hamsun, il vous suffit décrire son mon dans la rubrique "Rechercher" et de cliquer sur OK.Bonne lecture .... ; - et au plaisir de vous lire.  
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D
Je suis très intéressée par votre billet, je n'ai rien lu de Undset, en furetant en bibliothèque on trouve Chritine Lavransdatter et puis ...rien, aimant modérément les romans historiques je n'étais pas très tentée. Celui ci parait une bonne façon d'entrer dans l'univers de cette auteure, le thème de la place de la femme semble assez proche de C Lavransdatter ( d'après le 4ème de couverture ) époque différente mais même combat pour la réalisation féminine Je suis revenue de bibliothèque avec un DVD sur la vie de Hamsum, le connaissez vous ?
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