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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 10:53


Autobiographie d´un épouvantail
, du neuropsychiatre éthologue Boris Cyrulnik (Odile Jacob, 2008, 279 pages, 22,50 €) se lit aussi facilement et avec autant d´intérêts que tous ses ouvrages précédents, notamment son plus grand succès Les Vilains Petits Canards comme l´optimiste Parler d´amour autour de gouffre  ou encore  De chair et d´âme , paru il y a trois ans.

Il reprend dans ce dernier ouvrage son concept désormais bien connu de résilience pour l´élargir; la résilience ne concerne plus seulement l´individu qui, après un trauma qui l´a fracassé, revient sur ce trauma pour le métamorphoser grâce à un récit réorganisateur du Moi, mais peut aussi s´appliquer à toute une société terrassée par un traumatisme social ou historique tel un génocide, - et qui cherche, en exorcisant son passé, de redonner vie à tous ses membres divisés. Il y aurait même plus : la planète Terre elle-même n´avancerait que par suite de catastrophes successives. Il ose donc affirmer : "le chaos, en ce sens, est déterministe." (p. 37). C´est dire aussi que l´on peut parler de "résilience naturelle." 

Par définition, le trauma fracasse. Rien ne peut donc l´effacer. Personne ne peut non plus faire qu´il n´ait pas eu lieu. Mais pour repartir, il est nécessaire que l´individu blessé revienne sur son trauma pour réorganiser son Moi. Il en est de même des sociétés. Elles ne peuvent ignorer leur passé. Seul un travail de mémoire permet de panser les plaies. Et quand un tsunami, un séisme ou une éruption volcanique, ravage toute une partie d´un pays, la nature elle-même met en place une nouvelle stratégie qui n´efface pas totalement l´événement dévastateur, mais le surmonte en l´absorbant. "Le pouvoir créateur du monde vivant ne fait jamais réapparaître la vie sous le même aspect. Après le chaos, il en invente d´autres."(p.38) Quelle foi en la vie !

La résilience, pour un individu comme pour une société, est une nécessité de survie. Ce qui diffère, ce sont les formes qu´elle prendra : elle dépend d´abord du développement préalable de l´individu et de la société avant le surgissement du trauma ; elle dépend ensuite de la nature du trauma proprement dit ; elle dépend enfin des tuteurs de résilience qui se mettront en place après l´événement traumatique ou la catastrophe.

Rien n´est irrémédiable. Ce qui est premier, là où sourd le moindre souffle de vie,  ce sont les facteurs d´adaptation.

On survit d´autant mieux à un tsunami qu´on participe activement à la reconstruction du pays ravagé. Ceux qui reçoivent passivement une aide sont moins bien armés pour surmonter ensuite le dommage subi. Mais l´affrontement dans l´instant est plutôt un déni qu´un comportement prédictif de résilience.

Le chapitre "Le bonheur des pervertis"met en évidence que les bourreaux sont pour la plupart des êtres suradaptés ; ils ne font qu´obéir aux ordres et accomplir leur devoir de zélés serviteurs de l´Etat. C´est dire que parmi les pervertis les plus endurcis, les malades mentaux sont statistiquement les moins nombreux. Boris Cyrulnik démontre ainsi avec bonheur que si un pervers peut sans remords faire souffrir autrui, c´est parce que, affirme-t-il, il n´a pas reçu dans sa mémoire biologique l´empreinte de l´Autre qui le porte ailleurs que vers lui-même. Indirectement, il démontre qu´il est toujours permis d´espérer : après l´horreur la plus inhumaine, la grandeur invincible face à cette horreur réapparaît avec plus d´accuité.

Reste que dans son chapitre "Les perroquets de Panurge" Boris Cynulnik ne cache pas qu´on ne devient par normal impunément. Le conformisme, le suivisme verbal, l´obéissance panurgique, le grégarisme intellectuel, le faire comme tout le monde, le bonheur que donne l´obéissance sont des facteurs indispensables de sociabilité qui permettent à tous une adaptation à moindre frais. La désobéissance, au contraire, nécessite une plus grande force de caractère. Le discours ambiant lénifiant engourdit la souffrance. Mais il ne permet pas de la surmonter. Ce qui seul permet de la dépasser et donc à nouveau d´affronter la douleur de la vie, c´est d´y revenir, non, cependant, pour la revivre une seconde fois, mais pour la maîtriser en toute connaissance de causes, - et faire d´elle un projet social, politique, philosophique ou artistique. Et quand c´est une société toute entière qui est blessée, seul un devoir salutaire de mémoire peut lui permettre de ressouder ses membres déchirés.

Vient le dernier chapitre intitulé "Les enfants cachés". "Le déni et le mutisme permettront d´éviter la mémoire douloureuse, mais non de donner sens à l´insensé"(p.221).  Ce qui signifie qu´il y a un déterminisme verbal et que l´entourage du blessé joue un rôle dans la métamorphose qui permet le processus de résilience. À vouloir taire la blessure vécue, c´est empêcher le traumatisé de tricoter son retour à la vie. Pour repartir et transformer son trauma en nouvelles données de départ, il doit en analyser les recoins, quitte à les embellir. ll ne s´agit donc pas, encore une fois, de revivre la souffrance passée, mais de ne pas exclure d´en jouir pour la dépasser enfin définitivement.  Curieux couple, puisque le sado-masochisme ne peut être occulté.

Reste que le développement préalable de l´individu traumatisé et la manière dont les tuteurs de résilience se manifesteront après le surgissement du trauma sont essentiels pour expliquer comment s´opère la réorganisation du Moi.

De tout temps et dans toutes les sociétés, le masque a eu une fonction double. Il peut  dissimuler une tare, un défaut, une plaie purulente. C´est le cas quand un être meurtri se prend pour un épouvantail. Le masque peut aussi remodeler un visage et même, par jeu, de permettre à celui ou à celle qui le met de vivre une autre vie qu´il ne soupçonnait pas. Il convient donc de ne pas négliger le détail du tableau de Sir Joshua Reynolds Le Quatrième Duc de Marlborough et sa famille (1777-1778) que l´éditeur a mis en page un de couverture de nouvel ouvrage de Boris Cyrulnik. Deux petites filles affrontent différemment du regard un masque de famille. L ´une semble prendre ses distances, même si une main adulte cherche à la protéger ;  l´autre est plus audacieuse : elle touche le masque et il y a en son air comme une envie mêlée de crainte. Il en  est de même pour tout traumatisé : le retrait peut sembler au premier abord la solution de sagesse. Mais l´affrontement permet seul d´appréhender vraiment la vie.

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