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11 septembre 2007 2 11 /09 /septembre /2007 08:08

MortdeTristan.jpg
[ 12 ] - Mon père possédait un exemplaire de Tristan et Yseut reconstitué par Joseph Bédier à partir de la version dite Thomas d´Angleterre. Je ne l´ai plus. Je l´ai jeté un jour de désarroi suicidaire, il y peu, parmi beaucoup d´autres livres. C´est un des rares livres que je regrette avoir jetés. Quand on désherbe un jardin, les mauvaises herbes ou les pousses arrachées par erreur repoussent  aisément. Il en est tout autrement pour une bibliothèque désherbée. Certains livres sont définitivement perdus. Il faut savoir en faire le deuil. [ Ci contre : Mort des amants ]

J´ignore totalement s´il le volume que possédait mon père était la première édition 1900 ou une édition ultérieure. Elle n´était pas vraiment belle, mais elle avait du chien. Brochée, la couverture était de couleur brun ocre. Il me semble me souvenir que des petites enluminures pâlies et un peu ternes commencaient chaque nouveau chapitre. Contrairement au volume de Villon que mon père possédait, aucun trait de crayon ne se trouvait sous certains mots et aucun mot n´était écrit dans la marge. Le francais était sensiblement celui de nos jours. Le volume, par ailleurs, ne contenait ni introduction ni glossaire. Je peux m´imaginer que c´est pour cette raison que je m´en suis séparé. Peut-être aussi parce que je possédais deux autres éditions fort bien commentées d´éminents spécialites médiévistes. La beauté d´un livre vient pour moi du texte et de sa langue, non de sa reliure ou de son prix. Il paraît que l´on peut rechercher le bouquet d´un grand cru en aveugle. Je ne connais que Borgès qui aimait posséder des livres rares sans pouvoir les lire lui-même.

C´est vers 16 ou 17 ans que j´ai découvert en classe de Seconde au Lycée Janson de Sailly cette légende d´amour et de mort. Quelques années plus tard, j´ai vu dans un cinéma de mon quartier, - Le Saint Lambert si mes souvenirs sont exacts -, L´Eternel Retour, film du réalisateur Jean Delannoy sur un scénario de Jean Cocteau.  Je viens de découvrir que le film date de 1943. Mon père aurait donc pu le voir.

D´après les critiques de l´époque, Cocteau a su admirablement redonner vie à la vieille légende en reprenant le titre "éblouisssant" de Nietzsche : L´Eternel retour. Quand j´ai vu le film à 18 ou 20 ans dans la petite salle de mon quartier, le public a frémi d´horreur lorsque la perfide Yseut aux Blanches Mains ment à Tristan qui se meurt d´attendre son Yseut, la Belle aux cheveux d´or, et lui annonce sans tressaillir la fausse nouvelle : Sachez que la voile est toute noire. Elle est hissée bien haut parce que le vent fait défaut".
 
J´ignore totalement si mon père aimait le cinéma. J´ignore donc s´il pouvait vibrer devant le petit écran comme il pouvait le faire en lisant un livre. Pour ma part j´ai pleuré plusieurs fois, tant dans ma chambre à la lecture de certains romans que dans la salle d´un cinéma. Je crois me souvenir que c´est en voyant Bambi de Walt Disney qu´un film m´a fait pleurer pour la première fois. Je ne suis pas prêt d´oublier les pleurs que j´ai versés à la fin des 400 coups de Truffaut. Je pleure désormais rarement, mais j´ai frémi à une scène pour moi prenante du film télévisé "Napoléon"Yves Simoneau avec Christian Clavier dans le rôle titre ; celle où l´on voit des paysans espagnols affamés et en guenilles, les yeux exorbités devant la mort, brandir des fourches et des rateaux contre des soldats francais qui avancent sur eux la baïonnette au canon. Le réalisateur a bien su rendre l´effroi que Goya a peint dans son plus que célèbre tableau Tres de Mayo.

Même si adolescent je ne savais communiquer mes sentiments, comme j´aurais voulu que mon père m´invite à voir L´éternel Retour de Cocteau et Delannoy ! Peut-être aurait-il voulu le revoir avec moi pour se replonger dans les années où il était encore assez jeune. Peut-être, même, m´aurait-il encouragé à lire la version de Tristan et Yseut qu´il possédait en me conduisant dans sa bibliothèque. 

Autant en hommage aux travaux de recherches des spécialistes du francais du haut Moyen-Âge qu´en souvenir de mon père, mort comme on sait en 1945, et qui aimait posséder des oeuvres dans la langue originale du moyen francais de Villon à Montaigne en passant par Rabelais et quelques autres, je tiens à citer la fin du Tristan et Iseut telle qu´on la trouve dans le manuscrit de Thomas :

  • Tristrans murut pur sun desir,
  • Ysolt, qu´a tens n´i pout venir.
  • Tristrans murut pur sue amur,
  • Et la bele Ysolt par tendrur.
  • Tumas fine ci sun escrit :
  • A tuz amanz saluz i dit.
  • As pensis e as amerus,
  • as emvius, as desirus,
  • As enveisiez e as purvers,
  • (A tuz cels) ki orunt ces vers.  
( Tristan et Iseut. Les poèmes francais. La saga norroise. Textes originaux et intégraux présentés, traduits et commentés par Daniel Lacroix et Philippe Walter. Livre de Poche no. 4521, Collection Lettres gothiques , 1989). ( ... / ... 13 )

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